Archive pour mars 2009

QUI CRIAIT OU EST LE PEUPLE ?

Vendredi 27 mars 2009

urnes.jpgCARNETS DE CAMPAGNES…….MARS 2007

QUI CRIAIT « OU EST LE PEUPLE » ? Leçons d’un autre Mars !

Il est toujours présent, digne, épris de liberté et de justice…. mais attendait des leaders qui ouvrent la voie…..

Nous voudrions partager ces réflexions sur la situation d’avant le boycott malheureux des dernières législatives au Sénégal. Je faisais partie de ceux qui avaient parié sur le fait que le peuple et la justice auront toujours le denier mot …..tant que nous serons en démocratie….

Extraits  :

Dure la vie !!! ..en attendant le réveil !

« La vie quotidienne des Sénégalais est de plus en plus difficile et le sort qui leur est réservé plus qu’insupportable face à la gabegie, l’étalage de richesses ostentatoires du régime et de ses clients politiques et religieux. Le citoyen n’en peut plus ! Son impression de dégoût suite aux débouchages à haut débit des égouts de la « République » a tendance à céder la place à la résignation et au désarroi. Le régime d’Abdoulaye Wade et ses inconditionnels n’en demandaient pas plus. Ils jouent sur les nerfs quitte à abuser de celui de la sale guerre qu’ils mènent contre les fondements même de l’éthique et de la morale.

Crise socio-politique

« Ce régime, non content d’avoir échoué lorsque toutes les cartes étaient en main, a donné un coup mortel à l’ensemble des valeurs qui firent l’homo senegalinsis avec sa dignité, sa foi en l’honneur….aujourd’hui rangées aux oubliettes sacrifiées sur l’autel de l’intérêt immédiat et personnel. Nos compatriotes ont-ils rompu aujourd’hui d’avec la prédisposition d’esprit qui crée la conscience citoyenne selon laquelle, la roue de l’histoire doit tourner et que rien en ce bas monde n’est éternel sinon la volonté de se débarrasser des despotes et l’aspiration à la justice sociale ? Ce serait le symptôme le plus visible de notre profonde crise socio-politique. »

le peuple n’était pas absent mais se sentait abandonné :

« Comment, alors, devant un tel état des faits, les partisans du boycott pourront justifier leur choix lourd de conséquences ? Sont-ils encore assommés par la défaite de février 2007 dont ils doivent partager la responsabilité ? Ou bien dans leur désespoir, veulent-ils comme le firent les Athéniens face à Sparte traverser le fleuve à pieds jusqu’à entraîner encore une fois tout le peuple dans leur noyade ? Face à cette tempête, la dignité veut qu’on sache rester debout ! Relativiser les faits politiques et la réalité qu’ils engendrent sachant qu’ils n’ont jamais de taille absolue. Si ceux qui doivent être à l’avant-garde du combat contre la résignation devant l’absolutisme se mettent en tête dans la fuite vers l’abdication, de quel Sénégal est-il encore permis de rêver ! Le combat est tout autre.

Il y avait urgence à réveiller l’esprit citoyen et occuper le terrain : le devoir d’une élite

« Il s’agit de former l’esprit citoyen et de faire que celui-ci devienne conscient. Abdoulaye Wade, dans toutes ses manœuvres de destructuration du Sénégal et de la société sénégalaise qu’il veut modeler et dominer s’appuie sur cette carence de conscience du citoyen qu’il croit dupe et les yeux fermés. On ne peut pas le contrecarrer en le laissant seul sur le terrain. Les partis politiques et les élites intellectuelles doivent s’atteler à cette tâche car l’heure est grave. Il serait suicidaire pour notre idéal démocratique de laisser nos compatriotes avancer la nuque tendue vers le sillon. Avancer la tête haute dans ce combat que tout veut nous montrer comme perdu d’avance n’est certes pas aisée. Mais c’est en restant conscient du devoir qui est le sien que notre élite intellectuelle et politique pourrait se rendre compte de l’immense horizon des possibilités. Même lorsqu’on sait que rien n’est simple, il ne faut jamais admettre que les jeux soient toujours déjà faits.

 Il fallait que cette éruption sociale accouche enfin… du CITOYEN

« Le chantier politique le plus urgent est de rendre possible l’émergence de ce citoyen conscient qui sera apte à choisir et juger, il ne faut donc ni l’abandonner ni le mépriser. Il faudrait savoir mesurer la précarité de cette victoire d’Abdoulaye Wdae à la présidentielle de février construite sur l’endormissement massif, la manipulation des symboles religieux et l’usage des deniers publics pour acheter la conscience de ceux qu’on a affamés et privés. L’incertitude de la méthode en expliquait d’ailleurs l’abus. »

 Ne pas céder, assumer et démystifier les modes de confiscation du pouvoir

« Elle doit nous édifier sur les limites d’un tel mode de confiscation et de conservation du pouvoir politique. Le rôle d’une opposition ce n’est de lever le camp aux premiers signaux d’une défaite qui devait malgré tout la galvaniser, tellement la cause est noble ! Il est une satisfaction qui n’est pas des moindres : celle du devoir accompli et de la dignité sauvegardée. Les hommes politiques qui devront nous tirer d’affaires ne sont pas ceux-là qui après la défaite veulent tuer le combat politique. Il faudrait donner sa chance à une nouvelle génération, ces jeunes qui assument leurs desseins d’opposants malgré la petitesse ou l’absence même de moyens, quelques fois au péril de leur vie, si nous ne voulons pas éternellement et douloureusement ruminer notre passé. L’homme politique comme le citoyen conscient de la force de sa volonté ne doit pas se laisser abattre par la défaite. Il doit savoir dire non lorsque plus rien n’est en son pouvoir. S’il souffre dans l’impuissance face aux plus difficiles des situations, ce doit être avec noblesse. « 

« Quoi qu’on spolie un peuple, qu’on essaye de le dénaturer, de le corrompre pour l’asservir, on ne pourra jamais l’empêcher de conserver l’espoir et la dignité. L’opposition qui boycotte doit avoir l’honnêteté d’assumer ses responsabilités et d’avouer sa mauvaise stratégie. Elle n’a point le droit de vouloir empêcher les citoyens de s’exprimer par la voie des urnes qui reste l’une des rares possibilités non encore verrouillées ».

Une nouvelle ère qui s’ouvre ? Sûrement de nouvelles responsabilités pour les victorieux de mars 2009 !

Morocco -Sahara issue: Autonomy project, an initiative that brings hope (expert)

Lundi 23 mars 2009

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 Sahara issue: Autonomy project, an initiative that brings hope (expert) 

Source: Maghreb Arab Press (MAP) 

LONDON 27/1/2009

The project of autonomy presented by Morocco to settle the Sahara issue is an « initiative that brings hope » emanating from « real commitment » of Morocco for a final political solution to a long conflict that has undermined geostrategic and political stability and the unity of the Maghreb and the African continent, » said Bakary Sambe, expert in international politics and Arab-African relations.  

M. Sambe, who is also a researcher at the Institute of Studies on Muslim Civilizations in London, noted in an analysis, that by suggesting the proposed autonomy, hailed by the major powers, Morocco « has carried out major step which illustrates its strong interest for political solutions of conflicts in Africa. «  He says that the project represents a positive response that Morocco brings to the call of the Security Council since 2004 to « continue to cooperate fully with the United Nations to end the current stalemate and move towards a political solution. »

Morocco has thus entered into a positive and constructive momentum by taking the commitment to establish an autonomy statute for the Sahara region, said the researcher, adding that the kingdom « is trying to give this region its place and greater responsibility in the country’s construction process at the economic, social and political aspects without discrimination or exclusion. »  This initiative aims to create the conditions for a process of dialogue and negotiation which should result in a political and peaceful solution that is accepted by all parties, he added. 

« In this initiative, Rabat has made clear it would not exclude any party, the most important being to resolve a conflict that hinders the construction of the Greater Maghreb to meet the major challenges of globalization, » says Sambe, stressing that the fact of writing a new page in the history of the should through a demonstration of goodwill by grabbing this opportunity.  »In this sense, the Moroccan authorities seem to engage in serious and constructive negotiations with the aim of creating a new climate of confidence, » added the researcher saying that the project clearly expresses Morocco’s commitment to cooperate with the Secretary General of the United Nations and its special envoy.   

The researcher explains that « while developing the project, emphasis was placed on the development of organs used for genuine self-development tools for a region with real potentialities and human resources of great value. » « As part of a logical approach excluding discrimination and exclusion, the project is guided by a spirit of openness but also ensures transparency in the management of autonomy », underlines the expert, noting that the proposed autonomy ensures greater involvement of this region in cases of national interest to ensure broad participation in economic and social development of the country. 

He also notes that « the statements made by the Special Envoy of UN Secretary-General for the Sahara, imply the involvement of foreign countries, including Algeria, have helped to better understand the geo-strategic conflict hindering, very often, progress towards a negotiated and mutually agreed solution ».  »If the Moroccan initiative aims to seek a political solution and a happy ending, it must be stressed that the negotiations cannot be complete and meaningful without the participation of all parties, » the researcher added, calling on these same parties to be animated by political will similar to that of Morocco. 

The researcher stressed, on the other hand, that « this new era opened by the development of a project fostered a spirit of conciliation and diplomacy still actively engaged in seeking political solutions offers a rare opportunity for all parties aware of the need for peace and stability in the Maghreb and Africa « . « This active contribution to the establishment of a climate of confidence, if appreciated by the other parties, could be a guarantee for success, » added the researcher. « The task of explaining (the project) is necessary in view of the importance of the resolution of the conflict for the desirable return of Morocco in the African family and on the international scene », he said. 

Referring to the positive feedback generated at the international level by the Moroccan initiative, Mr. Sambe recalls the position of the former Personal Envoy of the UN, Peter Van Walsum, who called the independence Sahara as « unrealistic » and those of Arab countries, the United States and France which supported the territorial integrity of Morocco.   

« Given the position of Morocco in Africa, conflict resolution would allow its return to the great African family allowing it to play its role both economically and in terms of leadership, » said the researcher, stressing that  » Morocco, which differs from its North African neighbors with a strong African involvement, has an incomparable advantage of leadership in Africa compared to its neighbors. «  He mentioned, in this sense, the active participation of Morocco in the process of building African Unity, in particular within the group called Casablanca. 

Source: MAP 

FORUM NATIONAL SUR LA TIJANIYYA : En route vers Grenoble 2009

Lundi 23 mars 2009

Forum National sur la Tijaniyya en France 

En route vers Grenoble 2009 !

   Par le Comité de Pilotage 2009 

Les Tijanes de France, dans leur diversité et par le biais des différentes dâ’iras et Hadra-s, ont mis en place, depuis bientôt cinq ans un cadre de concertation autour de projets communs afin de perpétuer et de vulgariser les enseignements de la Tarîqa Tijâniyya dans l’Hexagone. 

Conscients de l’héritage de la Tijaniyya et de sa place dans les débuts de l’implantation de l’Islam en France de la première guerre mondiale à la période de l’installation massive de Tijânis par le biais de l’immigration de travail et d’études, ils ont voulu réaffirmer cette réalité historique qu’on tend très souvent à négliger.

La cérémonie de la  pose de la première pierre de la Grande mosquée de Paris dans l’entre-deux-guerres a été rehaussée par la présence de El Hadji Abdou Hamid Kane, venu y représenter Seydi El Hadji Malick Sy et de Cheikh Ahmed Soukayrij le grand Muqaddam, auteur du Kashful Hijab

Paris a été un grand centre de la présence tijanie en Europe comme en témoigne à chacune des rencontres, un Moqaddam algérien qui se souvient des séances de Wazifa à la Grande mosquée de Paris dans lesquelles il se souvient, entre autres, de la présence régulière du regretté Président Mamadou Dia. Lors de la visite du Khalif Général, Serigne Mansour Sy à Paris en 2008, les jeunes Tijanes de Paris faisaient revivre cette tradition en allant accomplir ce pilier de la Tarîqa auprès de lui avec beaucoup d’engouement et de ferveur. 

Rares sont les villes où on ne trouve pas un endroit où les Tijanes sacrifient à la tradition de la Hadratoul Juma’a. Les dâ’iras tijanes sont partout présentes et ont toujours l’honneur d’accueillir la visite de cheikhs et de Muqaddams dans les différentes villes. 

Cette dynamique a été ravivée par l’idée de lancer un Forum National sur la Tijaniyya qui se tient annuellement en regroupant les jeunes Tijanes et leurs aînés autour de différentes thématiques ayant trait à leur vie spirituelle mais aussi aux enjeux du monde contemporain. Saisissant parfaitement cet aspect de la Tijaniyya qui veut qu’elle soit la voie de la conciliation entre une intense vie spirituelle et une conscience des exigences de la vie quotidienne dans laquelle ils doivent aussi exceller, les jeunes de France s’organisent pour refaire vivre cette fierté d’y appartenir.

Les différentes thématiques développées jusqu’ici vont de la nécessité d’une compréhension de la Tarîqa et de ses enseignements à l’importance de l’éducation et de la vie spirituelles. 

La première Edition du Forum National de la Tijaniyya a eu lieu en février 2005 à la Grande Mosquée de Lyon, avec une forte participation des Hadra-s de Marseille, de Paris et de Grenoble sans compter de nombreuses individualités venues de tous les coins de la France. 

En plus des séries de Conférences sur différents aspects de la Tarîqa, des ateliers de réflexions y sont animées avec un rapporteur pour chacun d’entre eux qui rend compte des résultats et des recommandations. Ces dernières sont prises en compte dans l’élaboration future des programmes des prochaines Editions du Forum. 

C’est en 2006 que le Forum a entamé le tour des villes de France avec une nouvelle Edition à Marseille. Il faut noter que la cité phocéenne se caractérise par une forte activité des hadra-s et des dâ’iras. Les différentes activités qui s’y tiennent du Maouloud à la célébration annuelle de la Katmiya drainent de plus en plus de monde et rayonnent sur tout le Grand Sud de la France, de Perpignan, Toulouse, Bordeaux à Nice. 

La capitale de la Côte d’Azur, Nice, avec tout ce qu’elle compte de Tijanes, a accueilli la Troisième Edition du Forum National sur la Tijaniyya en 2007. Cette Edition a marqué le point de départ d’un élargissement de l’événement à des régions qui ont rejoint le groupe. Il faut savoir que ces échanges ne se limitent pas à la seule occasion qu’offre la tenue du Forum mais se poursuivent notamment par un mailing général regroupant des Tijanes de partout dénommé symboliquement Wakeurcheikh.

Il semble que, de plus en plus, des jeunes et des personnalités en dehors de la France, notamment au Sénégal et aux Etats-Unis, sont abonnés à cette liste. Pour ce faire, il faut simplement envoyer un courrier électronique à gueustou@yahoo.fr et ainsi entrer en contact avec des Tijanes et échanger utilement avec eux sur de nombreux sujets. 

Mais l’Edition de 2008 à Paris a donné une nouvelle dimension au Forum en mieux le faisant connaître auprès de Tijanes partout dans le monde, du Sénégal au Maroc en passant par l’Algérie. Le fait de l’avoir organisé pour la première fois au Palais de l’UNESCO à Paris ainsi que sa diffusion en direct via Internet ont donné une meilleure visibilité et désormais une certaine reconnaissance à cet événement très attendu des Tijanes du monde. 

De plus, par la gratitude de Dieu, Serigne Moustapha Sy Ibn Cheikh Abdoul Aziz Sy Al-Amine a profité d’un voyage à Paris pour venir bénir et assister à l’ouverture officielle dans ce haut lieu de la Culture dans la capitale française. L’Edition de Paris 2008 a été l’occasion d’adopter une nouvelle manière de travailler avec la mise en place d’un Comité de pilotage composé de plusieurs commissions selon les besoins de l’organisation. Le Comité a accueilli avec satisfaction des représentants de nouvelles villes européennes, notamment de Suissse et d’Italie, qui veulent se joindre au groupe ouvert à toutes les propositions. 

Le samedi 9 mai 2009 se tiendra la Cinquième Edition du Forum National sur la Tijaniyya à Grenoble, dans la Région Rhône-Alpes. Le comité de pilotage est à pied d’œuvre et a profité d’une réunion extra-ordinaire ce 28 février pour retravailler sur les préparatifs de l’Edition 2009 placée sous le signe du plus grand rassemblement possible mais surtout du lancement d’importants projets notamment la vulgarisation des enseignements de la Tijaniyya en mettant au profit les nouvelles technologies mais aussi cette énergie et volonté de travailler ensemble. 

Si l’idée germe depuis un certain temps d’envisager une première Grande Edition Européenne, c’est que l’espoir et la volonté qui avaient accompagné la naissance de ce Forum en 2005 à Lyon demeurent intacts. Les jeunes de France espèrent, donc, les prières de tous pour la perpétuation et le renforcement du Forum dans la concorde et l’entente de tous les Tijanes. 

Depuis quelques mois, un vent d’espoir souffle sur l’Hexagone où, sous la bénédiction des aînés qui ont réussi à implanter la Tarîqa en France et de donner goût à cela à la nouvelle génération, les jeunes Tijanes aspirent à plus d’unité et à un meilleur agir ensemble afin d’être parmi ces instruments du destin que s’est depuis longtemps tracé la Tijaniyya pour aller toujours de l’avant en pointant au plus haut l’étendard de l’Islam. 

Pour toutes informations sur le Forum, veuillez écrire au Comité de pilotage à l’adresse suivante : forumgrenoble09@hotmail.fr 

Cheikh Ahmed Tidiane Sy Al-Maktoum ou le verbe possesseur

Jeudi 19 mars 2009

CONTRIBUTION

Cheikh Ahmed Tidiane Sy Maktoum ou le verbe possesseur 

serignecheikh.jpgPar Ammeth Thiaw 

On l’aime ou on ne l’aime pas, mais il a fracturé, depuis longtemps, les verrous de notre mémoire collective, s’invitant, par la force de ses convictions et de ses idées, dans le panthéon des immortels. Oui, l’homme a déjà signé, avec les générations présentes et futures, un contrat immuable de respect, d’amour et d’admiration. Il aura fini de confirmer, aussi, un adage bien connu : « Bon sang ne saurait mentir ». En cela, il n’est pas superflu, peut-être, de noter, en passant, qu’il est le fils du Calife Ababacar Sy et le petit fils de l’Imam Hadj Malick Sy…

Il serait simpliste, pour autant, de vouloir suspendre le renom et l’influence de cet homme de Dieu au seul avantage de sa généalogie. C’est parce que toute filiation porte, avant tout, le sceau inconditionné de la prédestination. Or, un mérite, pour être revendiqué à bon droit, ne devrait nullement être l’œuvre exclusive et solitaire de la fatalité. Toute destinée, qui acquiert force d’exemple, aura subi, préalablement, le déterminisme de la volonté individuelle. Serigne Cheikh l’a très bien compris, lui qui s’est forgé un destin, qui s’est frayé une voie, au prix de multiples épreuves dont la moindre est sa double mise aux arrêts, sous le régime de Senghor. Et comme si le prophète David, rappelé parmi les vivants, avait choisi de se réincarner en lui, que de métiers, dans sa prime jeunesse, ont éprouvé sa silhouette pourtant si frêle ! Tout y est passé, depuis les travaux champêtres jusqu’aux montages financiers des hommes d’affaires. Un peu comme pour tutoyer les douze travaux d’Hercule, il a été, avec des fortunes diverses, cultivateur, commerçant, transporteur, industriel, etc. Aussi, pourrait-on dire, sans la moindre intention de « starisation tendancieuse », qu’il a payé, de sa personne, le royaume de sympathie et de considération taillé dans le cœur de ses compatriotes, musulmans ou non.

De la même manière, il serait malvenu, à notre avis, de rechercher les clefs combien enviables de sa notoriété dans les abysses insondables de sa seule puissance intellectuelle, pour remarquable que soient, du reste, sa formation et son parcours initiatique. En folâtrant dans les jardins de sa poésie hors du commun, l’on peut glaner cette fleur insolite au parfum enivrant :

« (…) Aucun syllogisme ne saurait être assez élaboré pour étourdir mon entendement. Aucun concept ne saurait être assez aérien pour soumettre, à rude épreuve, mes talents d’exégète.

Mon esprit a fini d’apprivoiser les moindres secrets de la rhétorique et les échos de mon éloquence retentiront à jamais (…) »

Dans cette confession chevaleresque, il y a une note envahissante de fierté et d’assurance dont les fondements restent, en tout cas, insaisissables. Ainsi, à juste raison, on le surnomme, à l’image du fondateur de la Tidjaniyya, dont il est l’homonyme, « Al-Maktuum » ou le Mystérieux…

Sauf à préciser que le mystère qui enveloppe le nom de Serigne Cheikh n’est pas le synonyme de « l’inqualifiable ». Les caractérisations, le concernant, peuvent s’égrener à l’infini : il est beau ; il est bon ; il est bien ; il est béni ; il est brave ; il est bilingue et que sais-je encore ! Le mystère dont il est auréolé n’est pas assimilable non plus à « l’inquantifiable » : Serigne Cheikh a horreur de la médiocrité et même le passable n’a jamais été à son goût. L’excellence, seule, est son élément, son milieu naturel.

Génie du pouvoir et pouvoir du génie, c’est à ce binôme que nous aurions résumé, tout simplement, son œuvre et sa personnalité. Un pouvoir toujours flamboyant, qui s’impose de génération en génération, gagnant même en consistance, du haut de ses quatre vingt ans révolus. Un génie toujours pétillant, qui a remporté le pari de la jonction inattendue, que dis-je, de la synthèse sophistiquée de toutes les forces, de toutes les réalités, de tous les principes que les faibles d’esprit, eux, s’empressent de juger inconciliables : politique et religion, matériel et moral, humour et sermon, action et poésie, communication et mutisme, adversité et civilités, refus et dialogue, costume et boubou et j’en oublie !

Ici, c’est le lieu de porter l’attention sur un signe historique et géographique : Cheikh Ahmed Tidiane Sy est né, là-bas, à Saint-Louis du Sénégal, ville lointaine des signares où le colon a jadis côtoyé l’autochtone, où la route du nègre et celle du berbère se sont croisées, où le clocher de l’église et le minaret de la mosquée hérissent le même ciel, où le lit du fleuve et les vagues de l’océan filent, depuis toujours, le parfait amour, où, encore, l’eau et la terre conjuguent, tendrement, leur esthétique et leur poétique . C’est cela qui fait de l’insularité un hymne à la dualité savamment composée par la nature. Et le message de l’île a, sans doute, claironné, depuis le berceau, dans l’âme de cet artiste de naissance.

En somme, la singularité de Mame Cheikh, le patriarche aujourd’hui, icône vivante de l’universel, réside, incontestablement, dans sa culture de la dualité assortie de la quête du juste milieu, et à travers laquelle, le musulman vertueux, ni ange ni démon, devient, comme lui, une valeur, un symbole dont tous les croyants vaccinés contre la jalousie peuvent dire : « VOICI UN HOMME DE DIEU ! »

Cette nouvelle édition du Gamou de Tivaouane sera encore, par la grâce de dieu, comme toutes les précédentes, un moment exceptionnel de communion autour du maître. Et pour nous autres disciples, c’est aussi une belle occasion de lui souhaiter, à l’unisson, le privilège de blanchir, pendant des lustres et des lustres, sous nos yeux, comme le baobab millénaire, tout en résistant, mieux que le fer et le marbre, à l’usure implacable du temps. Plaise à dieu, souverain des souverains, que notre leader maintienne, partout et toujours, le buste droit et l’allure fière, arborant, contre vents et marées, la mélodie de son sourire enchanteur, régalant ses hôtes, visibles ou invisibles, du seul festin de sa présence spirituelle, avec son verbe extraordinairement possesseur. 

Ammeth Thiaw 

HOMMAGE – Sémou Pathé, mon ami, mon camarade – Par Serigne Mansour Sy Djamil

Mardi 17 mars 2009

mansoursydjamil.jpgHOMMAGE – Sémou Pathé, mon ami, mon camarade

                                                                                   

Par Serigne Mansour Sy Djamil

Il est difficile de parler de Sémou Pathé au passé. Je suis effondré. Sa mort nous a surpris tous, ici, ailleurs et de par le monde.  ’’C’est Allah qui décide et on ne commente pas sa décisioncomme le dit le Coran. Le 77 636 78 79 ne sonnera plus avec au bout du fil cette voix d’une mélodie suave, mi-taquine, mi-jouissive qui dit : Serigne bi. 

’’Ina lilaahi wa ina ilayhi raajiuune’’ ’’C’est de Dieu que nous venons, c’est vers lui que nous retournons’’. 

La vie de Sémou c’est d’abord, une époque, la nôtre ; toute d’espérance et d’illusions, d’utopie et d’aveuglement, de loyauté et de renoncement que Sémou a su, par un extraordinaire tour de force philosophique, politique, littéraire, militant et un sens très élevé de l’éthique, incarner si parfaitement. Saisons de tumulte et de ferveurs, sans doute ni renoncement, encore moins la trahison. 

Mai 68 : la crise ouvrière et universitaire fait rage. Dakar couve et est sur le point d’exploser. Le régime du Président Senghor vacille. Il réprime sévèrement le soulèvement élèves et étudiants – Paradoxe de cet homme  C’est pourtant le même Senghor qui trouve le moyen d’envoyer ses motards chercher les neuf meilleurs élèves de Terminale du Sénégal inscrits à des bourses FAC pour préparer les concours d’entrée aux Grandes Ecoles de France. 

C’était un des actes majeurs posés par le Président Senghor l’intellectuel, le poète, à la face de l’histoire, acte qui ne s’effacera pas néanmoins le caractère répressif de son régime dont nous avons tous été victimes en 68. Avec Mame Moussé Diagne, agrégé de philosophie (UCAD), El Hadj Mbengue, agrégé d’anglais (BAD), Sémou était parmi ces neuf élèves-étudiants de Mai 68 – Déjà un signe de destin. 

Nous nous sommes connus en 1971 à l’Association des Etudiants Sénégalais en France (AESF) dont j’étais Président et lui Secrétaire général de la section d’Orléans  dirigée par Sanghoné Diop, arraché à notre affection par un accident de voiture.
La Section d’Orléans, véritable centre d’excellence, regroupait, alors, des jeunes d’exception : Sanghoné Diop, Christian Sina Diatta aujourd’hui ministre, Ousseynou Sarr, ancien cadre de
la BICIS aujourd’hui disparu, Gaydal Sall, ingénieur du BRGM, Professeur Maguèye Kassé, germaniste, Ndéye Amy Faye, professeur d’espagnol, représentante résidente de
la National Democratic Institute à Ouagadougou, Abdoul El Fecky Agne, philosophe, actuel proviseur du Lycée Delafosse, Mamadou Diouf, historien, Professeur à l’Université de Columbia à New York,  Maître Ely Ousmane Sarr ancien bâtonnier de l’ordre des avocats, Abdul Kane, PCA SONEES, Malick Diagne, professeur agrégé de mathématiques, Aladji Dieng, ingénieur en hydraulique, ancien directeur général de
la SONEES, Professeur Mary Tew Niane, actuel recteur de l’Université Gaston Berger. Cette bonne brochette d’étudiants de talent dans tous les domaines du savoir se rencontraient dans les autres sections de l’AESF à Paris, à Bordeaux, à Toulouse, à Lyon, à Montpellier, à Amiens, à Lille, à Nice, à Aix-en-Provence. C’est cette prodigieuse organisation qui a fourni au mouvement démocratique sénégalais certains de ses meilleurs cadres que j’ai eu l’honneur de diriger avec Sémou Pathé Guéye, Mamadou Seck, actuel Président de l’Assemblée Nationale, Cheikh Tidiane Sy de l’UNESCO, Mimezane Kane de l’INEAD, Mame Cany Fall, femme d’affaires. 

L’AESF était la section sénégalaise de
la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) portée sur les fonts baptismaux par Amadou Moctar Mbow qui en a été le premier président provisoire à l’Assemblée Constitutive en Décembre 1950, avant d’en être le Secrétaire Général au premier Congrès de Paris, en Mars 1951, dans le Bureau de Sollange Falladé. 

L’AESF a hérité d’une ancienne et riche expérience de lutte du mouvement étudiant en France, pourvoyeur de cadres à
la Direction de
la FNANF. Sur dix sept présents au Congrès de
la FEANF, neuf étaient sénégalais : Amadou Makhtar Mbow, Mamadou Ciré Dia, Amsata François Sarr, Amadou Moustapha Wade, Cheikh Amadou Diop, Edouard Sankaré, Yaré Fall, Amadou Sy, Amadou Samb. 

Il est gratifiant et révélateur que le Président Mbow dirige aujourd’hui les Assises Nationales du Sénégal, avec à ses côtés d’anciens militants de l’AESF, et
la FEANF organisation dans laquelle il a joué un rôle remarquable à sa naissance, il y a 58 ans. 

Sémou était aussi le Président de la section académique de
la FEANF à Orléans. 

C’était à l’occasion d’une conférence que Sémou donnait sur l’œuvre de Senghor et l’influence de Teilhard De Chardin, prolongement des enseignements de son professeur  de la coopération français fort nombreuse à l’époque dans notre système d’enseignement, monsieur  Eliot, au lycée de Kaolack, disciple de Teilhard De Chardin. J’y avais fait le déplacement, de Paris, en tant que Président de l’AESF accompagné de Issa Faye  Dominique Mbar que je venais de remplacer à la présidence de l’AESF, Ely Madiodio Fall, professeur à l’Université Cheikh Anta Diop, Assane Diagne, ancien Directeur général de
la SICAP, ancien Ministre et Moctar Diack, professeur de philosophie, alors vice-président de l’Union Internationale des Etudiants (UIE), Moussa Kane, philosophe, ancien dirigeant de l’Union Démocratique des Etudiants Sénégalais (UDES) en 1968. Cette conférence a été un tournant décisif dans la vie de Sémou, jeune, en grande forme physique et intellectuelle  gourmand de la vie qui s’annonçait. Il sut résister à l’âpreté des débats provoqués par la délégation venant de Paris. 

A Orléans déjà, j’étais émerveillé par tant de grâce et subjugué par tant d’allure. C’est la première chose dont je me souviens,  quand je l’ai rencontré et que nous sommes devenus amis, il y a 38 ans. Il était étincelant, il me donnait  l’air de savoir tout sur tout, avait beaucoup lu et peut être beaucoup lu très tôt. Mais il avait en plus  cette allure, ce panache, cette façon de ne croire les choses vraies, justes et belles que lorsqu’elles sont dites avec style, un attachement presque religieux à la syntaxe et au bien dire. Il détestait la bêtise et la médiocrité, mais adorait, par-dessus tout l’argument bien construit et bien présenté auquel il n’hésitait pas à adhérer. C’est ainsi qu’il rejoindra le Mouvement des Etudiants du Parti Africain de l’Indépendance (MEPAI), dont faisait partie les membres de la délégation de Paris, et ce, quelques jours après la conférence d’Orléans. 

Il me  retrouvera à
la Direction de l’AESF comme Secrétaire général quand Mamadou Seck, l’actuel Président de l’Assemblée Nationale, l’a quittée. Sémou  s’affirmera très tôt  dans l’organisation de masses comme travailleur infatigable, militant présent sur tous les fronts, théoriques comme pratiques. Il venait d’Orléans tous les mardis pour assister à la réunion du Bureau qui finissait très tard le soir. Ce qui l’obligeait à passer la nuit à
la Porte Dorée, dans la chambre d’un certain Abdourahim Agne, actuel ministre qui dirigeait le MEPAI à l’époque, pour reprendre le train sur Orléans tôt le matin afin de rattraper ses cours au Lycée Pothier où il était en Khâgne. 

Sémou fait partie de ceux qui croient devoir à leurs amis de ne pas les plomber avec le tragique de l’existence. Ce qui lui aurait fait le plus mal, j’en suis persuadé, c’est la peine qu’il allait nous faire suite à sa disparition. La dernière leçon qu’il nous donne, la plus triste mais  la plus précieuse, c’est l’admirable courage face à la maladie. Ni une plainte, ni une larme. Jamais un mot sur ce mal qui l’a emporté. 

Il m’a parlé d’un problème de vision deux jours avant son départ pour Paris sur le même ton détaché, sans émotion visible, sans angoisse, sans peur. Il était comme étranger à sa souffrance…Jusqu’à la dernière minute, il a voulu s’épargner, en épargnant ses proches de cette douleur des émotions. Il a vécu sa mort comme il a vécu sa vie : avec cette distance, cette élégance, cette désinvolture quasi-mélancolique qu’il mettait en toute chose et qui faisait sa grâce. 

Autre trait de sa générosité : son insatiable curiosité qui le faisait s’intéresser à tout, vraiment tout, les nobles causes et l’air du temps, le débat métaphysique, comme les stratégies d’alliance ou les débats sur la bioéthique, la démocratie participative, mais aussi les qualités curatives du ’’N’gurbane’’. 

Pourtant il y avait de la colère chez Sémou. Il y avait de la révolte chez Sémou. Colère et révolte contre un Sénégal qui se couche, un Sénégal qui bégaie, où la parole, oublieuse d’elle-même, ment et ne reflète plus la réalité. Un Sénégal transformé en supermarché où tout s’achète et tout se vend,  un Sénégal  marqué par la transhumance des intellectuels, des politiques et des religieux ; le Sénégal du mensonge, de la ’’déconnexion entre politique et éthique’’, comme il disait. Cependant, sa vie est l’illustration la plus éloquente de la résistance à la vénalité de certains Sénégalais et à l’idéologie de l’ascension sociale à n’importe quel prix. 

Il y avait également cette bonté, ce souci de l’autre, cette compassion, cette émotion, jamais en défaut, devant l’injustice. Ses proches savent son inépuisable disponibilité à leurs bonheurs et malheurs, petits ou grands. Passionné du Sénégal, panafricaniste lucide, patriote impénitent, intellectuel organique, ce redoutable dialecticien qui a retenu de Marx son appareil conceptuel et sa méthode d’analyse, a participé de façon remarquable à toutes nos batailles contre la trahison des attentes du peuple. Qui va désormais incarner cette part de la conscience sénégalaise ? Partir aujourd’hui, quelle perte pour le Sénégal englouti dans la trivialité de ce siècle commençant où tout semble s’affaisser. 

Nous avons besoin, maintenant plus que jamais, de son optimisme irrépressible, dans les moments si pleins de doute, de misère intellectuelle, de trahison, pour renforcer les convictions. Oui ! Nous avons besoin   de sa confiance en la capacité du peuple à triompher : un jour. 

Il y eu tant de vies dans la vie de Sémou, tant de personnages dans ce roman que fut sa vie. Les vieux copains et compagnons, amis et camarades, venus des lointains coins de ce pays l’accompagner à sa dernière demeure sont un témoignage de toutes ses vies. Sémou auprès de qui tant de ’’grands’’ de ce pays et de ce monde faisaient provision de sagesse, de mémoire, de volonté, de dignité et de lumière ! C’est si étrange, si irréel, subitement, d’avoir à le pleurer. 

En ce cimetière de Yoff où Sémou Pathé vient, le 08 Mars, d’être mis  en terre, je suis frappé par le spectacle de tant de peine béante, exposée sans retenue par des proches et des camarades et même des adversaires politiques, pourtant connus pour leur maitrise, leur tempérance et leur sérénité, mais qui se voient soudain envahis par l’insigne chagrin de cette perte subite. Gémissements et pleurs, regard fuyant, comme pour éviter la contagion. 

De tous les métiers à la croisée desquels la vie l’avait placé, il me semble que c’est le métier des livres dont il était secrètement le plus fier. Avec cette intelligence supérieure et cette capacité d’écoute et de restitution qui le caractérisait, je discutais avec lui des heures durant, du Karl Marx, d’Attali, Le siècle de Sartre, de Bernard-Henry Lévy, de l’Homme de Lucien Sève. Je chatouillais ses oreilles par des phrases provocantes : « Marx était le dernier philosophe chrétien » ou « le marxisme était l’ensemble des contre-sens sur la pensée de Marx » ou encore « la critique de Marx sur la religion était idéaliste, parce qu’empruntée au matérialisme de Feuerbach (l’essence du christianisme) mais surdéterminée par l’idéalisme de Bruno Bauer » et que « les textes historico-politiques de Marx : le Manifeste du parti communiste, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, la lutte des classes,
la Guerre civile en France
, etc.…ne portent pas leur principe d’intelligibilité en eux-mêmes et qu’ils avaient besoin d’un apport extérieur pour être compris. D’une manière plus profonde, l’intelligibilité de la pensée de Marx en général, suppose la mise hors jeu du marxisme officiel constitué en doctrine achevée et immuable, en l’absence de toute connaissance des écrits philosophiques fondamentaux de Marx, notamment l’idéologie allemande publiée en 1932. Il repose sur des textes qui ont besoin d’une fécondation extérieure et d’une incandescence spirituelle. 

Je donnais pour exemple le fameux texte de Marx sur la religion : « La détresse religieuse est pour une part l’expression de la détresse réelle, et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, la chaleur d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple» pour montrer que cette citation est interprétée comme une condamnation de la religion. « Mais le contexte suffit à montrer que c’est à l’inverse, une appréciation plutôt laudative. Au XIXème  siècle l’opium était un médicament couramment utilisé dans les officines comme analgésique. Comparer la religion à l’opium, c’était simplement évoquer les vertus apaisantes et les consolations apportées par les représentations religieuses aux peines humaines, argument dont l’apologétique chrétienne a largement usé pour son propre compte » comme l’explique Mireille Bertrand dans le statut de la religion chez Marx et Engels

A ajouter que cette expression n’est pas une invention de Marx, mais de Kant (dont la foi religieuse ne fait mystère pour personne) la religion dans les limites de la simple raison où ce terme désigne les consolations que les prêtres apportent aux chevets des mourants. 

On voit bien que pour comprendre cette citation qui ne porte pas en elle-même le principe de son intelligibilité, il faut revenir sur le sens du mot « opium » dans le contexte du XIXe siècle et interpeler l’auteur de l’expression « opium du peuple » le chrétien Emmanuel Kant. 

Sémou et moi discutions de tout cela, et je puis dire presque quotidiennement. Je le provoquais souvent pour le faire sortir de ses gongs, mais il ne cédait jamais à la provocation. Il connaissait mon statut et mon rôle de leader religieux ; mais connaissant autant ma trajectoire intellectuelle et politique, il n’ignorait pas qu’en matière de théorie politique en général, et marxiste en particulier, j’étais formé à bonne école. Il prêtait attention à ce que j’avançais et on trouvait réel plaisir à échanger et, quelques fois même, à nous ’’chamailler’’ au point d’inquiéter Ndéye Awa, son épouse. Mais tout cela dans l’estime et le respect réciproque. Partageant avec lui l’esprit dialectique, je m’efforçais de le sensibiliser sur la dimension spirituelle qui a tragiquement fait défaut au  marxisme. N’étant pas moi-même philosophe, Sémou m’a beaucoup aidé à comprendre l’ensemble de ces questions soulevées qui sont d’une extrême complexité. 

Fort de tout cela, de cette capacité d’écoute, de synthèse qui repose sur une bonne formation de base, une profonde assimilation des humanités gréco-latines, une maîtrise de la philosophie et de son évolution récente, une pratique politique et théorique dans l’une des directions les plus prestigieuses du mouvement démocratique sénégalais, Sémou était un véritable homme de synthèse : synthèse des cultures, synthèse des doctrines, synthèse des philosophies, synthèse des hommes, synthèse de l’homme. 

Quand je l’ai  connu, Sémou réfléchissait sur les théories de la civilisation de l’Universel, encore sous  l’influence de son professeur de philosophie de Kaolack, monsieur Eliot. Mais comme le disait Senghor, pour réaliser cette civilisation : « La seule raison discursive ne peut pas en assurer le succès. Il faut à l’entreprise le concours de la raison intuitive qui est le propre de
la Religion. » Singularité du destin, on m’a annoncé son décès, alors que j’étais entrain d’expliquer cette pensée de Senghor à un séminaire à quelques kilomètres de New-York, à Marry Knoll : une retraite regroupant quarante chefs religieux sélectionnés à travers le monde et toutes les institutions des Nations-Unies, en vue de créer une coalition pour la paix, grâce au dialogue des religions. 

Le Sémou jeune adhérait à cette pensée philosophique de Senghor. Je la partageais également. Je la partage encore aujourd’hui. Je veux dire :   l’unité dialectique entre la ’’raison discursive’’ et la ’’raison intuitive’’. Sémou a, par la suite, énormément évolué vers un marxisme très structuré qui interpelle sur la meilleure façon de penser Marx aujourd’hui, tout en tirant les leçons et le bilan de l’expérience soviétique à l’instar de la réflexion que mène actuellement Lucien Sève (son véritable mentor) sur la refondation de
la Gauche. Mais comme on ne quitte jamais sa jeunesse, il a continué à  lire et à approfondir les mêmes  idées. On peut établir une symétrie entre la radicalité de son engagement politique et l’intensité de sa curiosité spirituelle. Il a beaucoup lu et écrit sur la religion, participé à des débats ici et par le monde. C’est le marxiste (mais un marxisme repensé à la lumière des interpellations de Lucien Sève, son mentor) qui était l’invité vedette sur tous les plateaux où la religion se discutait. Le représentant des moustarchidines que j’ai rencontré aux obsèques m’a révélé que Sémou était celui qui avait le plus donné de conférences à l’Université du Ramadan. Ce qui prouve, de la part de Sémou, une grande profondeur de travail et de pensée, l’aboutissement d’une aventure philosophique unique et incroyablement exigeante et féconde. C’était l’un des rares politiques à être conscient de l’importance du fait religieux et prêt à en débattre. 

Seul un romancier pourrait réconcilier, un jour, l’extraordinaire ascendant qu’avait exercé, sur deux générations, ce petit jeune homme de 61 ans qui vient de nous quitter. 

Pour tout dire, Sémou était un mélange de savoir et de bonté, de talent et de loyauté, avec le don de faire rire, ce bon rire sonore, généreux que je n’oublierai jamais du fond de son bureau de l’Université Cheikh Anta Diop qui était d’une sobriété quasi monacale. 

Tant d’hommes de ce pays lui doivent un segment dans leurs différents parcours, y compris le Président Wade qui reconnait lui-même que Sémou a théorisé l’alternance bien avant le 19 Mars. C’est signe de grandeur du Président Wade de l’avoir reconnu, malgré l’adversité. En fait, Sémou et son parti, le Parti de l’Indépendance et du Travail, P.I.T Sénégal, héritier du PAI historique, donnaient du sens à l’alternance au double sens du mot sens : signification et orientation. Mais la  théorie remonte au journal And sopi où il côtoyait et discutait avec le Grand Maodo récemment disparu sur ses « lettres d’un vieux militant », avec Mody Diagne et Magatte Thiam, son camarade de combat, infatigable, lucide et concret, Samba Diouldé Thiam et tant d’autres patriotes. Sémou est le produit du PAI/PIT et de son orientation. 

En fait des partis comme le PIT peuvent paraître négligeables au regard de leur taille ou de leurs résultats électoraux, mais ils sont dépositaires d’expériences en matière de stratégie et de tactiques, de propagande et d’agitation, de conceptions et d’organisations, de vision et de perception qu’on ne peut sous-estimer que si l’on ignore les traditions qui les fondent. Sémou Pathé s’inscrit dans la tradition du PAI de 1957 ou de ses démembrements actuels (PIT, LD/MPT et PAI Maj) qui, malgré une répression implacable du pouvoir au cours de plusieurs décennies de confrontations politiques tumultueuses, n’a pas failli à son activité permanente au service des masses populaires et de
la Nation. Sans doute a-t-il commis des erreurs, des fautes d’orientations très graves, mais le PAI a toujours trouvé en lui-même les ressources nécessaires à leur correction. Cette fermeté et cette endurance révolutionnaires ont contribué, pour beaucoup à la paix civile, à la liberté et la démocratie relatives dont jouit le peuple sénégalais. 

Le Mouvement des Etudiants du Parti Africain de l’Indépendance, MEPAI, a été le creuset où la future élite du mouvement démocratique a fait ses premières armes. Véritable académie des sciences politiques, il a traduit dans les faits son ambition de « former des cadres techniquement compétents et politiquement conscients ». Il y a eu beaucoup de défections, mais des hommes comme Sémou en sont l’incarnation la plus achevée. 

L’extraordinaire trajectoire de Sémou  nous donne à  comprendre comment notre présent s’est édifié sur ces hommes rares qui choisissent de vivre presque en marginaux démunis pour préserver leur dignité et assumer leurs fonctions tribunitiennes (de tribun de la plèbe) et leur droit de rêver à un monde meilleur alors que les allées du pouvoir leur étaient ouvertes. Nous avons à leur égard un devoir de gratitude. Le peuple sénégalais l’a compris qui a tenu à accompagner massivement Sémou pour son dernier voyage. 

Majhmout Diop, fondateur du PAI a dédié son livre : « Mémoires de luttes » à El Hadj Malick Sy et Serigne Bamba Mbacké qui surent gérer et pérenniser nos valeurs culturelles et religieuses dans une époque difficile ». De la même manière, je voudrais ici, en tant que leader religieux, rendre un vibrant hommage à la qualité des militants et des politiques formés par les différentes structures issues du PAI historique, et en premier lieu aux militants du PIT pour leur constance, leur intégrité morale, leur courage et leur abnégation. Amath Dansokho et Magatte Thiam, et d’autres, en toute honnêteté, sont des hommes magnifiques. Sémou était de ceux-là. Il incarnait au  plus haut niveau, avec la direction du PIT, l’image qu’on se fait de l’homme politique. Mais le PIT partage cette éthique avec d’autres. Bien des patriotes incarnent les mêmes valeurs. Et les plus illustres d’entres eux ne sont autres que Cheikh Anta Diop, Babacar Niang, Mamadou Dia, Charles Guéye, Moctar Diack, Abdoulaye Bathily, Dialo Diop Blondin, Ahmadou Moctar Mbow et bien d’autres. Je me reconnais à travers les valeurs de cette mouvance, son histoire, ses combats. Oui j’assume cette histoire, sans avoir à faire un tri sélectif intellectuellement confortable mais moralement discutable. La jeunesse sénégalaise gagnerait, à une époque où éthique et politique semblent de plus en plus antinomiques, à revisiter cette histoire et ces valeurs et méditer l’exemple d’un homme – monument comme Sémou Pathé Guéye. 

Jeunesse de notre pays ! Souviens-toi de son fameux discours de Concours général censuré à l’époque et intégralement publié dans And Sopi, sous le titre «  Discours parallèle au discours du concours général ». Sa contribution aux Etats Généraux de l’Education de 1980 au côté du SUDES a été magistrale. Sa réponse est dans un livre encore actuel sur l’Ecole nouvelle. 

Sémou et moi, nous nous sommes connus dans le militantisme étudiant. Nous ne nous sommes jamais quittés. J’ai été membre du MEPAI à un niveau très élevé. Je n’ai pas eu la chance de militer organiquement au PIT parce qu’au moment de sa création, j’étais déjà fonctionnaire international. Mon statut et le devoir de réserve qui en découle ne me permettait pas d’intervenir dans la politique des pays membres dont le Sénégal. C’était la seule raison. Je n’en partageais pas moins son orientation politique de large rassemblement des forces démocratiques. Sauf sur les questions d’alliance en l’an 2000 et 2007 par exemple. Sémou servait de passerelle bien que non officielle entre le Parti et moi pour m’informer et recueillir mon point de vue sur une base purement personnelle. 

Récemment, un journaliste qui travaille sur mon portrait m’a demandé le  nom d’un proche ou d’un ami pour avoir son point de vue. C’est le nom de Sémou Pathé que je lui ai donné. Il n’a jamais eu le temps de l’interviewer. Sémou emporte avec lui tout un pan de ma propre vie. Ayant eu la même trajectoire militante et politique, nous avons tout appris ensemble. Sauf à ne plus vivre ensemble. 

A sa maman, ses frères et sœurs si dignes, 

A Ndéye Awa sa complice de toujours, témoin privilégié du geste de Sémou Pathé, éblouissante dans son couple. Couple magnifique qui baignait dans une grâce exquise par l’art avec lequel ils ont su éternellement être les-mêmes. 

A ses enfants adorables que Sémou aimait tant, signe de cette douceur secrète qui émanait de sa personne, 

A Amath  Dansokho et à Magatte Thiam, à Maguèye Kassé et à Ndéye Amy Faye Kassé, à Ibrahima  Sène aussi, 

A tant d’autres dans le PIT, ce parti de la démocratie, de liberté et de la dignité ; où tant de générations ont appris la démocratie, la liberté, la dignité et la passion de la justice sociale et qui peut être fier d’avoir compté parmi ses dirigeants…Sémou Pathé Guéye

A tous les démocrates de ce pays, aux intellectuels patriotes, à la jeunesse du monde entier, je présente mes condoléances les plus attristées. 

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J’implore Allah dans sa Sagesse infinie pour qu’il l’accueille dans son Paradis ’’Al Janata Ana Im’’.  Amin. 

Serigne Mansour SY Jamil 

CHEIKH EL HADJI MALICK SY ET LA TIJANIYA: une force tranquille pour la perpétuation d’un singulier destin

Mardi 10 mars 2009

Cheikh El Hadji Malick Sy et la Tijaniya : 

Une force tranquille pour la perpétuation d’un singulier destin

                                                                                                                              

Par Bakary SAMBE

L’œuvre de Cheikh Omar al-Foutiyou Tall a permis une large expansion de la Tijaniyya dans toute l’Afrique occidentale. C’est par son biais, en passant par Cheikh Al-Fahim Yoro que Seydi El Hadji Malick Sy reprit le flambeau et porta au plus haut la bannière de la confrérie avec notamment un travail inouï de vulgarisation. 

A l’image de celui dont il a hérité, Cheikh El Hadji Malick Sy n’a pas bénéficié de circonstances paisibles pour dérouler sa méthode et sa philosophie. Le fameux principe soufi de Haml adhal wara (supporter les adversités) afin de progresser et mieux servir Dieu les hommes, a guide son action. Serigne Alioune Gueye l’exprime dans sa Marthiya (Ala nafsihi kam Aktharal Durra wal Adha / linaf ‘il baraya wal-ilahi bi marsaddi). Maodo a trouvé le Sénégal ou il a réussi a implanter la Tijaniyya dans une situation plus que désespérante qui pourrait saper le moral des plus détermines (Ata wa biqaul ardi Zulmun wa Zulmatun, nous rappelle Serigne Alioune Gueye). Mais il a réussi à illuminer les cœurs et sauvegarder la flamme de l’Islam dans son expression la plus vitale

Cette fierté du Sénégal et de la Umma islamique consolidera le caractère Muhammadien de la conduite du Tijani en dédiant sa vie entière au prophète de l’Islam. L’œuvre de Cheikh El Hadji Malick Sy est dense et d’une grande variété[1]. Mais la thématique la plus commune est celle du Madîh, panégyriques dédiées au Prophète de l’Islam. Le Khilâçu Dhahab, ce joyau poétique mais aussi mine inépuisable pour tout féru de Sîra (Hagiographie du Prophète) est devenue le symbole et l’illustration de son inimitabilité dans ce genre, trouvant ses origines depuis l’aube de l’Islam. De Ka’b Ibn Zuhayr et Hassan Ibn Thabit à Muhammad Al-Busayrî, on ne peut dénombrer les personnages illustres qui se sont distingués dans cet art prisé des soufis et dans lequel Cheikh El Hadji Malick Sy est un maître incontesté. A qui d’autre doit-on d’ailleurs la démocratisation du Gamou, évènement qui est rentré  dans l’ordinaire et célébré  un peu partout dans ce pays ? 

Grace a Cheikh El Hadji Malick Sy, le musulman sénégalais a ceci d’enviable : vivre en permanente connexion avec la Sira du Prophete à tel point que ce dernier lui devient tout a fait familier. Il a su traduire ce caractère Muhammadien de la Tijaniyya, développé plus haut, en une réalité non seulement conçue mais sentie et vécue. 

Qui d’autre mieux que lui a su rendre à Seydina Muhammad (PSL) ce qui lui revient ! Dans chaque facette de sa vie, Seydi El Hadji Malick renvoie tout au Prophète Mouhammad (PSL). Le point d’orgue de cet amour du Sceau des Prophètes et la volonté d’élever, autant que possible, celui-ci à son plus haut degré est l’inimitable Khilâsu Dhahab fî Sîrati Khayril ‘Arab dans lequel il adopte la rime en « m » (d’où l’appellation mîmiyya) et le mètre al-basît tel que le fit Muhammad al-Bûsayrî, l’auteur de la Burdah, quelques siècles avant. 

Mais là où Seydi El Hadji Malick Sy innove c’est dans sa connaissance du contexte socio-historique dans lequel vécut le Prophète. Il navigue, constamment, entre la vie du Prophète et l’évocation de ce contexte avec une culture historique qui peut étonner plus d’un. Malgré le manque chronique d’ouvrages de références qui caractérisa son époque, la difficulté de les acquérir, sans parler de la complexité de l’environnement historique qui vit la naissance du Prophète (PSL), Maodo nous abreuve de connaissances sur Rome, Byzance, Chosroes, Anou Shirwân et les autres. Sa connaissance géographique doublée de sa maitrise de l’histoire qui se dégage de nombreux écrits reste encore une énigme et une source d’admiration pour quelqu’un qui n’a quitté le Sénégal que pour le pèlerinage à la Mecque. Lorsque Seydi El Hadji Malick Sy, dans son approche de la vie du Prophète et du berceau de la révélation, le Hijâz, en arrive à donner, avec une précision inouïe, les noms de lieux et de repères encore méconnus par les habitants-mêmes de ces régions, l’on ne peut qu’encore admirer ses efforts inestimables pour l’acquisition du savoir. 

Du savoir comme mode d’action et de stimulation spirituelle : la méthode  Maodo 

Nombreux sont les hommages qui lui ont été rendus, dans ce sens, par les personnages les plus illustres de l’islam en son temps. Mais, à côté de celui de Serigne Serigne Hâdy Touré, Cheikh Thioro Mbacké a exprimé, de la plus belle manière, cette secousse qui venait de toucher l’islam du Sénégal en disant que « c’est un pilier de la religion qui venait de s’effondrer » en cette année 1922 qui l’a vu partir (tahaddama ruknu-d-dîni). Il remarque qu’avec la disparition de Seydi El Hadji Malick Sy, c’est un véritable esprit éclairé qui venait de faire défaut au monde des oulémas (kamâ khasafal qamâru), tel l’éclipse couvrant d’ombres la luminosité de la lune. 

Ces témoignages ne peuvent entrer dans le registre de la complaisance car les actes posés par Cheikh El Hadji Malick Sy, eux-mêmes, sont là, intacts et encore plus éloquents. Outre la qualité de leurs auteurs, ces hommages qui sont rendus à El Hadji Malick Sy sont corroborés par son action en faveur de l’islam. Le savoir est son cheval de bataille, et à l’enseignement pour le transmettre, Maodo consacrera sa vie. 

L’érudition de Cheikh El Hadji Malick Sy que reflètent la quantité et la diversité de ses œuvres avait même étonné ses contemporains si l’on sait les difficultés de son temps dés qu’il s’agissait des savoirs islamiques. La stricte surveillance de la circulation des livres et des personnes exercée par l’autorité coloniale rendait la tâche encore plus rude. Rappelons la lutte contre ce qui fut appelée « l’influence maghrébine », déclenchée, durant l’entre-deux-guerres, dans le sillage du Rapport William Ponty, pour empêcher l’expansion de l’islam par les échanges entre les deux rives du Sahara. (Ce rapport est encore consultable aux Archives Nationales du Sénégal et celles d’Outre-Mer à Aix-en-Provence.) 

Comme les idées et les croyances ont une plus grande mobilité que les humains et les structures, la pensée de Maodo et son enseignement atteindront, malgré tout, les régions les plus lointaines de l’Afrique occidentale. Son œuvre littéraire colossale ne pourrait être dûment analysée dans le cadre de cet article. Il fit beaucoup appel au génie de la poésie pour transmettre son message avec une parfaite intelligence des réalités d’une société où les vers rythmés d’un poème sont plus facilement mémorisables que les fades phrases d’une prose. Sa parfaite maîtrise des techniques de la prosodie arabe (‘arûd) ne fait aucun doute. Le poids des mots et le choc des idées donnent à cette œuvre son caractère éternel. La qâsîda Rayy zam’ân fî sirat sayyid banî ‘adnân, plus connue sous le nom de Nûniyya, reste un témoin de ses qualités littéraires. 

La pensée religieuse de Cheikh El Hadji Malick Sy ainsi que son style, sur le plan littéraire, ont marqué toute une génération de muqaddam qui les ont, ensuite, transmis à leurs disciples. Par un système pyramidal, il a su déjouer le plan d’assimilation culturelle des colons et contourner les obstacles devant lui dressés. Cette pensée est dominée par une grande ouverture d’esprit et une modernité avant l’heure. Cela est dû au fait que la confrérie Tijâniyya, une voie particulièrement élitiste, s’est, très vite, confrontée aux populations citadines et à l’élite des villes, véritables laboratoires d’idées et d’ébullition intellectuelle. Ce fait a certainement consolidé  la place donnée au savoir et a la quête de la connaissance dans la stratégie de Cheikh El Hadji Malick Sy. 

On pourrait penser que son attitude d’esprit à l’ égard du savoir et des sacrifices qu’il requiert ont durablement façonné sa manière d’être et d’agir d’où son penchant pour l’humilité. 

Tolérance et modestie au service de l’éducation spirituelle : la leçon du Maitre Maodo   

Devant l’impossibilité d’être exhaustif, on pourrait avancer que, généralement, la pensée de Seydi El Hadji Malick Sy est dominée par l’ouverture qu’il a toujours prônée ainsi que la tolérance exemplaire qui marque son discours. Dans un vrai sens de la mesure, il est arrivé  à un équilibre ou tolérance n’a jamais rimé  avec laxisme et où l’ouverture n’a point empêché son enracinement dans la Sunna et la Tariqa Tijaniyya.

Son célèbre Fâkihat at-Tullâb ou Jâmi’ul Marâm en est un bel exemple. Il y traite des principes généraux de la Tarîqa Tijâniyya et de la discipline du murîd, l’aspirant à Dieu et à la réalisation spirituelle. Conformément à sa sagesse légendaire, El Hadji Malick Sy y soutient que les différences de Tarîqa et d’obédiences doivent être perçues comme de simples différences de goût et non des sources de conflits ou de haine. Il appelle, explicitement, à une reconnaissance des dons et mérites de chaque homme de Dieu qui ne sont pas toujours forcément comparables. Pour Maodo, si les confréries sont différentes et n’ont pas les mêmes conditions, elles reflètent, néanmoins, toutes, les principes fondamentaux du soufisme et l’enseignement du Sceau des Prophètes (PSL). En quelque sorte une plurielle manifestation de l’unicité du but ultime comme dirait Ibn Arabi. 

De ce fait, El Hadji Malick Sy instaure la modestie en doctrine et en fait le sage moyen d’éviter les tiraillements et les troubles sociaux. Dans la conclusion de Fakihat at-Tullâb intitulée Khâtimat fî Bayâni Ikhtilâfi awliyâ’i l-lâhi fi t-tarâ’iq wa al-madhâhib (Conclusion sur la divergence entre les Hommes de Dieu), Cheikh El Hadji Malick exprime cela avec une ouverture d’esprit et une tolérance révélatrices de sa personnalité hors du commun (vers 3, 4 et suiv.). 

Il emprunte une image pleine de sagesse pour montrer que la réalité religieuse est jalonnée  de différences de perception, en rappelant que seuls les courants divergent mais que le destin est commun et qu’on converge, tous, vers la seule et même Vérité éternelle ; celle de Dieu. « Oh mon frère ne critique pas un parfum (musc) alors que tu es enrhumé ! », dit-il, si nous essayons de traduire très approximativement le vers 7 du chapitre cité. Et comme, dans sa vision, « nul de détient le monopole de la Vérité » (pas dans un sens sophiste !), il insiste sur les dangers de critiquer et de stigmatiser la voie d’autrui sans la comprendre et l’avoir expérimentée. Mieux, pour éviter les polémiques stériles et qui attirent la haine (al-mirâ’), Cheikh El Hadji Malick conseille à ses disciples d’avoir la maturité et l’esprit d’élévation qui consiste à ne pas répondre aux attaques. Ainsi, dans une pure tradition soufie, Maodo, conscient des fâcheuses conséquences qui peuvent découler de l’intolérance, du repli sur soi et du mépris des autres, fait de la modestie et du respect, un devoir religieux en soi, en utilisant le terme wâjib (vers 13). Par ce credo, traduit en actes concrets, dans sa vie, El Hadji Malick Sy a su mener une coexistence pacifique avec, aussi bien, ses coreligionnaires que les adeptes des autres croyances.  

Cependant, il est une autre facette de son œuvre à travers laquelle s’exprime tout son enseignement spirituel, durablement enraciné dans la démarche propre à la Tijaniyya. C’est dans ces ouvrages qu’il traite de thématiques fondamentales liées au soufisme telles que l’éducation spirituelle, les cheminements de l’aspirant, le Zuhd, les relations sociales (Mu‘âmalât) et le rapport à Dieu. Bref, tout un champ du soufisme déblayé par Cheikh El Hadji Malick Sy, la plupart du temps en poésie par souci pédagogique (plus facile mémorisation), mais aussi à travers des traités comme l’incontournable Kifâyatu Raghibîn[2]

Fidèle à l’attitude d’humilité qui sous-tend toute son action mais aussi sa quête spirituelle, Cheikh El Hadji Malick Sy met, toujours, en avant le principe de crainte ou de conscience intime de Dieu (Taqwa). Sans perdre de vue, la facette miséricordieuse, il ne se fie pas non plus aux états d’optimisme excessif que confère aux dévots l’autosatisfaction démesurée.  Mais quel que soit le degré de spiritualité, Cheikh El Hadji Malick Sy nous a toujours enseigné  que l’aspirant ne peut se passer de la couverture et de l’indulgence de Celui qui est le Seul à savoir toutes les dimensions apparentes ou secrètes de sa personnalité et de ses actes dans toute leur insuffisance par rapport aux exigences de pureté et à la gratitude de Dieu. Cheikh El Hadji Malick Sy attire l’attention sur ce fait primordial lorsqu’il lance cet appel (da’awtuka yâ sattâru fa-stur ma’îbatî). 

De son maitre, Cheikh Ahmad Tijani, Cheikh El Hadji Malick Sy hérita donc de cette manière d’allier l’excellence spirituelle à la pleine implication sociétale. Maodo le fit par l’éducation et la promotion du savoir. Sa façon d’appréhender le savoir n’est pas du type de l’érudition décalée de la réalité et de la société, ni une forme de gnose sans racine et incapable de produire des ressources spirituellement mobilisables. C’est une connaissance et une éducation spirituelle au service de l’action fidele à l’idéal de la tarbiyyat al-himma

Si Cheikh Ahmad Tijani a réussi à amorcer cette rupture en matière de tasawwuf au 19eme siècle, c’est qu’il a su traduire les idéaux en réalité et faire de l’aspirant a la réalisation spirituelle un véritable acteur conscient, utile et au cœur de son monde social. Et pourtant, sans fuir ce monde social qu’il a affronté, aidé en cela par sa solidité spirituelle, Cheikh El Hadji Malick Sy, a revivifie l’enseignement de Cheikh Ahmad Tijani. Comme l’a si bien exprimé  Serigne Babacar Sy (Rabba bila Khalwatin ashabahu alanan…etc.), voici qu’une voie se singularise par une intense spiritualité doublée d’une forte implication sociétale tout en atteignant l’idéal de l’istiqama (droiture). 

El Hadji Abdou Aziz Sy Dabbakh, désignait Maodo,  à juste titre, par le qualificatif de ‘Alamul Huda (l’incarnation ou l’étendard de la droiture). Entre le Ilm, la connaissance à son plus haut degré qu’il inculquera avec mansuétude et de la manière la plus débonnaire (Hilm) à des générations de Muqaddam, Cheikh El Hadji Malick Sy a produit des résultats difficilement égalables dans la formation d’hommes hors du commun, de personnes-ressources et  de valeurs sures au service de l’Islam (Fajahada fiha bi siyasati wa nada, wa ilmin wa hilmin fahtada kullu muhtadi). 

Témoignage ne put être plus éloquent  dans ce sens, que celui de la Revue Al-Azhar : ‘« grâce à lui, l’Islam a connu son épanouissement dans ce pays [Sénégal] en créant des écoles, des mosquées, des zâwiya, et, poursuit la revue, il a aussi formé de brillants érudits qui se sont éparpillés dans tous les coins du pays telle l’expansion de la lumière dans l’obscurité’ (Revue Al-Azhar Juin 1995). 

Entre Sharî‘a et Haqîqa ou l’art de la conciliation chez Cheikh El Hadji Malick Sy 

A la différence de nombreux hommes du Tasawwuf et en veritable dépositaire de l’héritage de la Tijaniyya, Cheikh El Hadji Malick n’a jamais été habité par une quelconque tension ou un balancement entre les impératifs de la Shari’a et ceux de la Haqiqa. Il a su les concilier et ainsi créer une sorte d’harmonie favorable à une vie spirituelle se fondant sur la première en se nourrissant de la seconde. Ce vers tiré de son ouvrage intitulé Kifâyatu Râghibîn résume, à lui seul, une telle attitude d’esprit (wa bâtinun lam yuwâfiq min sharî’atînâ/ fa-ktubhu bil-lâmi lâ bin-nûni kal fitanî) où il exclut toute sorte d’extrapolation mystique non conforme à l’esprit de la Sharî’a. Tout bâtin (ésotérisme) qui contrarie cet esprit est considéré par Maodo comme un bâtil (l’ivraie). 

Le plus remarquable de l’expérience de Cheikh El Hadji Malick Sy est ce sens de la mesure et la conscience de l’équilibre entre la Sharî’a et la haqîqa. Il a su rester, sa vie durant, selon l’heureuse expression du Professeur Rawane Mbaye, ce « pôle d’attraction » entre les deux domaines de la connaissance, s’appuyant merveilleusement, sur une donnée essentielle que le saint Coran qualifie de meilleur viatique vers le vrai monde al-Taqwâ, traduit – et certainement réduit – à la  « crainte de Dieu », état non mesurable parce qu’intérieur, mais qui se manifeste par les actes. Tous ceux de Maodo, d’après les témoignages de ses contemporains, reflètent cette conscience intime de Dieu. 

S’inscrivant dans la pure tradition Seydina Cheikh Ahmed Tijâni, El Hadji Malick Sy a tenté et réussi cette expérience soufie innovée par la Tijâniyya. Comme le prône la Tariqa, Maodo a pu allier éducation spirituelle et plein engagement dans le monde d’ici bas, cette sorte de « retraite au milieu de la société », une tarbiya au-delà de l’abstraction, décelable au visu (‘al-hâl) et à l’action (‘al-himma) tendant résolument vers l’istiqâma, la droiture (Wa man lî bi ‘ustâdhin yurabbî murîdahû/ bilâ khalwatin bal himmatin mithla ahmadî, pleurait Serigne Alioune Guèye à sa disparition). 

El Hadji Malick Sy s’est appuyé sur les inépuisables ressources spirituelles de la Tijâniyya en rompant avec le mysticisme des refuges, de la fuite et de l’isolement (comme dans la khalwatiyya), jusqu’à parvenir à la « sacralisation des actes quotidiens » dont parle Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy. De ce fait, l’enseignement de Maodo s’inscrit dans le traditionnel schéma triptyque où, après l’acte de foi (Imân), la soumission manifeste et sincère à Dieu (Islâm), l’aspirant cherche à parfaire son rapport à l’Etre Suprême par l’Ihsân ; l’état ultime où la conscience de Dieu guide les pas du néophyte dans sa quête de la félicité. Un tel projet ne pourrait être mené à bien sans que son porteur se soit agrippé à la Sunna du Prophète (PSL) dont il suit les traces, ‘alâ nahji rasûl, comme le rappelait Serigne Alioune Guèye. 

Il est vrai que c’est dans ce domaine de l’observance de la sunna prophétique que les témoignages sur Seydi El Hadji Malick sont sans appel. Ainsi Seydi Tijan Ibn Bâba al-‘Alawî, s’arrête, dans l’élégie dédiée à Maodo, sur sa rigueur et son souci de la référence et de l’authenticité en matière religieuse. Il lie cet aspect de la personnalité de Seydi El Hadji Malick Sy à son attachement au Prophète. C’est à dire que Maodo a toujours su faire vivre le principe de l’amour du Prophète qu’il définit comme intrinsèquement lié à l’action et à l’application de la Sunna. Il le dit dans Khilas Dhahab «  wa laysa naf ‘un ‘alâ hubbin bilâ ‘amalin/ wa tâbi ‘an sunnatal mukhtâri faghtanamî », « il n’y a aucune utilité à clamer son amour au sceau des prophètes si cet amour n’est pas matérialisé en action/ Il faut que tu suives la sunna de l’Elu ». C’est pourquoi, en fin connaisseur de Seydi El Hadji Malick, Tijane Ibn Baba l’identifiait à un Bukhârî dans sa rigueur et sa soif de sagesses et de paroles authentiques, mais insiste sur son travail de panégyrique en l’honneur du Prophète Muhammad (PSL) (Fakâna k’abni Zuhayrin fî madâ’ihihi), dit-il en le comparant à Ka‘B Ibn Zuhayr devenu le modèle dans cet art et qui a fortement influencé Muhammad al-Busayrî, l’auteur de la célèbre Burda, chantée à Tivaouane durant les dix premiers jours de mois béni de Rabî’al-awwal. 

De même fit Cheikh Ahmad Sukayrij dans un témoignage épistolaire adresse aux Tijanes du Sénégal et a sa famille qu’il corroboré plus explicitement dans un autre de ses ouvrages comme son Radd akâdhîb al-muftarîna ‘alâ ahlil yaqîn, pour apporter les preuves de la totale inscription de la Tijâniyya dans la sunna du Prophète Muhammad. Il lui donna comme titre Jinâyat al Muntasib al-‘anî Fî mâ nasabahû bil kadhib Li –Shaykh Tijânî et y recense les accusations gratuites faites à la confrérie, pour les démonter avec verve et preuves à l’appui. C’est cet ouvrage que le grand Muqaddam marocain a choisi pour présenter, Seydi El Hadji Malick Sy, aux côtés d’El Hadji Omar et d’autres illustres personnages, en ces termes : « Parmi ceux qui ont brillamment écrit et composé de manière bénéfique sur la Tijâniyya, on peut citer le legs béni des anciens aux générations suivantes, habitant dans la région du Sénégal, le grand muqaddam, feu Seydi El Hadji Malick ibn Othman. Il a éclairé l’élite comme le commun des mortels en levant le voile (sur les connaissances). Quiconque se penche sur ses œuvres aura la certitude que l’auteur fait partie des grands hommes de Dieu (Kummal al-rijâl) qui ont reçu la grande ouverture divine (‘al-maftûh alayhim). […] Il s’est consacré sa vie durant à l’éducation et a initié un nombre inestimable de disciples à la Tarîqa qui ont témoigné de son observance des recommandations divines, de son intransigeance dans l’adoration de Dieu, de sa disponibilité à servir son pays et ses Hommes tout en se détournant de ce qu’ils possèdent (voir Jinayat…p.81. 

  

La confrérie Tijaniyya est née pour relever un défi et restaurer un ordre. Son destin est d’être contraint à affronter les difficultés, sa singularité réside dans le fait de symboliser l’universalité de l’Islam en réconciliant spiritualité et plein engagement sociétal. C’est une spiritualité vivante qui a amorcé une véritable rupture lui valant tous les mérites mais l’expose, en même temps, comme la citadelle du soufisme, objet de toutes les visées. Mais c’est justement de là qu’elle tire toute sa force. A l’image de la mission Mouammadienne qu’elle catalyse, les défis de toute sorte lui sont inhérents. Sinon elle perdrait sa singularité.  Cheikh Ahmad Tijani, en tant que personnage historique comme figure mystique, a marqué  son époque tout en fournissant aux générations suivantes leur viatique pour affronter les défis de leur temps. Mais il peut surtout se targuer de pérenniser son enseignement spirituel par les hommes de pensée et d’action qui se réclament de lui. Finalement, son héritage a su perdurer même à l’épreuve du temps et de ses vicissitudes grâce à la conscience du devoir chez ses héritiers de la trempe de Cheikh El Hadji Malick Sy. 

Ce dernier n’a-t-il pas assez œuvré pour que les générations futures soient, elles aussi, conscientes du défi qu’ils se doivent, à leur tour, de relever ? 

Dr. Bakary SAMBE Institute for the Study of Muslim Civilisations – The Aga Khan University (International) in the United Kingdom – London 

bakary.sambe@gmail.com

 



[1] – Cet aspect est largement relaté par Serigne Alioune Guèye dans son dâliya, ces thrènes composés à la suite de la disparition de Cheikh El Hadji Malick Sy. Ce poème est connu sous le nom de Alâ Yawmuhu.

[2] – Edité et traduit par le Professeur Rawane Mbaye qui en a fait de même pour le Fakihatu-t-tullâb qui porte sur les enseignements de la Tijaniyya que Maodo a résumé dans un ouvrage versifié.