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Archive pour janvier 2010

INTERDICTION DE LA BURQA EN FRANCE (Interwiew de Bakary SAMBE sur le Voix de l’Amérique)

Dimanche 31 janvier 2010

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Interdiction de la Burqa en France (Interview de Bakary SAMBE sur la Voix de l’Amérique)

26/01/2010

Une commission parlementaire française recommande l’interdiction du niqab, voile intégral recouvrant tout le visage à l’exception des yeux. Dans son rapport, la commission estime qu’il doit être banni de tous les lieux publics, tels hôpitaux, écoles et transports en commun. Ce rapport intervient en plein débat sur l’identité nationale en France.

« Il faut savoir quelle est la part de la religion et quelle est la part des coutumes ancestrales des sociétés concernées », explique Bakary Sambe, professeur de sciences politiques à l’Institut pour l’étude des civilisations musulmanes. Relevant l’absence d’un énoncé spécifique du Coran sur la question, le professeur Sambe a dit qu’il se peut qu’on ait affaire à une « pratique imposée par les parents, les frères, voire les responsables religieux locaux ou politiques. »

« Tant que les femmes concernées ne portent pas plainte contre les personnes qui sont à l’origine de la contrainte supposée ou réelle, et tant qu’on n’a pas de preuve attestant de ces contraintes, (…) il est difficile de donner une réponse tranchée à ce genre de question », a-t-il souligné.

Source: VOA NEWS

APPEL A SOLIDARITE AVEC IBLA (Institut des Belles Lettres Arabes) – TUNIS

Vendredi 15 janvier 2010

APPEL A SOLIDARITE AVEC IBLA (Institut des Belles Lettres Arabes) – TUNIS 

Mardi 5 janvier 2010, vers 14h15,la Bibliothèque de l’Institut des Belles Lettres Arabes de Tunis (IBLA) a été l’objet d’un énorme incendie. L’explosion, à l’origine  de cet incendie, a coûté la vie du missionnaire  italien, Gian-Battista Maffi. 60% de la Bibliothèque (qui compte environ 34000 monographies, dont la moitié en langue arabe et le reste dans les principales langues européennes), seraient partis en fumée. Une première estimation parle de 17 OOO ouvrages brûlés. L’équipe de la bibliothèque, les chercheurs impliquées dans l’institut et dans la revue qui en porte le nom (Revue IBLA) sont affligés. C’est un espace et un outil important de la recherche en Tunisie et sur les réalités tunisiennes, maghrébines, arabes et musulmanes qui est sinistré. 

Face à ce drame qui frappe une communauté religieuse et prive
la Tunisie d’un espace de savoir et de recherche en sciences humaines et sociales très important, nous nous adressons à la communauté scientifiques, aux universités, aux centres de recherches, aux institutions et établissements culturels, aux communautés religieuses, aux collectivités publiques et territoriales, aux pouvoirs publics, à toutes les bonnes  volontés pour organiser la solidarité avec l’équipe de l’Institut des Belles Lettres Arabes de Tunis (IBLA). Cet appel vise en premier lieux la mobilisation des moyens financiers nécessaires pour reconstruire la bibliothèque et la collecte massive d’ouvrages et de revues permettant à l’institut de continuer à jouer le rôle qui a été le sien depuis des décennies. 

Premier signataires par ordre d’arrivée : Cherif FERJANI (Professeur des Universités, Lyon), Claude PRUDHOMME (Professeur des Universités, Lyon), Jean-Dominique DURAND ((Professeur des Universités, Lyon), Gilbert MENYER (Professeur émérite des Universités, Lyon), Remy BOUCHARLAT (Directeur de la MOM, Lyon), Bernard GEYER (directeur de Recherche CNRS, MOM, Lyon), Emmanuelle VILA (chercheur CNRS, MOM, Lyon), Katia ZAKHARIA (Professeur des Universités, Lyon), Valérie MATOYAN (Chargée de recherche CNRS, MOM, Lyon), Jérôme MULLER (informaticien, MOM, Lyon), Jean-Claude DECOURT (Directeur de Recherche, Mom, Lyon), Thierry BOSSIERE ( Chercheur IFPO, Alep),Dominique GONNET (Sources Chrétiennes, Lyon), Bernard MEUNIER (Sources Chrétiennes, Lyon), Issam GHEDAB (Bibliothécaire, MOM, Lyon), Jean-Baptiste YON (chercheur CNRS, Lyon) ; Nathalie FOURNIER (Vice-présidente recherche, université Lyon2), Sylvia CHIFFOLEAU (chercheur CNRS, MOM, Lyon), Laura BATTINI (chercheur CNRS, MOM, Lyon), Bakary SAMBE (Aga Khan University, Londres) 

Vous trouverez ci-dessous une présentation de l’histoire et du rôle que joue l’IBLA depuis sa création (présentation reprise sur le site d’IBLA).

IBLA : Un institut de recherche, une bibliothèque et un lieu de travail pour les jeunes du quartier, un centre de documentation et de recherche, une revue et des publications 

L’histoire d’IBLA commence en 1926 avec la décision des Pères Blancs de créer une maison d’études et de recherche au Maghreb pour ceux qui y travaillent. C’est le Père Henri Marchal qui y aura pensé le premier, après l’échec des Pères Blancs à Ghardaïa, en Algérie, dû à leur ignorance de la langue arabe. La première communauté est installée le 18 novembre 1926 à la ferme de Boukhris près de La Marsa, à une vingtaine de kilomètres de Tunis, et comporte dès l’origine une composition internationale que l’IBLA garde encore aujourd’hui. Les cours commencent le 25, sous l’appellation de « Foyer d’études« . La maison d’études se déplace à la rue des Glacières à Tunis le 18 mai 1928, où elle prend officiellement le nom d’Institut des Belles Lettres Arabes (IBLA) le 30 mars 1931. Elle occupe effectivement son siège actuel à la rue Jamaa al-Haoua le 15 février 1932. Déjà en 1928, le centre d’études publie « Les Cahiers Tunisiens et Documents Tunisiens« . En 1937 naît la revue « Ibla« . Bibliothèque privée, appartenant  aux Pères Blancs, elle est ouverte aux professeurs, aux chercheurs et aux étudiants du troisième cycle. Elle est consacrée essentiellement à la littérature et aux sciences humaines dans le monde arabe et en particulier en Tunisie. La bibliothèque compte environ 34000 monographies, dont la moitié en langue arabe et le reste dans les principales langues européennes. Les revues (dont 150 en échange) sont dépouillées systématiquement. Tous les fichiers, auteurs et matières, ont été informatisés. Toutefois, les fichiers auteurs manuels continuent d’être tenus au jour. Dans le fichier matières, la « Tunisie » a droit a un fichier propre.  En 1949, suite aux grèves nationalistes, et pour empêcher que les élèves tunisiens puissent passer le bac, les autorités françaises, «
La Résidence », ferment les lycées. Alors, des professeurs tunisiens, avec des coopérants français et des pères blancs, ouvrent aux jeunes les portes de l’IBLA, et y organisent des cours, pour éviter qu’ils ne manquent l’année scolaire. Les années qui suivent, les jeunes viendront à l’IBLA pour y étudier, ce qui amènera à la création d’un fond de bibliothèque conçu pour répondre à leurs besoins, c’est-à-dire, la bibliothèque IBLA pour les lycéens. Elle accueille des jeunes du quartier qui peuvent venir y étudier chaque après-midi, individuellement ou en groupe. C’est principalement en fonction des programmes scolaires que les livres et les nombreux documents de cette bibliothèque sont choisis. Un fichier informatisé est mis à la disposition des élèves qui s’initient ainsi, avec l’aide des responsables, à des recherches de documents disponibles pour un sujet donné. 

Les jeunes  trouvent au sein de la bibliothèque une salle commune de travail, de petites salles individuelles, un soutien scolaire en cas de besoin, souvent individualisé et un équipement informatique conséquent

 La revue Ibla est née en 1937. Ses fondateurs avaient la certitude que
la Tunisie allait devenir un jour indépendante, qu’il fallait respecter et faire connaître la culture tunisienne dans tous ses aspects et soutenir les Tunisiens en tant que protagonistes dans leur propre culture. Elle commence comme un simple bulletin de liaison polycopié entre les sympathisants européens qui veulent connaître les Tunisiens. Elle sera lue avec attention par les colons qui souhaitent mieux employer leurs ouvriers agricoles et dont certains d’entre eux participent aux mouvements d’Action Catholique. Elle cherche à éclairer et à rapprocher l’élite franco-tunisienne : compréhension du peuple, guide pour des contacts profonds, insertion de morale universelle. Le tirage atteint 2 500 exemplaires en 1944. Une collection parallèle, Le Bled, est basée essentiellement sur l’arabe dialecta
l.Dès les premiers numéros de la revue, certaines rubriques sont signées par des Tunisiens et Tunisiennes. En 1959 apparaît le premier liminaire signé par un Tunisien, T. Guiga, dans un numéro consacré à l’éducation des adultes. À partir de 1977 le comité de lecture de la revue est composé majoritairement par des Tunisiens. 

 Auparavant, dans la première  » Maison d’Études « , et dès 1928, des brochures avaient été distribuées aux étudiants pour leur faciliter la connaissance du milieu tunisien, de la culture arabe et de la religion musulmane. Elles contiennent des contes, des poésies et des proverbes, ainsi que des conversations. Le tout est traduit en français avec introductions et glossaires. Elles forment deux séries: Les Cahiers Tunisiens et Documents Tunisiens. Les deux dimensions de l’IBLA deviennent claires à partir des années quarante : d’une part formation ou étude, et d’autre part relations ou rayonnement non seulement avec les musulmans, mais aussi avec l’élite européenne chrétienne.

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Islamisme radical et violence :’Il faut balayer devant notre porte’ -Entretien avec Abdelwahab Meddeb

Vendredi 15 janvier 2010

Islamisme radical et violence : »‘Il faut balayer devant notre porte’ »

(Source: Portail de l’Unesco)


L’écrivain et poète tunisien revient sur la généalogie de l’intégrisme islamique. Aujourd’hui, il voit dans l’autocritique le plus sûr moyen de sortir le monde musulman de la crise morale et politique où il s’enfonce.     


Pensez-vous que les attentats commis par des islamistes soient un phénomène religieux ou le symptôme de la frustration politique des musulmans ?

Le mouvement intégriste est doublement alimenté. C’est à la fois un mouvement insurrectionnel, révolutionnaire, et un phénomène qui se nourrit d’éléments puisés dans l’histoire et la tradition islamiques. Toutefois, on ne peut pas dire que les attentats soient un phénomène religieux. L’utilisation du suicide, au nom de la politique ou de la religion pour tuer aveuglément n’a jamais existé dans l’islam, jamais. Certains prétendent le contraire en rappelant les attentats perpétrés par les Ismaéliens au Moyen-Âge. Or, ce phénomène est très particulier : il s’agissait d’attaques contre l’autorité sunnite venant d’un mouvement millénariste chiite ; d’autre part, les Ismaéliens pratiquaient l’assassinat politique de manière ciblée, sans jamais toucher aux civils. Ils visaient leurs ennemis, des théologiens ou des représentants de l’autorité. Non, ce qui se passe aujourd’hui est plutôt à rapprocher du mouvement nihiliste occidental.

C’est-à-dire ?

Ce mouvement a commencé avec les anarchistes au XIXe siècle. Il a été illustré par Dostoïevski dans les Possédés. Il puisait ses adeptes dans les milieux de la frustration. L’écrivain italien Solmi a montré que le révolutionnaire type naît dans les sphères semi-intellectuelles : il s’agit souvent d’instituteurs, c’est-à-dire de prétendants intellectuels qui n’ont pas les moyens d’être reconnus. C’est également chez les semi-lettrés que se recrutent les terroristes musulmans. Avec la démographie et la démocratisation d’un enseignement médiocre, ces semi-lettrés constituent une immense masse rongée par le ressentiment. Nombre de musulmans ne supportent pas l’état de faiblesse qui est le leur et qui leur a été révélé depuis Bonaparte. Depuis la fin du XVIIIe siècle, l’islam n’a pas trouvé les moyens de riposter à l’hégémonie occidentale. De nos jours, nombreux sont ceux qui se sentent tellement impuissants face à l’hyper-puissance américaine que la violence sacrificielle leur apparaît comme la seule réponse.

Vous dites dans votre livre La Maladie de l’islam que cette religion est, plus qu’une autre, un terreau fertile pour l’intégrisme. Pourquoi ?

Il est vrai que le radicalisme qui prêche le takfir (l’excommunication) est né avec la première secte de l’islam, les kharidjites, dès le VIIe siècle. Il est vrai aussi qu’un violent débat est né dès la deuxième génération de musulmans et qu’il s’est souvent soldé par des affrontements armés entre les littéralistes et les allégoristes, c’est-à-dire ceux qui ne voyaient dans le Coran qu’un sens unique et ceux qui le lisaient dans l’ambivalence du sens, ce qui réclame l’interprétation. Toutefois, ce débat n’est pas propre à l’islam ; il traverse toutes les religions.

Tout système engendre une maladie. Si les chrétiens se portent mieux que les autres de nos jours, c’est qu’ils ont passé des siècles à dénoncer la maladie du christianisme. Tout ce qui s’est fait de neuf dans la tradition occidentale après le Moyen-Âge s’est construit dans la critique de la religion, contre soi et non pas avec soi. D’Érasme à Schopenhauer, en passant par Voltaire, Nietzsche et Kierkegaard, nombre de penseurs ont dénoncé les maux du christianisme. Ils en ont démonté les ressorts et les illusions.

Le problème, c’est qu’en islam, ce travail critique est à peine amorcé. Même des musulmans éclairés ne supportent pas qu’on applique à leur croyance la métaphore de la maladie : c’est pour cela que le titre de mon livre en arabe a été modifié (voir encadré). Cependant, depuis les attentats de Ryad et de Casablanca en mai 2003, cette métaphore commence à se retrouver jusque chez des théologiens. Bien entendu, je ne dis pas que d’autres religions n’auraient pas besoin du même examen de conscience. Mais ce n’est pas à moi d’écrire sur la maladie du judaïsme ou sur celle du puritanisme protestant. Je préfère balayer devant ma porte.

Pouvez-vous rappeler comment s’est construite l’idéologie intégriste musulmane ?

Cette idéologie procède d’une combinaison de trois éléments. Il faut chercher le premier dans la lettre même du Coran. Il y a par exemple ce fameux « verset de l’épée », qui ordonne de pourchasser et de tuer tous les polythéistes. Selon les intégristes, ce verset annule toutes les nuances de tolérance contenues dans le Coran.

Le deuxième élément renvoie au courant de pensée littéraliste qui s’est développé au fil des siècles. Il s’est incarné de façon spectaculaire dans le fondateur de l’une des quatre écoles orthodoxes de l’islam, Ibn Hanbal (780-855). Ce théologien né à Bagdad a combattu les mu’tazilites, c’est-à-dire le courant rationaliste soutenu par le pouvoir de Bagdad au IXe siècle. Il a d’ailleurs été mis en prison et persécuté pour ses idées rigoristes. Après sa mort, ses disciples ont radicalisé sa pensée. Par exemple, les intégristes actuels, qui se réclament du hanbalisme, usent abondamment du takfir, alors qu’Ibn Hanbal lui-même récusait cette notion.

Le deuxième homme clé de ce courant traditionaliste, c’est le penseur hanbalite Ibn Taymiyya (1263-1328). A côté d’une œuvre monumentale, il a écrit un petit livre intitulé As-siyassa ash-Shar’ia (« la politique au nom de la loi divine »), qui constitue le bréviaire de l’intégriste. A son époque, Ibn Taymiyya a été critiqué, y compris au sein de l’école hanbalite, et a passé une partie de sa vie en prison. Mais aujourd’hui, il est une référence centrale pour les intégristes.

Le troisième pilier de l’idéologie intégriste s’appelle Ibn Abd Al Wahhab, qui voulait le retour à la lettre la plus radicale. Ce Saoudien, reprenant la théorie d’Ibn Taymiyya, refusait toute forme d’intercession entre Dieu et les hommes. C’est à lui que l’on doit la disparition de toutes les tombes de saints en Arabie et la destruction des rites propres au soufisme populaire, très riches d’un point de vue anthropologique. Les idées d’Ibn Abd Al Wahhab (1703-1792) ont été décriées de son vivant, avant de devenir la doctrine officielle de l’Arabie saoudite.

Et quelles sont les causes externes de l’intégrisme ?

Elles remontent à l’expédition de Bonaparte en Égypte, au choc de la rencontre avec l’Occident. Les peuples du Moyen-Orient découvrent que l’Europe est puissante et qu’ils occupent désormais la place du faible. La première réaction, qui s’est manifestée vers 1830, a été le projet de modernisation de l’Égypte de Mohamed Ali. L’intellectuel Rifaa Al Tahtawi (1801-1874) représente ce mouvement de pensée. Il entreprend tout un travail de traduction de manuels scientifiques. Dans le domaine théologico-politique, les cheikhs Al Afghani (1838-1897) et Mohammed Abduh (1849-1905) vont ensuite créer ce qu’on appelle la salafiya, une sorte de fondamentalisme, qu’il ne faut pas confondre avec l’intégrisme.

Quelle est la différence entre intégrisme et fondamentalisme ?

Afghani et Abduh ont été défaits historiquement mais leur démarche était plus ouverte. Que cherchaient-ils ? Ils voulaient revenir aux fondements de l’islam pour les adapter de manière à reconstruire les sociétés musulmanes en tenant compte de l’apport occidental, à savoir la démocratie et le parlementarisme. Leur projet était d’utiliser ces concepts pour lutter contre l’emprise coloniale et le despotisme local. D’ailleurs, leur lieu de réunion au Caire était le café Al Barlaman (le Parlement).

Comment est-on passé de ce fondamentalisme moderniste à l’intégrisme ?

Par glissements progressifs. Dans la descendance de ce fondamentalisme, il y a un chaînon intermédiaire qui est Rachid Ridha (1865-1935). Cet homme commence par reprendre les idées de Abduh et par critiquer le wahhabisme, qui fait parler de lui au début du XXe siècle et finira par s’imposer en Arabie en 1932. Mais à la fin de sa vie, Ridha change de direction et écrit un texte favorable au wahhabisme, qui n’est pas seulement opportuniste. Il signale l’évolution de l’homme, à une époque de conquête coloniale qui voit la montée de l’anti-occidentalisme.

C’est donc dans les années 1920 qu’est né l’intégrisme…

Oui, avec l’élève de Rachid Ridha, Hassan Al Banna (1906-1949), resté célèbre pour avoir créé les Frères musulmans en Egypte en 1928. On passe alors à un anti-occidentalisme virulent. La démocratie est présentée comme une supercherie et une idéologie de domination. Si elle existait, dit Hassan Al Banna, comment pourrait-il y avoir du colonialisme ? Il en conclut que les pays musulmans n’ont pas besoin de l’Occident mais, plutôt, de rénover leur système politique par leurs moyens propres. On passe donc, si l’on veut, d’un mot d’ordre qui appelait à la modernisation de l’islam à un autre, qui prêche l’islamisation de la modernité. Par exemple, au lieu de défendre le système parlementaire, on s’appuie sur le Coran, on en extrait le mot choura pour le substituer au mot barlaman. Or, la choura n’a rien à voir avec le parlementarisme : elle n’est pas fondée sur l’élection et l’égalité ; il s’agit d’une simple instance de consultation, qui guide le prince dans ses décisions.

Comment ces idées ont-elles été accueillies ?

Dans un premier temps, les Frères musulmans ont fait l’expérience de la répression, du despotisme nationaliste, de l’émergence post-coloniale de l’État totalitaire. Dans la tradition, le despotisme s’exerçait dans le cadre de l’État minimum. Mais à l’âge de la technique, on est passé à l’État maximum dans tous les pays arabes, où le modèle du parti-État a triomphé. Et les intégristes ont gagné du terrain au fur et à mesure que ce modèle a trouvé ses limites. Ils ont bénéficié de l’échec du nationalisme arabe, de la défaite de 1967 contre Israël, de l’échec du développement et de l’élimination de toute forme d’expression politique. Un élément nouveau est intervenu avec la montée en puissance du pouvoir saoudien après le choc pétrolier de 1973.

Les pétrodollars ont alors aidé à la diffusion spectaculaire d’un islam rigoriste fondé sur la seule orthopraxie : la stricte observance du culte est devenue la base de la censure sociale et a effacé les pratiques locales au profit d’un islam uniformisé.

Mais comment en est-on arrivé à la dérive terroriste ?

Avec la fin du nassérisme et l’arrivée de Sadate au pouvoir en Égypte, on a assisté à une migration d’Egyptiens semi-lettrés en Arabie saoudite, où les idées des Frères musulmans se sont mariées avec le wahhabisme. Puis il y a eu une deuxième rencontre, explosive, en Afghanistan : c’est la jonction égypto-saoudo-pakistanaise dans le cadre du djihad, tel qu’il était orchestré et encadré par les États-Unis pour lutter contre l’invasion soviétique. Vous connaissez la suite.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Aujourd’hui, le monde musulman est en situation de guerre civile. Mais tout un corpus d’œuvres critiques est en train de se constituer. En France, la révolution de 1789 a été précédée par deux siècles de travail intellectuel.

Actuellement, dans la violence de l’histoire, la pensée critique s’étend, notamment dans le monde chiite. En Iran, le concept de vilayat e-faqih1 introduit par Khomeiny est théologiquement critiqué. En Iraq, l’idée d’un califat spirituel, qui suppose une séparation du religieux et du politique, semble prendre corps dans la majorité chiite. Quant à l’Arabie saoudite, si elle ne veut pas imploser, elle va devoir résoudre la contradiction entre son discours religieux qui conduit à l’anti-occidentalisme et son alliance géopolitique avec les États-Unis.

Et les opinions publiques, de quel côté penchent-elles ?
Depuis les années 70, un intégrisme diffus s’est développé dans les sociétés arabo-musulmanes. Mais on assiste peut-être aujourd’hui au début du reflux. Les attentats perpétrés dans plusieurs pays musulmans ont été reçus comme un choc par les opinions. L’enjeu maintenant, c’est de séparer l’islam de l’islamisme. Il faut agir pour que l’islam participe à la guerre contre l’intégrisme.

1.Théorie qui fonde la théocratie chiite iranienne et fait de l’imam suprême le représentant de Dieu sur Terre.  

La citoyenneté : le parent pauvre d’un débat sur l’identité nationale appauvrissant…

Vendredi 15 janvier 2010

La citoyenneté : le parent pauvre d’un débat

sur l’identité nationale appauvrissant… 

Par Haoues SENIGUER

Depuis que s’est ouvert le débat sur l’identité nationale, hélas véritable fourre-tout et défouloir en temps de crise morale, la classe politique a littéralement perdu le sens des responsabilités et des priorités. Avec à la clé, la défiance de plus en plus aigüe de nombreux segments de la société  au premier rang desquels celui des laissés-pour-compte de l’intégration sociale et économique qui attendent toujours des signaux forts en leur direction : les minorités dites « visibles ». Force est de reconnaître, en marge de ce débat houleux, que les dérapages verbaux en tout genre ne cessent de se multiplier avec une gradation inquiétante et des accents parfois ouvertement racistes et clairement islamophobes y compris de la part d’élus de la République. On a la désagréable impression que c’est un peu à qui ira le plus loin en besogne la fois d’après renchérissant toujours d’avantage sur une identité nationale fantasmée ! 

En effet,  ceux dont on est  pourtant en droit d’attendre au moins une impartialité liée à leur fonction, c’est-à-dire ceux-là mêmes qui ont obtenu le mandat d’un peuple divers tant dans sa composition ethnique que religieuse, sont malheureusement les plus maladroits et les moins exemplaires en la matière. Quelle image détestable donne-t-on de la France et de la classe politique française à l’étranger ! Un seul effet positif dans ce marasme généralisé, les masques longtemps portés par les chantres du républicanisme abstrait (Liberté, Egalité, Fraternité) sont en train de tomber…Chacun en mesure à présent les limites.  Beaucoup d’élus de la nation disent vouloir taire les appartenances supposées ou réelles de leurs co-sociétaires en ne considérant que l’individu sous sa seule dimension de citoyen alors même, qu’avec ce débat sur l’identité nationale, c’est l’effet inverse qui est en train de se produire. En effet, l’identité nationale se lit telle une injonction faite principalement aux « minorités visibles » : comme si il était exigé de leur part, plus que n’importe quel autre citoyen, qu’elles se dépouillent de leurs derniers oripeaux communautaires pour faire pleinement corps avec la nation.

Chasser par la porte, la doctrine assimilationniste, naguère investie par l’Empire colonial français, est en train de faire un retour fracassant par les fenêtres de notre maison commune ; en l’occurrence notre chère République. Ce qui était censé  rassembler et rapprocher les Français est en train de les diviser davantage, en stigmatisant non seulement une partie d’entre eux, au motif de considérations ethno-nationalistes et religieuses supposées ou réelles, mais également, de façon plus indirecte sans doute, la communauté des chercheurs complètement dessaisis d’un sujet qui a pourtant besoin d’être traité de manière a-partisane ou a-idéologique pour éviter précisément la récupération politicienne et la chasse aux sorcières. 

Contrairement aux effets de manche de l’actuel Ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire (qu’en est-il au juste de cette ultime attribution qui mériterait beaucoup plus d’intérêt de la part de nos gouvernants), il n’est, pour l’heure, aucun autre sujet national plus clivant. Le fait que personne ou presque ne parlait d’identité nationale dans le tissu de notre nation, avant que l’ex-candidat aux premier et deuxième tours des dernières élections présidentielles n’en parlât durant sa campagne, nous démontre amplement, s’il en est, que cette question était à l’évidence inopportune et absente de la préoccupation quotidienne des administrés. Pourquoi au juste avoir ouvert la boîte de Pandore qui se traduit aujourd’hui par une espèce de banalisation du rejet de l’autre à tous les niveaux de la société ? Car se poser la question de l’identité nationale, c’est en quelque sorte susciter un problème qui ne se posait pas hier sauf pour des mouvements nationalistes (preuve que l’identité nationale est moins un problème qu’une question éminemment inopportune), créant ainsi un malaise supplémentaire vraiment mal venu dans l’actuelle conjoncture socioéconomique. Aurait-on oublié les inégalités criantes qui touchent les Français aux origines tenues suspectes ? Par ailleurs, en quoi est ce que l’amassement de définitions  rendraient-elles plus effective l’intégration si tel était bien l’objectif du gouvernement et du parti majoritaire ? Ce dont personnellement nous doutons fort.

En effet, d’autres considérations hélas beaucoup moins nobles semblent dominer et se jouer dans les coulisses du pouvoir… Ce qui est pour le moins surprenant dans le miroir aux alouettes que constitue le débat sur l’identité nationale, c’est que la question de la citoyenneté est complètement ignorée aussi bien par les artisans du projet et du débat que par ses contempteurs. Il m’est avis que le plus crucial en ces temps de violence sociale, est de reconsidérer la citoyenneté et de lui redonner toutes ses lettres de noblesse. Une citoyenneté qui met en valeur les droits et les devoirs des individus sans être systématiquement mise en regard avec le background ethnique, communautaire et/ou religieux non pour le neutraliser mais comme pour mieux le nier. Autrement dit, il ne s’agit pas, comme dans le cas de l’identité nationale, de mettre en opposition culture et/ou religion majoritaire versus culture et/ou religion minoritaire à partir d’un schéma préétabli ou d’un quelconque idéal type.   En effet, combien sont ces Français, de tous horizons sociaux, religieux et communautaires, à s’engager activement dans les associations, dans les études, longues quelquefois, avec des moyens souvent fort modestes ; autant de manifestations de la vitalité de la société civile dans l’étendue de sa diversité. Si nos élites voulaient réellement mesurer les capacités réelles de leurs concitoyens de toutes origines à faire pleinement corps avec la nation, ils regarderaient davantage vers ces Français qui participent de la vitalité de la France au travers de leurs activités sociales, leur souci de réussir leurs études, de vivre ensemble, de contribuer de la sorte à la fabrique d’un nouvel universel français ; celui qui voit dans la multi-dimensionnalité des individus non une remise en cause de l’identité nationale mais une plus-value au rayonnement de la France dans le monde.