L’aide financière arabe en Afrique :
Quels changements depuis Bandoeng ?
P ar Bakary SAMBE*
Au moment où l’on parle beaucoup des fonds arabes au secours de l’économie mondiale, il nous a paru important de revenir sur des périodes méconnues de la coopération afro-arabe. L’aspect financier a toujours été au centre de ces rapports mais les conditions ainsi que l’ampleur de l’aide des pays arabes aux Etats africains ont varié selon différentes logiques, du tiers-mondisme des années 50, à l’émergence des réseaux religieux notamment islamiques en passant par les calculs politiques dictés, en son temps, par le nationalisme arabe et le socialisme africain en plus d’une mutation profonde des relations internationales. La coopération entre le les pays arabes et l’Afrique sub-saharienne a donc évolué et pris plusieurs formes suivant les processus historiques et les évènements majeurs ayant marqué la seconde moitié du XX ème siècle. L’avènement de pays pétroliers sur la scène mondiale marqua profondément ces relations et leur donnera un tout autre visage. Ce fait socio-économique inaugure une véritable coopération Sud-Sud, avec un apport de capitaux destiné au développement des pays africains. L’entrée en force des pays arabes sur la scène économique internationale, avec l’ère pétrolière a, tout de suite, attiré l’attention de nombre d’analystes. Mais la coopération afro-arabe n’est pas un fait nouveau. Au contraire, elle trouve ses racines dans l’Histoire avec les échanges économiques et culturels depuis l’époque médiévale. Cependant, sous sa forme contemporaine, cette coopération a été, d’abord, un sujet auquel se sont surtout, intéressés les économistes, de manière presque exclusive. L’aide financière a toujours été au centre de cette forme de coopération avec un flux à sens unique.
Toutefois tout l’intérêt que revêt cette forme de coopération ne pourrait être explicité si on la confine dans sa dimension purement économique. D’ailleurs, les analystes économiques les plus appliquées de cette coopération se sont toujours heurté à l’extrême difficulté de tirer des conclusions ou en tout cas trouver des grilles de lecture de telles politiques. On pourrait penser que l’analyse de cette coopération est à l’image de son objet constamment en tâtonnements à défaut de choix rationnels. Surfant sur la vague Bandoeng avec une volonté de mettre en place une solidarité Sud-Sud, les Etats arabes se sont vite rendu compte de l’inefficacité d’un tel choix qui ignorait les velléités mais aussi les rivalités politiques qui ont accompagné les nationalismes de tous bords.
A un certain moment les politiques de coopération se sont de moins en moins étatisées. Les circuits informels se sont ainsi révélés plus à même d’incarner les différentes idéologies à la base d’une telle coopération. L’échec du tiers-mondisme a entraîné la disparition des mythes politiques véhiculés par les différents Etats désormais plus que convaincus de l’inefficience des stratégies dont la foi en l’Etat-nation » importé » était le support. L’individu ou les groupes non institutionnels se sont, ainsi, imposés comme acteurs jusque-là négligés et ont changé la donne en façonnant, à leur tour, les stratégies adoptées par les Etats. Cette coopération dont le but était de promouvoir un développement économique par le biais de l’aide grâce aux abondants capitaux ne pourra désormais se déployer sans prendre en compte la nouvelle réalité des relations internationales : l’irruption des individus et des acteurs non institutionnels comme acteurs incontournables. La coopération arabo-africaine s’est adaptée durant tout le processus inauguré par Bandoeng et l’esprit du tiers-mondisme. Très vite, les stratégies informelles se sont substituées aux politiques de coopération institutionnelle. En plus, comme si au tiers-mondisme d’antan il devait suppléer une autre idéologie, le facteur religieux allait être mis en contribution. Les stratégies » islamiques » vont ainsi prendre toute leur place dans les différentes politiques menées par les pays arabes en direction de l’Afrique noire dans une parfaite conscience de l’efficacité politiques des symboles religieux. Ce dernier aspect ne peut être mieux illustré que par la politique saoudienne en Afrique noire.
Des initiatives de l’après-Bandoeng à la création du Fonds d’aide arabe :
Dans le sillage de la Conférence de Bandoeng réunissant les peuples et les Etats du tiers-monde, en 1955, plusieurs initiatives de coopération Sud-Sud virent le jour. Les Etats arabes vont essayer d’établir, dans ce cadre, de véritables liens de coopération avec l’Afrique subsaharienne. Cela s’inscrivait, en partie, dans les principes, alors plébiscités, de solidarité entre peuples et Etats du Tiers-monde » afro-asiatique » qui, selon Samir Amin, étaient formulés de manière systématique à Bandoeng[1].
Les pays ayant participé à cette conférence qui donna naissance à une entité indépendante des deux grands blocs rivaux de l’époque, ont eu l’initiative de créer des organisations, dans le but de matérialiser ces principes de solidarité. Ainsi, en 1957, l’Organisation de solidarité des peuples afro-asiatique vit le jour, au Caire, sous l’impulsion de l’Egypte nassérienne. La même année, l’Organisation panafricaine des peuples fut créée à Accra. La décennie 1955 – 1965 constitue, dans une certaine mesure, le temps fort de ces initiatives nées de l’élan de Bandoeng. La coopération fut d’abord politique, avec l’enjeu que constituaient les luttes de libération nationale
[2]. C’est, ensuite, qu’elle prit, progressivement, une forme plus ou moins économique accentuée par l’idéologie du tiers-mondisme et de la lutte » anticapitaliste, thème très en vogue à l’époque. Il s’agissait de se libérer, non seulement, du joug colonial, mais, aussi, de refuser le modèle économique et social des » impérialistes » alors décriés.
Dans ce contexte, des pays arabes, alors très influents, comme l’Egypte sous l’égide de Nasser, s’affirment au devant de la scène avant d’y être rejoints par l’Algérie, indépendante, plus tard, en 1962. L’Egypte, d’une part, et l’Algérie, de l’autre, auront des relations privilégiées avec des pays africains dits » progressistes » comme le Ghana de Nkrumah, le Mali de Modibo Keita ainsi que
la Guinée de Sékou Touré. Ces jeunes nations, fraîchement affranchies du joug colonial, rejoindront, d’ailleurs, le Maroc de Mohammed V, dans le cadre du Groupe de Casablanca, lors des discussions autour de la forme à donner à la future organisation panafricaine, l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine). Le cachet économique que l’on voulait, ainsi, imprimer à la coopération arabo-africaine poussera des pays à économie, pourtant, modeste, à fournir des efforts relativement considérables. Ce sera le cas de l’Egypte qui, malgré sa fragilité économique et son modeste niveau de développement, supportera le financement de projets d’infrastructures au profit du Mali pour 4 millions de dollars !
A cette époque deux chefs d’Etat symbolisaient, à eux seuls, l’orientation politique, voire tiers-mondiste, de la coopération arabo-africaine. Il s’agissait des présidents Jamâl ‘abd al-NâÒir, (Gamal Abdel Nasser) de l’Egypte et de Kwame Nkrumah du Ghana ; deux personnalités influentes aux positions militantes très prononcées.
Mais l’affaiblissement de l’Egypte par la défaite de 1967, face à Israël qui suivit la chute Nkrumah, un an avant, en 1966, portera un coup rude à l’élan de Bandoeng et à ses nombreuses initiatives. Cette étape sera décisive pour ce qui est de la forme et du contenu de la coopération arabo-africaine.
La défaite de ces deux leaders charismatiques aux politiques fortement inspirées par les thèses tiers-mondistes va sensiblement réduire l’engouement que connut toute la décennie euphorique d’après-Bandoeng. La nouvelle situation politique et l’absence de leadership influent à l’échelle continentale vont, peu à peu, vider la coopération arabo-africaine de son sens politique et entamer le succès du tiers-mondisme comme idéologie d’unification.
Malgré la nouvelle donne inaugurée par l’économie pétrolière dans le monde arabe et la naissance de nouveaux regroupements sud-sud comme l’OPEP[3] ou l’OPAEP, la coopération arabo-africaine ne retrouvera jamais sa dimension tiers-mondiste d’antan. Un tel vide idéologique sera une occasion inespérée pour l’Arabie Saoudite que sa seule richesse pétrolière ne disposait pas au leadership, face à des pays comme l’Egypte nassérienne. Ainsi, au tiers-mondisme qui sous-tendait la politique d’aide arabe à l’Afrique, succédèrent d’autres courants, notamment islamiques.
La crise pétrolière de 1973 ne sera pas en faveur d’un retour à l’esprit de Bandoeng. Bien qu’elle soit l’occasion de formuler de nouvelles solidarités, les pays africains, profondément affaiblis, feront l’économie des idéologies nationalistes et tiers-mondistes et adopteront un pragmatisme très peu soucieux des principes et des conditions des donateurs. Il est vrai que l’aide arabe sera mieux organisée et empruntera les canaux de la nouvelle organisation : l’OPEP. Cette organisation incitera ses membres à affecter une part de leurs ressources financières à l’aide aux pays les plus pauvres, notamment africains. Dans ce contexte, des pays comme
la Tanzanie ou le Sénégal dont la facture pétrolière engloutira plus de 50 % des recettes solliciteront des partenaires arabes afin de réduire les effets de la crise sur leurs économies plus que fragiles et dépendant, généralement, de monocultures.
Les monarchies du Golfe et, plus particulièrement, l’Arabie Saoudite se distingueront dans l’assistance financière au du Sénégal. Ainsi, le royaume wahhabite, jadis gênée par l’influence de leaders comme Nasser et d’autres figures marxistes du continent, arrivera à s’affirmer sur la scène arabo-africaine.
A partir de ce moment l’idéologie du royaume accompagnera les flux financiers. Cet aspect idéologique de l’aide ne sera pas encore très prononcé car se réfugiant derrière les protocoles et accords bilatéraux. Mais le passage d’une coopération à dimension tiers-mondiste à une aide, de plus en plus, basée sur le facteur » islamique « , se dessine, au fur et à mesure que les critères d’affectations de l’aide changeaient et que la raréfaction des ressources conduisait à une sélection ou à des préférences dont les critères étaient tout autres qu’économiques. (A suivre…)
* bakary.sambe@gmail.com
[1] – Samir Amin, voir préface de la coopération arabo-sénégalaise de Charbel Zarour, l’Harmattan, 1989.
[2] – B. Founou, Problématique de la coopération afro-arabe, documents, UNITAR, 1984, p5.[3] – Organisation des Etats Producteurs et Exportateurs de Pétrole.
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