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Musulmans d’origine « subsaharienne » dans l’islam de France : contre un paternalisme d’un nouveau genre

Musulmans d’origine « subsaharienne » dans l’islam de France : contre un paternalisme d’un nouveau genre
Par Bakary Sambe

« Eh, cousin ! Musulman ? Al hamdullilah, mon frère ! »
Il ne suffisait pas au « Black » de France d’être poursuivi par l’image banania ! Du « Noir » dans toutes ses déclinaisons dialectales au Kahloush en Algérie, ‘Azzî au Maroc, Samâra en Égypte et Wçif en Tunisie, voire ‘Abd (esclave !) en Syrie. En plus d’être une curiosité à Paris, il ne lui restait que de devenir une attraction new look à la mosquée !

La vision « folklorique » qu’avaient donnée à l’islam « noir » certains commis coloniaux devenus « chercheurs » dans l’Afrique de l’entre-deux-guerres, perpétuée, ensuite, par des africanistes hexagonaux et certains de leurs disciples africains, a-t-elle déteint sur la manière qu’ont les Arabes musulmans de regarder leurs « frères » du sud du Sahara ? Ou bien l’image d’une Afrique « sans civilisation, terre de l’irréligion » rejointe par les théories de la tabula rasa, véhiculée depuis Ibn Khaldoun et noircie par Mahmoud Shâkir, dans son Mawâtin shu’ûb al-islâmiyya, est-elle restée intacte dans certains imaginaires ?

Nombre de faits le font croire qui confirment la périphérisation d’un « islam africain », qui a que trop souffert de stéréotypes entretenus par un manque d’intérêt scientifique ayant fait dire à Christian Coulon que l’islam africain restait le « parent pauvre de l’islamologie classique ».

À la triste occasion des insultes racistes proférées par Ayman Al-Zawâhiri à l’endroit d’un Barack Obama qu’il qualifiait d’esclave, j’avais cru important de remonter à l’origine de tels préjugés entretenus « grâce » à un imaginaire plus que persistant. J’ai eu à rappeler que derrière le bannissement systématique des pratiques pourtant religieuses des communautés originaires d’Afrique, dans certaines mosquées « puristes », comme le Mawlûd, il y avait le mépris d’une catégorie de musulmans qui n’ont qu’à adopter la posture mimétique s’ils voulaient rester au sein de la communauté.

Il s’ensuit des faits déplorables comme l’exclusion des mosquées lorsque ceux-ci veulent perpétuer des pratiques importantes pour eux comme les chants religieux (même s’il s’agit de la Burdah, d’Al-Bûsayrî !) alors que les anâshîd (chansons) en « arabe compréhensible » sont permis et font moins « désordre » dans les lieux de culte de l’Hexagone. Dans certaines villes, des autorités religieuses originaires d’Afrique se demandaient même si on allait vers une dangereuse ethnicisation des mosquées en France. Peut-on, déontologiquement, et d’un point de vue de la cohérence du discours et de l’action, se contenter de dénoncer les seules discriminations dont on se considère victimes en fermant les yeux sur d’autres ?

Des musulmans de seconde zone ?
Loin de toute susceptibilité, malgré le discours égalitaire, on peut être conforté dans l’idée selon laquelle certains croient à une catégorisation hiérarchique des musulmans, dont certains devraient rester de seconde zone. J’en fus témoin irrité : c’est dans l’enceinte de la prestigieuse université de Los Angeles (Californie) qu’un président de CRCM avait laissé entendre que l’islam « africain » était plus « folklorique » que « spirituel », répondant, ainsi, à un chercheur américain encore intéressé par l’enrichissante diversité de l’islam !

Des musulmans originaires d’Afrique subsaharienne ont fini, malheureusement, par l’intégrer malgré eux et, dans bien des cas, se sentent plus à l’aise à la paroisse catholique du coin où ils sont les bienvenus que dans des mosquées où ils doivent se faire plus discrets avec leurs dhikr « hétérodoxes ».

Lorsque des responsables d’une grande organisation musulmane présidant le CFCM demandent au comité de gestion d’une mosquée de venir adhérer à leur association pour y représenter Bilâl (1), on ne peut qu’accréditer une telle hypothèse. Surtout que, à côté de cette mosquée dirigée par un « imam noir », il faudrait absolument en construire une autre plus « normale » dans une commune ne comptant que quelques centaines de musulmans !

La réponse donnée à ceux qui déplorent le manque de représentativité dans les instances de l’islam de France est plus souvent du type : « Venez-vous investir ! » Curieusement, la même qu’on sert aux « minorités visibles » dans les partis politiques français au système bien verrouillé ! Mais faudrait-il en arriver à adopter un certain accoutrement, avec qamîs et autres djellabas, et se contenter du « Mâ shâ ‘Allah » à fonction conative avec « le bon accent » et à tout bout de champ pour finir par être accepté comme « frère » ?

Pourtant, la communauté musulmane de France dans son ensemble gagnerait à laisser s’exprimer toutes les sensibilités surtout que l’apport de tous est souhaitable dans ce défi d’une harmonieuse cohabitation dans la Cité qui interpelle toutes les religions présentes en France.

Lutter contre la non-reconnaissance de la diversité des réalités islamiques
À mon sens, un tel fait est la résultante d’un déficit d’éducation à la différence symptomatique de la pauvreté d’un discours religieux traditionnel. Il y a, au sein de la communauté musulmane de France, un pressant besoin d’éducation à la tolérance pour ainsi lutter contre la non-reconnaissance bien incorporée de la diversité des réalités islamiques.

Le fait persiste ainsi que la croyance à une prédominance, pourtant contestable aussi bien par les données démographiques que les nouvelles réalités d’un monde changeant ; un dynamisme auquel n’échappent ni les musulmans ou ce qu’il est convenu d’appeler le monde musulman.

Même si le Sénégal compte deux fois plus de musulmans que la Jordanie et si l’Égypte vient en huitième position des pays à majorité musulmane derrière le Nigeria, persiste encore l’idée selon laquelle le modèle doit forcément venir du monde arabe, ne représentant numériquement qu’à peine 20 % des adeptes de l’islam, de l’Atlantique à la mer de Chine.

Mais aussi, en Afrique subsaharienne, prédomine une image presque sacralisée des coreligionnaires arabes indéfectiblement liés dans l’imaginaire à la langue du Coran et au Prophète de l’Islam, avec un profond respect pouvant tourner quelquefois à la vénération. À se demander si les musulmans subsahariens eux-mêmes ne sont pas appelés à être les véritables acteurs de leur affirmation et de leur reconnaissance.

L’Afrique devrait, de manière générale, sortir de la posture consommatrice d’idéologies et oser l’alternative, surtout que l’islam y est vécu de manière harmonieuse et paisible ; modèle qui pourrait inspirer dans bien des régions du monde musulman.

Il serait grand temps que les écrits et sagesses des grands penseurs africains ou malais de l’islam soient vulgarisés au même titre que ceux du Maghreb ou du Machrek pour enfin sortir de l’illusion selon laquelle hors d’une acculturation au profit d’une seule culture de l’islam il n’y aurait point de salut. Dans nos centres hexagonaux de formation sur l’islam, que sait-on des innombrables écrits d’Ahmad Baba de Tombouctou, d’Ibrâhim al-Kanemy, d’Ahmed Bello du Nigeria, d’El Hadji Malick Sy en matière de Sîra avec le Khilâçu Dhahab fî Sîrat Khayr al-Arab, ou de tasawwuf (soufisme) avec le Masâlik al-Jinân, de Cheikh Ahmadou Bamba ?

Pourtant, les Africains ont bien réussi une assimilation critique de l’islam, dont ils ont su harmoniser les principes avec leurs cultures et valeurs comme tous les mujtahidûn du monde musulman.

À partir de là, au nom de quel unitarisme, parfois dogmatique, devrait-on les en détourner au lieu de verser ces particularités sur le compte de l’universalité d’un islam qui s’est toujours accommodé de la diversité ? Sinon, comment s’opposer, de manière cohérente, aux autres formes de paternalisme, que l’on a tout aussi intérêt à dénoncer et dont on doit, au même titre, se débarrasser ?

Note
(1) Considéré comme un compagnon du Prophète dans les ouvrages de Sîra et esclave noir affranchi par Abû Bakr, bien que cette thèse soit rigoureusement battue en brèche par Doumby Fakoly, qui met en doute l’hypothèse selon laquelle un Abyssin de cette époque puisse être esclave en Arabie. L’Histoire, comme disait un de mes professeurs, n’enseigne que le bon usage du doute !

* Bakary Sambe est docteur en sciences politiques, spécialiste du monde musulman et des relations internationales, senior fellow à la European Foundation for Democracy (EFD) ‒ Bruxelles.

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