Cheikh El Hadji Mansour Sy Malick (1900-1957)
Par Amsata NIANG
Après Sidy Ahmad Sy et Seydi Ababacar, El hadj Mansour Sy est l’un des fils d’El hadj Malick Sy qui ont marqué leur époque. Fils et neveu à la fois de Maodo, El Mansour ou affectueusement appelé plus tard Balxawmi, est l’aîné de son siècle, puisqu’il voit le jour en 1900. D’une mère très dévouée au service du cheikh (Mame Safiètou[1]), il (El Mansour) est la consécration ou la réalisation d’une prière formulée par Maodo à l’endroit de sa sainte mère selon des sources très proches de la famille.
Pure produit de l’école de Maodo dont il est l’unique fils qui a fait toutes ses études auprès de son père, Seydoul Xawmi incarne avec la mesure qui sied qu’ « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ». En effet, sur les sentiers de Maodo, ce prodige, et d’ailleurs très tôt fin lettré, a très vite assuré les correspondances de son illustre père avec les érudits et intellectuels du monde entier dans un registre d’une rare maîtrise que l’on attribue au plus parfait connaisseur. On peut citer parmi ceux-ci Imam Soukeyridji, El Hadj Abdoulaye Niasse, Chérif Younousse et tant d’autres moqadames.[2]
Par ailleurs, suivant les lignes d’André P. de Mandiargues, l’on aura appris que « la connaissance et l’amour ont pour effet d’abolir les oppositions », El Mansour l’aurait compris et ne s’est laissé jamais tenter par la sinécure. Sa voie de quête de connaissance ordinaire et gnostique[3] peu semblable du reste, révèle en réalité que seul celui qui fait fi du bonheur aura la connaissance pure. Son parcours d’homme de Dieu, sur des sentiers peu praticables montre sa dimension mysthico-religieuse et continue toujours de faire œuvre durable. En ce sens les témoignages de Seydi Djamil[4] (RTA) réconfortent notre opinion sur la complexité de cet homme que beaucoup prétendent connaître. Pour Serigne Moustapha Djamil, ‘’bon nombre d’hommes de Dieu qui ont emprunté ce trajet, finirent par l’abandonner à l’exception de mon distingué maître qui le réussit sans précédent’’. Ainsi, il est à l’image de Maodo, un guide religieux très énigmatique, doté d’une moralité et d’une probité légendaire. Dans ce sillage, sa préoccupation première est de revivifier les valeurs patriarcales comme il se plairait à le dire : « Il n’y a dans ce monde que la vertu, le savoir et la vérité qui soient dignes de m’occuper ».
Le patriarche, l’indulgent, l’élégant, le savant, l’éducateur, le mystique ou encore plus connu sous le surnom de Balxawmi, El Mansour est très vite adulé et a reçu des distinctions et des mérites sans complaisance. En guide éclairé, il a su montrer la voie avec de la manière, ainsi, combien de fois a-t-il fait feu de tous bords grâce à sa forte personnalité et son image de marque. Son savoir vivre et sa témérité dans le bon accomplissement du devoir font école et touchent les rivages outre atlantiques. La jurisprudence, la littérature, la grammaire, la poésie, la prosodie, l’analogie, l’histoire, les sciences occultes, la gamme des connaissances investies par cet héritier de Maodo avec succès est très riche et aussi vaste. En d’autres termes, il est un savant, un encyclopédiste qui a rendu à la science ses véritables lettres de noblesse. De ce fait, celle-ci continue encore de verser des larmes pour avoir très tôt perdu une stature intellectuelle et religieuse à nulle autre pareille. Mame Mansour demeure plus que jamais un maître incontestable, enviable dans le monde des universitaires férus de mérites, de grades et de distinctions. Ce qui lui augure cette facilité à toujours faire leçon aux siens et d’orienter les adeptes sur la voie de la droiture, de l’éthique et de la déontologie religieuse par le biais d’une plume experte et aussi alerte.
Versant toujours dans cette même logique, les hommes formés à son école marquent leur époque et occupent des standings tant convoités dans le milieu temporel que spirituel. On peut en citer entre autres, Seydi Djamil, Borom Daradji, Serigne Mbaye Mansour et j’en passe. A travers eux, on peut sentir la saveur et le mérite de ce majestueux homme d’ouverture, de dialogue, de paix, de pardon et de patience qui force toujours l’admiration. En d’autres termes, un guide pétri de qualités dont la stature intellectuelle fait de lui un homme de goût. Un érudit hors paire, la noblesse dans l’âme, El hadj Mansour incarne l’idéal d’un homme de Dieu épris de justice, de paix, de moralité, de droiture etc. en un mot il est la réincarnation parfaite des valeurs de la sainteté. Avec lui, on aura appris que le baobab tient par la profondeur de ses racines et la qualité de sa sève.
Il est un baromètre pour sonder le charme et tout le mérite de la famille de Seydil Hadji Malick (RTA). N’est ce pas Serigne Babacar Sy qui le nommant inspecteur de la tijaniya affirmait qu’il a l’honneur et la fierté de compter dans ses rangs un frère que tout érudit de son époque aurait souhaité avoir dans les siens ? N’est ce pas Dabakh, l’homme au sourire légendaire, qui jurait qu’il n y a point d’égal à l’homme aux deux turbans[5] (borom ńaari kaala yi) au sein de la famille de Maodo? Les fidèles ne lui ont-ils pas attribués le titre de ‘’moudjibalkhawmi’’ le phénomène ou le miracle de son époque ? Pour nous donc, c’est un homme doté d’une capacité d’élévation, de dépassement, de reconsidération hors paire que la société devrait méditer d’avantage pour redorer son blason.
Un homme très énigmatique, ce réceptacle de savoirs est un parfait connaisseur du Prophète (PSL) comme pourrait-on le remarquer d’ailleurs, à travers ses poèmes. ‘’Haraftu li Salma[6]et yaa Zabyatane bizi Salam[7]’’ dont le recoupement avec la littérature sur le Sceau de la prophétie montrent tout le charme et toute la richesse de sa plume. A travers cette oeuvre sur le prophète (PSL), il démontre clairement la particularité et la différence existentielle entre Mohamed (PSL) et le reste de l’humanité depuis le monde des âmes. Sa parfaite disponibilité à renseigner sur le célèbre homme de Tivaoune, à travers des écrits très séduisants, hisse le saint homme à un rang incontournable pour qui veut étancher sa soif de connaissance sur Maodo. Pour lui, en effet, ce géant de l’Islam est ‘’l’abreuvoir des saints férus d’un modèle d’entendement digne des véritables héritiers du prophète, à qui il faut toujours prêter une oreille attentive’’. Autrement dit, Maodo, ‘’c’est le maître incontestable dans l’assemblée des savants, le formateur de grade exceptionnel qui a rendu accessible les questions qui restaient jusqu’ici sans réponses convaincantes pour les plus grands chercheurs’’.
Par ailleurs, le contenu de son message requiert toujours une touche relativement intellectuelle et très sociologique qui a une valeur de leçon inaugurale à laquelle on est habitué dans les rentrées solennelles des grandes universités. En guise d’illustration, face à un monde en crise, face à une situation enflammée, ses compendiums suscitent toujours le refus de la bassesse au profit d’une issue salvatrice. En grand prospectiviste, si nous nous référons à ‘’uusikum ayyouha shubbânu[8] ou Abdoul Aziz ahirnil qalba uusika[9] ou ayâa saaxi sabranne[10]’’ nous affirmons avec énergie que son œuvre est un réceptacle de solutions pour les maux dont souffre notre société.
En effet, dans le premier poème, il établit le comportement et le polissage appropriés pour une jeunesse, qui ‘’doit avoir comme seule viatique la quête de connaissance fondée sur l’observance des vertus’’. Ainsi, pour lui, l’élève doit vouer un grand respect au maître qu’il doit toujours solenniser et sanctifier pour bénéficier de sa baraka et de ses attributs apparents et/ou occultes’’. Concernant le second, les guides religieux y trouvent une source intarissable de conseils prodigués à Mame Dabakh (RTA) dans un monde où les vertus se raréfient. Les questions de l’éthique et de la déontologie des guides religieux sont passées en peigne fin d’une manière qu’on ne porterait plus au pinacle. L’une des recommandations mériterait d’être évoquée pour voir sa sentence dans le comportement de son jeune frère Moulaye Dabakh à l’épreuve. ‘’ Ne traites jamais de manière distingué ce qui viennent vers toi selon qu’ils soient riches ou pauvres, bons ou méchants. Renseignes-toi au préalable de manière rigoureuse avant de poser des actes qui pourront porter préjudice à la plus petite entité sous ta responsabilité. Ne te laisses point emporter par l’applaudimètre qui voit en toi une personne différente du commun des mortels, car la meilleure des créatures était très humble.’’
Pour le troisième poème, ce formateur hors norme transforme la colère de l’adepte ou du prochain en vertu cardinale par l’intermédiaire de la patience et de la tolérance. Pour lui, ‘’la tolérance est la charité de l’intelligence’’ pour paraphraser Jules Lemaître. ‘’L’indulgence doit être dans nos articulations pour faire face à la vague destructrice qu’est la colère. Alors, sois patient pour être méritant, car tôt ou tard justice sera faite et tu seras dignement fêté.’’
Père de deux aimables figures de notre époque, Serigne Mbaye Sy Mansour et Sokhna Fatou Sy (épouse de Serigne Mansour Borom Daradji), Balxawmi a montré à tout le monde que la persévérance, le culte de la tolérance, le dépassement et l’expression de la connaissance en adéquation avec les recommandations divines et prophétiques sont les piliers sur lesquels nous devons construire un modèle sociétal. Sa solide philosophie, fait de lui un modèle de soufi, et offre une riche grille de lecture qu’il faut d’avantage promouvoir pour ramer à contre courant du renégat des valeurs.
Sa disparition mémorable, ce soir du 29 mars 1957, plongea le monde entier dans l’émoi et la consternation et fît de la relation savoir/pratique le plus grand orphelin. Les nuages battaient le pavé dans ce ciel très sombre et très triste de Tivaoune, quelques jours après le décès de Khalifa (RTA), apportant la crispation, la désolation et l’inquiétude de toute
la Umma. Une courte vie certes (57ans), El Mansour suscite toujours une vive émotion pour nous disciples et simples citoyens. Reposant prés de son père comme il l’avait prédit, sa proximité avec son maître ne saurait se limiter au monde terrestre. Il l’accompagne toujours fidèlement dans le monde des âmes avec une complicité sans égale.
Comprenez notre inquiétude, chers lecteurs, lorsqu’il s’agit d’un personnage aussi énigmatique que cet homme, on perd forcément sa logique et sa rhétorique. Qu’Allah soit entièrement satisfait de lui et fasse que l’on puisse méditer et revêtir les valeurs capitales qu’il nous a léguées.
Amsata Niang
Doctorant en Sociologie Email : niang.amsata@yahoo.fr
[1] Cousine de Maodo du côté paternel [2] Dignitaires religieux agréés dans l’ordre tijani
[3] Relatif au système de pensée philosophico-religieuse qui se fonde sur une révélation intérieure, permettant d’accéder à une connaissance des choses divines réservée aux seuls initiés et permettant de saisir les mystères amenant au salut.
[4] A propos de son installation à keur Pathé Khéwé, un chantier très sinueux et dangereux à la vie humaine qu’il a transformé en zone accessible et très paisible.
[5] Surnom donné à El Mansour de par son style vestimentaire très distingué.
[6] Poème encore appelé le Yâiya dédié à son homonyme (PSL)
[7] Poème dédié au Prophète (PSL) encore appelé Mîmiya
[8] Poème, conseils et orientations à la jeunesse et aux étudiants
[9] Poème, recommandations et orientations à Mame Dabakh dans un monde en crise
[10] Poème, conseils et orientations à un proche victime d’une grande injustice