Archive pour mai 2010

La République en danger … à cause du voile !

Dimanche 30 mai 2010

La République en danger … à cause du voile !

Par Raphaël LIOGIER, Professeur des universités à Sciences Pô Aix-en-Provence, Directeur de l’Observatoire du religieux,

Contrairement à l’image menaçante répandue dans le grand public français les musulmans constituent indéniablement une des minorités sociales les plus pacifiques, les plus tolérantes, les plus calmes et les plus respectueuses des valeurs et lois de la République. Malgré cela, depuis le début des années 80 en particulier, son image s’est dégradée, devenant la cible de discriminations non seulement populaires (refus devenu banal de vendre ou de louer un appartement, de donner un stage ou un travail à un « arabo-musulman ») mais, ce qui est plus préoccupant, de discriminations institutionnalisées et, depuis 2004, légalisées.

Pourtant, les musulmans ne réagissent pas, compréhensifs vis-à-vis des frayeurs populaires, surtout depuis les attentats meurtriers du 11 septembre. C’est ainsi qu’ils ont accepté sans broncher de devenir les boucs émissaires privilégiés de ceux qui se pensent comme les « français de souche », se disant, sans doute, que la situation finirait bien par s’améliorer, que les préjugés finiraient par fondre devant leur comportement irréprochable. La loi du 15 mars 2004 interdisant le simple voile considéré comme musulman à l’école publique, accompagnée de toute une rhétorique juridique destinée à faire comme si tous les signes religieux étaient mis sur le même plan, ne les a pas trompés. Ils savaient qu’ils étaient dans le collimateur en raison de leur islamité doublée, souvent, de leur arabité, et pour rien d’autre, et ils décidèrent néanmoins de se soumettre à la loi, de l’appliquer scrupuleusement malgré tout, histoire de démontrer leur civisme. Pourtant, malgré tous leurs efforts, aujourd’hui encore plus qu’hier, lorsqu’un voyou caillasse un policier, lorsqu’un vol à la tire est commis dans une cité dite difficile, les « arabo-musulmans » qui « noyautent » les « quartiers » sont inlassablement associés à cette situation chaotique, même si justement, ils se battent tous les jours pour un retour à l’ordre, pour l’alphabétisation, pour l’éducation, contre le vandalisme, contre l’alcool, contre la drogue, contre les comportements anti-sociaux.

Revenons en arrière. Début des années 80, pour la première fois sont entendues les expressions de « sauvageons des cités », d’islamisation des « quartiers », mais c’est surtout la période de sortie brutale des 30 glorieuses, le passage de la prospérité économique à un chômage endémique qui touche non seulement les milieux ouvriers mais aussi les classes moyennes. C’est aussi à ce moment que la deuxième génération des français issus de l’immigration, français de naissance donc, se prend en main, passant du statut de minorité passive, subissant le regard de l’autre, à celui de minorité active, volontairement visible. Cette nouvelle façon de se comporter se traduit aussi par le fait de redécouvrir l’islam. Cette conjonction entre une crise économique forte qui touche toute la population et l’émergence de cette nouvelle minorité arabo-musulmane clairement française, installée définitivement « ici », sans oublier le contexte international de la première grande vague de terrorisme islamique, en Algérie en particulier, va engendrer un phénomène de rejet viscéral, incontrôlable rationnellement, qui sera dans un premier temps contenu, en quelque sorte, par les pouvoirs public qui cherchèrent à naturaliser l’islam, à le sculpter « républicainement », à lui donner une apparence « présentable » (par exemple en cherchant à tout prix à mettre en place une institution représentative des musulmans de France).

1989, première affaire du voile qui défraie la chronique assortie de discours haineux et des premières mesures publiques destinées à endiguer le phénomène. Puis, ce sera le 11 septembre. Entre temps, la France est passée d’une crise économique, à une crise sociale et bientôt à une crise symbolique profonde, dont l’aboutissement est le débat récent sur l’identité nationale. Ce pays, jadis centre intellectuel et culturel, s’est transformé en périphérie du monde anglo-saxon et bientôt de l’Asie. Le cinéma français sous perfusion a perdu de son lustre, la littérature française n’est presque plus traduite, la création artistique française est de moins en moins présente hors de l’Hexagone, bref la fameuse exception française n’est plus fameuse qu’ici. Emportés dans le tourbillon de la mondialisation, les français ont besoin de désigner des coupables pour ce désastre, des boucs émissaires qui, suivant la définition de René Girard, doivent être suffisamment visibles, différents, pour être visés, et suffisamment présents, proches, pour être à portée de main. C’est pour cela que le comportement irréprochable des musulmans, qui depuis 30 ans cherchent à se faire oublier, à vivre en bonne entente, n’y change rien. L’évolution des choses leur échappe complètement, parce que c’est un problème social qui touche l’ensemble de la société française, indépendamment de ce que font ou de ce que sont les musulmans.

Pour preuve de ce climat délétère délirant, la profonde irrationalité des arguments soulevés tour à tour pour interdire le voile intégral : argument féministe, alors qu’il est évident que ce voile est volontaire et n’a rien à voir avec la situation afghane, saoudienne ou autre ; argument humaniste, affirmant qu’on ne peut être digne d’être citoyen si l’on ne montre pas ses yeux, c’est ainsi qu’un des chroniqueurs du Grand Journal de Canal Plus devant une femme en voile intégral lui assènera qu’il ne peut lui parler parce qu’il ne la connaît pas ne pouvant distinguer ses yeux, alors même qu’il ne lui serait jamais venu à l’idée d’imposer aux multiples stars en lunettes noires reçues sur le même plateau une telle exigence ; argument sécuritaire, fondé sur l’idée étrange que l’on peut se cacher derrière le voile pour commettre un attentat ou pratiquer le vol à la tire, comme on peut le faire aussi derrière un casque de moto ou des bandages à la sortie de l’hôpital ; argument théologique, plutôt cocasse en situation de laïcité théorique, qui s’inspire d’interprétations coraniques reprises par les représentants de l’Etat ; et enfin, argument épidémique, s’en prenant à cette « gangrène » qui infiltre notre beau pays et le défigure. Ce dernier argument étant le plus répandu, celui qui revient toujours en dernière analyse, et qui est pourtant le plus irrationnel, fondé sur un rejet épidermique de l’autre. Il suffit de voir à quel point aujourd’hui on le retrouve non seulement dans les sites internet néo-templiers, nationalistes, et d’extrême droite en général, mais aussi, de plus en plus, dans les forums des grands journaux.

Mais le plus grave n’est pas là, car cela pourrait rester une folie populaire passagère comme il y en a tant. Le plus tragique est qu’une grande partie de la classe politique encourage et amplifie cette vague sans précédente de xénophobie. Je crois sincèrement que c’est cela la décadence, lorsqu’un nombre croissant de politiques sont corrompus par la plus vile des corruptions, non pas celle de l’argent typique du tiers-monde, mais la corruption populiste, qui conditionne des tactiques de carrières à l’exclusion de tout intérêt général. Car il est évident que la plupart des hommes politiques ne peuvent pas croire sérieusement que le voile intégral, qui ne concerne que quelques centaines de jeunes femmes un peu excentriques, qui, de surcroît, sont individualistes, dépolitisées, avec des idées et croyances proches de celles du new-age, menacent l’ordre public. Le phénomène en lui-même intéresse très peu la classe politique, pour preuve l’attitude de la Mission d’information de l’Assemblée Nationale qui n’a pas vraiment cherché à s’informer sur le sujet, mais seulement à auditionner le plus souvent des idéologues dont les discours étaient déjà connus, qu’ils soient « pour » ou qu’ils soient « contre » le voile intégral.

L’affaire du voile intégral, comme l’affaire Dreyfus jadis, manifeste un problème de société beaucoup plus profond, typique des dérives de notre époque : c’est l’ « opinion » qui construit la réalité légitime, même si cette opinion est elle aussi construite par ceux qui la suivent ! Les publicitaires bien sûr, mais de plus en plus souvent les politiques, les intellectuels, les artistes, envoient des signes à « l’opinion » en fonction des signes qu’ils reçoivent d’elles. C’est pourquoi la plupart des hommes politiques – ce qui n’était pas encore le cas dans les années 80 – consultent de plus en plus rarement des spécialistes de l’agriculture lorsqu’ils veulent faire une loi sur ce sujet, mais des conseillers en communication, autrement dit des spécialistes en signes, et ils se posent une seule question : quels signes pouvons-nous envoyer pour être le mieux perçu, le mieux apprécié possible ? Nous sommes entrés dans l’empire des signes décrit et décrié par Baudrillard !

Avec l’affaire du voile intégral ce cercle vicieux a atteint son paroxysme, favorisé par une classe politique dont nombre de membres ne croient plus en rien sauf à leur réélection, ne consultant que des experts en sondages et communications, et qui, se faisant, au lieu de juguler l’angoisse populaire fondée sur la méconnaissance, travaillent à l’amplifier, pour des raisons de basse tactique. Pour les uns afin d’apparaître en héros présidentiable, pour les autres afin de faire un croche patte à un concurrent. C’est l’effondrement de toute politique au sens d’Annah Arendt auquel nous assistons. En outre, une telle attitude d’apprenti sorcier, profondément irresponsable et cynique, est en train, pour le coup, de toucher maintenant la République dans ses fondements historiques. Dans les forums des grands journaux de nombreuses voix s’élèvent pour demander l’abolition de la Constitution et de son Conseil Constitutionnel, du Conseil d’Etat, institution ringarde ; et pour certains même, ce sont les Droits de l’homme qui ne sont plus adaptés à cette « situation d’urgence » ! Amnesty International a beau lancer une déclaration solennelle, plus rien n’y fait, la haine s’est répandue comme une traînée de poudre, le racisme et l’islamophobie se donnent maintenant la main, soutenus par les parlementaires qui veulent en finir eux aussi, en termes à peine dissimulés, avec la Constitution et les institutions trop gênantes. Ce n’est pas un hasard si dans le même temps, on entend des voix d’élus qui voudraient faire censurer un film qui évoque un événement douloureux de l’époque coloniale française, ce n’est pas un hasard si j’ai dû annuler dernièrement la soutenance de thèse d’un de mes doctorants marocains qui n’a pas obtenu de visa malgré la convocation de l’école doctorale… française, ce n’est pas un hasard si l’on songe sérieusement à retirer la nationalité française à « certains » français (alors que l’on ne saurait envisager cela pour un simple tueur en série, si toutefois il s’agit d’un tueur français « de souche » !).

Aujourd’hui, la République est menacée par certains de ceux qui, se faisant, usurpent l’honneur de la représenter, pour cause de démagogie maladive, prêts sans sourciller à jeter aux orties des siècles d’histoire, autrement dit la République elle-même avec tout ce qu’elle contient, et d’abord sa Constitution qui est, comme le mot le dit bien, son ossature, sa substance intime, ce qui fait de la France à proprement parler un Etat de droit, un Etat dans lequel il ne suffit pas d’être majoritaire pour avoir raison, mais dans lequel il faut aussi être juste. C’est l’Etat de droit qui est aujourd’hui fragilisé, et nullement à cause des musulmans. Cette période ressemble, toute proportion gardée bien sûr, à l’Allemagne de l’Entre-deux-guerres, un pays complexé par la défaite, écrasé par la crise économique, aujourd’hui nous dirions par la crise financière et identitaire, qui cherche des bouc émissaires, qui en appelle à un retour à la Nation, à ses racines, et qui, progressivement, abandonnent les attributs de l’Etat de droit à travers des lois de plus en plus discriminatoires.

L’histoire nous dit que quel que soit le comportement des populations visées, qu’elles obéissent sagement ou non à ces mêmes lois, essayant de se faire oublier, la fureur populaire ne s’apaisera pas. Hier c’était le simple voile à l’école, aujourd’hui le voile intégral dans les espaces publics, avec des déclarations autorisées inimaginables il y a encore une dizaine d’années, sur l’assimilation « forcée » des « arabo-musulmans » et même sur l’essence guerrière, misogyne et terroriste de l’islam. Il est évident que demain ce sera autre chose. Comme les catholiques eux mêmes au début des années 80 qui ont manifesté pour la défense de l’école sous contrat, il est probable que nous nous orientons vers un mouvement social de grande ampleur, seul susceptible d’ailleurs de faire revenir le personnel politique à la raison et à son expression républicaine, la Constitution de la République Française et les principes généraux du droit, garanties multi-séculaires de la survie de l’Etat de droit. Un tel mouvement social pacifique me semble aujourd’hui nécessaire non seulement dans l’intérêt des musulmans de France mais pour prémunir, tout bonnement, la République contre une dérive populiste qui ne pourrait que lui être fatale. J’ai bien peur que se dessine en tout cas une nouvelle fracture française autour de l’image du « musulman traître à la nation », un peu comme il y avait une ligne de fracture au début du siècle dernier entre les dreyfusards et les antidreyfusards qui a été à l’origine de toutes les dérives aussi haineuses qu’insensées de part et d’autre.

Raphaël LIOGIER, Professeur des universités à Sciences Pô Aix-en-Provence, Directeur de l’Observatoire du religieux, auteur de Une laïcité « légitime ». La France et ses religions d’Etat (Entrelacs, 2006)

Le dialogue judéo-musulman est-il pris en otage ?

Jeudi 27 mai 2010

Le dialogue judéo-musulman est-il pris en otage ?

« Le monde est vieux mais l’avenir sort du passé
comme le fromager d’un grain minuscule »
Proverbe malien

Par Bakary SAMBE

Le dialogue judéo-musulman serait-il prisonnier de l’exacerbation des communautarismes et des méfiances attisées par l’actualité internationale ? Ou bien, souffre-t-il des aléas d’un conflit qui empoisonne les perceptions que les deux « communautés » ont l’une de l’autre ? Au-delà de ces facteurs défavorables, s’est-on, aussi, efforcé de poser les vraies questions pour espérer des réponses adéquates ?
Sur les possibilités d’un tel dialogue entre juifs et musulmans, on devrait, tout d’abord, se poser la question de savoir si, entre islam et judaïsme, il y avait un conflit de valeurs ou un défaut de connaissance voire de reconnaissance mutuelle entre juifs et musulmans eux-mêmes. Je ne peux le croire au regard du référentiel commun aux deux religions se nourrissant du même monothéisme.
Le Coran est sans nuances sur ce référentiel commun et pose cette possibilité d’un dialogue en des termes très explicites : « Dites : «Nous croyons en Dieu, à ce qui nous a été révélé, à ce qui a été révélé à Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et aux Tribus , à ce qui a été donné à Moïse et à Jésus , à ce qui a été révélé aux prophètes par leur Seigneur, sans établir entre eux aucune différence. Et c’est à Dieu que nous sommes entièrement soumis.», Sourate 2-Verset 136
De plus, le texte coranique, lui-même, qui, statistiquement, renferme plus d’allusions à Moïse, à Jésus qu’à Mohamed, semble donner le ton pour qu’une liberté puisse être prise et s’engager sur le chemin du dialogue avec les « Gens du Livre » en général. Cependant, demeure cet écueil historique qui fait que, généralement, les religions qui précèdent ont plus de mal à reconnaître celles qui les suivent, et les religions qui viennent après ont tendance à considérer qu’elles détiennent « le mot de la fin » en accusent celles qui précèdent d’avoir subi des « altérations ». L’islam ou plutôt la lecture que des musulmans disposés au dialogue pourrait fournir un cadre confortable pour impulser une réelle dynamique d’échanges.
Hormis les convergences de vues en ce qui concerne le monothéisme, c’est dans ce sens que l’héritage spirituel commun, depuis l’Andalousie, pourrait être mis à contribution pour alimenter cette « discussion courtoise » avec le judaïsme.
Pour ce faire, il faudrait plus souvent insister sur ce qui peut rapprocher et gérer les divergences avec intelligence mais surtout un souci de concorde. Pourtant, en plein Moyen Age, deux fils de Cordoue, contemporains l’un à l’autre, nous avaient, à leur manière, servi d’exemple : Averroès ou Ibn Rushd (1123-1198) et Moïse Maïmonide (1135-1204) ont non seulement échangé et se sont mutuellement enrichi, mais fait dialoguer leur propre conception de la spiritualité. C’est à cette époque extraordinaire où l’on parlait d’une parfaite symbiose judéo-arabe qui a même eu à provoquer un brassage inouï ayant about à une hellénisation de la pensée juive par l’intermédiaire de l’islam.
L’espace spirituel avait, donc, été ce terrain de sagesse privilégié où soufis et autres savants juifs avaient pu élaborer une sorte d’humanisme spirituel (et j’ose l’oxymore !) avant l’heure.

Il serait important, aujourd’hui, au milieu d’un culte des particularismes et des communautarismes de tous bords, de rappeler les fructueux échanges intellectuels et spirituels entre Moïse Maïmonide et Bahya Ibn Paquda, par exemple. Cet héritage commun fondé sur le dialogue a même été merveilleusement perpétué par les successeurs de Maïmonide, notamment, Abraham Abulafya, et Obayda qui avaient des affinités certaines avec le grand soufi Ibn Arabî et même Al-Ghazâlî.

Qu’est-ce qui a donc mis fin à cet esprit-là, à cette ouverture et ce sens du dialogue sinon la prédominance des courants intégristes des deux bords ? La fermeture de la porte de l’ijtihâd du côté musulman qui a condamné à une reproduction irréfléchie d’une pensée sacralisée et sur laquelle il n’était plus permis de jeter un regard critique, n’aura pas été étrangère à un tel fait. Aussi, des crispations ont-elles traversé les communautés juives et les lectures littéralistes y ont fini par prendre le dessus sur l’exégèse favorable au dialogue et à l’ouverture de telle sorte que l’on s’est enfermé dans la lettre des textes sacrés en en tuant l’esprit.

Il est sûr, comme par le passé, que c’est seulement dans l’esprit que la retrouvaille est possible surtout si l’on considère que le texte coranique ne met pas de frein à cette reconnaissance sincère. C’est ce qui pourrait, entre autres, se dégager du verset suivant : « Certes, ceux qui ont cru, ceux qui ont adopté le judaïsme, les chrétiens, les sabéens, quiconque parmi eux a cru en Dieu, au Jugement dernier et a pratiqué le bien trouvera sa récompense auprès de son Seigneur et ne ressentira ni crainte ni chagrin.
Sourate 2-Verset 62.

Mais cette sincérité doit aussi appeler à ne pas occulter, les énoncés de nos livres respectifs qui vont à l’encontre de cette retrouvaille, aujourd’hui, plus que nécessaire.

Comment faire alors ? Faudrait-il considérer ces énoncés qui émaillent nos livres respectifs pourtant attribués à un même Dieu comme des sentences irrévocables nous condamnant à la méfiance les uns par rapport aux autres ? Ou bien, justement, pour rejoindre l’esprit évoqué plus haut, ne faudra-t-il pas, plutôt, les remettre dans leur contexte et ainsi faire preuve d’un dépassement pour les nécessités d’une concorde indispensable ?
Ce ne sera pas tâche facile si l’on sait, dores et déjà, les réserves des camps conservateurs qui, le plus souvent, par simple abus de conscience, contrôlent l’interprétation et font une OPA idéologique sur l’exégèse.

Dans le contexte musulman, il s’agira, sans doute, d’une relecture de ce verset que les attiseurs de haine préfèrent mettre en avant comme pour condamner un dialogue avant même qu’il ne prenne réellement la forme qu’exige l’impératif de paix dans notre monde contemporain. Comment faudrait-il lire alors ce verset qui proclame : « Tu trouveras certainement que les juifs et les polythéistes sont les ennemis les plus acharnés des croyants. Et tu trouveras que les plus disposés à aimer les croyants sont ceux qui disent : « Nous sommes chrétiens. » C’est qu’ils comptent parmi eux des prêtres et des moines, et qu’ils ne sont point orgueilleux. » Sourate 5 -Verset 82
Avant nous, cette question s’était posée et avait reçu des ébauches de réponses sur lesquelles il faudrait revenir. Tout un débat aujourd’hui occulté se pose, pourtant, autour du terme « croyant » qui traduirait ipso facto le mot « mu’minûn ou al-ladîna âmanû». Comme l’explique Mohamed-Chérif Ferjani avec un excellent travail de terminologie, le terme « mu’min » faisait référence à tous ceux qui adhéraient à ce pacte social voire politique (de non agression) et n’avait aucune connotation religieuse dans ce contexte de Médine du 7ème siècle. On peut, pour cela, se référer au Lisân al-‘arab où on trouve les sens socio-politiques du couple sémantique mu’min/kâfir qui, sur un plan étymologique, n’a rien à voir avec cette dichotomie idéologique largement entretenue pour finir par être injustement entérinée entre « croyants » et « incroyants ».
Si, ensuite, nous considérons ce verset et le replaçons dans ce même contexte Médinois, nous en comprendrons mieux le sens. Entre-t-il dans le cadre du dogme et des principes premiers de l’islam ou traduit-il l’esprit d’un contexte de velléités entre juifs et musulmans qui ont abouti aux drames que l’on sait ? Autrement dit, comme le suggérait pertinemment un certain Mohamed Mahmoud Taha dans Le second message de l’islam, ces genres d’énoncés ne font-ils pas partie de ce message-là même qui devait prendre en charge la réalité politique et séculière d’une communauté historiquement située et non forcément partie intégrante d’un dogme intangible ?
En tout cas, vouloir interpréter ce verset manipulé par les bellicistes comme ayant une portée générale et définitive serait, non seulement une volonté de compromettre l’esprit du dialogue, mais une ignorance totale de la nécessité de prendre en compte les réalités du « moment coranique » qui n’avait pas les mêmes exigences que celui que nous vivons comme l’a si bien expliqué l’Imam Tarek Oubrou de Bordeaux.
Loin d’exprimer une quelconque particularité, cette position s’inscrit, parfaitement, dans la nécessité admise par tous les théologiens de prendre en compte ce qu’ils appellent, eux-mêmes, les « asbâbu-l- nuzûl », causes ou contextes de révélation.

Il faudra, donc, oser franchir ce cap et avoir le courage d’un discours cohérent, loin de toute duplicité, aussi bien au sein de sa propre « communauté » qu’à l’extérieur de celle-ci !
Mes échanges avec certains Rabbis montrent, malheureusement, la difficulté d’un tel travail d’interprétation au sein du judaïsme comme les attitudes inflexibles ainsi que les lectures littéralistes et puritaines de certains radicaux musulmans laissent peu de champ à un tel esprit.

C’est dans ce sens que les modérés des deux côtés, désireux d’incarner cette « communauté du juste milieu » (dite Ummatan waçatan, par le Coran lui-même) doivent prendre leurs responsabilités et oser le pas du dialogue comme les extrêmes défient, encore, la logique du vivre ensemble en ce début du XXI ème siècle.
Autrement dit, l’arrogance de ceux qui dressent encore des murs d’incompréhension entre les hommes, ne doit pas faire fléchir la volonté de ceux qui sont prêts à ériger des ponts pour favoriser la rencontre et le dialogue. Sans pour autant tomber dans l’excès d’espérance, on peut, quand même, croire à l’avenir de l’audace. Ce qui pourrait être rassurant, c’est que bien des utopies du passé commencent à se révéler, de jour en jour, en évidentes vérités prématurées

Bakary SAMBE
bakary.sambe@gmail.com

Oui à l’Institut Français de Civilisation Musulmane (IFCM)

Jeudi 27 mai 2010

Pour l’Institut Français de Civilisation Musulmane (IFCM) ! Signez la pétition !

L’Institut Français de Civilisation Musulmane (IFCM) a pour objectif de mener des recherches et des actions de formation sur les différents aspects de la culture musulmane, dans le respect des valeurs et des lois de la République.

Cet Institut, régi par la loi de 1901 sur les associations culturelles, et en partenariat avec la Grande Mosquée de Lyon, entend offrir aux Lyonnais un espace d’échanges ouvert sur la Cité, pour faire connaître le patrimoine intellectuel de l’islam, favoriser le dialogue des cultures et civilisations, et promouvoir les valeurs de citoyenneté, d’éducation, de médiation et d’insertion sociale.

L’Institut Français de Civilisation Musulmane sera l’un des lieux où s’élaborera, en pleine indépendance, l’islam de France, et où pourront être consolidés les liens du « vivre ensemble » entre citoyens de différentes options philosophiques, politiques et religieuses. Il a reçu le soutien des collectivités locales et des hautes autorités religieuses de la région, il n’attend plus que celui de l’Etat.
> Ce projet ambitieux a désormais besoin d’un bâtiment à sa mesure, qui permettra d’accueillir tous les publics intéressés par la culture et la civilisation musulmane… Nous, signataires de cette déclaration, apportons notre soutien total à la réalisation de ce projet qui répond aux attentes et aux aspirations des musulmans de France. C’est pourquoi Nous engageons les pouvoirs publics à participer à son financement comme il l’ont fait pour d’autres instituts de même nature et de tout faire pour que le bâtiment de l’Institut Français de Civilisation Musulmane devienne une réalité

Pour Signez la pétition

http://www.mosquee-lyon.org/petition/index.php?petition=1&pour_voir=oui