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Archive pour décembre 2008

L’ISLAM PRONE T-IL LA VIOLENCE ? Les termes du débat sur la notion de Jihad (suite et fin)

Mardi 30 décembre 2008

 Les termes du débat sur la notion de Jihad (suite et fin)

Par Bakary SAMBE*

 Il faudrait rappeler que c’est aux seuls groupes fanatiques qu’on doit les premières formulations de l’opposition dâr al-islâm (domaine de l’islam) au dâr al-harb (domaine de la guerre).

Cette bipartition imaginaire voire fantasmatique du monde qui, finalement n’a desservi qu’aux Musulmans, donne libre cours à toute forme d’exactions auxquelles des intégristes essayent de trouver des pseudo-justifications dans les textes fondateurs de l’islam. C’est Cette catégorie même qui est à la base de cette vision belliciste et violente dont souffre l’islam aujourd’hui. Outre son caractère subjectif, une telle vision de l’islam est loin de refléter les diverses opinions qui se sont exprimées dans le passé et qui s’expriment – heureusement ! – encore aujourd’hui.

Nous ne parlons pas de la « majorité silencieuse » qui subit cette violence issue de l’instrumentalisation politique de la religion au même titre que ceux qu’on prétend combattre. Le cadre de cet article ne nous permettra pas d’insister sur des exemples de refus de ce bellicisme aussi bien chez les ibâdhites (avec le principe d’al- kitmân) que certains sunnites, plus tard. 

Mais on pourrait insister sur le cas de penseurs musulmans contemporains qui dans le cadre d’un dialogue entre eux et avec des adeptes d’autres religions, participant ainsi à cette  dénonciation de la violence politique sous couvert du « Jihad ». 

De grands penseurs comme Ali Mérad, Mohamed Arkoun, Mohamed Talbi, Abdel Majid Charfi, Abdou Filali Ansarî remettent à l’ordre du jour la tradition pacifiste inaugurée par Muhammad Abduh au siècle dernier. 

Dans leurs travaux, se dégage une nette volonté de renier toute forme de bellicisme et d’inciter au dialogue entre musulmans et les adeptes des autres religions dans un esprit de paix et de tolérance.

Avant ses récentes dérives, Mohamed Talbi, par exemple, avait insisté sur la nécessité d’instauration d’un « dialogue au sein de la Oummah islamique, quelles que soient les familles de pensée, sans récupération par un système politique ou un autre »[1]. Mieux, le penseur tunisien appelle au dialogue inter-religieux qui, est le seul, à ses yeux, à favoriser « la cohabitation pacifique, dans le respect mutuel et l’intention pure, entre toutes les religions et les idéologies .

Les intellectuels ne sont pas seuls dans cette lutte contre la violence et la haine, d’autres hauts responsables musulmans se sont toujours impliqués. 

Le danger, dans des discours jihadistes, réside dans une sélection subjective et idéologique des arguments et l’omniprésence de détours et de ficelles visant à persuader de ce dont on est le moins sûr. Vouloir déduire de quelques versets – en ignorant leur contexte- une volonté de l’islam de prôner la violence aveugle, revient à prendre le texte sacré des Musulmans pour un réservoir d’idées dont certaines servent à combattre d’autres au gré des évènements et des contextes socio-historiques. 

Abdelmajid Charfi précise, d’ailleurs, en abordant le problème du Jihâd que « seul l’impératif de paix peut justifier le recours à la violence »[3]. Voila que d’éminents penseurs se penchent sur cette question, depuis des années voire des siècles et qu’aujourd’hui, des individus ayant « maîtrisé » quelques versets assortis de hadîths dont ils ne peuvent le plus souvent vérifier les sources, viennent trancher de manière dangereuse. Car ils risquent d’être lus par des non avertis qui en font un credo, à leur plus grand détriment et à celui de l’islam. 

L’islamologue, Ali Mérad soutient, dans cet ordre d’idée qu’  « il serait présomptueux de vouloir dégager un ensemble de principes clairs et simples susceptibles de constituer une base acceptable pour une position islamique devant le phénomène de la violence ». 

L’islam, nous rappelle Cherif Ferjani, ne peut nullement être réduit à cette forme de fanatisme qui de tout temps a « prôné et pratiqué la violence non seulement à l’égard des non-croyants mais surtout et en premier lieu à l’égard des musulmans qui ne partagent pas leurs conceptions ». 

Finalement, la question n’est pas seulement religieuse elle est humaine. Il est légitime de prendre en compte et de respecter les spécificités, les appartenances et les identités. Mais, il ne faudrait pas sacrifier l’universalité de l’humain, du pardon, de la paix, de l’amour et de la tolérance sur l’autel du fanatisme et des présupposés insensés. La xénophobie, le racisme et la haine ne peuvent être partie intégrante d’un message religieux ! 

Si le terme Jihâd conformément à son acception première renvoie à l’idée d’effort positif productif et utile à la communauté, les tenants d’une théorie belliciste de l’islam se trompent certainement de combat.  Il n’y a qu’à se pencher sur la situation économique et sociale des pays musulmans pour s’en rendre compte. Où trouve t-on, aujourd’hui, les taux les plus élevés d’analphabétisme ? Où meurt-on encore de faim et rencontre t-on les problèmes de santé publique les plus cruciaux ? 

Il est sans nul doute, à notre sens, que c’est dans la lutte contre ces maux du monde musulman, pour le développement et le plein épanouissement de ses peuples, la démocratie, les libertés individuelles, les Droits de l’Homme, que se trouve le vrai grand combat. 

bakary.sambe@gmail.com

* Resarch Fellow -Institut for the Study of Muslim Civilisations

London -UK


[1] -TALBI Mohamed, Plaidoyer pour un islam ouvert, Céres Edition/ Desclée de Brower, Tunis-Paris, 1998. Voir notamment pages 157-158.

[2] -ibid p170.

[3] – Charfi, Abdelmajid, « al-islâm wa-l- ‘unf » (l’islam et la violence) in Rencontres islamo-chrétiennes, conscience musulmane et conscience chrétienne aux prises avec les défis du développement, Op.cit, pp187-206.

L’ISLAM PRONE T-IL LA VIOLENCE ? Aux sources des illusions jihadistes (Partie 1)

Lundi 22 décembre 2008

L’islam prône t-il la violence ?

Aux sources des illusions jihadistes (partie 1)

 

Par Bakary SAMBE*

 

Du 11 septembre aux récents évènements de Bombay, on pointe le doigt accusateur vers les Musulmans et, à travers eux, l’islam auquel certains essayent de donner l’image d’une religion violente voire belliciste. Que les faits attribués à tel ou tel autre groupe « islamiste » soient avérés ou non, l’opinion semble marquée par cette image souvent véhiculée par la presse mais aussi ravivée par les agissements et le discours de groupuscules non représentatifs de la majorité des Musulmans.

A l’heure où des franges extrémistes font usage du texte coranique comme s’il s’agissait d’un corpus idéologique qu’on manipulait à sa guise, il est important, non seulement de réagir, mais d’interpeller les responsables des pays musulmans sur la nécessité de promouvoir une image de l’islam non belliciste et avant-gardiste.

Lorsqu’on évoque l’islam en Europe, dans les rencontres les plus scientifiques comme dans les conférences grand public, les questions les plus fréquentes se focalisent sur une nature violente qui serait inhérente à cette religion. Sous toutes ses formes, qu’elle soit le fait d’intégristes ou d’intolérants islamophobes qui s’attaquent à des mosquées, la violence est universellement condamnable.

 

C’est une réalité qu’elle soit, souvent, revendiquée par des des goupuscules au nom de la foi. Et il est vrai que certains médias occidentaux ont une part non négligeable dans ces confusions, mais la responsabilité des Musulmans et de certains de leurs « idéologues » ne peut en être écartée.

Personne ne peut nier l’évocation du terme Jihâd dans le Coran, mais on peut décrier l’impertinence des interprétations au sujet de ce terme, de la part des partisans d’un islam rigoriste, violent et irréfléchi. Le terme revient dans le Coran à plusieurs reprises dans sa forme nominale (sîghat al-ism) mais aussi par des dérivées verbales (af‘âl). Mais il ne suffit pas de citer un terme, de le manipuler hors contexte sans en donner une définition prenant en compte aussi bien le caractère circonstanciel de certains versets que la multiplicité des entendements et des interprétations permise par la nature même du texte coranique. Quiconque a une moindre connaissance de l’islam a entendu parler des contextes de révélation (Asbâbu nuzûl). Vouloir donc s’appuyer sur le texte coranique en insistant sur des versets que l’on présente comme exhortant à la violence, sans aucun souci de leur contexte ni de leur portée, relève d’une démarche malhonnête et révèle, en même temps, une grande méconnaissance de la religion dont on se présente comme le défenseur. Finalement les franges extrémistes de l’islam qui prétendent le défendre lui causent du tort ainsi qu’aux millions de Musulmans qui ne cherchent qu’à vivre paisiblement leur spiritualité.

 

Que signifie, au fait, le terme Jihâd ? Interrogeons tout d’abord l’étymologie ! « Jihâd » est constitué, en arabe, à partir de la racine trilitère « jhd » qui exprime avant tout l’idée de fournir un effort. Cet effort que l’individu croyant doit fournir n’a pas forcément comme cadre un champ de bataille. Ceux qui militent en faveur d’un islam intolérant « belliciste » rétorqueront que le Prophète a mené des combats contre les « ennemis de l’islam ». Mais il ne faut jamais oublier que cet usage des armes, en tout cas par les communautés musulmanes des premiers siècles, ne devait revêtir qu’un caractère exclusivement défensif. Certains esprits malveillants pourraient se dire qu’il est alors légitime d’aller attaquer un pays que l’on considère comme « attaquant l’islam ». A ceux-là, il faudrait rappeler que les conflits armés, contrairement à ce que laissent penser certains, étaient réglementés et obéissait à une certaine éthique digne d’être qualifiée de moderne et d’avant-gardiste.

Sans parler pas de l’époque du Prophète qui, pour les Musulmans, est la plus représentative de l’esprit de l’islam, on peut prendre l’exemple de son premier calife Abû Bakr (califat de 632 à 634 ap. Jc), pour montrer que ceux qui professent la violence aveugle doivent aller chercher leurs arguments hors du contexte islamique.

En 632-33 de notre ère, c’est à dire près de douze siècles avant les différentes conventions dans leurs formes modernes, l’islam avait reconnu le statut de non combattants afin de protéger les civils. En envoyant ses lieutenants à la tête de l’armée « musulmane », Abû Bakr lui aurait donné des instructions dans ce sens. Il ne fallait s’attaquer ni aux enfants, ni aux femmes, ni aux personnes âgées ! Et, maintenant, des irresponsables osent tuer, les yeux fermés, des civiles en comptant parmi leurs victimes, d’innocents enfants, de faibles femmes et personnes âgées, y compris, la plupart du temps les Musulmans qu’ils prétendent défendre !

En plus, de retour de la bataille Badr, le Prophète n’aurait-il pas dit « nous revenons du petit Jihâd vers le grand Jihâd ». Ce grand Jihâd n’était rien d’autre que le combat que le croyant devait désormais gagner contre le mal qui est en lui-même d’abord ou la passion de l’âme, c’est plutôt un effort, « jihâd », contre le plus grand ennemi de l’homme selon différentes traditions : lui-même.

 

Mais le plus dérangeant est que, les nouveaux idéologues et théologiens autoproclamés se contentent d’un dénombrement des versets apparentés à ce qu’ils appellent Jihâd, dans son entendement le plus flou, au lieu de fournir les efforts nécessaires à leur compréhension.

C’est justement là où devait se trouver leur « Jihâd », c’est à dire un effort de réflexion sur leur sacré qui, ne l’oublions jamais, vise, avant tout, la réalisation de l’Homme et celle des conditions de la coexistence paisible, comme tout forme d’ordre social.

 

Il faudrait que les Musulmans eux-mêmes, aidés par leurs dirigeants, prennent leurs responsabilités en ne laissant plus le premier agité, venir parler en leur nom et manipuler de manière odieuse les écritures au gré des évènements et des humeurs. Car, en se penchant sur l’argumentaire des partisans d’un islam belliciste et « jihadiste » comme le disent certains spécialistes, on se rend compte de la manière dont ils sélectionnent les versets qu’ils croient aller dans le sens de leu démarche volontairement orientée vers la violence. Ils citent toujours des fragments qui incitent à attaquer ceux qu’ils appellent les « infidèles » en passant sous silence d’autres comme « il n’y a point de contrainte en matière de religion », « A vous votre religion et à moi-la mienne », « Rappelle car tu n’est là que pour rappeler et non pour les dominer » etc.

On ne pourrait jamais perdre de vue le caractère circonstancié de certains versets ainsi que les différentes logiques qui ont accompagné le texte coranique. Le message de la Mecque, dans toute sa tolérance et sa charité, est bien l’acte fondateur spirituel tandis que plus tard, à Médine, la logique d’une construction étatique, les calculs politiques et les stratégies ont pesé sur le discours religieux.

Le Soudanais, Muhammad Mahmûd Taha l’avait éminemment souligné au péril de sa vie. Mais, quelques décennies après sa pendaison, son message est toujours d’actualité pour une plus grande lisibilité des textes fondateurs[1].

Le Coran, dans sa langue arabe du 7ème siècle, avec ses subtilités, ses images mentales que nous ne possédons plus, n’est pas à la merci de tous les raisonnements hasardeux et c’est pour cela que les théologiens musulmans ont, très tôt, réfléchi sur ce grave problème de la manipulation des textes. Ils ont, de ce fait, posé des règles strictes en la matière. La plupart des militants islamistes d’aujourd’hui ignorent tout de cette littérature et ne font parler que le langage de la haine. Il est dommageable que, par la suite, la logique du taqlîd (mimétisme social fondé sur la sacralisation des réflexions antérieures hors de toute approche critique) l’ait emporté sur celle de l’ijtihâd (effort de recherche et d’interprétation circonstanciée).

Cette réflexion des premiers théologiens est à l’origine des savoirs religieux traitant pour ce qui est du Coran, des versets clairs explicites « muhkamât » et des équivoques « mutashâbih ». Pour les autres branches comme le fiqh, il y a tout un travail sur la distinction entre les « uçûl », questions d’ordre fondamental et les « furû‘ » qui sont subsidiaires. Touts ces précautions étaient destinées à éviter les dérives, les interprétations abusives et à contresens qui ne font que plonger dans le désarroi et l’incertitude la majorité des croyants que prétendent représenter des groupuscules violents et intégristes.

La plupart des Musulmans, avides de connaissances religieuses, au regard de l’intérêt pour leur religion, sont aujourd’hui manipulés par des prétendus savants ou défenseurs de dogme. Mais n’est-ce pas là une démarche classique de tous les intégrismes, dans toutes les religions, et de tous les systèmes totalitaires ? De tels « marchands du temple » recrutent par leur simple manie du langage et leur habilité à faire dire aux textes tout ce qu’ils renferment, en eux-mêmes, de haine et d’intolérance. De ce fait, leur stratagème consiste à mettre les musulmans les uns contre les autres avant d’avoir les mains libres pour agir dans la terreur et le culte de l’obscurantisme.

A suivre ………….

* bakary.sambe@gmail.com

Research Fellow, Institute for the Study of Muslim Civilisations

Aga Khan University (International) – Londres (UK)

 


 

[1] – voir le site Internet qui lui est consacré www.alfikra.org

Vers une zone d’influence wahhabite en Afrique ?

Lundi 15 décembre 2008

Vers une zone d’influence wahhabite en Afrique ?

 

Par Bakary SAMBE*

Dans la configuration géopolitique actuelle avec le tissage de toute sorte de liens qui échappent de plus en plus aux Etats en utilisant le caractère transnational des échanges, il est permis de penser à un projet de zone d’influence wahhabite en Afrique. La ligne Erythrée, Khartoum encerclant l’Ethiopie « chrétienne » en passant par Ndjaména traverserait, les actuelles provinces du Nord Nigeria appliquant la « Sharî‘a », le Niger et le Mali, sous effervescence islamiste, pour aboutir au Sénégal, seul pays d’Afrique noire ayant accueilli par deux fois le Sommet de l’OCI et siège régional de la Ligue islamique mondiale.

Pour une plus grande efficacité, l’Arabie Saoudite allie prédication et action sociale voire humanitaire (da’wah et ighâtha).

Parmi les décisions prises, suite au Congrès de la prédication islamique tenu au Caire, en mars 1988, notons la création du Conseil Supérieur islamique pour l’Appel et le Secours (al-majlis al-islâmî li al da’wah wa al ighâtha).

L’activité de ce Conseil est placée sous l’égide de la Ligue islamique mondiale, l’outil, par excellence de la diplomatie « religieuse » de l’Arabie Saoudite.

Réagissant au désaveu dont elle est l’objet dans certains milieux islamiques africains se dirigeant de plus en plus vers la Libye ou encore l’Iran, le royaume wahhabite, quitte à trahir son idéal aux antipodes du confrérisme s’appuie, quelques fois, sur des personnalités religieuses soufies, mais de grande envergure. Ce fut, par exemple le cas de certains marabouts que la Ligue fait participer à la plupart des congrès organisés qu’elle organise par simple calcul et pour plus de légitimité. C’est que Riyad n’a pas encore trouvé, en Afrique noire, et au Sénégal, en particulier, des relais qui lui sont dévoués et qui pourraient rivaliser de prestige avec les marabouts et les chefs confrériques.

Cette pénurie de ressources humaines adaptées ne manque pas de gêner le fonctionnement des différents organismes du dispositif de prédication de l’Arabie Saoudite et de ses institutions. Mais, d’un autre côté, cette solution de « rechange » pourrait cacher un pur calcul ou une conscience des réalités socio-historiques locales ; les marabouts ayant, largement, investi le champ religieux sénégalais et profondément marqué l’histoire du pays.

Néanmoins, l’Arabie Saoudite est, de loin, le pays arabe le plus influent dans les milieux associatifs islamiques au Sénégal, par exemple, au regard de son apport financier inégalable mais aussi le symbole religieux qu’elle incarne à leurs yeux abritant les lieux saints de l’islam.

Elle ne perd jamais de vue cet élément non négligeable dans la course aux influences.

Nous retrouverons toutes ces facettes dans le fonctionnement, le discours, mais aussi le mode d’actions des associations locales. Par une étude approfondie de celles-ci, l’action de l’Arabie Saoudite devient beaucoup plus lisible et sa stratégie approchée sous plusieurs angles. En somme, les associations islamiques et leur action sont la plus belle illustration d’une diplomatie ou d’une politique étrangère hors du commun et empruntant des circuits loin d’être classiques. En s’appuyant, dans leur conflit avec l’Etat, sur la défense de la langue arabe, support culturel de la religion majoritaire du pays, les associations islamiques s’affirmaient comme porteuses d’alternatives au programme éducatif de l’Etat laïque qu’ils veulent combattre. Mais, en même temps, la promotion de l’arabe, étant l’un des axes de la coopération entre pays arabes et africains, la revendication intérieure d’une reconnaissance linguistique allait se transformer en enjeu de politique extérieure.

Les interactions, les calculs et les différentes stratégies que nous avons présentés dans cette série d’article seraient difficilement perceptibles par des approches excluant ceux que nous appelons les acteurs ordinaires dans l’approche des faits internationaux.

L’intérêt pour le facteur islamique dans les rapports arabo-africains a pour principale motivation scientifique de mettre en exergue, entre autres, l’ampleur de l’islam sur le plan socio-politique dans cette région d’Afrique occidentale.

L’islam africain s’est toujours positionné par rapport au reste du monde musulman avec lequel ses acteurs entretiennent des relations qui façonnent les rapports entre l’Etat et l’ensemble arabe.

Au-delà des institutions, ce sont les cadres de rapprochement mis en place par les peuples et les « simples » individus qui donnent leur originalité à toutes ces constructions politico-diplomatiques. Tout en prenant en compte l’interpénétration des facteurs religieux et politiques dans ces rapports, il faudra toujours prêter une attention particulière à la manière dont les appartenances et l’adhésion à un dogme pouvaient susciter le sentiment de constituer une communauté sentimentale. Les relations informelles prennent toujours le relais face à l’échec des politiques globales et étatiques.

Il serait donc constructif de reconsidérer les stratégies des acteurs « informels » qui font que l’appartenance religieuse puisse être de nature à fournir la matrice d’une politique capable de susciter l’adhésion des « masses ». Ces appartenances peuvent, sans doute, avoir un enjeu politique international. Comme l’a toujours soutenu Maxime Rodinson, ces formes de solidarités sont à la base de « réseaux de normes et de comportements (…) imprégnés de religiosité et surtout de réaffirmation constante d’une existence commune »1.

Un tel paradigme serait de loin plus opératoire que les approches partant de l’existence supposée d’une Ummah au sens d’une « internationale musulmane » soudée et politiquement cohérente. Les spécialistes qui partent encore de ce présupposé nourrissent les thèses allant dans le sens d’un « choc des civilisations » largement affaiblies par nombre d’études critiques. Un bloc musulman au sens politique du terme semble aujourd’hui une illusion géopolitique et une pure construction imaginaire dont se démarquent les chercheurs jusqu’ici les plus récalcitrants. Même, P. Samuel Huntington semble, depuis peu, renoncer à la thèse d’un « bloc musulman » cohérent, en rappelant qu’il n’y avait « pas de civilisation moins unie que celle de l’islam »2, en parlant, tout simplement, de « conscience sans cohésion »3.

Il serait, par ailleurs, intéressant de suivre l’évolution de ces différentes stratégies des pays arabes, dans leur coopération avec l’Afrique noire, par rapport aux nouvelles réalités politiques que connaîtra le au Proche-Orient. Le contrôle de l’Irak par les Etats Unis, est une donnée politique qui inaugure une nouvelle ère dans cette région en mutation. Le devenir de l’Iran et les nouvelles zones d’influence en Asie centrale méritent aussi attention, Le gel des avoirs de plusieurs organisations panislamiques ou considérées comme telles s’est fait lourdement ressenti chez les associations islamiques sénégalaises avec lesquelles nous nous sommes entretenues.

L’action de ces pays vers l’Afrique noire, répondant, aussi, à des impératifs internes, on pourrait s’interroger sur la manière dont les nouveaux rapports de force ainsi que le remodelage prévisible de cette région, pourraient influer sur la conduite de leur politique extérieure et ses priorités. Les inévitables changements attendus en Arabie Saoudite et dans le Golfe, après la chute du régime de Saddam Hussein, pourraient, à long terme, en redéfinir les stratégies et avoir des conséquences sur les mouvements islamiques sénégalais, largement dépendants des pétrodollars. Pour de telles études, il faudra, comme nous avons voulu le suggérer, prendre encore davantage de précautions dans la manière de concevoir le fait religieux qui ne perdra pas de sa vigueur, surtout avec l’accroissement des incertitudes aussi bien politiques et économiques mais surtout l’éternel besoin de légitimation des pouvoirs en place.

* Research Fellow – Institute for the Study of Muslim Civilisations ISMC -London (UK)

bakary.sambe@gmail.com

1 – Rodinson, M : ibid, p89.

2 – Voir l’interview qu’il a accordée au New York Times, reprise par Courrier International, numéro spécial consacré à « Islam, le terroriste, le despote et le démocrate », juin-juillet-août 2003, sous le titre « Allô, je voudrais parler au monde musulman ». Il y montre que ce monde est caractérisé par une mosaïque de représentations de telle sorte qu’il serait très difficile de s’adresser à lui (p.55).

3 – La « notion de conscience » sans cohésion renvoie à l’intitulé de la partie consacrée au monde musulman dans son célèbre son ouvrage, qui a été l’objet de toutes les critiques.

ISLAM ET PETRODOLLARS EN AFRIQUE : des solidarités « islamiques » à l’exportation des idéologies

Mardi 9 décembre 2008

petrodollars.jpgIslam et pétrodollars en Afrique : 

des solidarités « islamiques » à l’exportation des idéologies 

                                                                                                                                                                                                                              Par Par Bakary SAMBE*

Le modèle de coopération afro-arabe basé sur l’idéologie tiers-mondiste a montré ses limites et son inefficacité, en tout cas, sur le plan de la visibilité et de l’impact politique. Les figures comme Nasser ou Nkrumah disparues de la scène internationales, aussi bien le nationalisme arabe que le socialisme africain dans le sillage de Bandoeng cessèrent de faire recette. C’est dans ce contexte que les « solidarités islamiques » vont résolument se substituer au tiers-mondisme d’antan. Dans cette nouvelle configuration,  le rôle de l’Arabie Saoudite allait s’accroître tout en entraînant les relations arabo-africaines dans une dimension de plus en plus religieuse. Les pays donateurs vont s’inspirer du modèle adopté par l’Eglise catholique, l’autre rival en Afrique noire. En effet, les organismes chrétiens tels que « Frères des Hommes », « Caritas » et Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), ont marqué l’actualité des années 70-80, avec leur assistance humanitaire aux populations sinistrées d’Afrique sub-saharienne. 

S’inscrivant dans l’optique traditionnelle d’une fantasmatique confrontation islam/christianisme, les pays arabes, et, plus particulièrement, l’Arabie Saoudite, vont aider à l’émergence d’organisations islamiques de secours et d’assistance humanitaire.  L’objectif d’efficacité a, alors, poussé à une « privatisation » progressive de l’aide, avec des projets de plus en plus en direction des populations locales défavorisées. C’est, dans ce contexte, qu’aux partenaires étatiques, institutionnels, vont s’ajouter d’autres relais informels et plus proches des « réalités sociales ». 

De simples regroupements d’anciens étudiants des universités du monde arabe, les associations islamiques vont, ainsi, devenir de véritables acteurs de coopération. Elles servirent de relais pour l’aide arabe (ou islamique !) directe et s’affirmèrent, de plus en plus, comme des intermédiaires privilégiés et incontournables pour les pourvoyeurs d’aides ou encore les « exportateurs » d’idéologie. C’est comme si, à l’esprit de Bandoeng, et aux principes de solidarités Sud-Sud, s’est superposé ou substitué un sentiment d’obligation d’aide et de secours aux pays africains, désormais vus comme des Etats « musulmans » dans la nécessité et destinataires privilégiés de l’aide des « frères en religion ». Les Etats arabes, en tant qu’institutions, ne seront plus les seuls présents sur ce terrain. On assistera, suite aux énormes rentrées financières due à la manne pétrolière, à l’émergence d’une « bourgeoisie » arabe, ouverte idéaux de la « solidarité islamique », qui s’impliquera directement dans cette aide aux pays « musulmans » pauvres par des projets sociaux. 

Le sentiment de solidarité sera accentué par l’importante mobilisation des Etats africains, dans le cadre de l’OUA et des initiatives personnelles en faveur de la cause palestinienne. A côté des politiques étatiques, cet engagement pro-palestinien va renforcer le sentiment de « solidarité naturelle » largement entretenu par les organes de presse des organismes islamiques. L’aide arabe revêt, de ce fait, un caractère populaire où on voit des individualités s’impliquer financièrement, indépendamment des initiatives diplomatiques officielles de leurs pays d’origine. 

La privatisation de l’aide va engendrer un besoin, de plus en plus croissant, de partenaires locaux acquis aux thèses des courants idéologiques provenant d’un monde arabe en plein bouleversement. Les associations islamiques sont plus habilitées à jouer ce rôle vu, l’origine sociale et, surtout, l’itinéraire de leurs membres. Elles sont aussi bien présentes dans les luttes politiques intérieures que dans la coopération entre le Sénégal et ses partenaires arabes. 

Afin de mieux saisir leur rôle et comprendre leurs mécanismes d’interventions dans des relations bilatérales ou multilatérales, nous essayerons de nous atteler à l’approche sociopolitique de leur action et de leurs rapports souvent complexes avec les autorités politiques. 

Mais avant tout, arrêtons-nous sur la manière dont les pays arabes arrivent à contourner les circuits diplomatiques classiques pour établir des relations directes avec des acteurs locaux, dans les pays africains. La stratégie de l’Arabie Saoudite, peut, à cet effet, fournir un cas d’exemple assez représentatif.

 La spécificité de la politique saoudienne en Afrique noire : 

L’aide apportée aux pays africains à dominante musulmane, par l’Arabie Saoudite, se caractérise, généralement, par son habillage religieux. Autrement dit, le royaume wahhabite a été, toujours, animé par une volonté d’exporter sa doctrine politico-religieuse : la wahhabisme. L’aide financière directe et les actions humanitaires facilitent cette influence idéologique. 

Entre « missions » de prédication et stratégies d’« expansion » idéologique 

A part les premières décennies qui suivirent la conquête de l’Arabie par les Âl-Sa’ûd et leur allié, sur le plan religieux, Muhammad ‘Abd al-Wahhâb (1703-1792), la doctrine s’est vite cherché des moyens de gagner des contrées hors de sa terre de prédilection. Reinhard Schulze[1] soutient qu’au début, pour les oulémas wahhabites, « l’expansion, au-delà de la Péninsule, présentait un danger dans la mesure où l’un des piliers de la doctrine affirmait qu’ils n’y avait de vrais musulmans que les ahl al-tawhîd »[2]. C’est une manière de considérer toutes les autres populations musulmanes n’appartenant pas à leur école comme sorties de la « communauté ». Cette considération allait, toutefois, au moment opportun, être utilisée comme argument justifiant le « Jihâd ». 

L’usage du glaive alternait, ainsi, avec celui de versets du coran pouvant aller dans le sens d’une prédication plus ou moins pacifique, selon les enjeux et, surtout, les rapports de force. 

En 1932, lorsque les Âl-Sa’ûd affirmèrent leur totale hégémonie sur l’actuelle Arabie Saoudite, la wahhâbiyya devint doctrine d’Etat. Malgré les divergences internes entre oulémas du Najd et du Hijâz, le wahhabisme, selon ses expressions, trouvera, très vite, des adeptes et des alliés dans le monde arabe, notamment, en Egypte et en Syrie. 

Ainsi, l’Arabie Saoudite essayera de trouver dans le wahhâbisme et sa prédication, un moyen d’influer dans le monde arabe où régnait, encore, une large fascination de personnalités charismatiques, comme Nasser. 

De ce fait, le recours à une prétendue mission religieuse, comme moyen d’expansion idéologique, devient une solution de politique étrangère. Cette stratégie qu’on pourrait qualifier de containment de l’idéologie du nationalisme et/ou du socialisme, s’affirma, de plus en plus, durant les deux décennies qui suivirent l’année 1932.  Durant cette période, le concept-clé de da‘wa connut une certaine résurgence et fut à la base de toutes sortes de constructions idéologiques. Il est, parfois, compris comme l’obligation de tout musulman de professer et répandre l’islam. L’Arabie Saoudite l’utilisa en véritable idéologie pour s’autoproclamer seul pays relevant, véritablement, du domaine de l’islam « pur » de telle sorte qu’à son nom, elle s’était arrogée le droit de mener le jihâd. Muhammad Ibn ‘Abd al-Wahhâb, lui-même, considéra, dans sa doctrine, qu’il était devenu une obligation religieuse de rejoindre le domaine des Àl-Sa’ûd seul véritable pays de l’islam[3]

C’est, ainsi, qu’en 1960, dans le but de contrecarrer l’idéologie de la révolution chère à Nasser et qui serait véhiculée par l’Université d’Al-Azhar, le royaume wahhabite accélèrera la création du Conseil Supérieur des Affaires Islamiques. 

La démarche s’inscrivait dans l’optique du nouveau roi d’alors, Fayçal Ibn ‘Abd al-‘Azîz qui se considéra comme le contrepoids du socialiste Nasser et le leader de la ‘Ummah islamique.  A cet outil de prédication et de propagande saoudienne s’ajoutera, dès octobre 1961, la création de l’Université islamique de Médine. Elle sera, en même temps, la rivale, le contrepoids d’Al-Azhar et le point de diffusion de l’idéologie wahhabite dans le monde. 

Des bourses d’études vont être accordées aux ressortissants de tous les pays musulmans qui, après leur formation, devront repartir prêcher le « vrai islam » dans leurs pays d’origine. 

Les deux principaux objectifs de cette université furent nettement repris dans sa charte publiée en mai 1962. Celle-ci s’attaqua à la « politique pseudo-laïque » des socialistes arabes, en ces termes : « Si aujourd’hui, nous sommes témoins de diverses nations qui se proclament, elles-mêmes, « nations islamiques », elles ne le sont pas vraiment, car elles ne suivent pas uniquement les dogmes de l’islam et ne gouvernent (ou jugent, hakama) pas conformément à ses commandements et interdits ». Cette critique acerbe, visant directement le concurrent égyptien, devait être suivie d’une action d’égale ampleur. 

Afin de conforter l’idée saoudienne du « retour à l’islam » et surtout à son berceau originel, l’Université islamique de Médine s’inscrira dans une logique d’expansion. Comme le précise la charte, « l’Université islamique de Médine fut créée (…) pour renouveler le dogme islamique » avant de rappeler que, conformément aux vœux de Riyad, « les musulmans de tous les pays islamiques sont conviés à venir à Médine pour y étudier l’islam (…) pour, plus tard, retourner chez eux pour y enseigner et guider »[4]

L’Université islamique de Médine est au centre du dispositif propagandiste de l’Arabie Saoudite. Les futurs militants des associations islamiques ainsi que les relais des organisations internationales y étudieront en grand nombre ou suivront les stages annuels de prédication organisés dans les pays d’Afrique. L’accent sera mis sur la formation religieuse et l’enseignement strictement surveillé et orienté par la doctrine wahhabite sous la tutelle exclusive des Al Shaykh, alliés religieux inconditionnels de la monarchie, depuis son avènement. 

De la même manière que cette famille prêtera son allégeance religieuse aux entreprises guerrières des Al Sa‘ûd, elle sera la garante de sa légitimité en lui produisant les fatwas nécessaires à toutes sortes d’action. L’Université islamique de Médine, citadelle du wahhabisme, est d’ailleurs dirigée depuis sa création par un membre de cette famille. Muhammad ‘Ibn ‘Ibrâhîm Àl –Shaykh en sera le premier Président avant d’y être succédé par l’une des figures les plus marquantes de l’orthodoxie wahhâbite : Abdelaziz Ben Bâz, mort en 1997. 

Par ses enseignements et, surtout, ses énormes moyens financiers, cette université attirera des milliers d’Africains. La sélection des futurs étudiants pour ce qui est du Sénégal, se fait par le biais d’un séminaire d’été annuel de formation de prédicateurs à l’Institut islamique de Dakar. 

L’Arabie Saoudite dispose de plusieurs instruments par lesquels s’applique  son vaste programme de conquête idéologique du monde musulman. Ce dispositif universitaire est renforcé par un autre plus institutionnalisé s’appuyant sur sa diplomatie. 

Afin de mieux s’implanter dans les pays à dominante musulmane, l’Arabie Saoudite fait accompagner sa diplomatie classique d’une autre politique qui passe par l’action des organisations islamiques qu’elle crée ou finance en majorité. Ces organisations sont du même type que la Ligue islamique mondiale (à laquelle nous consacrerons une étude) et s’activent dans le social et, surtout, l’éducation comme meilleurs véhicules des idéologies dans des contrées où ils brillent par leur insuffisance.  Ainsi, l’orientation de la politique de prédication saoudienne vers l’Afrique noire trouvera son appui chez des acteurs locaux et des organisations susceptibles de mener des actions dans les domaines de l’éducation et du social. L’action du royaume wahhabite, inaugurée vers 1962, connut une accentuation dans les décennies 1970, notamment, avec les conséquences économiques des différents chocs pétroliers. La da‘wa, ainsi préconisée, comme faisant partie de la mission du royaume, s’est trouvée de plus en plus institutionnalisée et relayée par des organismes et des acteurs sous sa solde. 

On pourrait croire à une véritable stratégie de conquête développée par Riyad avec la multiplication d’organismes spécialisés financés par elle et qui essayent de coordonner les actions de prédication sous différentes formes. Ces organismes, comme nous le verrons, essayent de prendre la forme d’organisations internationales avec une certaine représentativité afin d’acquérir la respectabilité et surtout le statut privilégié des ONG sur la scène internationale où les rapports se privatisent de plus en plus. 

De l’endiguement idéologique aux stratégies d’implantation locale : 

Dans leur stratégie d’implantation, les organismes pro-saoudiens s’appuient soit sur des associations islamiques locales ou des personnes ressources bénéficiant d’un certain prestige sur le plan religieux, fussent-ils non wahhabites ou même, de manière encore plus contradictoire, d’obédience soufie. 

Les appellations et les structures se multiplient alors que les objectifs et les modes d’action restent les mêmes. Ainsi, après la naissance de la Ligue islamique mondiale, d’autres organismes annexes seront créés comme le World Assembly of Muslim Youth (WAMY), al-nadwa ‘âlamiyya li al-shabâb al-islâmî. Plusieurs autres organismes tentent de relayer cette action dans différentes zones géographiques d’Afrique et du monde musulman. 

Parmi ces organismes qui ont, souvent, une apparence purement ponctuelle, on pourrait citer le Mu’tamar ihyâ risâlat al-Masjid (Conférence pour la revivification du message de la mosquée)[5]. C’est à dire que l’Arabie Saoudite, telle qu’elle procède, essaye de multiplier les entrées en Afrique afin d’y rendre sa politique prédicative plus efficace et toujours plus visible. D’ailleurs, la da‘wa saoudienne tente, de plus en plus, de s’épanouir dans un cadre où les organisations internationales contrôlées par Riyad mènent différentes actions et créditent l’Arabie Saoudite d’un actif symbolique la présentant comme « le pays qui assiste les musulmans démunis ». 

Les initiatives n’ont cessé de se multiplier en Afrique où le combat déguisé contre le confrérisme prend plusieurs formes. La Ligue islamique ne se contentera pas d’actions sociales mais agira pour une meilleure visibilité et une occupation du terrain politique en Afrique. Elle fera même recours à des coups d’éclats tels que la conversion de Présidents[6] ou de communautés, numériquement ou politiquement, importantes. On aura l’impression quelques fois que c’est plus la symbolique de l’action qui l’emporte sur son ampleur réelle ou quantitative. 

A partir de 1976, avec la Conférence islamique africaine, organisée, à l’instigation de l’Arabie Saoudite, à Nouakchott, jusque dans les années 80, avec l’autre politique de containment visant, cette fois-ci, l’Iran république islamique révolutionnaire mais chiite, l’Arabie Saoudite semble, de plus en plus, impliquée en Afrique noire. 

Pourtant les initiatives de l’Iran chiite, au Sénégal, n’ont jamais pris une grande ampleur. Il y a eu, de temps à autre, des actes isolés ou, plutôt, des « coups médiatiques » dans lesquels on voyait trop vite la main de l’Iran. Ainsi, l’attribution de la nationalité sénégalaise à titre honorifique à Shaykh ‘Abd al- Mun‘im Zayn, le guide de la riche communauté chiite libanaise au Sénégal, avait déclenché une polémique autour d’une éventuelle infiltration de l’Iran aux idées révolutionnaires. 

Néanmoins, certains intellectuels musulmans, comme Cheikh Touré ou encore le futur membre influent da la Jamâ’t ‘Ibâd al-Rahmân, Bamba Ndiaye défendaient l’islamité de la révolution iranienne, bien qu’ils soient d’obédience sunnite. 

Ainsi, MuÎammad Bamba Ndiaye, dans la Revue Etudes Islamiques, prenait la défense de la révolution iranienne et de Khomeyni, alors diabolisé par la presse sénégalaise, en ces termes : « Sachez que Khomeyni n’est pas un sorcier : c’est un dignitaire de l’islam, les musulmans sénégalais le considèrent comme tel. Par conséquent, ils ne prêtent aucune attention aux falsifications que les Munâfiqûn[7] et autres Kuffâr[8] tentent de faire passer ».[9] Ndiaye assimilait ces « attaques » de la presse sénégalaise comme relevant d’un complot contre l’islam lui-même : « cette alerte contre l’avancée de l’islam dans notre pays ne servira pas à grand chose. L’islam étant la religion de Dieu, il en est lui-même le Gardien Suprême. Il triomphera, n’en déplaise aux non-croyants ».[10] 

Dans une parfaite connaissance sociologique du contexte sénégalais, ce type de discours pro-iranien qui se voulait défenseur de l’islam, essayait toujours de trouver un lien entre la Révolution iranienne et l’action des chefs confrériques sénégalais afin de mieux frapper l’opinion publique. Ainsi, Bamba Ndiaye soutient : « la Révolution islamique a été déclenchée par le prophète Mohammed depuis Badr[11], elle s’est poursuivie chez nous avec le refus de Cheikh Mouhammadou Bamba[12] de se plier aux lois des infidèles coloniaux, de Maba Diakhou[13] et de Cheikh Oumar Tall al-Foutiyou[14] qui n’ont pas hésité à utiliser le feu et le fer pour la défense de leur croyance. Et enfin El Hadji Malick Sy[15] qui, sur le terrain didactique, continuait de donner de sérieux coups aux « criquets pèlerins » en implantant des dârras[16] et Mosquées partout où cela fut possible. Une telle révolution se poursuivra de nos jours grâce aux héritiers conséquents de ces derniers ».[17]  En somme, la Révolution iranienne dont se méfiaient les Saoudiens n’a pas eu d’effets politiques de masse mais a, toutefois, marqué les consciences. Le « danger » à éviter était qu’elle serve d’exemple même à des non chiites qui pourraient s’inspirer de la « réussite » de Khomeiny. Elle avait, tout de même, gagné une première bataille ; celle de la communication, à travers des organes de presse comme Etudes Islamiques de Cheikh Touré[18]. Ses défenseurs sénégalais avaient, aussi, réussi à inscrire cette révolution, du moins par le discours, dans le cadre d’une éternelle lutte entre l’islam et les « forces du mal ». 

La vulgarisation des idées révolutionnaires passait, ainsi, par leur explication avec des exemples tirés de l’histoire religieuse « nationale » du Sénégal ou, du moins, la version qu’en retiennent les mouvements islamiques. 

Devant une telle effervescence et une telle densité du débat idéologique, le combat pour l’exportation des doctrines et des idées passait forcément par une meilleure communication pouvant atteindre les destinataires du message.  L’Arabie Saoudite qui s’était débarrassée du concurrent « laïque » égyptien, avec la disparition de Nasser de la scène arabe, devait, maintenant, éviter d’être devancée, dans la « conquête » idéologique de l’Afrique, par le nouveau venu qu’était l’Iran. 

Pour contrecarrer cette fascination grandissante du modèle révolutionnaire iranien au sein de l’élite musulmane, il fallait déployer des moyens financiers colossaux et investir les terrains les plus « névralgiques » dans les pays africains à dominante musulmane : l’éducation et le social. Il était, surtout, nécessaire d’encadrer cette politique par des structures imposantes capables de gagner la bataille de la communication. 

Dans un tel mode d’action, il faut, désormais, cibler des pays, des mouvements mais, aussi, des personnes ressources. C’est pourquoi, l’Arabie Saoudite cherchera des points d’appui choisis selon leur position géographique ou leur poids diplomatique. 

Ainsi, le troisième Bureau de la Ligue islamique mondiale qui s’ouvrit à Dakar était, en même temps, le siège du Conseil africain de coordination islamique. Cette dernière collaborait avec la Fédération des Associations islamiques du Sénégal. De même, la position géographique du Tchad le prédestine à accueillir le Centre de formation pédagogique de l’ISESCO, l’équivalent de l’Unesco pour les « pays musulmans ». Ce dispositif est complété par l’ouverture d’une « annexe » de l’Université islamique de Médine, à Khartoum, au Soudan, pour accueillir et former de futurs prédicateurs. 

L’Afrique noire est, sans aucun doute, parmi les priorités de la politique d’expansion idéologique inaugurée par l’Arabie Saoudite. Elle est considérée, dans le jargon des organisations panislamiques comme un des maillons faibles de la ‘Ummah, qu’il faudrait sauver et en garantir l’« identité musulmane ». 

C’est toute une nouvelle stratégie qui se dessine où l’aide financière accompagne l’exportation d’idéologies comme le wahhabisme ou le salafisme. Cette nouvelle situation va forcément remodeler le paysage religieux dans les pays d’Afrique noire traversés par une rude crise économique et où la contestation des modèles étatiques passera désormais par la manipulation des symboles religieux notamment islamiques. 

A Suivre……………….. 

*Bakary.sambe@gmail.com



[1] – Schulze R. : la da’wa saoudienne en Afrique de l’Ouest, in R. Otayek, le radicalisme islamique au Sud du Sahara, da’wa, arabisation et critique de l’Occident

[2] – cette expression veut dire « les partisans de l’unicité de Dieu ». C’est un principe fondateur des religions dites monothéistes mais, dans le sens où il est, ici, exprimé, il est revendiqué par les tenants du wahhabisme comme étant leur exclusivité.

[3] – voir à ce propos son Kashf al-Shubhât fî al-tawÎîd, Université Islamique de Médine, Ed. Munayyir, 1975.

[4] – paru dans Umm al-Qurâ, 11 mai 1962, p5. NT.

[5] – cet organisme rassemblait étonnamment 76 pays d’Afrique et d’Asie et de l’ex-union Soviétique. Plus tard, l’Arabie financera la création du Conseil Supérieur mondial des mosquées.

[6] – Des observateurs avertis nous ont confirmé le rôle primordial de la Ligue islamique mondiale dans la conversion du Président Gabonais Bernard-Albert Bongo, devenu Omar Bongo en 1973.

[7] – hypocrites, ceux qui sont décrits comme n’étant ni véritablement musulmans ni incrédules, susceptibles de trahir, à tout moment leur religion. L’utilisation du terme « munâfiq » vise certainement les musulmans alliés du pouvoir politique considéré par ces islamistes comme étant impie car non conforme, selon eux, à l’islam.

[8] – pluriel de kâfir, dénégateur, incroyant, infidèle dans le langage prosélytique.

[9]Etudes islamiques, n°16 décembre 1982, p.5,.

[10] – ibid, p5.

[11] – la bataille de Badr fut la première qui opposa MuÎammad aux Mecquois après l’Hégire à Médine.

[12] – Référence au fondateur de la confrérie des mourides considéré comme un résistant à la colonisation française même par les élites nationalistes.

[13] – ce Cheikh a mené des combats contre l’armée française au début de l’intrusion coloniale dans le Sine (provinces du sud du Sénégal).

[14] – Référence à El Hajj ‘Umar, l’apôtre de la Tijâniyya sénégalaise dont les combats contre les français sont mis sur le compte du « Jihâd ».  La nisba « al-foutiyou » s’attache à sa région d’origine, le Fouta Toro sur la rive droite du fleuve Sénégal.

[15] – Célèbre personnage de la Tijâniyya dont nous avons parlé longuement dans notre partie sur la dimension spirituelle des rapports maroco-sénégalais.

[16] – Dâra : en wolof signifie « école coranique » ; de l’arabe dâr, maison.

[17]Etudes islamiques, n°16, décembre 82, p.5.

[18] – Personnage emblématique de l’islamisme sénégalais, pourtant appartenant à une famille confrérique celle de Hâdy Touré, par ailleurs muqaddam de la Tijâniyya. Cheikh Touré visitera plusieurs fois l’Iran et enverra même certains de ses disciples que nous avons rencontrés et qui sont, aujourd’hui, à la tête de l’Organisation pour l’Action Islamique (OAI) dont nous parlerons.

Les Niassènes et le rayonnement de la Tijaniyya : un pont entre l’Afrique noire et le monde arabe

Samedi 6 décembre 2008

Les Niassènes et le rayonnement de la Tijaniyya :
un pont entre l’Afrique noire et le monde arabe

Par Bakary SAMBE*
A mon Cher ami Ndiawar Soumaré ….

On ne peut parler de la branche Niassène de la Tijaniyya sans s’arrêter sur la biographie d’El Hadji Abdoulaye Niass. Ce grand nom de la Tijâniyya est né dans le village de Bély (Djoloff) en 1845. Les historiens s’accordent à soutenir que son père fut tué lors d’une « guerre sainte » dans le Saloum[1] en compagnie de Maba Diakhou Bâ. Après sa formation religieuse classique reçue auprès de son père, il séjournera dans plusieurs autres écoles du pays, dans le Saloum et les régions environnantes. Cheikh Abdoulaye Niass se distingue par ses innombrables visites dans les pays arabes et les grandes capitales religieuses. Malgré les conditions politiques difficiles au Sénégal tout au long du XIX ème siècle et au début du XX ème, il a eu l’opportunité de visiter Fès et d’effectuer le pèlerinage à La Mecque en 1890. Durant ce voyage aux lieux saints de l’islam, il s’arrêtera en Egypte pour recueillir des ijâzât pour certaines disciplines religieuses. Il est, souvent, présenté comme l’un des cheikhs sénégalais qui ont le plus de maîtrise de la langue arabe au regard de ses multiples contacts avec le Maghreb mais aussi le Machrek. El Hadj Abdoulaye Niass est affilié à la Tijâniyya par la silsila omarienne avec le Cheikh Muhammad Ibrâhîm Diallo comme intermédiaire. Il reçut, comme ses prédécesseurs, plusieurs ijâzât des muqaddams de Fès, lors de sa visite au Maroc. Après son pèlerinage à la Mecque, il s’installera à Taïba Niassène[2]dans le Saloum[3] où il construira une grande mosquée[4]. En voulant prêcher et enseigner l’islam dans cette région du Saloum, il se heurta à l’Administration coloniale française qui surveillera, de près, ses activités et ses déplacements. Devant cet acharnement, il s’exila par deux fois en Gambie[5] voisine. Cet exil était aussi la marque de son refus d’envoyer ses enfants à l’« école française » et du service militaire obligatoire. Après un retour à Taïba Niassène qui ne durera que deux courtes années, il s’exilera de nouveau en Gambie pour les mêmes raisons en 1900. Le Cheikh s’installe définitivement à Kaolack en 1911 où il construit une Zâwiya et dispense son enseignement à ses fidèles jusqu’à sa mort en 1922, la même année que Cheikh El Hadj Malick Sy de Tivaouane.
El Hadj Abdoulaye Niass n’a pas laissé une œuvre écrite très abondante. Certains attribuent ce fait à son instabilité et les tracasseries dont il fut victime. A part son Tanbîh al-nâs ‘alâ shaqâwat nâqidî abî-l-‘abbâs (Avertissement sur les Malheurs des détracteurs d’Abû al-‘Abbâs (nom donné au fondateur de la Tijâniyya), on lui compte quelques prêches retranscrits. Il aurait dit à ce propos « Mes disciples sont mes livres et mes anthologies »[6].
Les cheikhs de Médina Baye ont eu cette réputation d’être très tôt connectés aux grands centres du monde musulman. Ce fut le cas d’El Hadji Ibrahima Niass. Outre ses contacts à l’occasion du pèlerinage à la Mecque, El Hadj Ibrahima Niass avait noué des relations aussi bien en Afrique noire que dans le monde arabe. On le disait habitué du Président Nkrumah, de Gamal Abdel Nasser, Ben Bellah, Mohamed V mais aussi de Chu En Laï ou encore du Général de Gaulle[7].
El Hadj Ibrahima Niass était convié dans toutes les grandes rencontres des pays « musulmans ». Selon un de ses petits-fils, il « se proposait d’apporter sa contribution à la marche en avant de l’islam ». C’est peut-être cet engagement qui lui aurait valu de grandes distinctions sur la scène internationale.
Ainsi, il sera élu vice-président du Congrès mondial islamique au sommet de Karachi, en 1964. Il est, par ailleurs, toujours d’après notre informateur, l’un des membres fondateurs de l’actuelle Ligue Islamique mondiale. On lui a donné, d’ailleurs, le surnom de Shaykh al-islâm vu son implication dans les organisations islamiques et son aura internationale. En Egypte, par exemple, il fut membre du Conseil Supérieur des Affaires islamiques au Caire où il entra à l’Académie de Recherche de l’Université Al-Azhar[8]. Mais, dans le Maghreb, malgré ses étroites relations avec la Communauté des Erudits en islamologie, à Alger, c’est avec le Maroc qu’il a plus noué des liens très étroits.

El Hadji Abdoulaye Niass et les oulémas marocains : des relations intellectuelles

El Hadj Abdoulaye Niass s’est rendu à Fès en 1911 en compagnie de son fils Muhammad Niass, afin de se recueillir sur le mausolée de Cheikh Ahmed Tijânî. Certains témoignages affirment qu’il y est resté pendant longtemps. Il aurait demandé à son fils de se rendre au pèlerinage à La Mecque pendant qu’il restait l’attendre à Fès[9]. Ce dernier relate l’évènement dans son Al-kibrît al ahmar fî madâ’ih al-qutb al-akbar, et dit avoir rejoint son père à Fès, avant leur départ pour le Sénégal. Cheikh Abdoulaye Niass mit à profit ce long séjour à Fès pour rencontrer les personnages les plus importants de la Zâwiya de Fès dont, en particulier, le Faqîh Ahmad Sukayrij (m.1944). Ce dernier lui décerna une ijâza et lui chargea de transmettre un « message d’amitié » à El Hadj Mâlick Sy[10]. Ce voyage à Fès, l’aura certainement marqué comme cela se perçoit à travers ses poèmes et autres écrits. Il y évoque la ville de Fès et recommande à ces disciples d’y effectuer un pèlerinage, en leur assurant qu’ils trouveront les moyens mystiques d’étancher leur « soif spirituelle »[11]. La branche Tijâniyya qu’il dirigeait restera en contact permanent avec le Maroc par la voie des pèlerinages et des échanges intellectuels. Ces liens étroits ne se seront jamais rompu et participent, encore aujourd’hui, de ce caractère spécifique qui fait des Niass un véritable pont entre l’Afrique noire et le monde arabe.
Nous reviendrons sur la perpétuation de ce lien confrérique après la disparition d’El Hadji Ibrahima Niass.

(A suivre….)
*Bakary.sambe@gmail.com

[1] – région du Sénégal peuplée essentiellement de Sérères, l’une des rares ethnies ayant opposé une longue résistance à l’islam.
[2] – « Tayba » est l’un des noms de Médine où se trouve le mausolée du Prophète Muhammad.
[3] L’un des royaumes du Sénégal situé dans le bassin arachidier, au centre du pays.
[4] – La tradition orale insiste sur le fait qu’il ait construit la mosquée avant sa propre maison à l’instar du Prophète Muhammad dont le premier geste lors de son arrivée à Médine (Hégire) était l’érection d’un lieu de culte, la Mosquée.
[5] – La Gambie fut une enclave, colonisée par les Anglais, hors du contrôle français.
[6] – D’après son petit fils Ahmed Khalifa Niass.
[7] – ces informations nous sont données par un de ses disciples par ailleurs très proche de sa famille.
[8] – l’institut islamique qu’il a créé dans sa ville de Kaolack est d’ailleurs l’un des rares à délivrer des diplômes reconnus par l’Université Al-Azhar où beaucoup de ses disciples d’Afrique de l’Ouest, notamment du Nigéria, sont formés avant d’être envoyés dans leurs pays d’origine afin d’y prêcher l’islam et la tijâniyya.
[9] – Le pèlerinage à la Mecque vu les modestes conditions de l’époque, pouvait nécessiter une longue période de plusieurs années.
[10] – Nous nous sommes entretenu avec plusieurs des enfants de ce cheikh actuellement installés à Casablanca. Ahmad Sukayrij a occupé plusieurs fonctions prestigieuses au Maroc dont celle de Cadi à Settat. En compagnie de Mawlây Hafîz, il séjournera longuement à Paris. Il est, d’après l’un de ses fils que nous avons rencontré, Abdelhay Sukayrij, l’auteur des calligraphies sur les rebords intérieurs de la Mosquée de Paris. Il reçut plusieurs distinctions aussi bien françaiases que marocaines.
[11] – On peut trouver des extraits allant dans ce sens au début de son poème « al-hamd li-l-lâh li wusûlî fâs », « Louange à Dieu pour mon arrivée à Fès ». Le voyage de Fès était périlleux et parsemé d’obstacles administratifs à l’époque. Se rendre à cette ville et y effectuer un pèlerinage relèverait du miracle !

 

L’aide financière arabe en Afrique (Suite) : du tiers-mondisme aux solidarités « islamiques »

Jeudi 4 décembre 2008

 

 L’aide financière arabe en Afrique (Suite)

du tiers-mondisme aux solidarités « islamiques »

 Par Bakary SAMBE

Les conséquences néfastes des deux chocs pétroliers sur les économies fragiles des pays africains ont accéléré l’adoption de mesures en vue d’une aide plus efficace.

Il y eut des tentatives de coordination des efforts en direction de l’Afrique noire au sein des organisations pan-arabes. L’aide publique arabe sera un des points débattus lors du Sommet des chefs d’Etats arabes tenu à Alger, du 26 au 28 novembre 1973. Le Sommet s’est déroulé dans une ambiance particulière marquée par le conflit israëlo-arabe.

Cependant, il a été l’occasion de consolider les rapports arabo-africains et de leur donner une dimension beaucoup plus politique. Au-delà d’une fraternité construite ou réelle, il y a eu une volonté politique d’unifier les efforts diplomatiques.

Le mensuel Afrique Musulmane exprime cet état d’esprit, en expliquant :  » S’il est vrai que les Arabes n’ont pas d’autres frères plus proches que les Africains, il est tout aussi vrai que les Africains n’ont point d’autres frères plus proches que les Arabes. Cette constatation évidente s’agissant des peuples, l’est autant au niveau des Etats « .[4] La rencontre d’Alger est considérée par cet organe de presse comme  » une illustration pertinente  » de cet esprit de fraternité arabo-africaine.

En tout cas, la réunion d’Alger fut très symbolique dans son déroulement et dans ses résultats. Un diplomate sénégalais, par ailleurs, très proche de la Fédération des Associations islamiques nous confie :  » au terme de cette conférence historique, en effet, les chefs d’Etats africains, écartant tous les facteurs qui les divisaient ou les opposaient, firent bloc avec leurs frères arabes contre l’Etat d’Israël « .

La rédaction d’Afrique Musulmane ajoute que  » par la suite, les rapports entre le continent noir et le monde arabe ne font que s’étendre et se renforcer dans pratiquement tous les domaines « [5]

Il fut lancé, entre autres, l’idée de création d’une Banque pour le développement économique en Afrique (BADEA). Cette initiative sera suivie de deux importantes décisions, dès le premier trimestre de 1974.

Le Conseil des ministres arabes du pétrole recommanda la création du Fonds arabe spécial d’aide à l’Afrique (FASAA). Dans la même optique, le Sommet de la Ligue arabe, tenu à Tunis du 25 au 28 mars 1974, approuve l’idée de création du FATAA ; le Fonds arabe d’assistance technique à l’Afrique. Israël avait déjà fait ses preuves en matière agricole te de maîtrise de l’eau dans sa coopération avec quelques partenaires africains, comme la Côte d’Ivoire.

L’année 1976 fut le point d’orgue de cette politique d’aide publique et de coopération arabo-africaine sur les plans diplomatique, économique et financier. Elle marqua le début d’une forte implication du Sénégal dans l’institution puis le développement d’une véritable politique de coopération.

Un diplomate sénégalais, alors, acteur important des négociations pour la tenue de cette rencontre, nous confie qu’il était l’émissaire spécial du Président Senghor auprès de nombreux responsables arabes dans le but d’une formalisation de ces relations.

La tenue de cette réunion de Dakar, nous affirme t-il, est  » le résultat de ces négociations entre le Sénégal et des pays arabes comme l’Egypte, l’Arabie Saoudite et le Koweït qui reçurent une visite historique du Président Senghor dans ce sillage[6]. « 

Du 15 au 22 avril 1976 se tiendra, à Dakar, la première conférence ministérielle arabo-africaine. Elle aura pour objectif d’examiner le projet de coopération afro-arabe, selon des modalités et des moyens d’actions concertés. Ce projet se voudra global et à long terme.

La conférence de Dakar étant à titre préparatoire sera suivie, l’année d’après, d’un Sommet afro-arabe, en mars 1977, au Caire. Ce sommet réunira plus de trente chefs d’Etats qui prendront des décisions immédiates pour accroître l’aide publique arabe à l’Afrique noire dans les domaines de l’agriculture, de la pêche, des transports et de l’hydraulique. D’ailleurs, c’est dans ce dernier secteur que le Sénégal, l’un des premiers bénéficiaires, recevra une aide financière importante ayant aidé à la réalisation de barrages.

On constatera, ensuite, que l’aide arabe, purement étatique, conventionnelle et s’inscrivant dans les projets nationaux des pays bénéficiaires n’avait pas encore l’impact populaire, réel, escompté par les pays donateurs.

Il manquait une certaine visibilité à cette forme de coopération. De plus l’harmonisation voulue par les différents sommets arabes et arabo-africains s’est, très vite, révélée difficile, face aux rivalités inter-arabes et la difficulté de définir les priorités, différentes, selon les objectifs et les intérêts des uns et des autres.

Certes les apports financiers des pays arabes ont été, durant cette période, une véritable manne pour certains pays africains dits  » privilégiés  » comme le Sénégal.

Cependant, étant gérée par l’Etat et ses départements ministériels, cette aide devient  » centralisée  » comme l’action étatique et très loin de la visibilité qu’ont voulu lui donner ses pourvoyeurs.

Comme le soutien Samir Amin, dans sa préface à l’ouvrage de Charbel Zarour sur la coopération arabo-sénégalaise,cité plus haut, l’aide publique arabe s’est inscrite dans des projets qui font peu de place à l’objectif d’une construction auto-centrée sur la population. Pour lui, elle n’a pas su satisfaire les besoins des populations à la base car se présentant comme un prolongement des politiques globales d’insertion dans le système mondial.

A partir de ce constat, l’aide arabe à l’Afrique tentera d’obéir à toute une autre stratégie afin atteindre l’objectif de proximité visé par certains pays donateurs. De ce fait, à l’option globaliste et aux efforts d’harmonisation, se succédèrent des initiatives bilatérales où les pays arabes choisirent leurs partenaires africains, selon des  » affinités politiques  » ou des objectifs idéologiques. On retrouve le même schéma que dans la stratégie marocaine qui, après les initiatives diplomatiques globalistes, opta pour un bilatéralisme sélectif en opérant un choix de partenaires idéologiquement et économiquement motivés.

Des Etats comme l’Arabie Saoudite et d’autres monarchies pétrolières continuèrent à apporter leur soutien financier à des pays africains mais donnèrent une portée de plus en plus  » religieuse « , à leurs aides ponctuelles.

Ces Etats profiteront de l’échec ou de l’inefficacité constatés de la politique d’aide globale des Etats arabes avec une absence notoire sur le terrain du secours des populations africaines lors des catastrophes naturelles qui touchèrent le continent, tout au long des années 80.

La sécheresse, due à de terribles déficits pluviométriques au Niger, au Mali, en Mauritanie et au Sénégal, a davantage mis les populations locales dans des situations de nécessité. Il y eut, certes, une intense activité diplomatique de la part du Sénégal qui, ayant compris les nouveaux enjeux de coopération arabo-africaine, s’efforça de présenter la demande d’aide dans les termes adéquats. Sentant la dimension islamique que l’Arabie Saoudite voulait donner à son aide au Sénégal, pays africain mais, surtout, à forte majorité musulmane, les autorités s’investirent à convaincre le Royaume de la nécessité et de la portée religieuse de l’aide financière.

Ainsi, le président Abdou Diouf, nouvellement à la tête de l’Etat sénégalais, effectuera une visite officielle  » historique  » en Arabie Saoudite, clôturée par un pèlerinage à la Mecque[7]. Cette visite fut marquée, sur le plan protocolaire et médiatique, par son cachet religieux dans tout son déroulement avec, comme temps fort, l’ouverture des portes de la ka’ba,  » privilège  » réservé aux grands hôtes du royaume[8].

L’image du premier chef d’Etat musulman d’un pays à majorité musulmane qui succéda à un président chrétien (Senghor) sera largement cultivée par les médias et mise à profit par le protocole. Moustapha Cissé, à l’époque Ambassadeur du Sénégal en Arabie et Conseiller Spécial du Président Abdou Diouf, dans une interview accordée au mensuel Afrique musulmane, souligne que  » cette visite s’inscrit dans le cadre de la consolidation des relations de coopération entre le Sénégal et les pays amis, en général, et le monde arabe, en particulier « [9]

On pourrait penser que ce fut, en même temps qu’une nouvelle conception des relations entre Riyad et Dakar, le signe d’une volonté d’imprimer une marque  » islamique  » aux relations bilatérales.

L’Ambassadeur que nous avons rencontré a, toutefois, insisté sur la nécessité, à l’époque, de  » donner un souffle nouveau  » à la coopération arabo-africaine. Le diplomate, en même temps, personnalité clé des rapports arabo-africains dans le domaine de la coopération entre les organismes islamiques et les populations musulmanes dans différents pays d’Afrique, avait saisi la nécessité d’insister sur la dimension religieuse. D’ailleurs, au moment de ces initiatives diplomatiques, sans commune mesure, entre le Sénégal et l’Arabie Saoudite, il était, entre autres, Président du Comité Exécutif du Conseil de coordination des Associations islamiques d’Afrique.

Désormais, les rapports arabo-africains, après l’épuisement des ressources idéologico-politiques du tiers-mondisme, ne se passeront plus du relais islamique.

De l’échec du tiers-mondisme aux solutions  » islamiques  » :

Du moment que le modèle de coopération basé sur l’idéologie tiers-mondiste a montré ses limites et son inefficacité, en tout cas, sur le plan de la visibilité et de l’impact politique, le rôle de l’Arabie Saoudite allait s’accroître tout en entraînant les relations arabo-africaines dans une dimension de plus en plus religieuse.

Les pays donateurs vont s’inspirer du modèle adopté par l’Eglise catholique, l’autre rival en Afrique noire. En effet, les organismes chrétiens tels que  » Frères des Hommes « ,  » Caritas  » et Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), ont marqué l’actualité des années 70-80, avec leur assistance humanitaire aux populations sinistrées d’Afrique sub-saharienne.

S’inscrivant dans l’optique traditionnelle d’une confrontation islam/christianisme, les pays arabes, et, plus particulièrement, l’Arabie Saoudite, vont aider à l’émergence d’organisations islamiques de secours et d’assistance humanitaire.

L’objectif d’efficacité a, alors, poussé à une  » privatisation  » progressive de l’aide, avec des projets de plus en plus en direction des populations locales défavorisées. C’est, dans ce contexte, qu’aux partenaires étatiques, institutionnels, vont s’ajouter d’autres relais informels et plus proches des  » réalités sociales « .

Les associations islamiques, de simples regroupements d’anciens étudiants des universités du monde arabe, vont, ainsi, devenir de véritables acteurs de coopération. Elles servirent de relais pour l’aide arabe (ou islamique !) directe et s’affirmèrent, de plus en plus, comme des intermédiaires privilégiés et incontournables pour les pourvoyeurs d’aides ou encore les  » exportateurs  » d’idéologie.

C’est comme si, à l’esprit de Bandoeng, et aux principes de solidarités Sud-Sud, s’est superposé ou substitué un sentiment d’obligation d’aide et de secours aux pays africains, désormais vus comme des Etats  » musulmans  » dans la nécessité et destinataires privilégiés de l’aide des  » frères en religion « .

Les Etats arabes, en tant qu’institutions, ne seront plus les seuls présents sur ce terrain. On assistera, suite aux énormes rentrées financières due à la manne pétrolière, à l’émergence d’une  » bourgeoisie  » arabe, ouverte idéaux de la  » solidarité islamique « , qui s’impliquera directement dans cette aide aux pays  » musulmans  » pauvres par des projets sociaux.

Le sentiment de solidarité sera accentué par l’importante mobilisation des Etats africains, dans le cadre de l’OUA et des initiatives personnelles en faveur de la cause palestinienne. A côté des politiques étatiques, cet engagement pro-palestinien va renforcer le sentiment de solidarité naturelle largement entretenu par les organes de presse des organismes islamiques. L’aide arabe revêt, de ce fait, un caractère populaire où on voit des individualités s’impliquer financièrement, indépendamment des initiatives diplomatiques officielles de leurs pays d’origine.

La  » privatisation  » de l’aide va engendrer un besoin, de plus en plus croissant, de partenaires locaux acquis aux thèses des courants idéologiques provenant d’un monde arabe en plein bouleversement.

Nous reviendrons largement sur cet aspect pour voir comment l’aide financière, de plus en plus privatisée, va avoir d’énormes conséquences sur les mutations religieuses en Afrique noire notamment avec l’exportation d’idéologies comme le Wahhabisme.

A suivre

Bakary.sambe@gmail.com

L’aide financière arabe en Afrique : Quels changements depuis Bandoeng ?

Lundi 1 décembre 2008

L’aide financière arabe en Afrique : 

Quels changements depuis Bandoeng ? 

P ar Bakary SAMBE* 

Au moment où l’on parle beaucoup des fonds arabes au secours de l’économie mondiale, il nous a paru important de revenir sur des périodes méconnues de la coopération afro-arabe. L’aspect financier a toujours été au centre de ces rapports mais les conditions ainsi que l’ampleur de l’aide des pays arabes aux Etats africains ont varié selon différentes logiques, du tiers-mondisme des années 50, à l’émergence des réseaux religieux notamment islamiques en passant par les calculs politiques dictés, en son temps, par le nationalisme arabe et le socialisme africain en plus d’une mutation profonde des relations internationales. La coopération entre le les pays arabes et l’Afrique sub-saharienne a donc évolué et pris plusieurs formes suivant les processus historiques et les évènements majeurs ayant marqué la seconde moitié du XX ème siècle. L’avènement de pays pétroliers sur la scène mondiale marqua profondément ces relations et leur donnera un tout autre visage. Ce fait socio-économique inaugure une véritable coopération Sud-Sud, avec un apport de capitaux destiné au développement des pays africains. L’entrée en force des pays arabes sur la scène économique internationale, avec l’ère pétrolière a, tout de suite, attiré l’attention de nombre d’analystes. Mais la coopération afro-arabe n’est pas un fait nouveau. Au contraire, elle trouve ses racines dans l’Histoire avec les échanges économiques et culturels depuis l’époque médiévale. Cependant, sous sa forme contemporaine, cette coopération a été, d’abord, un sujet auquel se sont surtout, intéressés les économistes, de manière presque exclusive. L’aide financière a toujours été au centre de cette forme de coopération avec un flux à sens unique.

Toutefois tout l’intérêt que revêt cette forme de coopération ne pourrait être explicité si on la confine dans sa dimension purement économique. D’ailleurs, les analystes économiques les plus appliquées de cette coopération se sont toujours heurté à l’extrême difficulté de tirer des conclusions ou en tout cas trouver des grilles de lecture de telles politiques. On pourrait penser que l’analyse de cette coopération est à l’image de son objet constamment en tâtonnements à défaut de choix rationnels. Surfant sur la vague Bandoeng avec une volonté de mettre en place une solidarité Sud-Sud, les Etats arabes se sont vite rendu compte de l’inefficacité d’un tel choix qui ignorait les velléités mais aussi les rivalités politiques qui ont accompagné les nationalismes de tous bords.

A un certain moment les politiques de coopération se sont de moins en moins étatisées. Les circuits informels se sont ainsi révélés plus à même d’incarner les différentes idéologies à la base d’une telle coopération. L’échec du tiers-mondisme a entraîné la disparition des mythes politiques véhiculés par les différents Etats désormais plus que convaincus de l’inefficience des stratégies dont la foi en l’Etat-nation  » importé  » était le support. L’individu ou les groupes non institutionnels se sont, ainsi, imposés comme acteurs jusque-là négligés et ont changé la donne en façonnant, à leur tour, les stratégies adoptées par les Etats. Cette coopération dont le but était de promouvoir un développement économique par le biais de l’aide grâce aux abondants capitaux ne pourra désormais se déployer sans prendre en compte la nouvelle réalité des relations internationales : l’irruption des individus et des acteurs non institutionnels comme acteurs incontournables. La coopération arabo-africaine s’est adaptée durant tout le processus inauguré par Bandoeng et l’esprit du tiers-mondisme. Très vite, les stratégies informelles se sont substituées aux politiques de coopération institutionnelle. En plus, comme si au tiers-mondisme d’antan il devait suppléer une autre idéologie, le facteur religieux allait être mis en contribution. Les stratégies  » islamiques  » vont ainsi prendre toute leur place dans les différentes politiques menées par les pays arabes en direction de l’Afrique noire dans une parfaite conscience de l’efficacité politiques des symboles religieux. Ce dernier aspect ne peut être mieux illustré que par la politique saoudienne en Afrique noire.

Des initiatives de l’après-Bandoeng à la création du Fonds d’aide arabe :

Dans le sillage de la Conférence de Bandoeng réunissant les peuples et les Etats du tiers-monde, en 1955, plusieurs initiatives de coopération Sud-Sud virent le jour. Les Etats arabes vont essayer d’établir, dans ce cadre, de véritables liens de coopération avec l’Afrique subsaharienne. Cela s’inscrivait, en partie, dans les principes, alors plébiscités, de solidarité entre peuples et Etats du Tiers-monde  » afro-asiatique  » qui, selon Samir Amin, étaient formulés de manière systématique à Bandoeng[1].

Les pays ayant participé à cette conférence qui donna naissance à une entité indépendante des deux grands blocs rivaux de l’époque, ont eu l’initiative de créer des organisations, dans le but de matérialiser ces principes de solidarité. Ainsi, en 1957, l’Organisation de solidarité des peuples afro-asiatique vit le jour, au Caire, sous l’impulsion de l’Egypte nassérienne. La même année, l’Organisation panafricaine des peuples fut créée à Accra. La décennie 1955 – 1965 constitue, dans une certaine mesure, le temps fort de ces initiatives nées de l’élan de Bandoeng. La coopération fut d’abord politique, avec l’enjeu que constituaient les luttes de libération nationale

[2]. C’est, ensuite, qu’elle prit, progressivement, une forme plus ou moins économique accentuée par l’idéologie du tiers-mondisme et de la lutte  » anticapitaliste, thème très en vogue à l’époque. Il s’agissait de se libérer, non seulement, du joug colonial, mais, aussi, de refuser le modèle économique et social des  » impérialistes  » alors décriés.

Dans ce contexte, des pays arabes, alors très influents, comme l’Egypte sous l’égide de Nasser, s’affirment au devant de la scène avant d’y être rejoints par l’Algérie, indépendante, plus tard, en 1962. L’Egypte, d’une part, et l’Algérie, de l’autre, auront des relations privilégiées avec des pays africains dits  » progressistes  » comme le Ghana de Nkrumah, le Mali de Modibo Keita ainsi que
la Guinée de Sékou Touré. Ces jeunes nations, fraîchement affranchies du joug colonial, rejoindront, d’ailleurs, le Maroc de Mohammed V, dans le cadre du Groupe de Casablanca, lors des discussions autour de la forme à donner à la future organisation panafricaine, l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine). Le cachet économique que l’on voulait, ainsi, imprimer à la coopération arabo-africaine poussera des pays à économie, pourtant, modeste, à fournir des efforts relativement considérables. Ce sera le cas de l’Egypte qui, malgré sa fragilité économique et son modeste niveau de développement, supportera le financement de projets d’infrastructures au profit du Mali pour 4 millions de dollars !

A cette époque deux chefs d’Etat symbolisaient, à eux seuls, l’orientation politique, voire tiers-mondiste, de la coopération arabo-africaine. Il s’agissait des présidents Jamâl ‘abd al-NâÒir, (Gamal Abdel Nasser) de l’Egypte et de Kwame Nkrumah du Ghana ; deux personnalités influentes aux positions militantes très prononcées.

Mais l’affaiblissement de l’Egypte par la défaite de 1967, face à Israël qui suivit la chute Nkrumah, un an avant, en 1966, portera un coup rude à l’élan de Bandoeng et à ses nombreuses initiatives. Cette étape sera décisive pour ce qui est de la forme et du contenu de la coopération arabo-africaine.

La défaite de ces deux leaders charismatiques aux politiques fortement inspirées par les thèses tiers-mondistes va sensiblement réduire l’engouement que connut toute la décennie euphorique d’après-Bandoeng. La nouvelle situation politique et l’absence de leadership influent à l’échelle continentale vont, peu à peu, vider la coopération arabo-africaine de son sens politique et entamer le succès du tiers-mondisme comme idéologie d’unification.

Malgré la nouvelle donne inaugurée par l’économie pétrolière dans le monde arabe et la naissance de nouveaux regroupements sud-sud comme l’OPEP[3] ou l’OPAEP, la coopération arabo-africaine ne retrouvera jamais sa dimension tiers-mondiste d’antan. Un tel vide idéologique sera une occasion inespérée pour l’Arabie Saoudite que sa seule richesse pétrolière ne disposait pas au leadership, face à des pays comme l’Egypte nassérienne. Ainsi, au tiers-mondisme qui sous-tendait la politique d’aide arabe à l’Afrique, succédèrent d’autres courants, notamment islamiques.

La crise pétrolière de 1973 ne sera pas en faveur d’un retour à l’esprit de Bandoeng. Bien qu’elle soit l’occasion de formuler de nouvelles solidarités, les pays africains, profondément affaiblis, feront l’économie des idéologies nationalistes et tiers-mondistes et adopteront un pragmatisme très peu soucieux des principes et des conditions des donateurs. Il est vrai que l’aide arabe sera mieux organisée et empruntera les canaux de la nouvelle organisation : l’OPEP. Cette organisation incitera ses membres à affecter une part de leurs ressources financières à l’aide aux pays les plus pauvres, notamment africains. Dans ce contexte, des pays comme
la Tanzanie ou le Sénégal dont la facture pétrolière engloutira plus de 50 % des recettes solliciteront des partenaires arabes afin de réduire les effets de la crise sur leurs économies plus que fragiles et dépendant, généralement, de monocultures.

Les monarchies du Golfe et, plus particulièrement, l’Arabie Saoudite se distingueront dans l’assistance financière au du Sénégal. Ainsi, le royaume wahhabite, jadis gênée par l’influence de leaders comme Nasser et d’autres figures marxistes du continent, arrivera à s’affirmer sur la scène arabo-africaine.

A partir de ce moment l’idéologie du royaume accompagnera les flux financiers. Cet aspect idéologique de l’aide ne sera pas encore très prononcé car se réfugiant derrière les protocoles et accords bilatéraux. Mais le passage d’une coopération à dimension tiers-mondiste à une aide, de plus en plus, basée sur le facteur  » islamique « , se dessine, au fur et à mesure que les critères d’affectations de l’aide changeaient et que la raréfaction des ressources conduisait à une sélection ou à des préférences dont les critères étaient tout autres qu’économiques. (A suivre…)

* bakary.sambe@gmail.com


 [1] – Samir Amin, voir préface de la coopération arabo-sénégalaise de Charbel Zarour, l’Harmattan, 1989.

[2] – B. Founou, Problématique de la coopération afro-arabe, documents, UNITAR, 1984, p5.[3] – Organisation des Etats Producteurs et Exportateurs de Pétrole.