LES NIASSENES DE KAOLACK ET LE RAYONNEMENT DE LA TIJANIYYA (Suite et fin)

Les Nissenes de Kaolack et le rayonnement de la Tijaniyya (Suite et fin)

 Par Bakary SAMBE*

Après la disparition d’El Hadji Abdoulaye Niass en 1922, ses successeurs et ses enfants ont poursuivi les relations avec le Maroc et surtout la ville de Fès et ses Muqaddams. Ils participèrent, de ce fait, au renforcement des relations entre tijânis sénégalais et marocains de manière générale. Ainsi son fils aîné, Muhammad Niass, plus connu, par la suite, sous le nom de Khalifa Niass[1], se rendra une deuxième fois à Fès en 1924. Il reçut, comme son père, deux ijâza de Mahmûd et de Muhammad fils de Muhammad al-Bashîr fils de Sîdî Ahmed Tijânî, le fondateur de la Tijâniyya.

Khalifa Niass se présente comme un farouche défenseur de la Tijâniyya dans ses écrits. D’ailleurs, son ouvrage le plus connu est le Al-kibrît al ahmar fî madâ’ih al-qutb al-akbar, un grand recueil composé de 121 qasîda[2] pour un total de 3120 vers. Ce recueil est entièrement consacré à l’éloge de la Tarîqa, de son fondateur et de ses muqaddams les plus connus. Muhammad Khalifa Niass entretint de très bonnes relations avec Fès comme en attestent ses multiples correspondances. Elles s’adressaient, principalement, au Faqîh Cheikh Ahmad Sukayrij[3] et à l’historien ‘Abd al-Rahman ibn Zaydân.

Ces correspondances porteraient sur les échanges de manuels et de supports d’enseignements communs à l’école sénégalaise et marocaine et de la situation de la confrérie en Afrique de l’ouest et au Sénégal, en particulier. Un autre fils d’El Hadj Abdoulaye Niass, Ibrahima Niass, se consacrera à l’expansion de la Tijâniyya, non seulement au Sénégal, mais dans le reste de la sous-région ouest-africaine et même en Afrique centrale, moins islamisée. Il fut à la base d’un vaste mouvement d’expansion de la confrérie jusqu’au Nigeria, au Cameroun, en Guinée, au Ghana et même en Asie et aux Etats Unis[4]

En raison de sa grande culture littéraire, religieuse et même mystique selon ses disciples, Cheikh Ibrahima Niass était tellement influent dans les milieux tijânis que son aura gagnera très vite les grandes capitales religieuses arabes comme Fès.[5] Au regard du rayonnement international des Niass la Zâwiya-mère, a Fes,  avait toujours eu des liens avec Medina Baye. 

Cheikh El Hadji Abdoulaye Niass a visité plusieurs fois Fès, sans compter ses nombreux passages dans cette ville sur la route du pèlerinage à La Mecque ou lors des fréquents déplacements dans le monde arabe en général. Il semblerait qu’il faisait de la capitale religieuse et intellectuelle du Maroc un passage obligé à chaque déplacement à l’étranger[6]. Cheikh Abdoulaye Niass, à force de se rendre au Maroc, avait l’occasion de visiter d’autres villes où se sont éparpillés différents Muqaddams de la confrérie Tijâniyya. 

Ainsi, en plus de Fès où il rencontra Sayyid Tayyib, petit-fils de Tayyib al-Sufyânî, et Muhammad Barrâdah[7], il se rendra Sefrou, Tanger et Settat[8]. Son séjour dans cette dernière ville eut un grand retentissement et revêtit un caractère spécial au regard de ses relations amicales avec Cheikh Ahmed Sukayrij. 

Médina Baye et la Zawiya de Kaolack ont beaucoup participé au rayonnement de la Tijaniyya notamment dans le monde arabe, en Afrique anglophone et surtout aux Etats-Unis avec le travail colossal fait par le regretté Imam Assane Cissé qui, sa vie durant, était un véritable ambassadeur de la Tarîqa Tijaniyya à travers le monde. 

 * Institute for the Study of Muslim Civilisations

Aga Khan University – Londres bakary.sambe@aku.edu



[1] – Il succéda à son père à la tête de la zâwiya de Kaolack en 1922.

[2] – ode d’une certaine longuer en arabe.

[3] – le fils de ce faqîh que nous avons rencontré à Casablanca en avril 2002, nous a confirmé par des correspondances la visite du moqaddam sénégalais ainsi que l’échanges de cadeaux symboliques tels que des livres et écrits divers sur la confréries Tijâniyya.

[4] – Un de ses petits enfants nommé Assane Cissé était parti étudier aux USA. Il y s’installera définitivement et eut beaucoup d’adeptes parmi la population (noire et blanche). Il servit alors de lien entre ces adeptes de la Tijâniyya en Amérique et la Zâwiya des Niass, à Kaolack. Nombreux sont d’ailleurs les jeunes américains qui viennent séjourner pendant longtemps au Sénégal pour y recevoir l’enseignement religieux auprès des cheikh de la Tijâniyya de Kaolack. Ces cheikhs, en collaboration avec l’université Al Azhar envoient beaucoup d’étudiants originaires du Nigeria, étudier au Caire. Il finissent par acquérir la nationalité sénégalaise parce qu’adoptés par les marabouts Niassène.

[5] – Rappelons qu’il sea nommé vice-président du Conseil Mondial islamique, un des ancêtres de l’OCI (Organisation de la Conférence Islamique).

[6] – Ceci est-il fruit d’une simple légende non sans fondements quelquefois historique assez répandue au Maroc comme quoi les sénégalais commencent toujours par la visite de Fès et du mausolée de Sîdî Ahmed ijâni avant de se rendre à La Mecque ? Des témoignages soutiennent qu’il fit un détour à Fès lors d’un voyage en Chine où il aurait des adeptes qu’il aurait initiés à la Tijâniyya.

[7] – Il est le petit fils de Sîdî ‘Alî Harâzim Barrâdah, le premier moqaddam et calife de Sîdî Ahmed Tijânî, fondateur de la Tijâniyya. Nous avons rencontré, lors de notre visite du mausolée de Sîdî Ahmed à Fès, un personnage nommé Ahmad Barrâdah, se présentant comme son arrière petit fils et qui nous a témoigné de ces passages de chefs religieux sénégalais, encore aujourd’hui, dans leur maison familiale.

[8] – probablement chez le muqaddam Sukayrij devenu cadi de cette ville.

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