Mali : « Imam Dicko a islamisé la contestation en agrégeant les frustrations »

21 juin 2020

Mali :

Pour Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute, le notable a su fédérer les sensibilités religieuses et profiter du recul des idéologies de gauche.
«C’est souvent l’éleveur du bélier qui en reçoit les premiers coups de cornes », avertit un proverbe wolof. A cette image, la stratégie de rapprochement des acteurs politiques avec le monde religieux finit souvent par se retourner contre leurs auteurs. Au Mali, la percée de l’imam Dicko comme figure centrale de l’opposition au pouvoir en place est le fruit d’un long processus dans lequel la responsabilité de toute l’élite politique est largement engagée. Ce 19 juin, pour le troisième vendredi consécutif, l’imam appelle à manifester pour pousser « IBK » [Ibrahim Boubakar Keïta, chef de l’Etat] à la démission, un président « obligé » qu’il se targue d’avoir « mis en place ». Décrit de manière simpliste comme un « salafiste wahhabite », M. Dicko s’est engouffré dans la brèche politique malienne et a séduit des pans entiers de l’intelligentsia et de la jeunesse « éduquée ». Il use, paradoxalement, d’une rhétorique aux apparences « modernes » pour mieux combattre la modernité sociale. En 2009, avec le soutien de la majorité de la classe politique, il mobilisa contre la promulgation d’un code de la famille jugé « anti-islamique » bien que voté par l’Assemblée nationale. A côté d’un islam traditionnel « populaire » incarné par Chérif Ousmane Madani Haïdara, choyé par l’Etat et ses partenaires internationaux, Mahmoud Dicko a développé un discours proche des réalités de la population.

AGREGER LES FRUSTRATIONS

Par un travail de longue haleine et la rupture d’avec l’islam traditionnel critiqué pour sa subordination au pouvoir, il a convaincu bien au-delà de l’élite arabophone et séduit des cadres de la haute administration et du monde économique. Les principes de bonne moralité en bandoulière, il fédère les sensibilités religieuses et profite du recul des idéologies de gauche qui permettaient, jadis, de formuler la critique d’une « hégémonie néolibérale ». M. Dicko a compris que pour agréger les frustrations actuelles, il fallait épurer son discours de références islamistes afin d’opérer une jonction inédite entre mouvances salafistes et anciens militants de la gauche nationaliste qui voient en ce « smart islam »une forme efficace de contestation de l’Occident et d’un « néo-impérialisme ». Afin de masquer son fond religieux, l’offre politique de M. Dicko est soigneusement emballée d’une critique de la mal-gouvernance. Le tout dans un contexte de rejet de la présence militaire étrangère. La manifestation du 5 juin à Bamako, où un ultimatum a été lancé au président Ibrahim Boubacar Keïta pour qu’il démissionne, a été un tournant. Pour la première fois, des milliers de personnes se sont réunies à l’appel d’une coalition d’hommes politiques, de religieux et de membres de la société civile, dont Mahmoud Dicko. Elle a permis à l’imam d’approfondir les dissensions au sein de la communauté musulmane, d’amputer l’arrière-garde de la politique malienne de ses leaders, presque tous signataires du communiqué final demandant à « IBK » de partir.

 LES « LIAISONS DANGEREUSES»

Pour comprendre cette rupture, il faut se pencher sur trois moments de l’évolution politique récente du Mali. D’abord, la genèse de la montée en puissance fulgurante de l’imam. Les régimes successifs ont aidé le wahhabisme, bien que courant minoritaire, à se hisser et à se maintenir à la tête du Haut Conseil islamique dans un pays pourtant de tradition malikite depuis des siècles et bien ancré par sa tolérance. Le courant wahhabite, aux idées conservatrices, était paradoxalement mieux organisé et pouvait être politiquement plus mobilisable, aux carrefours du business et du pouvoir. L’élite politique se bousculant dans les « cours » des marabouts a observé, inerte ou impuissante, ce responsable religieux triompher au point de faire annuler un vote de la représentation nationale sur le code de la famille. A l’époque, face à lui, Mahmoud Dicko n’avait plus que des mouvements de femmes affaiblis que fuyaient les hommes politiques et les défenseurs des droits humains isolés face à la majeure partie de la société civile progressivement largement acquise aux thèses de l’imam. M. Dicko fut tellement influent, qu’en en pleine crise sécuritaire au Nord en 2012, il fut appelé à la rescousse des humanitaires pour acheminer de l’aide à Tombouctou, libérer des otages. Ensuite, les « liaisons dangereuses » entre le président actuel et l’imam, dont l’un des protégés mobilisa plus de deux cents mouvements islamiques autour de la coalition Sebati 2012, contribuant largement à l’élection au premier tour d’« IBK ». M. Dicko sera alors des voyages présidentiels, surtout dans les pays du Golfe dont il connaît la langue et l’idéologie. Il gagne en reconnaissance et devient l’intermédiaire privilégié pour appeler les djihadistes à la « trêve ».

DECREDIBILISATION DE LA PAROLE POLITIQUE

Enfin, survient le divorce lorsque « IBK » nomme Soumeylou Boubèye Maïga secrétaire général de la présidence, puis premier ministre en décembre 2017. L’imam ne pouvait admettre de voir au cœur de l’appareil d’Etat celui qui, selon lui, aurait contribué au tarissement de certaines prébendes et avantages mais aussi à l’émergence des milices dans le centre du Mali. Les massacres comme celui d’Ogossagou, où les Peuls sont les premiers ciblés, emporteront en avril 2019 le fauteuil du premier ministre. La société malienne est, aujourd’hui, aussi divisée que sa sphère religieuse. L’islam, instrumentalisé aussi bien par les imams que par des leaders de gauche toujours en quête du grand soir, est en passe de devenir le nouveau syndicat unitaire des « damnés de la Terre »comme dirait Frantz Fanon. Ces signaux risquent d’être aggravés par deux faits essentiels.

D’un côté, les entrepreneurs religieux se saisissent parfaitement de la décrédibilisation de la parole politique classique. Un imam sénégalais ironisait récemment : « Si les populations en arrivent à ne même pas croire au coronavirus parce que les politiques l’ont annoncé en premier, ils doivent vraiment se ressaisir ».

D’un autre, l’érosion des légitimités politiques locales et l’éclatement continu du leadership religieux dans une région en pleine mutation continuent d’inquiéter tout le Sahel. Dans cet espace sahélien où on joue sur la manipulation du religieux pour des motifs politiques, des figures telles que M. Dicko arriveront toujours à se saisir des opportunités qu’offre, entre autres, le discrédit de l’élite politique. Tant que cette dernière, sans solution immédiate aux demandes populaires, surfera par populisme, sur les ressorts du religieux, elle n’en finira pas de se réfugier derrière des figures comme l’imam Dicko, l’un des symboles de son propre échec.

Bakary SAMBE to Associated Press : Terrorism: Senegalese perception has completely changed

26 février 2016

Senegal (AP) — Dozens of armed security forces descended on the Quranic school at night, arresting an imam suspected of having links to Islamic extremists in Nigeria.

As the forces encircled the home of Imam Alioune Badara Ndao, 300 boys from his boarding school ran into the dirt courtyard, panicked at the sudden appearance of the gendarmes in this peanut-industry town.

More arrests were carried out in the weeks that followed, including of three other imams accused of supporting Boko Haram, stoking fears that extremism could be sprouting in this predominantly Muslim, moderate nation that prides itself on its tolerance and co-existence with the Christian minority population.

 The Associated Press

« Until now the debate on terrorism was considered a distant one, but with these new arrests Senegalese perception has completely changed, » said Bakary Sambe, an expert on radicalism and religious conflict in Africa who is based at Gaston Berger University in Saint-Louis, Senegal. « People are starting to see this as a local reality. »

Authorities said they found a video on the night of Ndao’s arrest at the Quranic school last October that they said « glorified terrorism » and believe the imam had been meeting regularly with a Senegalese jihadist looking to set up a Boko Haram cell here after living and training in Nigeria.

Ndao vigorously denies the accusations.

Recent al-Qaida attacks on hotels frequented by foreigners in two other West African countries, Mali and Burkina Faso, that killed dozens of people have elevated fears that extremist attacks are creeping further out from North Africa. Even before the Burkina Faso attack, Senegal’s president was calling for the burqa to be banned, saying the long shapeless garment worn by conservative Muslim women also could be used by suicide bombers to hide explosives.

Senegal is stepping up security at possible targets, including large hotels and foreign embassies. Authorities are increasing surveillance too. Police have detained more than 500 people in Senegal this year as part of an anti-extremism effort though most offenses were for counterfeit currency or not having the proper paperwork for vehicles.

In Kaolack, some 112 miles (180 kilometers) from the capital, there is still shock over the raid and disbelief that Ndao could have supported Boko Haram, a Nigerian group which has pledged allegiance to the Islamic State. Neighbors and supporters say Ndao is well-respected in the community and led a local league of imams and preachers. His attorney insists any jihadist propaganda found on the premises were for research.

« Imam Ndao is a scholar who is doing research on terrorism, and so it is not surprising that he would have this video, » says his lawyer Babacar Ndiaye.

However, others maintain that the connection between Ndao and the extremist group is far more direct, including regular meetings with the Senegalese jihadist named Makthar Diokhane who is currently jailed in Niger and accused of trying to set up a Boko Haram cell in his home country with at least four accomplices also being held in Niger.

It was Diokhane’s travels that apparently led authorities to arrest the imams, as his movements were being tracked by intelligence services from at least two countries before he was arrested last year.

Diokhane had visited Ndao at his Quranic school in Kaolack on several occasions. The imam’s lawyer, though, insists Diokhane was a former student whom the imam had lost touch with until only very recently.

Diokhane’s wife was also arrested, allegedly in possession of more than 23,000 euros worth of currency.

Now the four imams, Diokhane’s wife and a second woman are facing a variety of charges ranging from money laundering to financing terrorism.

For some, Ndao’s arrest merely amounts to guilt by association — no information released publicly has implicated any of the suspects in plotting a specific attack or recruiting others to violent jihadism.


Gorée Institute – Dr. Bakary Sambe remonte aux sources de la radicalisation dans le Sahel

26 février 2016

Des participants engagés dans des actions de recherche en matière de sécurité dans la sous-région et qui sont pour l’essentiel des universitaires et des acteurs non-étatiques (OSC, ONG, Think Thanks, Chefs religieux, etc.) L’intérêt de la tenue d’un tel atelier sous-régional est, selon le Directeur de l’Institut Doudou Dia, de trouver réponse à la question de savoir quels sont les facteurs expliquant le radicalisme religieux dans la sous région. Autrement dit, « comment le débat pourrait aider à éradiquer la tension liée au radicalisme religieux dans l’espace ouest africain ».
En réalité, renseigne Dr. Bakary Sambe, « ce que notre sous-région est en train de vivre a commencé lorsque nos états étaient frappés par la sécheresse. Cela s’est accentué lors des politiques d’ajustement structurel, lorsque nos Etats ont pu abandonner des pans entiers de leurs prérogatives en termes d’éducation et de travail social, et que des mouvements sont revenus avec une idéologie pour recruter et influencer notre jeunesse ». Néanmoins, l’enseignant-chercheur rappelle qu’auparavant, « on avait un Islam paisible, de paix et de concorde et de cohésion sociale, mais maintenant la région ouest africaine est contaminée par ce salafisme qui a inspiré la destruction des mausolées de Tombouctou, qui a inspiré tous les actes de violence qu’on voit aujourd’hui ».
Et le Mali, le Burkina Faso et le Nord du Nigéria sont pour l’islamologue des exemples patents de cette ascension du radicalisme religieux. Pour cette première journée de l’atelier, les différents intervenants ont souligné le degré de radicalisme dans leurs pays respectifs, notamment celui des jeunes. Ils ont surtout fait part des causes, des manifestations, des conséquences, mais aussi des recommandations pour endiguer le fléau.

Auteur: Webnews - Webnews

Dr. Bakary Sambe à Jeune Afrique : « Les salafistes tiennent les mosquées des Universités du Sénégal »

26 février 2016

D’après différentes sources à Dakar, entre dix et trente Sénégalais combattent aussi sous la bannière noire de l’État islamique (EI) autour de Syrte, en Libye . « Ils constituent une menace, comme tous les ressortissants étrangers qui se battent pour l’EI et qui sont susceptibles de revenir dans leur pays d’origine », commente un ministre, visiblement préoccupé, comme les autorités sénégalaises dans leur ensemble, par la présence de ses compatriotes dans les rangs de Daesh.

 

 SYLVAIN CHERKAOUI POUR J.A.

 

Plus largement, la percée de l’idéologie wahhabite en Afrique de l’Ouest n’épargne pas le Sénégal. Par le biais de différents relais des pays du Golfe, cette application radicale de l’islam s’est immiscée dans la société sénégalaise, majoritairement soufie et historiquement structurée en confréries. Plusieurs milliers de salafistes, reconnaissables à leurs barbes et à leurs pantalons découvrant leurs chevilles, seraient aujourd’hui disséminés dans le pays. « Depuis les années 1990, ils ont développé leur terreau idéologique en tenant de nombreuses mosquées, y compris celles des universités de Dakar et de Saint-Louis », s’inquiète Bakary Sambe, directeur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique.

Dr. Bakary Sambe au Journal le Monde : « Le soufisme doit se renouveler pour séduire les jeunes attirés par le salafisme »

26 février 2016

Multiplication des contrôles de police, arrestations d’imams, fermeture de mosquée… L’Etat sénégalais a renforcé ses mesures de sécurité depuis les attentats de Bamako, fin novembre 2015, et de Ouagadougou, en janvier. Des événements qui marquent « la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest », selon Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute African Center for Peace Studies et coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique.

Contre la menace terroriste qui plane désormais sur le Sénégal, celui-ci préconise une réactualisation du discours des guides religieux qui, depuis longtemps, constituent un élément de cohésion sociale auSénégal.

Peut-on parler d’une radicalisation islamique de la société sénégalaise ?

La radicalisation reste un phénomène marginal parce que l’islam majoritaire au Sénégal est essentiellement soufi, confrérique et tolérant. Le champ religieux sénégalais est diversifié depuis les années 1950. C’est à partir des années 1970-1980 que des mouvements sont nés sur la base de leur opposition au système confrérique, considéré par certains comme « impur ».

Ces mouvements sont animés par l’idéologie salafiste qui s’est diffusée depuis le Moyen-Orient par le biais de la prédication, la da’wa. Le terreau idéologique était certes bien là depuis longtemps, mais c’est le phénomène de la mondialisation et la réduction de l’espace par les moyens de communication modernes qui en ont accéléré la propagation.

Lire aussi : Quand Khartoum « éduque » et islamise l’Afrique

Aujourd’hui, on assiste donc à l’aboutissement d’une longue évolution. Et ce malgré l’illusion longtemps entretenue dans les études africaines d’un islam subsaharien qui serait en marge de l’évolution globale des sociétés musulmanes.

Le Sénégal est l’un des berceaux de l’islam confrérique d’Afrique subsaharienne. Comment l’islam soufi résiste-t-il à cet islamisme d’inspiration wahhabite ?

« Le Sénégal est resté un îlot de stabilité dans l’océan d’instabilité qu’est l’Afrique de l’Ouest »

Les confréries ont d’abord été des cibles idéologiques puisque la naissance de l’islam radical s’est faite sous la bannière de la contestation virulente de ces confréries. Mais, jusqu’à présent, le Sénégal est resté un îlot de stabilité dans l’océan d’instabilité qu’est l’Afrique de l’Ouest. Et ce, grâce aux confréries, qui ont ralenti la pénétration massive des salafistes. On peut donc, sur ce point, les considérer comme un rempart.

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Une peinture d'El-Hadji Malick Sy, chef spirituel de la confrérie des tidjanes, à Dakar.

Une peinture d’El-Hadji Malick Sy, chef spirituel de la confrérie des tidjanes, à Dakar. CRÉDITS : SEYLLOU/AFP

Mais la question, aujourd’hui, est de savoir si ce rempart pourra tenir et s’adapter. Car, en face, on a une jeunesse en forte demande religieuse. Or les confréries peinent parfois à offrir un cadre spirituel adéquat et réactualisé. Du coup, certains de ces jeunes sont attirés par le semblant de modernité que leur offrent les salafistes.

Ces mouvements ont même investi l’espace universitaire en ayant pris, systématiquement, le contrôle des mosquées des deux grandes universités du pays : Cheikh-Anta-Diop à Dakar et Gaston-Berger à Saint-Louis. Depuis une quinzaine d’années, un travail de maillage s’est fait au niveau des étudiants et d’une élite intellectuelle que le discours traditionnel n’arrive plus à mobiliser. Ce qui contredit les analysesclassiques sur la paupérisation, la marginalisation et le mal-développement qui n’explique pas tout le phénomène de la radicalisation. Le soufisme doit se renouveler pour séduire les jeunes attirés par le salafisme.

Y a-t-il eu des initiatives des guides religieux face au terrorisme ?

En décembre 2015, lors du Mouloud, la célébration à Tivaouane – l’une des capitales spirituelles des tidjanes – de la naissance du prophète Mahomet, le thème retenu par les jeunes portait sur la lutte contre les radicalismes religieux. Un symposium s’est d’ailleurs tenu en présence des chefs religieux et du président sénégalais. Avant cela une conférence internationale sur l’initiative des niassènes de Kaolack, une grande famille religieuse au Sénégal, portait sur la paix et le refus de l’extrémisme. Les confréries ont donc pris la mesure de l’enjeu de la montée du radicalisme et tentent de la contrer par l’éducation à la paix et la prévention.

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Seulement, pour que leur action devienne efficace, il faudrait une modernisation de leur discours, qui doit notamment s’adapter à la jeunesse constamment ciblée par les éléments de récit extrémistes et la propagande salafiste. Au-delà du Sénégal, les confréries et les autres organisations islamiques majoritaires dans les Etats de la sous-région prennent également des initiatives en faveur de la déradicalisation. En Mauritanie par exemple, la Ligue des oulémas utilise même d’anciens repentis djihadistes pour décourager l’enrôlement et le recrutement des jeunes.

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Des membres de la confrérie des tidjanes autour du tombeau du cheikh Ahmed Tidjane Chérif, à Fès, au Maroc.

Des membres de la confrérie des tidjanes autour du tombeau du cheikh Ahmed Tidjane Chérif, à Fès, au Maroc. CRÉDITS : FADEL SENNA/AFP

La réponse africaine à l’extrémisme violent serait donc la promotion et la défense du soufisme ?

Oui. Cela passerait par une réactualisation du message du soufisme qui est davantage adapté à nos cultures. Au Sénégal, le soufisme est confrérique et offre un cadre de sociabilisation qui ne laisse pas beaucoup de place à la conquête des nouvelles idéologies. C’est un islam de paix qui, depuis des siècles, a su composer avec nos valeurs culturelles, et c’est pour cela que l’islamisation des sociétés africaines n’en a pas destructuré le fonctionnement.

« La conquête des cœurs est plus efficace et durable que la domination des corps »

Les salafistes au Mali ont détruit des mausolées qui faisaient partie du patrimoine national. Aux XVIIIe et XIXe siècles déjà, des figures historiques avaient tenté d’islamiser nos sociétés par le djihadisme. Cela n’a jamais véritablement prospéré. Car, à mon sens, la conquête des cœurs est plus efficace et durable que la domination des corps. Les soufis comme El-Hadj Malick Sy, El-Hadji Abdoulaye Niasse ou encore cheikh Ahmadou Bamba ont fait de l’islam au Sénégal un élément de cohésion sociale.

Lire aussi : « Le soufisme peut être un rempart à l’islam radical »

Et ce n’est pas un hasard si les premières cibles des djihadistes sont les confréries puisqu’elles constituent un verrou qui protège de la montée de l’extrémisme violent.

Comment la menace djihadiste est-elle perçue ?

« Depuis les attentats de Bamako et surtout de Ouagadougou, c’est la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest »

Avant, le djihadisme était perçu comme un phénomène lointain. Mais depuis les attentats de Bamako et, surtout, de Ouagadougou, c’est la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest. Avant, le Sénégal et le Burkina Faso étaient érigés en modèle avec des sociétés où l’islam était tolérant et la coexistence entre les confessions des plus harmonieuses. Les attaques de Ouagadougou inaugurent sans nul doute une nouvelle ère dans notre rapport au terrorisme.

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Un officier sénégalais inspecte les voitures à l'entrée d'un hôtel dakarois, le 22 janvier 2016.

Un officier sénégalais inspecte les voitures à l’entrée d’un hôtel dakarois, le 22 janvier 2016. CRÉDITS : SEYLLOU/AFP

Que pensez-vous des critiques qui dénoncent une réaction démesurée des autorités sénégalaises face à la menace terroriste ?

A mon humble avis, l’Etat sénégalais, dont les représentants n’ont jamais été prolixes en la matière, est tellement soucieux des investissements étrangers, de la réussite du Plan Sénégal Emergent et du tourisme qu’il ne prendrait pas le risque d’évoquer cette menace s’il n’y avait pas le minimum d’éléments probants.

Lire aussi : Dakar muscle sa sécurité de crainte d’attentats terroristes

Dans l’une de vos conférences et lors des rencontres internationales, vous appelez les gouvernants à revoir les orientations éducatives…

Ce ne sont pas les interventions strictement militaires qui vont vaincre le terrorisme. En amont, il faudrait alors des politiques préventives qui passeraient par deux canaux : le système éducatif et, vœu pieux, une plus grande justice sociale dans nos pays et sur la scène internationale pour mettre fin aux frustrations génératrices de radicalismes et de terrorisme. Les partenaires internationaux de l’Afrique devraient l’intégrer dans leur politique de coopération : chez nous, parfois, un char d’occasion, vieux modèle, coûte plus cher que la construction d’une école. S’ils veulent, donc, vraiment nous aider, le bon choix est vite fait.

Bakary Sambe est l’auteur de l’ouvrage Boko Haram, du problème nigérian à la menace régionale (éd. Presses panafricaines, juillet 2015).
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/02/10/le-soufisme-doit-se-renouveler-pour-seduire-les-jeunes-attires-par-le-salafisme_4862570_3212.html#IL7PHzMUteuZEl6I.99

Recherche et Innovation : Dr. Bakary SAMBE de l’Université Gaston Berger, désigné « un des meilleurs experts de la radicalisation et des phénomènes transnationaux dans le Sahel » par New African Magazine

26 février 2016

Recherche et Innovation : Dr. Bakary SAMBE de l’Université Gaston Berger, désigné « un des meilleurs experts de la radicalisation et des phénomènes transnationaux dans le Sahel » par New African Magazine dans ABOUT US bakary-docteur-SambeFigurant parmi les « 100 Africains influents » d’après le dernier numéro de New African Magazine- Le Magazine de l’Afrique (Jan-Fév 2016), Bakary Sambe est classé dans la catégorie « Sciences et milieux académiques » pour la portée de ses travaux de recherche et de leur influence dans le débat public au Sénégal et en Afrique, aux côtés d’Elikia M’bokolo (RDC), Jean-Louis Atangana Amougou (Cameroun), Karim Sy (Mali) et Michel Goeh-Akue (Togo),.

Il y a peu, très critiqué pour ses thèses sur la menace djihadiste en Afrique de l’Ouest qualifiées, alors, d’ « alarmistes » par certains, de nombreux observateurs et gouvernements reconnaissent, aujourd’hui que Bakary Sambe a été « précurseur » dans ce domaine avec la publication en 2013

du premier rapport « Paix et Sécurité dans l’espace CEDEAO » intitulé, « Overview of religious radicalism and the terrorist threat in Senegal » (Grand angle sur le radicalisme religieux et la menace terroriste au Sénégal), réalisé avec le Think Tank panafricain, l’Institut d’Etudes de Sécurité (ISS), basé à Addis Abeba, Dakar, Nairobi et Pretoria.

Pour rappel, Dr. Bakary Sambe est enseignant-chercheur au Centre d’étude des religions (CER) de l’UFR CRAC de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal). Il coordonne l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA). Politologue, spécialiste des relations internationales ses travaux portent spécifiquement sur l’évolution des sociétés du monde musulman, des rapports arabo-africains, la radicalisation et les réseaux transnationaux dans le Sahel. Il est Chercher Principal (Senio Fellow) de la European Foundation for Democracy (EFD) à Bruxelles depuis 2009. Comme témoigne un de ses collègues « sa fine connaissance de l’arabe fait certainement la différence dans ses travaux sur l’islam politique en ce qu’il allie maîtrise du terrain et accès direct aux sources écrites et au discours des acteurs »

Après son essai Islam et diplomatie (2011), Sambe a publié un récent ouvrage sur « Boko Haram, du problème nigérian à la menace régionale » (Juillet, 2015). A l’heure de ce qu’il appelle « les appartenances mondialisées », Sambe mène actuellement une recherche sur la « construction des identités religieuses des jeunes entre le local et le global » et s’intéresse de plus près aux « processus de basculement des jeunes vers la radicalisation » Il est, aujourd’hui, l’un des experts les plus avisés sur les risques liés à l’extrémisme violent, sa prévention.

Dr Sambe vient de fonder Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies, un think tank ouest africain travaillant sur les différents aspects de l’extrémisme violent et promouvant les solutions préventives par l’éducation à la paix, le dialogue des cultures et des civilisations (www.timbuktu-institute.org) à travers l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA) installé maintenant à Dakar depuis Décembre 2015.

Expansion de l’extrémisme religieux en Afrique : Pr Bakary Samb appelle les gouvernants à revoir les orientations éducatives

10 décembre 2015

Pour faire face à l’expansion de l’extrémisme religieux et du terrorisme, il faut préconiser la solution de la prévention par l’éducation, estime le Pr Bakary Samb. Cet enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis et spécialiste des mouvements djihadistes donnait, jeudi dernier, une leçon inaugurale lors du lancement du Master 2 Défense, sécurité et paix du Centre des hautes études de défense et de sécurité.

Comment combattre un ennemi diffus, insaisissable et parfois intérieur ? Que doit faire une armée conventionnelle devant un mouvement non conventionnel dont l’objectif est, entre autres, déstabilisation l’Etat voire la destruction en vue de lui substituer un Etat islamique ? Trouver une réponse à ces questionnements relève aujourd’hui d’un dilemme pour toutes les armées du monde, selon le Pr Bakary Sambe qui, par ricochet, ne manque pas de se poser la question de l’efficience de la solution strictement sécuritaire contre le terrorisme et l’extrémisme. D’autant plus que, prenant l’exemple de Boko Haram, il fait observer que ce mouvement, malgré tous les moyens militaires mobilisés contre lui par une coalition de pays, continue ses exactions macabres au-delà des frontières nigérianes.

Dès lors, le nouveau défi n’est-il pas la prévention pour éviter l’intervention qui semble n’avoir pas eu les effets escomptés ? A cette question, le Pr Bakary Sambe répond par l’affirmative. « La lutte contre le terrorisme en amont avec une politique de prévention par l’éducation, le renforcement des capacités, la résorption des inégalités et la promotion d’espaces de socialisation alternatives au tout religieux, aux surenchères ethnico-confessionnelles paraîtraient plus efficaces que les formes de guerres asymétriques », argue-t-il. Cet enseignant à l’université de Saint-Louis et spécialiste des mouvements djihadistes donnait, jeudi dernier, une leçon inaugurale à l’occasion du lancement du Master 2 Défense, sécurité et paix du Centre des hautes études de défense et de sécurité
Etant d’avis que la radicalisation est « l’enfant issu du mariage entre l’injustice et l’ignorance », le Pr Sambe invite les gouvernants africains à agir sur les orientations éducatives et les programmes favorisant une plus grande inclusion des laissés pour compte afin d’éviter un plus grand émiettement des structures sociales et étatiques. « Au regard de son enjeu et de sa corrélation avec l’expansion des idéologies djihadistes violentes, la question éducative mérite aujourd’hui une interventionétatique africain, onusien, en faisant de la prévention par la socialisation le socle de la lutte contre le radicalisme religieux et l’extrémisme violent dans les décennies à venir », ajoute-t-il.

Dans la recherche de solutions, il appelle à intégrer la dimension anthropologique et à mettre à profit les ressources culturelles africaines en termes de médiation et de socialisation alternative. « Tant qu’on va continuer à privilégier l’intervention en lieu et place de la prévention par l’éducation et la justice sociale dans des régions où l’achat d’un vieux char coûte souvent plus cher que la construction d’une école, on ne s’en sortira pas », prévient-il.

Dans un autre registre, le Pr Bakary Sambe regrette le fait que le radicalisme religieux gagne du terrain sur le continent sous plusieurs formes au moment où les gens sont restés pendant longtemps enfermés dans de vieilles grilles d’analyse rarement renouvelées sur un islam africain qui serait naturellement et durablement pacifique. Cela est d’autant plus préjudiciable que, fait-il remarquer, « les pays du Sahel souffrent toujours d’une dualité du système éducatif avec l’école officielle francophone et la multiplication d’écoles coraniques, arabes, franco-arabes ». Ce qui, aux yeux du Pr Sambe, « représente un grand danger pour ce qui est de la cohésion nationale dans le processus de la construction de l’Etat sous sa forme jacobine ». Et, selon lui, dans les prochaines années, il y a à craindre que le choc des extrême, islamisme radical et christianisme évangélique deviennent source de tensions ethnico-religieuses, notamment en Côte d’Ivoire, au Nigéria, au Cameroun, au Bénin et dans une moindre mesure au Sénégal. Même s’il trouve louables les efforts faits par les autorités sénégalaises notamment dans la reconnaissance du bac et l’ouverture d’une section Arabe à l’Ena pour intégrer ces arabophones, le Pr Sambe n’en estime pas moins qu’il faut faire plus.

Elhadji Ibrahima THIAM

Bakary Sambe (UGB) sur la vague d’attentats : « Daesh a voulu s’attaquer à l’économie, la cohésion sociale et la stabilité des différents pays »

23 juillet 2015

bakary.jpgPour Bakary Sambe, coordinateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux au Centre d’Etude des religions (CER) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, « la vague d’attentats meurtriers de vendredi dernier a voulu, au-delà de la seule symbolique de l’anniversaire du califat d’Al-Baghdâdî, s’attaquer en même temps à l’économie, la cohésion sociale et la stabilité de la Tunisie, de la France, de la Somalie et du Koweït ».
Selon Bakary Sambe, « la Tunisie frappée en plein cœur de son économie touristique est une cible-symbole, Daesh ne peut supporter la relative réussite du processus démocratique dans ce pays qui paradoxalement compte de nombreux combattants dans les rangs de l’Organisation de l’Etat islamique ».
Mais, d’après Sambe, « l’attaque la plus pernicieuse est celle perpétrée contre la mosquée chiite d’Imâm Sâdiq, au Koweït, qui vise expressément à embraser le Moyen-Orient et le monde musulman en soufflant sur la braise confessionnelle, notamment le dangereux clivage sunnite-chiite en pleine guerre du Yémen en utilisant, de surcroît, un kamikaze saoudien ».
« La Oummah islamique doit se mobiliser à travers des instances comme l’OCI et l’ISESCO pour que ce feu de la guerre interconfessionnelle ne prenne des proportions incontrôlables et en arriver à anéantir les maigres espoirs d’unité et de concorde rongés de jour en jour », conclut Bakary Sambe.

Attentats au Tchad – Bakary Sambe de l’UGB : « Si le verrou tchadien saute, Daesh s’étendra plus vite dans le Sahel! »

23 juillet 2015

bakaryDans un entretien exclusif accordé à Dakaractu, l’auteur de « Boko Haram, du problème nigérian à la menace régionale » est largement revenu sur les dernières attaques de ce groupe au Tchad, pays qui a été la cible de plusieurs attaques du mouvement nigérian en l’espace d’un mois. Il a analysé ces dernières attaques en les replaçant dans un contexte régional.
Pour Bakary Sambe, « l’allégeance de Boko Haram à Daesh, afin d’internationaliser son combat et donner à ses attaques récurrentes un caractère de plus en plus spectaculaire, est à prendre au sérieux. »  
D’après l’enseignant chercheur au Centre d’étude des religions (CER) de l’Université Gaston Berger, « les attentats répétés contre le Tchad, en plus de représailles contre ce pays fortement engagé militairement dans la lutte contre Boko Haram, relève d’une stratégie consistant à faire sauter un verrou stratégique pour une plus rapide expansion de Daesh en Afrique et principalement dans le Sahel. L’inscription du groupe nigérian dans une logique d’internationalisation du « djihad » comme le montre son engagement dans des entraînements dans le Nord Mali, ne fait plus aucun doute ».
 « Il y a une telle multiplication d’officines terroristes dans l’espace sahélo-saharien et en Afrique du Nord avec Ançar Dine au Mali, Ançar Sharia en Libye, Al-I’tiçâm bil Kitâb Wa Sunna au Soudan, le GIA en Algérie, que le jeu est devenu complètement flou malgré les récentes controverses sur l’allégeance d’Almourabitoune de Mokhtar Belmokhtar à Daesh », rappelle Dr. Sambe.
Selon l’expert sénégalais, coordinateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique « la situation plus que confuse dans le Sud libyen combinée avec la montée en puissance de Daesh qui semble plus séduire, depuis quelques temps, les nouveaux combattants que le label Al-Qaida, montre clairement que si le Tchad est affaibli jusqu’à devenir un pays de passage, à la frontière du Niger entre les menaces d’Aqmi et de Boko Haram, c’est tout le Sahel qui risque de basculer… »

Bakary Sambe : « Daech cherche à embraser le Moyen-Orient et le monde musulman à travers le clivage sunnite-chiite »

29 juin 2015

Pour Bakary Sambe, coordinateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux au Centre d’Etude des religions (CER) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, « la vague d’attentats meurtriers de vendredi dernier a voulu, au-delà de la seule symbolique de l’anniversaire du califat d’Al-Baghdâdî, s’attaquer en même temps à l’économie, la cohésion sociale et la stabilité de la Tunisie, de la France, de la Somalie et du Koweït ».

Selon Bakary Sambe, « la Tunisie frappée en plein cœur de son économie touristique est une cible-symbole, Daesh ne peut supporter la relative réussite du processus démocratique dans ce pays qui paradoxalement compte de nombreux combattants dans les rangs de l’Organisation de l’Etat islamique ».
Mais, d’après Sambe, « l’attaque la plus pernicieuse est celle perpétrée contre la mosquée chiite d’Imâm Sâdiq, au Koweït, qui vise expressément à embraser le Moyen-Orient et le monde musulman en soufflant sur la braise confessionnelle, notamment le dangereux clivage sunnite-chiite en pleine guerre du Yémen en utilisant, de surcroît, un kamikaze saoudien ».
« La Oummah islamique doit se mobiliser à travers des instances comme l’OCI et l’ISESCO pour que ce feu de la guerre interconfessionnelle ne prenne des proportions incontrôlables et en arriver à anéantir les maigres espoirs d’unité et de concorde rongés de jour en jour », conclut Bakary Sambe.

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