• Accueil
  • > Archives pour janvier 2009

Archive pour janvier 2009

CRAINTE, ESPERANCE ET TAWASSUL DANS L’OEUVRE DE CHEIKH EL HADJI MALICK SY: « fala Budda Min Shakwa » en exemple

Lundi 19 janvier 2009

CRAINTE, ESPERANCE ET TAWASSUL DANS L'OEUVRE DE CHEIKH EL HADJI MALICK SY: ECOUTEZ LA QACIDA FALA BUDDA psalmodie par El Hadji Mbaye Donde Mbaye

Crainte, Espérance et Tawassul dans l’œuvre de Cheikh El Hadji Malick Sy : 

« fa la budda min Shakwâ» en exemple 

Par Bakary SAMBE*

L’œuvre de Cheikh El Hadji Malick Sy est dense et d’une rare variété[1]. Il est vrai que la thématique la plus commune est celle du Madîh, panégyriques dédiées au Prophète de l’Islam. Le Khilâçu Dhahab, ce joyau poétique mais aussi mine inépuisable pour tout féru de Sîra (Hagiographie du Prophète) est devenue le symbole et l’illustration de son inimitabilité dans ce genre, trouvant ses origines depuis l’aube de l’Islam. De Ka’b Ibn Zuhayr et Hassan Ibn Thabit à Muhammad Al-Busayrî, on ne peut dénombrer les personnages illustres qui se sont distingués dans cet art prisé des soufis et dans lequel Cheikh El Hadji Malick Sy est devenu un maître incontesté.

Cependant, il est une autre facette de son œuvre à travers laquelle s’exprime tout son enseignement spirituel, durablement enraciné dans la démarche propre à la Tijaniyya. C’est dans ces ouvrages qu’il traite de thématiques fondamentales liées au soufisme telles que l’éducation spirituelle, les cheminements de l’aspirant, le Zuhd, les relations sociales (Mu‘âmalât) et le rapport à Dieu. Bref, tout un champ du soufisme déblayé par Cheikh El Hadji Malick Sy, la plupart du temps, en poésie par souci pédagogique (plus facile mémorisation), mais aussi à travers des traités comme l’incontournable Kifâyatu Raghibîn[2]

Dans le cadre du présent article, nous voudrions revenir sur trois notions redondantes dans son œuvre et inhérentes à la quête spirituelle en tant que cheminement mais aussi manière d’être. Celles de Crainte, d’Espérance et de Tawassul nous semblent à même d’aider à une tentative d’analyse de la Qasîda de Cheikh El Hadji Malick Sy connue sous le nom de « Falâ Budda » expression ouvrant son Matla‘ désignant, en prosodie, le premier vers. De plus, cette Qasîda, paraît recouper l’attitude et l’enseignement de cet érudit tout faits de modestie et d’un sens élevé de l’équilibre. Le Professeur Rawane Mbaye exprime cela de manière plus pertinente en parlant d’un véritable « pôle d’attraction entre Sharî’a et Haqiqa » 

Fidèle à l’attitude d’humilité qui sous-tend toute son action mais aussi sa quête spirituelle, Cheikh El Hadji Malick Sy met toujours en avant le principe de crainte ou de conscience intime de Dieu. Sans perdre de vue, la facette miséricordieuse, Il ne se fie pas non plus aux états d’optimisme excessif que confère aux dévots l’autosatisfaction démesurée.

C’est pour cela, dans cette qasîda, Maodo[3] semble habité par une sorte de « kurbat », non pas dans le sens d’une anxiété ou d’un tourment liés à une quelconque culpabilité, mais de cette opération psychospirituelle dont parlait Henry Corbin. Dans la perception de Cheikh El Hadji Malick Sy, cette opération symbolise un retour à Dieu qu’il n’a, de fait, jamais quitté de son cœur et de son esprit. 

Cet état se manifeste à travers toute cette qasîda comme réitéré dans l’expression « fa mâ liya ghayru-l-lâhi jâbiru kasratî ». En somme, une conscience de l’inéluctabilité d’un retour constant au Seul Indispensable. Car, conçoit-il, au milieu des turpitudes et des incertitudes de la créature tourmentée, il n’est point d’utilité de frapper à d’autres portes sinon un retour sincère à Dieu « wa qar’iya bâb al-ghayri yâ rabbi lam yufid ». 

En usant de ce « je » tout sauf narcissique mais purement par souci d’exemplarité, Cheikh El Hadji Malick nous apprend à savoir se diriger vers celui qui détient la clé du dénouement, seul capable de délivrer de cette « kurbat » (kurbatî) introduite dès le début de la qaçîda et qui, en définitive, en détermine la rime en «  ». Sans trop nous attarder sur ce terme, nous pouvons simplement le comprendre comme cet d’état d’une tourmente par conscience de l’énormité du devoir. On peut se demander si les détracteurs des confréries qui croient avoir le monopole du Tawhîd ont essayé une seule fois de se donner la peine du minimum requis d’honnêteté intellectuelle : lire avant de critiquer ! On ne peut égaler les véritables soufis dans leur manière de vivre le Tawhid, cette consience de l’Unicité de Dieu. Cheikh El Hadji Malick Sy n’a cessé d’y insister à travers son œuvre avec finesse et pédagogie.

Oscillant constamment entre crainte et espoir, dans Falâ Budda, Maodo loue le Seigneur en l’invoquant de son nom « karîm », le Génereux, étant assuré par son « yaqîn » qu’il demeure le seul refuge ; celui-là même capable de préserver des tourmentes et des craintes. Il se livre à une multiplication des invocations par l’usage articulé des Asmâ al-Husnâ :  al-halîmu (Le Charitable, Le Clément), capable d’accorder sa Miséricorde aux vertueux comme aux plus fautifs et al-çabbûru, celui que ne peuvent point affecter ni pêchés ni les offenses, d’où, donc, sa capacité à les pardonner (fa anta halîmunçabbûru liman jafâ). Bref, une parfaite maîtrise aussi bien de la prosodie que de l’art d’agencer les termes porteurs de sens (al-ma’ânî), notamment lorsqu’il s’agit de rendre compte des états spirituels avec une fine technique et une rare pédagogie dont Cheikh El Hadji Malick Sy a le secret. 

Il revient, alors, sur ce parcours du « tawakkul » dans le long cheminement spirituel du soufi. Le point de départ de ce parcours est la conscience de l’unicité de l’issue comme du refuge sans lequel il n’est point d’échappatoire (mahrab » (fa lammâ badâ lî annahû laysa mahrabun, siwâ bâbika-l-hâmî madadtu yudayyatî ». 

Ce tawakkul est exprimé avec la manière des hommes du taçawwuf dont le principal viatique est la conscience intime de Dieu nourrie d’humilité. 

Etant, donc, certain de l’unicité de l’issue comme de l’échappatoire, Maodo ne fait qu’affirmer l’impuissance de la Créature devant le Créateur qui traduit le devoir et l’attitude de modestie. C’est pour cela qu’il eut recours à la figure de style du taçghîr (l’usage des diminutifs). Au lieu de dire « yadî », pour exprimer cette main tendue vers Le Tout Puissant en implorant sa magnanimité, Cheikh El Hadji Malick lui préfère son diminutif (yudayyatî», pour enchaîner par une suite de locutions et de termes affirmant la petitesse, l’insignifiance et l’extrême pauvreté (du’f, iftiqâr, fâqat, dzillat) par rapport à l’incarnation même de la Suffisance et de la Grandeur : Dieu. Il nous enseigne, là, que nous ne sommes que faiblesse et dénuement et ce, quel que soit le degré d’adoration et de dévotion. 

Il fait de l’imploration du pardon, un devoir constant. Maodo donne l’exemple en se préoccupant, non pas des seuls péchés « dzanb », mais des « simples » faux pas dont, le plus souvent, nous ne sommes même pas conscients « zallat » (li taghfira lî yâ rabbi min kulli zallatî). D’où ce recours à une énumération en crescendo de qualificatifs exprimant tout ce qui est en l’homme de méprisable (dzalîl) et de misérable « haqîr). 

Et c’est comme tel qu’il dit se présenter devant le Seigneur pour qu’il le délivre de toutes les adversités. Il veut nous enseigner, ici, que l’attitude d’orgueil, de suffisance et d’auto-satisfation n’est pas la meilleure pour une quelconque élévation spirituelle, mais aussi qu’on ne peut désespérer de la Miséricorde et la gratitude de Dieu (lâ taqnatû min rahmati-l-lâhi) sans toutefois tomber dans l’excès du Amn bi-mari-l-lâh ! 

La notion d’espoir « rajâ’ » peut être ainsi comprise dans la démarche de Maodo comme cela revient très souvent dans son œuvre. Ailleurs, dans une autre qasîda bien célèbre par le haut degré d’affirmation du principe de Tawhîd (unicité de Dieu) et du Zuhd (ascétisme et désintérêt du bas monde ), Cheikh El Hadji Malick Sy interpelle son Seigneur avec espoir en ces termes : « wa laysa birruka makhçûçan bi man hasunat hâlâtuhû… », (Ta bienfaisance n’est pas exclusivement réservée aux seuls bienfaisants ..). 

Dans falâ budda, précisément, il achève cette première partie marquée par une nette affirmation du Tawhîd et du Tawakkul (confiance en Dieu, abandon de soi à Dieu sans jamais se résigner) par rappeler le sens de l’invocation que lui donne la prédisposition de l’Invoqué à l’exaucer (Mujîbu). Cet aspect sembvle plus net dans la prière par lui composé et récité après la Wazîfa (…yâ man qâla ad’ûnî, inni da’awtuka dza khawfin fa khudz bi yadî/ yâ jâ’il al-hâli bayna-l-kâfi wa-n-nûni (c-à-d Kun)) 

Mais quel que soit son degré de spiritualité, l’aspirant ne peut se passer de la couverture de Celui qui est le seul à savoir toutes les dimensions apparentes ou secrètes de sa personnalité et de ses actes dans toute leur insuffisance par rapport aux exigences de pureté et à la gratitude de Dieu. Cheikh El Hadji Malick Sy attire l’attention sur ce fait primordial lorsqu’il lance cet appel (da’awtuka yâ sattâru fa-stur ma’îbatî). 

Dans une merveilleuse, transition avant d’entamer, la phase du Tawassul sur lequel nous reviendrons, il sollicite son Seigneur pour q’il l’aide à focaliser ses idées et ses pensées (khawâtir, sing. Khâtir ou khâtira) éternellement vers Lui. 

En fait, comme dans la prière, Cheikh El Hadji Malick Sy vise en cela, une orientation du cœur, une attitude intérieure qui réactualise constamment la prédisposition de l’âme du Mutaçawwif (adepte du soufisme) à la purification. Il nous rappelle cette manière dont on doit vider le cœur et la pensée de tout sauf du souvenir de Dieu : en arabe, le mot dzikr, exprime bel et bien cette idée de rappel, seul capable d’assurer la quiétude. 

Si l’on se réfère à Ibn Ajîba[4] qui cite Al-Tustarî, l’homme de Dieu est « celui qui est pur du trouble…celui pour qui l’or et la boue ont la même valeur ». C’est aisni qu’il faut comprendre la démarche du Zuhd (dëddu adduna, en wolof) dans l’esprit des premiers soufis qui s’appelaient aussi, eux-mêmes, faqîr ou fuqarâ au pluriel qui signifie « pauvres ». Il n’est guère de doute qu’un tel degré de spiritualité ne peut s’acquérir que par le Tawhîd vécu dans le soufisme, moins réducteur et plus spirituellement productif que celui seulement théorisé par ceux qui le combattent. Ainsi purifiés, l’âme et le cœur déterminent les harakât (agissements) et l’homme réalisé devient comme le dit Al-Junayd « comme la terre ; on y jette tout le rebut et il n’en sort que de bonnes choses ». Lorsque le réceptacle se débarrasse des impuretés le contenant n’en sera que plus pur. « La couleur de l’eau est celle de son récipient », rappelait, justement le même Al-Junayd, l’un des piliers du soufisme. 

En parcourant cette œuvre de Cheikh El Hadji Malick et tant d’autres, on se rend bien compte que les chemins de la félicité comme de la spiritualité sont parsemés d’épreuves et d’obstacles ; d’où le sens de la guidance spirituelle dont les plus grands hommes de Dieu ne se sont jamais passé. 

Sur ce chemin, les seules démarches personnelles ou rationnalisantes trouvent vite leur limite. Il leur manque l’autre versant que les soufis ont exprimé par la mahbba (l’Amour de Dieu et de son Prophète). Justement, sur le chemin de la connaissance, le Mutaçawwif ne se contente pas de la seule force de l’intellect. Pour emprunter l’heureuse expression de Javad Nurbakhsh, il doit faire le « pas de l’Amour » et s’aider de la « béquille de l’intellect » pour aller vers la Vérité (Dieu, al-Haqq), jusqu’au point de « lâcher également la béquille ». Il faudra s’en donner les moyens et c’est là où intervient tout le sens du Tawassul

On sait, la manière dont Cheikh El Hadji Malick traite cette question dans son œuvre où le Prophète occupe tout l’espace. Tel qu’il le présente dans le Khilâç-u-Dzahab « wa laysa lî ‘amalun alqâka yâ amalî ; siwa-l-mahhabbati wa-t-taslîmi wa-s-salami »,le Prophète devient, ainsi, le moyen (également wasîla en arabe !) et non la fin (Dieu) dans cette conception du Tawassul comme nous le verrons dans la suite de notre lacunaire tentative d’analyse de la qasîda, Falâ Budda(A suivre

*Institute for the Study of Muslim Civilisations 

Aga Khan University (International) in the United Kingdom – London 



[1] – Cet aspect est largement relaté par Serigne Alioune Guèye dans son dâliya, ces thrènes composées à la suite de la disparition de Cheikh El Hadji Malick Sy. Ce poème est connu sous le nom de Alâ Yawmuhu.

[2] – Edité et traduit par le Professeur Rawane Mbaye qui en a fait de même pour le Fakihatu-t-tullâb qui porte sur les enseignements de la Tijaniyya que Maodo a résumé dans un ouvrage versifié.

[3] – C’est le surnom qui est donné à Cheikh El Hadji Malick Sy exprimant l’idée du « patriarche », du guide.

[4] – voir l’ouvrage de Jean-Louis Michon : Le soufi marocain Ahmad Ibn ‘Ajiba et son Mi’râj, Paris, Vrin, 1973 avec en appendice un glossaire fouillé de la terminologie du soufisme.

LES NIASSENES DE KAOLACK ET LE RAYONNEMENT DE LA TIJANIYYA (Suite et fin)

Jeudi 15 janvier 2009

Les Nissenes de Kaolack et le rayonnement de la Tijaniyya (Suite et fin)

 Par Bakary SAMBE*

Après la disparition d’El Hadji Abdoulaye Niass en 1922, ses successeurs et ses enfants ont poursuivi les relations avec le Maroc et surtout la ville de Fès et ses Muqaddams. Ils participèrent, de ce fait, au renforcement des relations entre tijânis sénégalais et marocains de manière générale. Ainsi son fils aîné, Muhammad Niass, plus connu, par la suite, sous le nom de Khalifa Niass[1], se rendra une deuxième fois à Fès en 1924. Il reçut, comme son père, deux ijâza de Mahmûd et de Muhammad fils de Muhammad al-Bashîr fils de Sîdî Ahmed Tijânî, le fondateur de la Tijâniyya.

Khalifa Niass se présente comme un farouche défenseur de la Tijâniyya dans ses écrits. D’ailleurs, son ouvrage le plus connu est le Al-kibrît al ahmar fî madâ’ih al-qutb al-akbar, un grand recueil composé de 121 qasîda[2] pour un total de 3120 vers. Ce recueil est entièrement consacré à l’éloge de la Tarîqa, de son fondateur et de ses muqaddams les plus connus. Muhammad Khalifa Niass entretint de très bonnes relations avec Fès comme en attestent ses multiples correspondances. Elles s’adressaient, principalement, au Faqîh Cheikh Ahmad Sukayrij[3] et à l’historien ‘Abd al-Rahman ibn Zaydân.

Ces correspondances porteraient sur les échanges de manuels et de supports d’enseignements communs à l’école sénégalaise et marocaine et de la situation de la confrérie en Afrique de l’ouest et au Sénégal, en particulier. Un autre fils d’El Hadj Abdoulaye Niass, Ibrahima Niass, se consacrera à l’expansion de la Tijâniyya, non seulement au Sénégal, mais dans le reste de la sous-région ouest-africaine et même en Afrique centrale, moins islamisée. Il fut à la base d’un vaste mouvement d’expansion de la confrérie jusqu’au Nigeria, au Cameroun, en Guinée, au Ghana et même en Asie et aux Etats Unis[4]

En raison de sa grande culture littéraire, religieuse et même mystique selon ses disciples, Cheikh Ibrahima Niass était tellement influent dans les milieux tijânis que son aura gagnera très vite les grandes capitales religieuses arabes comme Fès.[5] Au regard du rayonnement international des Niass la Zâwiya-mère, a Fes,  avait toujours eu des liens avec Medina Baye. 

Cheikh El Hadji Abdoulaye Niass a visité plusieurs fois Fès, sans compter ses nombreux passages dans cette ville sur la route du pèlerinage à La Mecque ou lors des fréquents déplacements dans le monde arabe en général. Il semblerait qu’il faisait de la capitale religieuse et intellectuelle du Maroc un passage obligé à chaque déplacement à l’étranger[6]. Cheikh Abdoulaye Niass, à force de se rendre au Maroc, avait l’occasion de visiter d’autres villes où se sont éparpillés différents Muqaddams de la confrérie Tijâniyya. 

Ainsi, en plus de Fès où il rencontra Sayyid Tayyib, petit-fils de Tayyib al-Sufyânî, et Muhammad Barrâdah[7], il se rendra Sefrou, Tanger et Settat[8]. Son séjour dans cette dernière ville eut un grand retentissement et revêtit un caractère spécial au regard de ses relations amicales avec Cheikh Ahmed Sukayrij. 

Médina Baye et la Zawiya de Kaolack ont beaucoup participé au rayonnement de la Tijaniyya notamment dans le monde arabe, en Afrique anglophone et surtout aux Etats-Unis avec le travail colossal fait par le regretté Imam Assane Cissé qui, sa vie durant, était un véritable ambassadeur de la Tarîqa Tijaniyya à travers le monde. 

 * Institute for the Study of Muslim Civilisations

Aga Khan University – Londres bakary.sambe@aku.edu



[1] – Il succéda à son père à la tête de la zâwiya de Kaolack en 1922.

[2] – ode d’une certaine longuer en arabe.

[3] – le fils de ce faqîh que nous avons rencontré à Casablanca en avril 2002, nous a confirmé par des correspondances la visite du moqaddam sénégalais ainsi que l’échanges de cadeaux symboliques tels que des livres et écrits divers sur la confréries Tijâniyya.

[4] – Un de ses petits enfants nommé Assane Cissé était parti étudier aux USA. Il y s’installera définitivement et eut beaucoup d’adeptes parmi la population (noire et blanche). Il servit alors de lien entre ces adeptes de la Tijâniyya en Amérique et la Zâwiya des Niass, à Kaolack. Nombreux sont d’ailleurs les jeunes américains qui viennent séjourner pendant longtemps au Sénégal pour y recevoir l’enseignement religieux auprès des cheikh de la Tijâniyya de Kaolack. Ces cheikhs, en collaboration avec l’université Al Azhar envoient beaucoup d’étudiants originaires du Nigeria, étudier au Caire. Il finissent par acquérir la nationalité sénégalaise parce qu’adoptés par les marabouts Niassène.

[5] – Rappelons qu’il sea nommé vice-président du Conseil Mondial islamique, un des ancêtres de l’OCI (Organisation de la Conférence Islamique).

[6] – Ceci est-il fruit d’une simple légende non sans fondements quelquefois historique assez répandue au Maroc comme quoi les sénégalais commencent toujours par la visite de Fès et du mausolée de Sîdî Ahmed ijâni avant de se rendre à La Mecque ? Des témoignages soutiennent qu’il fit un détour à Fès lors d’un voyage en Chine où il aurait des adeptes qu’il aurait initiés à la Tijâniyya.

[7] – Il est le petit fils de Sîdî ‘Alî Harâzim Barrâdah, le premier moqaddam et calife de Sîdî Ahmed Tijânî, fondateur de la Tijâniyya. Nous avons rencontré, lors de notre visite du mausolée de Sîdî Ahmed à Fès, un personnage nommé Ahmad Barrâdah, se présentant comme son arrière petit fils et qui nous a témoigné de ces passages de chefs religieux sénégalais, encore aujourd’hui, dans leur maison familiale.

[8] – probablement chez le muqaddam Sukayrij devenu cadi de cette ville.

50eme ANNIVERSAIRE GAMOU LOUGA SEYDI DJAMIL

Dimanche 11 janvier 2009

Vous pouvez suivre les celebrations du 50eme Anniversaire du Gamou de Louga de Seydi Djamil sur ce lien : www.gamoulouga.net

 

 

IMAGES DU FORUM NATIONAL SUR LA TIJANIYYA -PREMIERE EDITION LYON 2005

Mardi 6 janvier 2009

IMAGES DU FORUM NATIONAL SUR LA TIJANIYYA -PREMIERE EDITION LYON 2005

En fevrier 2005, eut lieu la 1ere Edition du Forum National sur la tijaniyya en France.

voici quelques images memorables de ces intenses moments spirituels sur le lien ci-dessous :

 http://www.dailymotion.com/channel/music/video/x4dy9b_taissr-forum-lyon_music?from=rss

 

 

 

Cheikh El Hadji Malick Sy ou l’islamisation décentralisée

Lundi 5 janvier 2009

photoelhadjimalick.jpgCheikh El Hadji Malick Sy ou l’islamisation décentralisée

                                                                                                                                                                  Par Bakary SAMBE*

Il est né vers 1855, à Gaya (dans le Walo, région du fleuve Sénégal), memorisa le coran avant d’assimiler les savoirs islamiques et d’être initié au wird de la Tarîqa Tijâniyya dès l’âge de 18 ans. Nous voulons, ainsi, nous intéresser à la manière dont Seydi El Hadji Malick Sy a su déjouer le plan d’assimilation culturelle mis sur pied par la colonisation française tout en préservant la paix sociale, le dynamisme propre à l’esprit de l’islam ainsi que les enseignements fondamentaux de la confrérie Tijâniyya. La colonisation a eu d’énormes conséquences sur le plan social et politique. De la traite négrière à la conquête coloniale, on ne peut douter des bouleversements qui ont secoué la société sénégalaise et de leurs incidences sur son système de valeurs. D’autres parlent sans nuances, des conséquences nuisibles qu’a produites la rencontre entre des sociétés anté-capitalistes (l’expression est d’Aimé Césaire) avec l’expression la plus brute d’une mentalité de profit : le colonialisme. Le tissu social aura du mal à se remettre de la destructuration brutale de la société et de ses modes d’organisation. L’ « ordre colonial » qui, pour l’indigène était synonyme d’exploitation, de travail forcé, ne permettait plus à la société dominée de suivre une évolution tenant compte de ses réalités et spécificités. 

  L’Administration française, bien que continuant son oeuvre de pacification de l’intérieur du pays, s’attachait plus aux villes : centres économiques et culturels vitaux. Ainsi, les centres urbains demeuraient un véritable enjeu pour l’Empire colonial. Dans le cadre de sa résistance « passive et culturelle », El Hadj Malick Sy aura d’ailleurs compris cette stratégie et s’intéressera aux villes où la Tijâniyya compte, encore aujourd’hui, la majorité de ses disciples. Comme le soutient Iba Der Thiam, la colonisation est à la fois « une entreprise d’occupation territoriale, de domination politique et d’aliénation culturelle »[1]. C’est cette dernière forme qui focalisera l’attention des marabouts soufis tel qu’El Hadj Malick Sy. Le cheikh n’aura pas la tâche facile car la société urbaine à laquelle il s’adressa, était depuis plusieurs décennies traversée par de très profondes crises. Reprenons à ce propos la description qu’en fait Rawane Mbaye [2]en ces termes : « Cette société était éclatée, désarticulée, rongée qu’elle était par le virus de la méfiance et parce que la solidarité du groupe avait peu à peu volé en éclats, l’individualisme y faisait une apparition de plus en plus marquée ». Rawane Mbaye poursuit en attribuant cet état de crise à tous ces maux qu’il énumère : « avec le travail forcé, l’indigénat et son régime de sanctions  disciplinaires, les chefs de cantons et les commandants de cercles, vivant d’abus du pouvoir et d’autoritarisme gratuit, avec l’impôt et la circonscription militaire et l’introduction de valeurs, de normes de vie, de règles de droit et d’une langue étrangère, les populations violentées, terrorisées, insécurisées, avaient fini par perdre tout sens de l’initiative, toute volonté de concevoir des structures, de tout envie d’imaginer des projets d’avenir ». Ce tableau sombre que nous dresse ici l’islamologue sénégalais, rend suffisamment compte du degré qu’avait atteint le malaise social. Chaque fois qu’une société est confrontée à de tels maux, dépassée face une situation donnée, elle cherche soit à combattre le mal ou recevoir un palliatif en s’identifiant à une doctrine, une religion, un saint homme d’où l’idée weberienne de domination charismatique considérée comme transitoire et passagère. On pourrait penser à de multiples exemples dans le monde musulman avec le phénomène mahdiste. 

Dans ce contexte, la vertu héroïque et la valeur exemplaire du guide ; le marabout, redonne de l’espoir et crée une autre dynamique. Rawane Mbaye nous dit à ce propos qu’ : « à tous les naufragés de ce monde en mutation d’identité où l’arbitraire régnait en maître absolu, la religion apparut comme le seul espoir de salut ». L’identité collective du groupe persécuté, on l’a vu, s’est confondue avec la religion musulmane. Dans ce contexte sénégalais, cette identité trouvera en la confrérie Tijâniyya un cadre d’expression plus que propice. Ces structures multiformes qui s’adaptent à plusieurs situations sont ainsi considérées, dans une belle métaphore, par le marabout Cheikh Ahmed Tidiane Sy comme « les clubs mystiques où se forment continuellement les athlètes de la religion ». Cheikh El Hadj Malick Sy s’est appuyé sur la Tijâniyya, dont il était la principale figure sénégalaise, en son temps, pour remplir cette fonction. Il a fait de la pratique de l’islam et de la vie confrérique la base de sa résistance « passive » visant à redynamiser cette société à laquelle plusieurs décennies de colonisation avaient, comme le dit Césaire[3], « savamment inculqué la peur, le complexe d’infériorité et l’agenouillement ». La notion de résistance passive ou par la religion a, certes, de quoi surprendre en Occident, mais El Hadj Malick Sy semble avoir réussi cette mission en inscrivant la pratique religieuse dans une perspective sociale et socialisante. Autrement dit, il a su développer une conception « positive » de la religion au sens où l’entend Auguste Comte. Comme tout « prophète », il s’attaque aux maux de la société qui ont noms souffrance et injustice auxquels il opposera un message de paix et d’amour. Il instaurera, dans le cadre de sa confrérie un autre ordre fondé, sur les « valeurs de justice, d’égalité, de protection des faibles, des veuves, des étrangers, des orphelins, du respect du bien et de la propriété de chacun. »[4]  Pour ce faire El Hadj Malick Sy vulgarisera l’enseignement islamique dans de nombreux « foyers ardents[5] » accueillant des disciples de toutes les régions du pays. L’originalité de ce soufi, fut son refus de s’attirer des disciples en accomplissant des « miracles ». La tradition orale lui attribue cette phrase : « Il n’y a rien de plus laid pour un homme de Dieu de se transformer en thaumaturge pour convaincre et séduire ». Il s’installa à Tivaouane qui devient, alors, à l’instar de Pire Goureye[6] au siècle précédent, un rayonnant centre de la culture islamique. La stratégie d’El Hadj Malick Sy consista à enseigner, d’abord, les savoirs encadrant les pratiques islamiques (‘ibâdât) aux taalibés[7] avant de s’attaquer à la mystique, comme phase supérieure à condition que le disciple maîtrise les notions de base. Dans cette école, le Cheikh formait ses disciples qui allaient devenir les grands muqaddam de la tarîqa. Le contrôle strict qu’exerçait l’Administration sur les structures religieuses a certainement obligé le marabout à adopter un système de décentralisation. Au lieu d’agrandir son école de Tivavoane, cette « université populaire » dont parlait Paul Marty- ce qui pouvait lui attirer des ennuis de la part des autorités coloniales -, El Hadj Malick a préféré renvoyer, dans leurs régions d’origine, ses anciens disciples. Ces derniers étaient suffisamment versés en matière religieuse et pouvaient par les enseignements de la tarîqa qu’ils incarnaient, représenter chez eux, le cheikh et la Tarîqa Tijâniyya et en prolonger l’action. La revue égyptienne Al-Azhar, dans une présentation d’El Hadj Malick Sy et de son oeuvre soutient que « grâce à lui, l’Islam a connu son épanouissement dans ce pays [Sénégal] en créant des écoles, des mosquées, des zâwiya, et, poursuit la revue, il a aussi formé de brillants érudits qui se sont éparpillés dans tous les coins du pays telle l’expansion de la lumière dans l’obscurité. »[8] Le cheikh, comme pour contrecarrer la politique d’assimilation menée par les colons, chargera à des muqaddam, de représenter la tarîqa partout où il l’estimait nécessaire. Ainsi, il envoya son ancien disciple Serigne Alioune Diop Maïmouna à Gaya[9], Serigne Birahim Diop à Saint-Louis, l’un des fleurons de la colonisation française en Afrique Occidentale. El Hadj Abdou Kane sera détaché à Kaolack, en plein centre du bassin arachidier sénégalais (centre-ouest du pays) Réalisant que ses déplacements, dans l’AOF pourrait réveiller la suspicion du Gouvernement Général français, un nommé El Hadj Malick préféra, envoyer, après leur formation, ses disciples dans plusieurs pays de la sous-région : El Hadj Amadou Bouya le représentera en Côte d’Ivoire, El Hadj Madior Diongue au Congo, Serigne Ndary Mbaye au Gabon, El Hadj Babacar Dieng en Centrafrique et El Hadj Abdou Ndiaye à Bamako. Selon le porte-parole de la famille Sy, Serigne Abdou Azîz, « Maodo[10] avait envoyé tous ses ténors de la Tijâniyya en leur demandant d’aller faire un sacrifice en continuant son oeuvre d’éducation spirituelle »[11] En somme, il développa toute une stratégie d’islamisation décentralisée sans mouvements et déplacements qui seraient suspects aux yeux de l’Administration française. 

El Hadj Malick a su donner beaucoup d’importance à ce côté spirituel, mystique, qui aurait facilité l’acceptation de l’Islam dans cette région d’Afrique. La religion telle qu’il l’a enseignée n’est pas extérieure à la vie sociale, mieux, elle la « contrôle » et se manifeste en même temps dans tous ses secteurs (tels que le travail et les relations humaines). C’est pourquoi, il serait difficile, voire impossible d’analyser le rapport au religieux de ces sociétés à partir de schèmes spécifiquement occidentaux. Mouhamed Arkoun voit le succès de l’islam dans cette harmonie qu’il a essayé de sauvegarder partout où il s’est implanté. Il soutient à ce sujet : « La croissance des sociétés musulmanes durant les siècles d’épanouissement de la civilisation musulmane ; et l’on peut dire que cette croissance a été harmonieuse dans la mesure où l’intervention du message religieux – de ce que j’ai appelé le noyau métaphysique – a été telle que la croissance économique n’a jamais pris le dessus, comme cela aura lieu dans la période moderne de l’Occident. Elle toujours été contrôlée par une pensée que l’on peut qualifier de religieuse dans la mesure où la pensée théologique, en particulier, a été constamment très forte et très présente dans la société au point d’assurer une sorte de contrôle de toutes les activités de l’existence socio-historique »[12]C’est ce même facteur qui a facilité le travail du Cheikh El Hadji Malick lorsqu’il s’est servi de la religion musulmane et de sa dimension spirituelle pour contrecarrer un des piliers de la politique coloniale française : l’assimilation de l’indigène. Aujourd’hui, bien que le français soit la langue officielle du pays, les représentants de l’Etat post-colonial, sont obligés de s’adresser au public en wolof surtout lors des grandes manifestations religieuses organisées par les confréries. Les marques de la colonisation semblent se limiter aux structures officielles de l’ « Etat importé ». En tout cas, on est très loin d’une situation semblable à celle de l’Algérie où la francisation était visible et apparaissait même sur le plan toponymique. Au Sénégal, surtout dans les régions à forte implantation confrérique, on a plutôt constaté une islamisation des noms des villages et des quartiers. El Hadji Malick est parvenu à lutter contre l’assimilation à grande échelle quitte, parfois, à favoriser l’arabisation ou l’islamisation au détriment du modèle qu’avait voulu imposer l’occupant. C’est pour cela, il symbolise cette résistance passive à la colonisation française par le biais de l’islam soufi et de ses confréries. On retient dans la tradition orale qu’entre le Palais du Gouverneur colonial et la Cathedrale, il a pu pacifiquement construire la Zawiya. 

*bakary.sambe@aku.edu

Research Fellow, Institute for the Study of Muslim Civilisations -Aga Khan University (International) in the United Kingdom, London


[1] Iba Der THIAM. L’évolution politique et syndicale du Sénégal de 1836 à 1936. Thèse d’Etat Sorbonne 1983, 9 tomes

[2] Mbaye El Hadj Rawane:La pensée d’El Hadj Malick Sy : un pôle d’attraction entre la sharî‘a et la tarîqa. Thèse d’Etat Lettres Paris 3 Nouvelle Sorbonne 1993 p141.

[3] – voir son Discours sur le colonialisme.

[4] R. Mbaye: ibid p142.

[5] – l’expression est de Cheikh Hamidou Kane, utilisée dans son roman pour désigner les écoles coraniques »

[6] – Aujourd’hui, petite localité à une vingtaine de km de Tivaoauane au centre ouest du Sénégal..

[7] – Mot wolof désignant les disciples d’un cheikh, de l’arabe tâlib (étudiant, élève)

[8] Revue Al-Azhar Juin 95 C’est nous qui traduisons.

[9] – sa ville natale au nord du Sénégal.

[10] – surnom d’El hadji Malick qui veut dire « patriarche » en Peul.

[11] Appel de Tivaouane.

[12] M. Arkoun : Communauté musulmane : données et débat. PUF 1978 p104.