• Accueil
  • > Archives pour février 2011

Archive pour février 2011

Situation en Egypte, Frères Musulmans et risques de contagion…

Dimanche 27 février 2011

Entretien avec Bakary SAMBE, docteur en sciences politiques, spécialiste des relations internationales et du monde musulman, Senior Fellow à la European Foundation for Democracy (EFD), a récemment publié « Islam et diplomatie » (juillet 2010)

Comment analysez-vous ce vent de liberté et démocratisation qui balaye le monde arabe, comme récemment la Tunisie et l’Egypte ?

On pourrait appeler cela l’effet « cocotte-minute » ! Depuis des décennies la parole politique est bridée, les libertés élémentaires bafouées ; A force de privations et de répression, cela finit bien par exploser. C’est le cas en Tunisie avec le régime policier de Ben Ali et la corruption qui s’était érigée en système clanique. Mais cette situation a permis de de voir s’effondrer toutes les théories politiques essentialistes, notamment occidentales, qui enfermaient les sociétés arabo-musulmanes ou du tiers monde dans un carcan et les figeait dans l’immobilisme. Nombre de spécialistes croyaient que l’aspiration à la liberté, à la démocratie, aux droits de l’homme était l’apanage de certaines sociétés au détriment d’autres.

En effet beaucoup croyaient cela improbables …

Ce qui les a mis dans un désarroi inouï est le fait que ce soit parti de la Tunisie où on croyait le régime de Ben Ali être le produit de mécanismes sociaux figés à jamais. L’acte du jeune Mohammed Bouazizi qui s’est immolé a démonté tous les présupposés sur les populations arabo-musulmanes que l’on croyait seulement capable de transférer la violence sur le terrain du terrorisme et de la lâcheté. Mais cette situation exprime, par ailleurs, un ras-le-bol général démontrant que la « fin de l’histoire » que théorisait Fukuyama pouvait aussi partir du bas et n’était pas un simple processus messianique émanant d’un Occident devant exporter la démocratie libérale et l’économie de marché. Les choses sont beaucoup plus complexes. Le cas égyptien vient encore signer l’obsolescence de telles théories ; Et heureusement…

Y a t-il des risques de contagion dans la région ?

Il est clair que la jeunesse du monde arabe affranchie de la censure par la magie de l’Internet et de Facebook a bien retenu la leçon tunisienne. Des manifestations ont suivi en Algérie. Le Maroc voisin s’agite avec des appels à manifestations contradictoires selon les sensibilités, mais le plus important est que le débat est désormais posé et le gouvernement l’a bien compris qui a procédé à une baisse des prix de certaines denrées en prenant conscience de la nécessité de réduire le fossé entre riches et pauvres, par exemple. Le cas égyptien n’est pas seulement l’effet d’une contagion : des manifestations avaient bien eu lieu dans ce pays avant même la chute de Ben Ali. Le mouvement « Kifâya », (ça suffit, en arabe) avait bien germé depuis 2004 et ses slogan étaient repris durant ces deux dernières semaines sur la place Tahrir qui a jubilé à l’annonce de la démission de Mubarak après 30 ans de règne. Les mêmes ingrédients qui ont produit le ras-le-bol tunisien sont aujourd’hui tous réunis dans le monde arabe où on voit un pays comme le Yemen d’Ali Abdallah Saleh s’agiter. D’ailleurs des concessions importantes ont été faites par le régime de Sanaa avec la célèbre phrase du président yéménite qui fera certainement date : « lâ tawritha wa lâ tamdîda » (plus question de dévolution monarchique, ni de prolongement de mandat). Signe des temps, même la monarchie jordanienne toujours forte de l’allégeance des bédouins et des clans de la région du Karak semble secouée par des protestations demandant des mesures urgentes sur le plan sociopolitique, sans que cela soit le fait des seuls Frères Musulmans comme à l’accoutumée….

Parlons-en des « Frères musulmans », on craint, d’ailleurs, leur arrivée au pouvoir en Egypte. Selon vous, de telles craintes sont-elles vraiment justifiées ?

D’abord, il faudra s’accorder sur ce dont on parle. Fondée dans les années 20 par Hassan Al-Bannâ’, rappelons que la stratégie des Frères Musulmans s’appuie sur deux aspects : la prédication (da’wa) ou appel au respect des prescriptions religieuses selon une certaine lecture ; dans la société égyptienne, cela a réussi à mobiliser surtout dans les années 1980, les Frères sont également parvenus à s’infiltrer dans plusieurs associations de charité. Le deuxième aspect touche à leur rôle politique, avec un engagement fort en 1984 par une alliance avec le parti libéral Wafd qui leur a permis de faire entrer six députés au Parlement égyptien. En 1987, les Frères Musulmans furent au cœur de l’Alliance Islamique, une association composée de deux forces politiques légales de faible impact et de la Confrérie. Officiellement illégal à l’époque et qui le reste encore aujourd’hui. Cette alliance a obtenu 60 sièges au Parlement dont 35 détenus par les Frères. Jusqu’en 1995, les Frères ont continué à se présenter aux élections législatives et en 2000, ils obtiennent 17 sièges au Parlement. Pour dire que contrairement à l’image créée par les médias occidentaux, ils ont toujours joué la carte de la démocratie, comme d’ailleurs le FIS algérien jusqu’à l’interruption du processus démocratique. Je crois personnellement que ces partis, comme la Nahda en Tunisie (promettant de ne pas revenir le code du statut personnel et les droits des femmes) ont évolué. C’est l’exercice du pouvoir et la confrontation aux réalités avec des responsabilités à assumer qui les contraindront à cette évolution inéluctable ; le discours dans l’opposition se trouve toujours mis à l’épreuve dès qu’il s’agit de régler des problèmes socio-économiques. Ils ont conscience que la jeunesse qui a déclenché ce « printemps arabe » ne demandait pas des versets coraniques ou des hadîths et des mosquées mais du travail, de la formation, et par-dessus tout, de la liberté et de la démocratie. A mon avis, ce sont là des assurances qui peuvent dissiper toutes les craintes ! Voyez le cas de l’AKP avec Erdogan en Turquie ! Si les Frères Musulmans tiennent le discours de la démocratie pour se faire accepter, ils finiront par être tenus par leur discours ! Il va être intéressant de suivre leur évolution, maintenant, dans un contexte égyptien en transition……

Est-ce qu’une arrivée au pouvoir des « Frères musulmans » en Egypte peut avoir un impact sur la géopolitique dans la zone surtout vis-à-vis d’Israël ?

Il est clair que l’Egypte est un point central de la géopolitique du Moyen-Orient ; Obama l’avait bien compris qui y prononça son discours de 2009. Moubarak et Abdallah II de Jordanie sont les alliés incontournables des Etats-Unis dans le cadre du processus de paix qui tarde à tenir ses promesses. Les Frères Musulmans étaient soupçonnés dans l’assassinat de Sadate après les accords de Camp David. Mais, comme je l’ai dit sur la question démocratique, même si les Frères musulmans, après tout, la première force du champ politique égyptien arrivaient aux affaires, les contraintes politiques locales, les exigences économiques qui font que l’Egypte est demandeuse d’aide occidentale et surtout l’aspiration à la paix de ces peuples du Moyen-Orient, vont infléchir leur attitude vis-à-vis du processus de paix. Certainement Israël serait amené à être moins intransigeant et que les Etats-Unis vont revoir leur copie surtout pour atténuer l’anti-amaricanisme dans la rue et l’opinion publique arabes. On a bien observé la retenue des autorités américaines qui n’ont pas voulu se mettre à dos les manifestants par précaution. Imaginez, si Washington s’était rangé aux côtés de Moubarak, malgré les pressions saoudiennes, comment assainir par la suite les rapports avec les Egyptiens. Je crois que nous sommes véritablement dans une nouvelle ère…

Pouvez-vous revenir rapidement sur l’évolution de la crise égyptienne qui a eu finalement l’issue que l’on sait ?

Je n’ai jamais voulu faire des prédictions surtout en politique qui est une usine à surprises par nature ! Mais il était permis d’imaginer plusieurs scenarii possibles : Jusqu’à hier Hosni Moubarak n’avait, en apparence, manifesté aucune intention de partir et croyait toujours pouvoir s’en sortir, mais avec le durcissement du ton dans la rue égyptienne qui n’a rien voulu céder en bravant un couvre-feu datant de la mort de Sadate, le Raïs a bien été obligé de quitter le pouvoir. Mercredi, la déclaration de Omar Suleiman issu des élites de l’armée semblait insinuer que celle-ci avait fait le choix de protéger le régime. Les choses se sont précipitées et ce régime ne pouvait plus compter sur des soutiens dans un pays où la révolte avait déjà gagné les syndicats, les jeunes et même les fonctionnaires. La situation était intenable : le peuple a eu raison de la dictature et même de la force, car il ne faut pas oublier que l’on a décompté plus de 300 morts parmi les manifestants. Je pense qu’à partir de là, ils ne pouvaient plus faire machine arrière…

Et que peut-il se passer dans les jours à venir ?

Hosni Moubarak a donc fini par céder après 18 jours de mobilisation. L’homme fort de l’Egypte depuis 30 ans vient d’annoncer, par la voix de son vice-président Omar Souleimane, qu’il quittait le pouvoir et le confiait à l’armée. Il faudra être attentif maintenant sur la manière dont elle va gérer la transition : sera-t-elle loyale par rapport à la population qui a consenti de nombreux sacrifices conformément à la fibre nationaliste qu’on lui connaît ? Les prochains jours nous édifieront. Mais ma grande question est comment les régimes arabes vont maintenant contenir l’onde de choc partie de Tunis. Le vent de la liberté et de démocratie qui vient de souffler sur l’un des plus importants pays du monde arabe va-t-il épargner les autres ? Une heure à peine après sa démission, les puissants Frères musulmans de Jordanie déclaraient, par la voix de leur porte-parole, Jamil Abu Bakr, que le départ de Moubarak « doit être une leçon pour beaucoup de régimes arabes. Il est intervenu grâce à la volonté du grand peuple égyptien et est le résultat de l’injustice et de la corruption.» Ces deux derniers symptômes étant omniprésents dans le monde arabe, on peut légitimement se demander si la leçon tunisienne et l’expérience égyptienne ne vont pas encore faire des émules…
Xalimasn.com

السياسة الدينية للمغرب بأفريقيا

Jeudi 17 février 2011

خاض الباحث الشاب بكاري سامبي غمار بحث طويل ومتفرد حول العلاقات المغربية الأفريقية، عموما، والمغربية السينغالية خصوصا، المبنية على ميراث ديني مشترك تعود بداياته إلى الصفحات الأولى لدخول الإسلام إلى ما أطلق عليه المؤرخون العرب والمغاربة « بلاد السودان » أي البلدان ما تحت الصحراء بلغة الجغرافيا السياسية الحالية. ويقدم بكاري، وهو أستاذ العلوم السياسية، وباحث ضمن « مجموعة البحوث حول البحر المتوسط والشرق الأوسط » بمدينة ليون الفرنسية، رؤية جديدة في التفسير السياسي لعلاقات عميقة الجذور بين المغرب والطرق الصوفية بعدة بلدان أفريقية لا تخضع للنظريات السياسية المتداولة، ولا للسياسات الدبلوماسية المعروفة بين البلدان الحالية، إذ أنها تخرج عن المألوف الغربي باعتماد دبلوماسية دينية موغلة في التاريخ.

بكاري سامبي، الذي يتقن اللغة العربية، هو أيضا خبير مختص في علم السياسة والعلاقات العربية الأفريقية وحركات النضال الإسلامي والشبكات العابرة للدول، كما أنه خبير في المؤسسة الأوروبية للديمقراطية الموجودة في بروكسيل، جمع إلى جانب هذا انخراطه في الزاوية التيجانية ودفاعه عن التصوف خاصة في مدونته على الأنترنت، وهذا ما ساعده على الإلمام بقضايا البحث وإشكالاته وتقديم مزيد من البيان والتفسير.

ونظرا لقيمة الكتاب فقد جرى حفل تقديمه وتوقيعه بالسينغال بتعاون مع « دائرة السينغال-المغرب للصداقة والأخوة »، أمام حضور كبير وعلى رأسه وزير المالية السينغالي السيد عبدولاي ديوب، ووزير الجماعات المحلية السيد أليو ساو. كما حضر الحفل شخصيات عسكرية وممثلو مؤسسات ومفكرون وجمهور غفير من أتباع الطريقة التيجانية.

وأشار الباحث السينغالي، في كلمته، إلى أن هذا الكتاب يبرز العوامل التي تضمن للمغرب، « بلد الاشباع الروحي بالنسبة لملايين الأفارقة، من المرابطين إلى السعديين والمرينيين، والطرق العابرة للصحراء لشبكات الطريقة التيجانية، مكانته الدبلوماسية في أفريقيا » والقائمة على التاريخ وعلى كونه يشكل « نموذجا دينيا » بالأساس.

ومنذ مقدمة الكتاب يوضح بكاري مناهج البحث في العلاقات الدبلوماسية بين الدول العربية والأفريقية التي تهمل دور الإسلام في هذه العلاقات وتفسره تفسيرا اقتصاديا أو سياسيا أو مصلحيا، وتركز على المؤسسات، مهملة دور الأفراد والمجموعات والرموز. مضيفا أن بحثه هذا سيراهن على إعطاء البعد الروحي والديني مكانته الكاملة اعتمادا على أدوار الطرق الصوفية، خاصة الطريقة التيجانية في علاقات المغرب ودول جنوب الصحراء الأفريقية، وخاصة السينغال.

وخلافا لما جرى في الغرب من إبعاد للدين وبروز للفردانية، يرى الباحث أن التدين بقي محافظا على مكانته وشكله الجماعي في البلدان الأفريقية المسلمة، ومؤثرا في الحياة الاجتماعية، فلا يمكن الحديث عن علمنة في العلاقات الاجتماعية ولا عن تجديد في الدين، إذ بقي الشعور الديني بعيدا عن كل مساس.

الرسالة الدينية للمغرب

وأوضح الباحث أن المملكة المغربية آمنت دوما بأن القدر كتب عليها القيام برسالة دينية تجاه أفريقيا عموما، والدول القريبة منها خصوصا، ولذلك أخذت على عاتقها نشر الإسلام ورعايته في تلك المنطقة بطرق مختلفة منها الدعوة عن طريق القوافل التجارية، وعن طريق المدارس العلمية العتيقة، ناهيك عن القتال في سبيل الله إن اقتضى الأمر ذلك بناء على فتاوى العلماء.

وقدم الباحث نموذج المدارس العلمية التي كانت موجودة في بلاد شنقيط، موريتانيا حاليا. في المدرسة المغربية الشنقيطية تلقى العلم عدد من أبناء السينغال والممالك الأفريقية وتخرجوا منها عائدين إلى بلدانهم لنشر الدعوة والعلم والطريقة الصوفية، بفتح مدارس جديدة وزوايا جديدة. وذكر الباحث أن الطريقة التيجانية عرفت أوج تألقها ونشاطها في القرنين التاسع عشر والعشرين، وأن أبرز رمز علمي وصوفي من رموزها كان هو الشيخ محمد الحافظ الشنقيطي وتلاميذه، الذي تتلمذ على يد مؤسس الطريقة التيجانية سيدي أحمد التيجاني بفاس، وأخذ عنه الورد والطريقة ثم عينه خليفته في بلاده. وعند العودة قام هذا الخليفة بتخريج علماء وخلفاء آخرين نشروا الطريقة في بلدان أفريقيا الغربية، مثل الحاج عمر تال والشيخ الحاج مالك سي وآخرين.

وظل ولاء الطريقة التيجانية بالسينغال والدول المجاورة للمغرب يتعاظم حتى قام الملك المغربي محمد السادس بتعيين ممثل للطريقة السينغالية بالمغرب في شخص الشيخ محمد الكبير، كما أن وفود الحجاج والعمار السينغاليين صاروا يمرون أولا بفاس حيث ضريح مؤسس الطريقة التيجانية فيقيمون بها أياما قبل التوجه للمشرق لأداء مناسك الحج والعمرة. هذا فضلا عن أن إجازات التعليم والتربية على الطريقة لا تعطى إلا في فاس التي يعتبرها الأفارقة العاصمة الروحية والعلمية للمغرب.

الحج إلى فاس

« السفر إلى فاس ليس مصدر إشباع وجداني روحي داخلي فحسب، بل هو حظوة ومنزلة رفيعة في سلم الطريقة » على حد تعبير الباحث.

والحج إلى فاس كان له أكبر الأثر على السياسة الدينية للاستعمار الفرنسي بأفريقيا الغربية، فقد اجتهدت لقطع الحبال بين التيجانيين السينغاليين والمغاربة لإنهاك المقاومة في البلدين، لكنها فشلت في الأمر لجهلها بضخامة شبكات العلاقات الاجتماعية والعلمية بين الزاوية الأم وفروعها المنتشرة في الغرب الأفريقي. وقررت السلطات الفرنسية « سنغلة » الوفد المشرف على وفود الحجاج إلى فاس بتعيين أطر دينية سينغالية لضمان ولائها وتطبيع العلاقات معها.

لم تنجح محاولات الاستعمار الفرنسي في قطع العلاقات بين التيجانيين السينغاليين وفاس، واضطرت في النهاية إلى محاولة احتوائها وتنظيمها. ومن شدة التعلق بفاس، سعت بعض المدن السينغالية إلى تمتين العلاقات معها، وبرزت في هذا الشأن مدينة « تيفوان » التي استقر بها بعض رموز الطريقة التيجانية السينغاليين، منهم الحاج مالك سي، وتحولت إلى مركز روحي مهم حافظ على علاقات وثيقة مع فاس والمغرب عن طريق شبكات صوفية متعددة. ثم تطورت العلاقات إلى أن وصلت إلى علاقات شخصية قوية بين رموز الطريقة التيجانية السينغالية والعائلة العلوية الحاكمة بالمغرب، ظهر أسمى مظهر لها في الوفد التيجاني الذي شارك في استقبال الملك الراحل محمد الخامس في مطار دكار وهو عائد من منفى مدغشقر إلى بلاده.

وفي عهد الملك الحسن الثاني بلغت العلاقات ذروتها إذ قام الملك بتدشين المسجد الأعظم بدكار سنة 1963، وهو المسجد الذي اختار الكاتب أن يجعل صورته غلافا للكتاب. وألقى خطيبه التيجاني خطبتين بليغتين أمام « أمير المؤمنين ».

« أمير المؤمنين » حتى بالسينغال

وبعد رحيل الاستعمار ظلت العلاقات الشعبية العفوية هي السائدة. ولتجنب بعض المشاكل والاحتكاكات فكر المغرب في تنظيم العلاقة تنظيما رسميان فأنشأ « رابطة علماء المغرب والسينغال للصداقة والتعاون الإسلامي » في 3 يونيو حزيران 1985، بالرباط تحت الرعاية المباشرة للملك الراحل الحسن الثاني، وممثل للرئيس السينغالي عبدو ضيوف. ويوضح المؤلف أن هذه الرابطة ظلت تحت قبضة المملكة المغربية بسبب التمويل الذي تكفلت به، وبسبب ملئها بالأطر التيجانية المؤيدة للمغرب. وعندما تولى الحكم بالمغرب محمد السادس حرص أشد الحرص على مواصلة العلاقات مع التيجانية السينغالية بتنظيم اللقاءات الثنائية وتوجيه الرسائل إلى ملتقياتها واحتضان شيوخها وزعمائها، كما أن شيوخ ومقدمي الزوايا التيجانية السينغالية ظلوا يعتبرون ملك المغرب شريفا وأميرا للمؤمنين.

وعندما قام الملك محمد السادس بأول جولة أفريقية له، حرص شيوخ الطائفة التيجانية على دعوة الأتباع لتخصيص استقبال يليق بمقام « أمير المؤمنين » كما فعل من قبل مع أبيه الحسن الثاني وجده محمد الخامس عندما زارا السينغال. ويؤكد الباحث أن جميع التيجانيين السينغاليين يعتبرون أن الملوك المغاربة هم رواد وحماة الطريقة حسب استطلاع قام به، مضيفا أن معظم السينغاليين يعتقدون أن مؤسس الطريقة التيجانية والملوك العلويين من أسرة واحدة.

لوبي ضاغط

ويؤكد الباحث أن الطرق والزوايا الصوفية الموالية للمغرب دينيا تشكل لوبيا ضاغطا لفائدة المغرب في القضايا السياسية الكبرى، لا سيما قضية الصحراء. فكلما تغير موقف من المواقف لدى بعض الدول الأفريقية من هذه القضية لفائدة الجزائر أو جبهة البوليزاريو كانت الجماعات الصوفية تضغط على حكوماتها لمراجعة موقفها ومناصرة المغرب.

وأضاف أنه عندما أحست الجزائر بأهمية هذا « السلاح » تحركت هي الأخرى لاستمالة التيجانيين معتمدة على أن سيدي أحمد التيجاني جزائري المولد والنشأة، فسعت لتنظيم ملتقى دولي للتيجانية فوق أراضيها، لكن المغرب رد عليها بتنظيم ملتقى مواز له حضره مئات من ممثلي ومقدمي الزوايا التيجانية بأفريقيا والعالم، لإظهار تفوقه وسبقه.

ويرى الباحث أن ظهور الإسلاميين الجدد بقوة في الجزائر هو الذي دفعها إلى استثمار العامل الصوفي لمكافحته، فضلا عن منافسة المغرب على الصعيد الدبلوماسي الديني. ويقول بكاري إن المغرب متفوق كثيرا على الجزائر في هذا المجال، غير أن عشرات الملايين من التيجانيين في نيجيريا يشكلون رهانا مستقبليا بالنظر إلى موقف لاغوس من قضية الصحراء.

سحابة صيف

في دجنبر 2007، ظهر سوء تفاهم بين المغرب والسينغال، إذ استدعت الرباط سفيرها بدكار على إثر تصريحات « سيئة » لعضو من حزب المعارضة في حكومة عبد اللاي واد، جاك بودان، السكرتير الوطني المكلف بالعلاقات الخارجية للحزب الاشتراكي السينغالي ووزير الخارجية في الحكومة السابقة لعبدو ضيوف. وكان هذا المسئول قد شارك في مؤتمر بتيفاريتي نظمته جبهة البوليزاريو بدعم جزائري. كما أن مسئولا بالحزب نفسه، أوسمان تانور ديينغ، قد أدلى بتصريحات مماثلة في تندوف. وهنا تحركت الآلة التيجانية بقادتها وقواعدها نحو مقر الحزب الاشتراكي السينغالي للاحتجاج وإنهاء التوتر وإعادة العلاقات إلى سابق عهدها.

استمرارية وتوسع

ويتوقع بكاري أن يستمر الدور الروحي والدبلوماسي للتيجانية بين المغرب والدول الأفريقية المجاورة في السنوات المقبلة، ففي السينغال اكتسبت الزاوية دور الوسيط بين البلدين في السراء والضراء، وفي المغرب تعزز دورها بتعيين خلفاء وممثلين للتيجانيين السينغاليين في فاس والرباط ومراكش، فضلا عن الملتقى الدولي السنوي للتيجانيين بفاس القادمين من القارات الخمس.

ويؤكد في ختام كتابه أن « الفعالية السياسية للرموز الدينية حقيقة أدركها أخيرا الناشطون السياسيون، وسوف يستخدمونها لدعم الاستراتيجيات وتحقيق الأهداف الدبلوماسية ». فالدين والسياسة توأمان لا يفترقان في العلاقات المغربية الأفريقية، وبذلك يثبت المغرب حسن استثماره للعلاقات التاريخية مع البلدان الأفريقية وقبائلها وممالكها منذ الفتح الإسلامي إلى ما بعد رحيل الاستعمار الفرنسي.

غير أن الكاتب تجنب الحديث عن الآثار السلبية لهذا الاستثمار الديني على العلاقات الرسمية مع البلدان المعنية، ومزاحمة الرموز والشيوخ والزوايا لوزارات الخارجية ورؤساء الدول، وكيف كانت ردود أفعال تلك الدول إزاء ما يمكن اعتباره « تدخلا » من المغرب في الشؤون الداخلية لتلك البلدان.

ومن القضايا التي لم يستطع الباحث التفصيل فيها مكتفيا ببضع كلمات عنها، انخراط الطرق الصوفية السينغالية الباقية في شبكة العلاقات مع المغرب إسوة بالطريقة التيجانية، ويتعلق الأمر بالطريقة المريدية، وهي من الطرق القوية بالسينغال، والطريقة القادرية ولها وجود واسع وتشجيع رسمي بالمغرب، واعتبر بكاري أن هذه الخطوة هي توسيع في الولاء للعاهل المغربي وأمير المؤمنين ليشمل كافة مسلمي السينغال. وربما احتاج هذا التوسيع إلى دراسة أخرى، خاصة وأن كتابه هذا تطلب منه وقتا طويلا ولقاءات متعددة وأسفار بين المغرب والسينغال وفرنسا.

المؤلف بكاري سامبي

الطبعة الأولى 2010

دار النشر مرسم – الرباط

عدد الصفحات 240

عرض الحسن سرات

Islam et civilisation universelle : Quand Serigne Cheikh Tidiane Sy théorisait la revanche de l’éthique

Mardi 15 février 2011

Par Dr. Bakary SAMBE

L’éminent critique littéraire, Yahya Haqqi (1905-1992), alors directeur des Editions Dâr Maktabat al-Hayat de Beyrouth, pouvait-il imaginer toute la portée de son initiative lorsqu’il demandait à Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy, l’autorisation de publier un recueil de ses différentes interventions sur l’islam, la pensée islamique en Afrique et la situation des Musulmans en Afrique de l’Ouest ? Il devait être assez visionnaire pour comprendre que de ces petites notes guidant les démonstrations d’un orateur hors pair, jaillira une pensée éclairante pour les générations futures !

Sa conclusion sur l’étude de l’islam comme système sera l’occasion de nombreux questionnements sur l’apport des idéologies qui se disputaient le monde bipolaire cadre d’une telle pensée. C’est sur cet aspect que Serigne Cheikh Tidiane Sy s’attardera en défendant l’idée d’un apport réconciliateur de l’islam, du spirituel au secours du tout-matériel, d’un monde en proie à l’animosité nourrie par les égos démesurés, l’ambition et le règne sans partage du matériel jusqu’à s’éloigner des formes de solidarités qui faisaient même la particularité du genre humain.

Sur ce point précis, Serigne Cheikh a tenu à pointer les effets dévastateurs auxquels avait conduit un tel état d’esprit dont l’histoire retiendra : un Jules César mu que par son ambition conquérante, un Alexandre Le Grand fini en captivité, un Napoléon croupissant à Sainte-Hélène et un Hitler à qui s’offraient deux choix aussi tragiques l’une que l’autre : la fuite ou le suicide.
Un certain Albert Camus, le rejoindra par cette conclusion sans appel : « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie ; il va falloir, dans un futur plus ou moins proche, choisir entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques ». N’est-ce pas un aveu de la nécessité d’une conscience devant accompagner la science si l’on ne veut pas en arriver, justement, à une « ruine de l’âme » ?

Voilà que, depuis plus de soixante ans, Serigne Cheikh Tidiane Sy défend que pour la durabilité des systèmes, l’Homme qui les met en place avait tout intérêt à s’appuyer sur la science doublée d’une éthique, comme éléments de guidance vers une civilisation universelle (Al-Hadâra al-âlamiyya). Ce renouveau de la pensée pour une re-naissance de l’homme moderne et conscient ne pouvait plus ignorer la dimension spirituelle de l’existence. De même, le croyant, aussi, ne devait plus se permettre de se réfugier dans un ilot dogmatique, insensible aux interrogations qu’imposent son époque et son statut.

Dans sa démarche, Serigne Cheikh Tidiane Sy, part du local pour traiter des problématiques dans leur dimension globale. A l’entame du chapitre qu’il consacre à « la contribution de l’islam à l’émergence de la civilisation universelle », il s’appuie sur le cas du musulman sénégalais qu’il disait être dans un grand besoin de réfléchir sur cette question. Bien entendu, ce n’était point par un culte des particularismes qu’il semble négliger au profit de l’Universel. Car, en plein monde arabe cherchant toutes formes de légitimation pour un leadership musulman, il précisera que « le message de l’islam n’est ni arabe, ni non arabe, ni oriental ni occidental…le message de l’islam ne peut se réduire à une couleur de peau, à une ethnie ni encore un pays sans les autres ». Il considère donc ce message universel comme celui qui a pu façonner les divers dogmes, savoirs et modes de vie dans le moule de l’Unicité et du sacré.

Donnant peu d’importance au miraculeux et au merveilleux dans le processus conduisant à la sincérité du croire, Serigne Cheikh s’appesantit beaucoup sur le fait coranique, sauvegardant, éternisant et universalisant le message de Mouhammad (PSL) « Innâ nahnu nazzalna Dzikra wa innâ lahû la-hâfizûna, Coran, 90-15). C’est le seul miracle qu’il reconnaît d’ailleurs car capable de faire de l’homme musulman un excellent et digne représentant d’un messager hors pair la constante revivification d’un message universel. Al-Maktoum dira, même, que le problème crucial du monde n’était ni la guerre, ni la paix, ni la politique, ni l’économie, ni l’action mais bien de l’homme capable de faire émerger une civilisation profitable à la terre et à son locataire, l’Humanité. Il soutient que si une telle condition ne pouvait se réaliser « la politique se réduirait à une simple mystification, l’économie à l’exploitation, l’action à l’injustice et la guerre comme un des conséquences d’une telle tyrannie ».
C’est à partir de ce constat qu’il conçoit la contribution de l’Islam et des musulmans à l’émergence d’une telle civilisation universelle.

Passant en revue les témoignages d’un Lamartine fasciné par le prophète de l’Islam qui conclut qu’il est ce grand homme de l’histoire qui ne s’est pas contenté de « vingt empires terrestres » mais a aussi et surtout fondé « un empire spirituel céleste », Serigne Cheikh aboutit à la remarque suivante : la contribution qu’il est demandée au musulman d’apporter à cette civilisation est la foi en ce message globalisant qui a fait dire au « plus grand homme de l’histoire moderne », : « Certes, je suis envoyé pour parachever les qualités morales et éthiques » (Innamâ bu’ithtu li-utammima makârimal akhlâq). Al-Maktoum passera ensuite à l’explication de texte autour de ce hadîth dont la plupart des penseurs n’ont qu’une compréhension littérale. Pour Serigne Cheikh, ce hadîth en dit beaucoup plus : « Je suis envoyé pour réorganiser cette Civilisation dont la Torah parle au bénéfice du Judaïsme, l’Evangile pour le Christianisme et le Saint Coran pour l’Humanité entière en guise de parachèvement de tout ce qui a précédé ».
Dans son explicitation de la civilisation de l’Universel, Serigne Cheikh va plus loin en assimilant le terme de civilisation à celui d’éthique. Là où ses prédécesseurs avaient compris le terme de « Akhlâq » dans sa seule acception, morale, Al-Maktoum, l’élargit à la notion d’éthique, en rappelant le vers du poète égysptien, Ahmad Shawqî « Wa innamal Umamul akhlâqu mâ baqiyat/ Wa in humû dzahabat akhlâquhum dzahabû ».

En fait, pour Serigne Cheikh, afin d’être pérennes, les civilisations sont tenues et se défendent par l’éthique, non pas par les canons, les chars et les dollars. Lorsque l’éthique qui les fondait en arrivait à disparaitre, elles disparaissent avec elle. Il explique par ce fait la pérennité et la durabilité de l’islam et la manière dont il marque l’histoire de l’humanité.
Pour Cheikh Tidiane Sy il faut espérer que la Civilisation humaine, dans son essence, « puisse retrouver toute la splendeur qu’elle mérite et sans laquelle la terre deviendra une « boucherie » où, un jour ou l’autre, ceux à qui l’on a enlevé leur dignité pour en faire « des vaches, des chevaux et des loups », se révolteront contre les patrons et grands industriels, les habitants des capitales et des gratte-ciels pour recouvrer l’honneur de l’Humanité ».

Selon lui si l’humanité en arrive à ce point, alors « plus d’humanité et point de civilisation ! ».
Vision ne pouvait être plus futuriste. Il aura bien fallu attendre la fin du XXème siècle, que le communisme s’effondre, que Jean-Christophe Ruffin parle d’« empire » et de « nouveaux barbares », que d’aucuns prophétisent la « Fin de l’Histoire », qu’un certain Huntington théorise le choc des civilisations, que le 11 septembre se produise, qu’Emmanuel Todd prédit la « fin de l’Empire », qu’on envahisse des pays souverains au mépris du droit international, que le capitalisme mondial soit frappé par une crise inouïe, que le terme de régulation réintègre le vocabulaire économique et financier, que la jeunesse du monde arabe se dresse contre l’injustice des potentats longtemps soutenus par le silence de l’Occident, qu’une réelle crise de confiance s’installe entre les gouvernés et les gouvernants pour comprendre enfin le vrai sens et la nécessité de l’éthique dans les rapports politiques et économiques !
Pourtant, dès les années 1960, Serigne Cheikh, ce penseur avant-gardiste, l’avait intégré dans sa conception d’une civilisation universelle durable à laquelle l’islam et les Musulmans devraient contribuer à la mesure de la pertinence du message Mohammedien. Mais il fallait, comme préalable, que les musulmans, eux-mêmes, osent en faire une lecture ambitieuse.

Certainement, pour théoriser une telle conception et l’harmoniser avec le message islamique au-delà des particularismes, il fallait compter sur la vision d’un Cheikh Tidiane Sy, ce « philosophe de son temps » (faylasûfu ‘açrihi) –comme le dit Serigne Maodo Sy – armé d’un sens élevé de la critique constructive et d’une audace de l’alternative, libératrices des conformismes coutumiers (âda), puisse l’exprimer en toute responsabilité.

Quel avenir pour la Tunisie – Interview de M. Chérif Ferjani

Dimanche 13 février 2011

Quel avenir pour la Tunisie ?
Par Julie Langlois

source : Lyon Capitale

INTERVIEW – Mohamed-Chérif Ferjani, politologue, spécialiste de l’Islam et du monde arabe tente de répondre à cette question pour Lyon Capitale. Né en Tunisie, il est professeur à l’Université Lyon 2, chercheur à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée. Ancien prisonnier politique en Tunisie de 1975 à 1980, il est membre fondateur de la section tunisienne d’Amnesty International. Lundi 7 février, il donnait une conférence à l’Université Lyon 3 sur le thème : « La Tunisie aujourd’hui et demain ? ».

Lyon Capitale : Quel est votre point de vue sur les événements qui se sont déroulés récemment en Tunisie ?

Pour moi, ce qui se passe en Tunisie est un événement historique important qui suscite beaucoup d’espoir pour les Tunisiens et pour toute la rive Sud de la Méditerranée, voire le reste du monde. C’est d’autant plus important que tout le monde, en Tunisie comme ailleurs, a intégré l’idée que le système de Ben Ali était trop fort pour être renversé. C’est donc un grand soulagement pour le peuple tunisien.

La partie est cependant loin d’être jouée et pour tourner définitivement la page de la dictature et instaurer la démocratie, la Tunisie va devoir affronter d’autres défis. Malgré la fuite de Ben Ali et de beaucoup des membres de sa famille, malgré l’arrestation ou la mise en résidence surveillée de ses proches qui n’ont pas pu quitter le pays à temps, malgré le début du démantèlement du Parti-Etat comme rouage principal de la dictature, le limogeage ou la mise à la retraite de ministres, de gouverneurs, de haut gradés de l’administration et de la police trop liés au système déchu et considérés comme un obstacle à la réalisation des objectifs de la révolution, voire comme une menace à la sécurité de pays, et malgré les différentes mesures prises par le gouvernement de transition, il reste encore des obstacles à franchir pour atteindre les objectifs de cette révolution.

Quel avenir se dessine selon vous pour la Tunisie ?

Le démantèlement des rouages de la dictature, avec la dissolution du RCD (parti de Ben Ali), est bien entamé ; mais l’essentiel reste à faire pour instaurer la démocratie. Les prochaines élections présidentielles , dans 6 mois auront lieu trop tôt selon moi, car beaucoup de partis étaient jusqu’ici muselés comme toutes les expressions autonomes de la société. Il faut que les expressions sociales et politiques aient le temps de s’organiser, d’élaborer des programmes, de confronter leurs projets, de les faire connaître pour que la population sache pour qui et pour quoi elle va voter. La Tunisie est actuellement dans une période de transition où tout reste à faire, que ce soit au niveau des institutions, des programmes politiques ou encore du code électoral sur la base duquel les élections seront organisées.

Quelles sont les revendications de la population tunisienne ?

Le mot d’ordre principal du soulèvement était : Travail/ Liberté/ Dignité. Pour ce qui est de la Liberté, durant cette période de transition, nous assistons à une reconnaissance des partis politiques qui ont demandé à l’être, le pluralisme politique associatif et médiatique est en passe de devenir une réalité. De même, le gouvernement a ratifié des conventions internationales concernant les droits humains (abolition de la peine capitale, de la torture et des traitements dégradant pour la dignité humaine, adhésion à la création du tribunal pénal international), levé les réserves de la Tunisie sur la convention relative à l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (comme l’inégalité en matière d’héritage ou l’interdiction du mariage entre une femme musulmane et un homme non-musulman) ; ce genre de mesure donne une orientation démocratique à l’évolution de la situation et est malheureusement peu médiatisé.

En ce qui concerne la dignité, les Tunisiens ne supportent plus l’arrogance de la police et de l’administration dont les attitudes reproduisent celles de l’ancien système. Des personnes sont mortes sous la torture et brûlées dans un commissariat de police. Dans plusieurs endroits, on continue à traiter la population avec mépris. Des émeutes continuent à éclater partout pour dénoncer ces pratiques. Les Tunisiens veulent être traités avec dignité.

Que doit faire le peuple selon vous dans cette période de transition ?

Il était déjà nécessaire avant de virer certains cadres et agents de la police. Les manifestations étaient, au départ, pacifiques, mais elles sont aujourd’hui souvent violentes à cause de l’attitude de la police et de certains responsables de l’ancien Parti-Etat qui continuent à agir comme par le passé. On ne peut pas exclure une part de manipulation de ces responsables envers la population pour engendrer des émeutes afin de créer le chaos. Le but, pour ces opposants à la révolution, étant de restaurer la dictature et de détourner le mouvement de son orientation démocratique. La population a raison de réagir contre les pratiques de la police et des responsables du RCD.

Que doit faire le gouvernement actuel selon vous ?

Le gouvernement de transition n’a pas le droit de prendre prétexte des agissements qui sont à l’origine des émeutes pour restreindre la liberté d’expression. Il doit permettre la libre expression de toutes les opinions, par tous les moyens légaux, y compris par des réunions et des manifestations publiques, et cela pour celles et ceux qui le soutiennent, comme pour celles et ceux qui contestent, à tort ou à raison, sa légitimité. Pour ce qui est du travail, les pouvoirs publics doivent avoir comme priorité de préserver les emplois existants et créer, au plus vite, de nouveaux emplois, notamment pour les jeunes et dans les régions défavorisées d’où est parti le soulèvement qui a conduit à la chute du régime de Ben Ali.

Est-ce que les propositions des politiques tunisiens en place vous semblent cohérentes ?

L’un des ministres reconduit, et réputé pour être intègre et compétent, avait déjà présenté un plan dans lequel se retrouve beaucoup de ces propositions syndicales et de l’opposition. Ce plan a été écarté d’un revers de main car jugé trop coûteux ! On n’a vu que ce plan risquait d’enlever à la mafia son pouvoir sans tenir compte du coût social et politique de ce rejet. L’Etat doit reprendre l’initiative, renoncer à son désengagement, favoriser l’implantation d’entreprises et d’activités économiques pourvoyeuses d’emplois, et donner l’exemple en consacrant une part plus importante de ses investissements à ses objectifs. Mais, en raison des difficultés inhérentes à la conjoncture actuelle, et de l’urgence d’une politique prenant en compte les espoirs de la population, on ne doit pas courir le risque de décevoir encore une fois. Tous ceux qui veulent et qui ont intérêt à voir une démocratie s’instaurer sur la rive sud de la Méditerranée, doivent y contribuer.

Que peut faire la France pour aider à la reconstruction économique et sociale de la Tunisie ?

La France et les pays européens, qui ont eu tort de porter à bout de bras la dictature corrompue de Ben Ali, ont là une occasion de se racheter, en apportant leur aide à la réussite de la révolution démocratique en Tunisie. Les états européens ont gelé les avoirs de Ben Ali et de sa famille proche (estimés par Forbes à au moins 5 milliards de dollars, l’équivalent du budget tunisien). C’est une enveloppe assez importante pour garantir une aide substantielle à la Tunisie dans l’effort qui doit être consacré à la création d’emplois. Le manque d’emplois risque en effet d’aggraver la crise sociale et de compromettre les espoirs démocratiques. La France et l’Europe disent vouloir aider la Tunisie ; il faut que les actes suivent le discours.

Par comparaison à la Tunisie, pensez-vous que les Marocains respectent leur roi Mohammed VI ?

Au Maroc, le système est différent. Les structures traditionnelles n’ont pas été démantelées et continuent à fonctionner. Il existe une certaine forme de liberté d’expression à la différence de la Tunisie. Par exemple, les chômeurs peuvent parler librement et sont rassemblés dans des associations indépendantes du gouvernement. Il n’y a pas un vide entre le pouvoir et la société. Le pluralisme syndical et associatif existe et c’est très important car il permet de faire le relais entre le pouvoir et la population. Le chômage existe ainsi que des disparités socio-économiques importantes, mais contrairement à la Tunisie, les Marocains accèdent à la liberté d’expression, ce qui permet de tempérer la crise. Au contraire, en Tunisie, tout passe par l’Etat et rien ne se fait encore en dehors de l’Etat.

Mots-clés : tunisie , professeur , Maison de l’Orient et de la Méditerranée , avenir , Université Lyon 2 , spécialiste de l’islam , politologue , Mohamed-Chérif Ferjani

Hommage à Maodo ou hymne à la reconnaissance: la Dâliya de Cheikh El Hadji Mansour Sy Malick

Dimanche 13 février 2011

Hommage à Maodo ou hymne à la reconnaissance : la Dâliya de Cheikh El Hadji Mansour Sy Malick

Bakary SAMBE

Publié sur : Xalimasn.com

Dans le mètre Al-Basît, choisi par Busayrî pour magnifier le Prophète de l’Islam, Cheikh El Hadji Mansour Sy Malick a composé une dâliya (qacîda de rime en dâl « d »), qui n’aura rien à envier à celle d’Ibn Durayd. On savait la portée et la pertinence de ses écrits sur le Prophète, mais, cette fois-ci, Cheikh El Hadji Mansour Sy rend hommage au père vertueux (antal wâlidul barru) et à l’éminent professeur (yâ ustadzou sindîdi) : Cheikh El Hadji Malick Sy. Malgré le célèbre vers devenu le refrain d’un hymne à la reconnaissance « Fardun alal-Ibni Shukrul wâlidayni », au-delà du père qu’était Maodo, Cheikh El Hadji Mansour Sy y loue surtout les qualités de l’illustre guide spirituel.

Partant de l’importance que Cheikh El Hadji Malick accordait à l’observance de la Sunna de son modèle, le Prophète Muhammad, Cheikh El Hadji Mansour Sy rend grâce à Dieu de nous avoir gratifié (Manna ‘alaynâ bi shaykhin wâlidin rahimin) d’un tel père spirituel. La force d’un tel témoignage fait de cette qacîda une grâce du cœur (shukril qalbi) que ne pourront exprimer les seuls mots en toute exhaustivité. Le poète hors pair estime qu’il serait impossible d’énumérer tous les aspects de cette gratitude d’avoir Cheikh El Hadji Malick comme guide et père spirituel (wa in ‘ajaztu ‘anil îfâ’i fa ta’dîdu !). Il compare cette ambitieuse tâche de vouloir s’atteler dûment à un hommage à Maodo à la volonté de cet autre ambitieux voulant « compter les gouttes d’eau d’une averse » (qatrâtil wabli), tellement Cheikh El Hadji Malick avait la générosité dans l’âme lorsqu’il s’agissait, surtout, de déverser le savoir.

Ce fils d’Ousmane Sy (Yâ najla Uthmâna) est décrit par Cheikh El Hadji Mansour comme la chance de tout aspirant à la réalisation spirituelle (Yâ sa’d al-murîdi) ; c’est le Cheikh qui guide vers la réussite et l’Ihsân (l’excellence spirituelle) avec une rare générosité.
Mais Cheikh El Hadji Malick est bien plus que cela : Cheikh El Hadji Mansour nous dit qu’il est cet éducateur de l’âme (murabbî nafsi) en qui il a trouvé un de ces rares guides vous renforçant sur les chemins de la droiture (Irshâdun wa ta’yîdu). D’après lui, Maodo est, en fait, ce guide qui, de la plus humble et discrète manière, façonne son disciple jusqu’à lui conférer une forme de distinction l’élevant parmi ses semblables (Aslahta hâlî sirran lastu muhtafilan).

Cheikh El Hadji Mansour revient longuement sur cette « méthode Maodo » de former et de façonner des générations qui, finalement, deviennent ses dignes représentants. En plus de procurer une douceur de l’existence (Wal ‘ayshu fî raghadin !) et un apaisement du cœur, la gratitude d’être de l’école de Cheikh El Hadji Malick, est doublée d’un gage de continuité de son enseignement. L’observance des principes qu’il a légués en finit par perpétuer cet état de grâce nourri par son flux continu. Cheikh El Hadji Mansour exprime cela dans ce vers sublime : wa ba’da mâ ghibta wajhu dahri munbasitun/ lanâ bifaydika wa-t-taysîru masrûdu ! Car, comme il l’exprime, Maodo avait déjà éveillé les consciences et mis en garde contre les turpitudes de la mondanité, capables de corrompre héritages et modèles spirituels (Ayqaztanâ zamânan yâtî bi makhbaratin !).

Il faudra recouper cet aspect de l’enseignement de Cheikh El Hadji Malick avec la prière qu’il formule dans l’invocation du Du’â ul Wazîfa où il émettait le voeu que ses disciples soient toujours parmi ceux qui s’agripperont aux principes fondateurs (Ilâhiya Fadj’al ahlanâ ahla ghurbatin/ Wa ahla-t-tibâ’i sunnatin fi-t-tarâhumi).

Après avoir rappelé que les signes de tels prédictions sont devenus manifestes (Kullul ishârâti çârat ka-n-nahâri), Cheikh El Hadji Mansour se réjouit d’un fait salutaire : c’est comme si tous les jours les supports « lawh, en arabe ou Alluwa en Wolof » sur lesquels l’enseignement de Maodo était gravé sont là pour nous rappeler toute la teneur de la sagesse inculquée et nous orienter (Fî kulli yawmin lanâ lawhun yudzakkirunâ/ Min hikmatin minka fîha d-dahru tarshîdu).

Maodo est ce guide qui réussit à brider « l’âme charnelle » (nafs) et, par l’éducation spirituelle, orienter vers la religion. La victoire qu’une telle méthode a permis de remporter contre les tentations a fait faire dire Cheikh ElHadji Mansour que Maodo a véritablement enlevé le sourire à « Iblîs » dont les stratagèmes n’ont pu prospérer (Iblîsu ma’btasamat minhul makâ’îdu). Cheikh El Hadji Malick est donc peint sous ce jour du rénovateur qui réajusta les piliers (arkân) de l’islam dans un contexte hostile et se dressa contre toutes les éventuelles failles. C’est pourquoi Cheikh El Hadji Mansour lui reconnaît le mérite de défendre et de faire revivre les vertus par lesquels tous le reconnaissaient et qui ont noms : sincérité dans l’adoration, le renoncement, l’équité et la constante amélioration (Sidqun wa zuhdun inçâfun wa tajwîdu).

Dans cette revivification de la Sunna et des vertus du soufisme, faisant face à toutes les adversités, Cheikh El Hadji Malick Sy a fourni d’incommensurables efforts qu’El Hadji Mansour décrit sur plusieurs vers, insistant sur la manière dont cela déteint continuellement sur ceux qui en ont fait leur modèle : « Qullidta Iqda Jumânin ni’ma taqlîdu » !
C’est pourquoi El Hadji Mansour se satisfait d’avoir ce guide dont tous témoignent des vertus (fî jamî’i nâsi mashhûdu). Car, comme il le dit, Cheikh El Hadji Malick est ce « rectificateur » des fausses opinions dont le discernement n’est que sagesse ( Muçawwib ra’yi fî tadbîrihî hikamun). Mais, pour Cheikh El Hadji Mansour, Maodo, dont les « pas n’ont jamais été guidés par la passion », est surtout cette figure dont la manière de vivre la religion ne peut souffrir de tricherie et encore moins de réfutation « wa laysa fî dînihi ghishun wa tafnîdu » !

Tel que décrit par El Hadji Mansour, Cheikh El Hadji Malick demeure de ces personnalités marquant leur époque par leur génie de dénouer les problèmes et énigmes avec sagesse tout en restant dépositaires des meilleures qualités humaines et morales (fa fîhi khiçâlul khayri qad kamulat).

A cette étape de la qacîda, Cheikh El Hadji Mansour Sy en arrive à conclure que Maodo compte bien parmi les « hommes Dieu » « Limlâ wahwa min rijâli-l-lâhi ma’dûdu » ! C’est ainsi qu’il commence une longue énumération des qualités de Cheikh El Hadji Malick en le décrivant comme cet être d’une grande amabilité (layyinul janâbi) à la fois respectueux et compatissant à l’égard des pauvres et des orphelins. Pour lui, Maodo n’a jamais fait que ce qui visait la satisfaction du Très Haut ainsi qu’à servir ses semblables.

La confiance et la quiétude d’esprit accompagnant les disciples d’un tel guide fait dire, sans ambages, à Cheikh El Hadji Mansour que « celui qui se trouve sous la protection d’un tel refuge peut clamer haut et fort : Oh vous les soldats de la passion je n’ai plus aucune crainte du mal provenant de vous, vous pouvez librement conspirer et chercher à me nuire ! » Pour exprimer cet état d’esprit fait de quiétude, Cheikh El Hadji Mansour emprunte de manière poétique l’image d’un lion que ne peut déconcerter la présence au milieu de louveteaux. C’est pour cela qu’il s’adresse à Cheikh El Hadji Malick pour qui il témoigne son affection, en lui disant qu’il est l’hôte de son cœur qui l’emplit de quiétude « Wa laka manzilatun fil qalbi taskunuha » ! Sur un plan purement poétique et linguistique l’on ne peut passer à côté de l’extraordinaire bivalence de la racine verbale « sakana », exprimant en même temps l’idée d’« habiter » et de « donner la quiétude » et dont fait usage El Hadji Mansour, connu, aussi, pour son style poétique unique !

Les vers clôturant cette sublime qaçîda entrent dans le cadre de l’hommage d’un disciple animé par le désir d’exprimer sa reconnaissance à un maître. Mais, Cheikh El Hadji Mansour Sy Malick se dit encore confronté à cette difficulté de pouvoir louer son père et surtout guide à la mesure de son mérite. Surtout que Maodo est une source intarissable de savoir, de vertu et de morale. Tout en étant assuré de sa générosité, il se suffira de lui signifier toute sa soif de puiser de ses flots et flux : « Mustamtiran min faydikum ».
En plus d’une reconnaissance à Maodo, cette figure emblématique de l’enseignement de Cheikhna Tijânî par les qualités qu’il a énumérées le long du poème, Cheikh El Hadji Mansour, veut témoigner de la place centrale qu’elle occupe pour ses disciples et pour l’Islam au Sénégal.

En tout cas, il tient à rappeler qu’au-delà de ce que ses propres disciples lui doivent, Cheikh El Hadji Malick continuera à nous abreuver de savoir et de lumière de sorte à perpétuer cet « état de grâce » donnant l’impression d’une éternelle célébration et de la béatitude « Min kulli yawmin lanâ min Yumnihi îdu » ! Et il était bien important pour lui d’exprimer toute la privilège de figurer parmi ses disciples.
Tel peut être l’esprit de cette Qacîda, chantée, psalmodiée et à laquelle la beauté et densité, mais surtout la fidélité dans la description de Cheikh El Hadji Malick donnent toujours des airs d’une étonnante contemporanéité.

Dr. Bakary SAMBE
Senior Fellow European Foundation for Democracy (EFD)- Bruxelles
bakary.sambe@gmail.com
Pour xalimasn.com

La pensée de Cheikh Ahmed Tidiane Sy : Le message de Muhammad (SAW) sous le prisme d’un universalisme visionnaire ( 1ERE PARTIE )

Samedi 12 février 2011

Par Dr. Bakary SAMBE

L’éminent critique littéraire, Yahya Haqqi (1905-1992), alors directeur des Editions Dâr Maktabat al-Hayat de Beyrouth, pouvait-il imaginer toute la portée de son initiative lorsqu’il demandait à Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy, l’autorisation de publier un recueil de ses différentes interventions sur l’islam, la pensée islamique en Afrique et la situation des Musulmans en Afrique de l’Ouest ? Il devait être assez visionnaire pour comprendre que de ces petites notes guidant les démonstrations d’un orateur hors pair, jaillira une pensée éclairante pour les générations futures !

I- L’audace de la critique sociale ou le souci d’une conscience musulmane

En véritable précurseur, Serigne Cheikh a traité dans cet ouvrage non réédité de différents thèmes résumant sa conception d’une religion musulmane au cœur des préoccupations humaines avec toujours cette vocation universelle. Dès le début de l’ouvrage le grand penseur s’attèle à démontrer la manière dont l’Islam est naturellement une religion favorable à l’évolution de l’humanité car s’appuyant sur la justice comme fondement de la vie en société. Pour lui, le salut du genre humain et surtout du Musulman passe forcément par la foi et l’action, en revisitant constamment, la notion de volonté humaine « himmatul insân » rappelant ce pacte tacite entre Dieu et l’Homme qui devrait en être le vicaire sur terre (khalîfatu-l-lâhi fi-l-ardi).

Comme à l’accoutumée, Serigne Cheikh ne se limitera jamais à l’évocation et à la citation des auteurs et penseurs, mais il se plaît bien de les soumettre au questionnement prenant ainsi le risque de se mettre à dos nombre d’intellectuels qui, à l’époque, avaient un grand mal à se départir, pour certains, des chaînes de la rationalité et des conformismes érigés en doctrine, pour nombre d’entre eux. Dans son style et sa pensée, il leur opposait la force de la himma dont Seydina Cheikh Ahmad Tijânî disait qu’elle peut toujours avoir le dessus sur toutes les créatures « qâhiratun ‘alâ Jamî’il akwâni ». Al-Maktoum avait compris, comme le prédisait Seydinâ Cheikh, que la destinée du monde musulman ne pouvait être la meilleure possible si l’on se contentait d’un mimétisme irréfléchi des us et coutumes se sédimentant tout en subissant l’œuvre du temps. C’est pour cela, bien qu’incompris à l’instar de tous les visionnaires, il avait très tôt appelé à une conception élargie du religieux qui risquait le décalage ayant atteint les autres doctrines s’il se départait du discernement (tadbîr).

Pour comprendre cet état d’esprit, il faudrait faire le lien entre cette critique et la manière dont il décrit la méthode du dépositaire de la Tijâniyya dans « Fa ilayka » : cette prouesse de jumeler le monde d’ici-bas avec les exigences de l’autre (wa ja’alata dunyal ‘âlamîna shaqîqatan/ lil jannatil ‘Ulyâ bikulli ma’ânî). C’est pourquoi, sa critique sociale n’a même pas épargné certaines conceptions religieuses dès lors qu’elles allaient à l’encontre du principe de la « himma , yitté en Wolof».

Ainsi, il présentait l’islam au Sénégal comme traversé par une tension du fait d’être disputé entre deux catégories (cf. Al-Islâm as-Sinighâlî bayna Tâbaqatayni p.30) : 1) celle se limitant à une forme creuse de théologie atteinte d’une certaine négligence, sans ambition, sédimentée par la paresse intellectuelle (al-ghaflat wa taqçîr) et l’autre 2) considérant, à tort, le religieux et le spirituel comme la cause de toutes les décadences. Il faut lier, cette dernière remarque à la forte influence du marxisme dans la sphère de l’élite politique et intellectuelle sénégalaise des années 50 et 60.

Dans ses questionnements très courageux pour l’époque il posait deux postulats pour comprendre la désaffection du religieux et du spirituels dans certains cercles : Est-ce l’islam qui serait, alors, dépourvu d’idéal et coupé des réalités de notre monde ou ce sont, plutôt, les Musulmans qui ont substitué à ces réalités d’autres qui ne le sont que de nom ? Devant cette situation d’impasse ou de dilemme où les Musulmans sénégalais ne font que se nourrir d’illusions (zanniyât), il propose d’opérer obligatoirement un choix : celui de renouer avec l’esprit premier du message islamique qui voulait qu’il soit, par essence et par définition, en perpétuel conflit avec les illusions coutumières « âdât » avec lesquelles il fallait rompre pour qu’émergeât, enfin, une véritable « conscience musulmane ».

Serigne Cheikh exprimera clairement la solution qu’il voyait comme salutaire et qui ne pouvait se réaliser que 1) si l’islam s’apparentait à un message universel car entièrement positif et que 2) la renaissance musulmane –tant attendue – très en vogue chez les nationalistes de tous bords, soit d’abord intellectuelle avant d’être politique.

Face à un monde musulman préoccupé, à l’époque, par le combat contre divers ennemis et, surtout, la domination « impérialiste », Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy avait diagnostiqué le plus dévastateur d’entre les maux : l’ignorance, qui, dans son entendement n’a jamais été assimilable à une simple absence de culture ; mais se cachait aussi dans les éléments d’une culture qui ne servaient pas à affranchir l’homme et libérer l’intellect au servir du progrès pour lequel l’Islam fut révélé.

Ainsi, se plaçant toujours au-dessus des présupposés et du communément admis, Serigne Cheikh crut fondamental de se questionner sur la définition de cet acteur tellement important pour devoir incarner les vertus de l’Islam et du message mohammedien : le musulman.

De manière philosophique, il ouvre le chapitre consacré à cette définition encore par le questionnement : « Qu’est-ce qu’un musulman ? Le musulman est-il ce personnage religieux qui s’autolimite, vivant dans les espérances en nourrissant de scepticismes ? Ou est-il cet homme reconnaissant l’existence de la réalité primordiale et témoin des signes qui s’apparentent à cette réalité ? ». Au bout de sa démonstration, il en fit la l’interprétation du verset « Huwa sammâkumul muslimîna min qablu » 22/78.

La réponse à sa question initiale se fera par le procédé dit de l’élagation. Serigne Cheikh se disait sûr que le musulman ne pouvait être réduit à « ce sauvage qui se suffisait dogmatiquement de prendre parti pour Muhammad contre les autres prophètes », « ce n’est pas non plus ce jeune qui se contente d’exploser de colère lorsque l’on dit du mal de l’islam ou de son prophète, encore moins, cet autre intellectuel moderne défendant les identités, les primautés et les prébendes ».

Il conclura, après des développements dont le cadre de cet article ne permettrait pas de rendre compte que le musulman est, entre autres, celui qui reconnait la réalité primordiale tout en étant l’incarnation des évolutions humaines surtout dans le domaine de la sagesse et de l’équité pour assurer un séjour harmonieux de l’humanité sur cette planète.

Serigne Cheikh reviendra longuement sur cette notion d’évolution qui pouvait prêter à confusion au regard des différentes acceptions qu’elle pouvait avoir. Il reconnaît, d’ailleurs, qu’il n’a jamais cessé de critiquer les plus éminents professeurs et chercheurs qui en avaient une vision réductrice, l’assimilant à une forme d’hérésie ou d’athéisme (Zandaqa, Ilhâd p.54).

II- Entre harmonie et équilibre : l’éternelle quête du juste milieu

Fidèle au principe de l’inséparabilité entre philosophie et action, il précise que « l’application est l’âme de la connaissance ». Sa conception de l’évolution pourrait, ainsi, se résumer par cet équilibre qu’il établit entre fidélité au message mohammedien et l’audace de projeter au plus loin le discernement afin d’inscrire les pseudo-particularités dans la globalité de l’islam. De toute manière, Serigne Cheikh a toujours perçu ce dernier comme un « dosage » entre foi, courage et responsabilité, matière et esprit, corps et intellect, philosophie et action (Wattakhizû bayna zâlika Sabîlan !) pour conclure qu’« il n’y a point d’excellence, de distinction, de mérite que dans l’équilibre et le juste milieu ».

Cette réflexion sur l’équilibre nécessaire à l’harmonie déteint sur l’ensemble de sa pensée, mais sera traitée avec rigueur dans l’un des chapitres de l’ouvrage intitulé « Entre l’esprit et la matière ». Le questionnement qu’il introduit, empruntant le vocabulaire géopolitique de l’époque, et qui inspirera les développements ultérieurs est celui-ci : « Peut-il y avoir une coexistence pacifique entre esprit et matière ? N’y a-t-il pas une guerre secrète ou apparente entre ces deux contraires ? » Ces questionnements importants pour un monde musulman, alors, en recherche de modèle, en conflit avec lui-même comme avec le monde occidental avaient une portée inestimable à l’époque où il était question de trancher entre les attitudes de repli et d’ouverture.

C’est ainsi qu’il s’appuiera sur les conclusions d’un certain Al-Bahiy sur la parfaite possibilité pour le monde musulman de s’ouvrir aux sciences et techniques pour théoriser l’interdépendance entre matière et esprit comme celle entre le tout et la partie ; les différentes parties ayant toujours besoin de se reconnaître dans un tout qui finira par illustrer, à son tour, le principe fondamental de l’unicité divine.
Il faudra comprendre de tels développements théoriques sur l’interdépendance dans le contexte d’un monde bipolaire avec un capitalisme dominant combattant un socialisme totalisant. C’est alors qu’il rappela le rôle du spirituel que ne pouvait disqualifier le matérialisme ambiant comme ne pouvait l’exclure un communisme athée. D’ailleurs, tous les deux étaient aux prises avec une crise morale que ne pouvaient résoudre ni la technologie, ni l’économie libérale, ni le marxisme.

Dans un tel contexte, Serigne Cheikh Tidiane Sy voyait une seule issue pour la communauté de Muhammad, celle d’emprunter les chemins du savoir et de la science (As-sulûk al-‘ilmî) en y inscrivant toute action. Le cadre d’un tel cursus ou école était, alors, tout trouvé : « du berceau à la tombe (Min al-mahd ila lahd) ; il n’y aurait de vacances que pour la compétition et le dialogue, une vie se déroulant entre les murs de l’école de l’univers où l’on apprend avec les directives du Ciel, l’étudiant étant l’homme musulman et les cours inspirées par les problématiques de l’ici-bas et de l’au-delà ».

C’est après avoir s’être penché sur ces problématiques intéressant au plus haut degré l’Homme et l’acteur musulman, en particulier, que Serigne Cheikh a jugé opportun de réfléchir sur le système (l’Islam) en lui appliquant, sans complaisance, sa rigoureuse méthodologie toujours nourrie de questionnements et d’une volonté de rompre d’avec les présupposés et l’apologétique démesurée qui anéantit la volonté (himma ou yitté comme il aime à le dire).

A SUIVRE

Dr. Bakary SAMBE
publié la première fois sur Asfiyahi.Org
Le portail de la jeunesse Tijâniyya

Révolution en Tunisie et en Egypte. Réflexions au 4 février 2011

Dimanche 6 février 2011

Par Jean-Paul Baquiast

A quel titre pourrions nous proposer ici des réflexions sur un phénomène qui avait pris tout le monde de court, y compris évidemment nous-mêmes? La question mérite d’autant plus d’être posée que se multiplient les commentaires venant de personnes qui à tort ou à raison se prétendront mieux informés que nous. Ceux de ces commentaires qui nous parviennent sont généralement très pertinents. Difficile donc de faire mieux.

Nous avons cependant en tant qu’éditeur d’Automates Intelligents un petit avantage méthodologique (dont d’ailleurs nous n’avons pas le monopole), celui provenant de l’approche systémique, celle qui recherche, derrière les évènements, à identifier le jeu de superorganismes de diverses natures associant à des humains des technologies et des concepts. Parlons pour simplifier de systèmes anthropotechniques ou anthropotechnomémétiques, pour saluer le travail de décryptage que font, parallèlement à nous, nos amis de la mémétique. Nos lecteurs savent ce dont il s’agit. Les autres trouveront toutes informations utiles sur nos sites.

La révolution populaire et ses acteurs

On a parlé de « soulèvement des peuples tunisien et égyptien », longtemps opprimés par des pouvoirs sur lesquels nous reviendrons dans la seconde partie de cet article. Cette image plait bien aux imaginations révolutionnaires. On pourrait la contester, en la rattachant à un romantisme sans liens avec la réalité des populations tunisienne et égyptienne. Nous pensons au contraire qu’elle est profondément juste. Précisément parce que les peuples en question nous paraissent exister concrètement. Il s’agit de tous les jeunes et moins jeunes des classes dites éduquées », regroupés par les réseaux de la radio, de la télévision et d’internet. Ceux-ci comme toujours en de telles situations peuvent contribuer à dynamiser des éléments moins informés, femmes, travailleurs ruraux…. Cette importance des réseaux numériques a été mille fois soulignée et commentée. Mais on est encore loin des analyses un peu scientifique qu’elle exigerait.

Nous sommes là concrètement en présence d’un système anthropotechnique qui n’est pas aussi facile à étudier qu’il semble. Certes, ses agents, par définition, ne s’y dissimulent pas mais au contraire s’y exposent. On y trouve des humains mais aussi des idées et des images (autrement dit des mèmes). Tous s’y expriment, se renforcent et mutent en permanence. Malgré les différences de langages, les contenus révolutionnaires en émanant ont circulé et continuent à le faire très largement. Cependant les forces émettrices et réceptrices de ces contenus sont plus difficiles à identifier qu’il ne semble. Des analyses géopolitiques complexes s’imposent pour ce faire, qui elles- mêmes seront différentes selon les appartenance des observateurs-acteurs.

Bornons-nous ici à constater qu’une communauté d’approche s’est ainsi établie entre les mouvements démocratiques européens et leurs homologues dans le monde arabe, particulièrement dans le Maghreb et l’Egypte. Les bons exemples circulent dans les deux sens. C’est ainsi que la gauche européenne est en train d’apprendre certaines choses utiles à partir de l’exemple tunisien et égyptien, quel que soit l’avenir des révolutions dans ces deux pays. Notamment le fait qu’un pouvoir autoritaire, aussi bien installé qu’il semble être, puisse trébucher sur un événement apparemment fortuit. La « contamination démocratique » sur le mode viral ne arrêtera sans doute pas à la Tunisie et à l’Egypte. Il est très probable qu’elle touchera tout le monde arabe.

Les « mèmes » démocratiques au sens occidental, incluant l’égalité entre hommes et femmes et la laïcité, ne sont pas les seuls à circuler au sein du vaste système anthropotechnique qui relie aujourd’hui tous les humains connectés aux réseaux autour du thème de la révolution. On y retrouve les mèmes religieux, plus particulièrement ceux de l’islam. Comme les peuples arabes sont dans leur très grande majorité de religion musulmane, les images de leurs révolutions comporte aussi beaucoup d’images contribuant à répandre des comportements telles que les prières dans les rues qui ne sont pas acceptés en Europe mais qui recruteront par suite de ces exemples de nouveaux adeptes dans les populations musulmanes européennes. On sait à cet égard combien l’islam et l’islamisme ont su construire des mèmes favorisant leurs diffusions dans des sociétés jusque là réticentes ou hostiles.

Nous pouvons indiquer à ce sujet que si les forces démocratiques européennes sont véritablement convaincues des bienfaits, non seulement des élections libres mais des droits civils, de la liberté d’expression et du rôle essentiel des contre-pouvoirs caractérisant la démocratie européenne, elles devront en conséquence reconnaître que la démocratie dans des pays musulmans devra tenir compte de la religion voire de la charia. Mais les forces démocratiques européennes devront en contrepartie demander qu’en Europe règne le droit et les moeurs européens, sans concessions à l’égard d’exigences de multiculturalité émanant de minorités revendiquant leur appartenance à telle ou telle religion. Évidemment le jugement des Européens à l’égard de l’islam dans les pays musulmans deviendrait plus hostile si celui-ci, dérive toujours possible, même et surtout dans un pays en train de devenir une démocratie politique, se radicalisait et prônait la guerre sainte à l’égard des sociétés non musulmanes.

Le réseaux des « régimes rentiers »

Nous emprunterons cette expression et l’analyse qui la sous-tend au politologue Zaki Laïdi. Celui-ci dans un article du Monde en date du 03/02/2011, a décrit sans reprendre notre propre terme ce que l’on peut appeler un réseau de systèmes anthropotechniques s’articulant autour des industries du pétrole et de l’armement. Le noeud de ce réseau se trouve autour des lobbies politico-industriel du pétrole et de l’armement américain, dont la Maison Blanche et le Pentagone constituent la tête visible. Mais le réseau a diffusé à partir de 1973 dans tout le Proche et le Moyen Orient, à la suite de l’augmentation des prix du pétrole. Ce phénomène a fait « de la quasi-totalité des régimes arabes des régimes rentiers au fonctionnement parfaitement identifié ».

Selon Zaki Laïdi, un régime rentier est un régime où l’Etat exerce un très fort contrôle sur les sources de la richesse, une richesse produite sans création de valeur ajoutée dans le pays et largement dépendante de l’étranger pour sa valorisation. Cette richesse ne se limite pas seulement au pétrole, pour les Etats qui en disposent. Elle peut être représentée, comme en Egypte, par le tourisme ou le Canal de Suez. La structure rentière sépare l’Etat et les couches associées au pouvoir de la population. Elles s’enrichissent tout en s’accommodant parfaitement du chômage des classes pauvres. « Mieux vaut avoir en face de soi des chômeurs ou des travailleurs précaires dont on achètera le soutien contre un logement ou quelques avantages sociaux que de laisser se constituer une classe sociale créant de la richesse par elle-même et capable de s’autonomiser par rapport à l’Etat au point de commencer à lui demander des comptes et de contester son pouvoir ».

L’extension du chômage résultant de l’accroissement démographique des populations et d’un accaparement de plus en plus égoïste des richesses par des familles dirigeantes crée des revendications de plus en plus fortes, prenant différentes formes, révolutionnaires, religieuses, terroristes. Pour s’en prémunir, les Etats rentiers ont fait un large appel aux armements sophistiqués procurés par le coeur du système anthropotechnique militaro-industriel global, c’est-à-dire les Etats-Unis. Ceux-ci, outre des armements, ont fournis des formations et des avantages divers aux forces armées des Etats rentiers.

Les militaires, dans ces Etats, ne se confondent pas nécessairement avec les gouvernements. Ils ont tendance à se transformer en sous-systèmes anthropotechniques spécifiques. Cependant contrairement à ce qu’espèrent parfois les oppositions démocratiques, ils sont par essence si l’on peut dire incapables de se constituer en gouvernement vraiment démocratique, reposant sur une large base populaire civile. Les oppositions à Hosni Moubarak espèrent trouver en l’armée égyptienne un appui solide. On peut en douter. La preuve en est qu’au soir du 4 février, qui devait marquer le départ du Raïs, celui-ci est toujours là. Les Etats-Unis aussi.

Le concept d’Etat rentier est intéressant car il peut s’appliquer à certains des cercles les plus riches et les plus influents à la tête des Etats occidentaux, Etats-Unis et pays européens compris. Ces Etats ne sont pas des dictatures autoritaires. Mais ils sont loin d’être encore des démocraties idéales. Les classes dirigeantes dans ces pays ont intérêt, comme dans les régimes rentiers, à maintenir une part importante de la population dans le sous-emploi, afin de diminuer leur force revendicative. Dans le même temps, elles favorisent l’immigration de travailleurs précaires provenant des pays pauvres

Conclusion provisoire

Nous voyons donc actuellement se mettre en place une confrontation de type darwinien, pour l’acquisition du pouvoir et des ressources, entre des réseaux anthropotechniques solidement organisés, disposant de l’ensemble des technologies industrielles associées au pétrole et à l’armement, et des réseaux regroupant des populations bien plus nombreuses mais désarmées, celles des sociétés arabes en lutte pour la démocratisation. La seule arme capable de mobiliser ces populations, dont il est encore difficile d’apprécier l’efficacité à terme, se trouve dans l’internet et la télévision.

Bien que ces technologies numériques soient largement utilisées et détournées par les pouvoirs, elles offrent des champs de mutation chaotique dont nul n’est aujourd’hui capable d’apprécier la force. Les semaines et les mois qui viennent permettront sans doute d’en juger. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Il faudra aussi essayer d’évaluer l’impact des évènements d’Égypte sur le reste du monde, sur Israël en premier lieu, mais aussi l’Inde, la Chine, la Russie et tous les Etats en relations plus ou moins conflictuelles avec des sociétés musulmanes.