Par Komla KPOGLI
La conquête médiatique de l’Afrique : comment des pays et des groupes d’intérêts tissent leur toile autour de l’Afrique.
Dans les écoles de communication, il est bien connu que la meilleure propagande est celle qu’on se fait à soi. Il est bien connu aussi que pour bien vendre un produit, il faut communiquer intensément autour de lui. Ces assertions sont en train d’être vérifiées, une nouvelle fois, en terre africaine où se déploie actuellement un gigantesque marathon visant à y implanter des médias. Surtout, la télévision. L’image étant le moyen le plus évident de convaincre.
Après l’enracinement des médias tels que BBC (British Broadcasting Corporation), VOA (Voice of America), RFI (Radio France Internationale), DW (Deutsche Welle), renforcés par CCTV-F (Télévision chinoise en Français), France 24 qui sont parfois plus connus en Afrique que dans les pays d’où ces radios et télévisions émettent, voici venu l’heure de Al Qarra TV, Al Jezeera qui investissent la place.
Pour ceux qui doutent, le dispositif médiatique est l’un des meilleurs outils du Soft Power, puissance d’influence, qu’un pays, un groupe commercial, un acteur socio-politique et idéologique puisse déployer pour atteindre ses objectifs au moindre coût possible. Capacité d’atteindre une masse, capacité de faire adhérer à une cause, capacité de répéter un message et le faire entrer dans les cerveaux, capacité de transformer le vrai en faux et le faux en vrai, capacité de fidéliser un groupe d’hommes. Voilà quelques-unes des forces des médias.
Pendant que le sommeil se prolonge sous les tropiques, à pas masqués et prétendant la volonté d’informer les populations africaines – l’information étant un outil de guerre et la laisser entre les mains étrangères est plus que dangereuse – des détenteurs de capitaux et des groupes d’intérêts divers et variés sont en train de tisser leur toile médiatique autour de l’Afrique. Les tout premiers à avoir compris qu’il fallait prendre les Africains en étau, les dresser, leur labourer la tête pour les paralyser aussi bien dans la réflexion que dans l’action, les piller sans qu’ils s’en rendent compte sont les occidentaux. Avec BBC, RFI, DW, VOA, CNN, les agences Associated Press (USA), Reuters (Angleterre), AFP (France)…ils ont garanti des contacts avec les populations. Ils ont noué entre ces populations et leurs pays ainsi que les entreprises multinationales qu’ils servent des liens quasi indéboulonnables.
Ces médias ont toujours présenté l’Afrique comme une terre misérable, minée par des conflits fratricides et ethniques, pauvre et demandant éternellement l’aide d’un Occident généreux, bienfaisant et bon samaritain pendant que les richesses africaines sont drainées vers l’étranger. Ces médias ont installé dans le décor africain l’Occident, ses intérêts, ses vues, ses désirs, ses projets, ses hommes. Cette présence est présentée comme normale, légitime puisque purement humanitaire. Il en est ainsi de la présence des bases militaires françaises en Afrique qui y seraient rien que pour « sauver les africains et empêcher des guerres ethniques ». « L’ethnie » serait la mesure de toute chose en Afrique, selon les spécialistes médiatiques occidentaux.
Des militaires britanniques envoyés de temps à autre dans tel ou tel pays, comme ce fut le cas en Sierra Léone et plus récemment en Somalie serait tout aussi des missions humanitaires. Les Etats-Unis d’Amérique qui déploient actuellement leur outil militaire Africom seraient eux aussi en train de s’installer en Afrique pour permettre aux Africains de vivre en sécurité et de ne plus se faire des guerres entre eux. Eux qui se sont « tant battus les uns contre les autres et souvent tant haïs, qui parfois se combattent et se haïssent encore mais qui pourtant se reconnaissent comme frères » disait Sarkozy dans le portrait qu’il fit de l’homme africain à Dakar.
Ailleurs, l’Occident défend ses intérêts. En Afrique, il est en mission humanitaire. Il n’y est que, parce qu’épris d’amour pour l’homme noir qu’il a tant aimé au point de l’avoir mis dans les fers de l’esclavage et de la colonisation, pour l’aider au développement. Et cela lui coûte d’ailleurs des sommes colossales, nous apprend-on dans ces médias. Ainsi donc inversé, et cette inversion répétée à l’infini, le rôle de l’Afrique dans l’économie mondiale est celui d’une terre qui n’a rien et à qui de bonnes âmes donnent tout. Pourtant les fameux « explorateurs » et « découvreurs » au XVIIIè siècle déjà la trouvaient immensément riche. Où sont donc passées les richesses qu’ils décrivirent dans leurs récits de voyage pour que l’Afrique soit devenue si « pauvre » qu’elle ne doive sa survie qu’à « l’aide » ?
Considérant l’Afrique comme son domaine réservé qu’il aide en le pillant, l’Occident voit d’un mauvais œil les incursions des autres sur ses terres. Le cas le plus patent est celui de la Chine qui, en pleine croissance, vient chercher ses ressources manquantes en Afrique, éternel continent à partager et à repartager entre puissances d’hier et celles naissantes. Confrontée donc aux tentatives d’empêchement et de « déstabilisation » des premières, la Chine définit une stratégie médiatique sur deux fronts en Afrique. Il s’agit de construire et de polir son image à travers les médias qu’elle pilote elle-même et de joindre dans le même temps des journalistes africains à cette entreprise.
Sur le premier registre, la Chine a lancé depuis le 11 janvier 2012 sa section Afrique de la CCTV émettant depuis Nairobi au Kenya. CCTV Africa projette ouvrir 14 bureaux locaux dans différents territoires africains. Réduite pour le moment à 02 heures d’émission par jour, la CCTV Africa compte d’ici 2015 émettre 24 heures 24. Outre la chaîne de télévision, la Chine déploie son agence de presse Xinhua (Chine nouvelle) qui dispose déjà de plus de 150 correspondants dans toute l’Afrique.
Sur le second plan, la Chine, consciente que pour mieux évangéliser un peuple il faut associer des indigènes au projet, recrute et forme des journalistes africains. Visitant le 21 avril 2011 le Kenya, Li Changchun, membre du comité permanent du bureau politique du comité central du PCC, affirmait que la Chine a formé 208 journalistes et patrons de médias africains entre 2004 et 2010. La tactique de la formation des journalistes africains continue de faire son œuvre. La guerre psychologique est donc engagée par la Chine au travers des Africains pour rassurer les Africains et rejeter le plus loin possible l’influence occidentale dans les territoires africains. Les pays occidentaux sont eux-mêmes des adeptes de cette stratégie qui repère des journalistes locaux, leur attribue des bourses pour la formation, les invite dans leurs ambassades pour leur offrir des amuse-gueule lors de ce qu’on appelle des séminaires de formation. En la matière donc la Chine ne fait que copier ses prédécesseurs.
Ainsi donc la combinaison de ces deux stratégies portées par le slogan de « Gagnant-gagnant » vanté par la Chine et incorporé aujourd’hui dans le vocabulaire africain, la Chine a plutôt bonne presse en Afrique. Son image polie passe mieux que celles des Occidentaux. Des « intellectuels » africains n’hésitent pas asséner à longueur d’articles ou de commentaires que la Chine est la seule et vraie « partenaire » que l’Afrique dispose. On cite le développement chinois en modèle sans jamais mentionner qu’il fut précédé de plusieurs révolutions sanglantes qui avaient détruit le règne des colons et leurs suppôts, et qui avaient ramené la Chine à ses racines culturelles. Les liens que Chine a avec l’Afrique sont présentés comme salvateurs pour une Afrique détruite par l’exploitation occidentale.
Sans Etats en Afrique, avec des territoires dirigés par des pions et des individus sans foi ni loi, il y a toujours des « intellectuels » africains qui trouvent que le peuple africain profite de ces relations dont la principale caractéristique est de donner des contrats miniers et des contrats de construction d’infrastructures (et quelles infrastructures ?) aux chinois. Sans Etat, avec des dictateurs corrompus et assassins des africains qu’ils régentent parce que s’opposant à eux, qui va défendre les intérêts de l’Afrique, l’Afrique de la base et non du sommet en coupure totale avec celle-ci ? Comment peut-on penser intérêt du peuple en étant son plus fervent opposant ?
A la veille du Forum de Pékin (Beijing) en 2006, les autorités chinoises invitèrent 23 journalistes de 16 pays d’Afrique francophone afin de leur permettre de « vivre les réalités de la République populaire de Chine comme des témoins privilégiés de la transformation d’un pays par la magie du travail. » Ces journalistes missionnaires originaires du Bénin, Burundi, Cameroun, Congo, Congo (RDC), Djibouti, Gabon, Guinée-Conakry, Madagascar, Mali, Maurice, Niger, Seychelles, Tchad, Togo et des Comores, avaient été conduits dans des villes symboles et douchés dans le bain chinois durant leur séjour du 16 au 26 septembre 2006. Suite à ce forum, un plan d’action a été publié.
Dans ce plan d’action de Beijing (2007-2009) Pékin annonçait sa décision d’aider les pays africains à former le personnel des radio-télévisions et à « inviter des responsables et des autorités de la presse et des groupes de médias, ainsi que des journalistes africains, à venir en Chine pour échanger des vues, faire des reportages et explorer des modalités de coopération efficaces. » Une fois rentrés dans leur territoire respectif, la prédication laudatrice en faveur de la Chine peut commencer. A côté de ce dispositif médiatique, sans cesse renforcé par des bourses et autres dons chinois, Pékin fonde des Instituts Confucius partout dans les universités africaines et attire par des bourses des étudiants africains qui devront séjourner en Chine et revenir en Afrique y apporter l’amour de la Chine et y défendre ses intérêts.
L’offensive médiatique en Afrique ne se limite à ces seuls pays. Le Qatar déjà propriétaire des terres fertiles en Afrique arrive avec son Al-Jezeera. En février 2012, le pays lançait à Nairobi au Kenya Al Jezeera en Swahili avec un potentiel de 100 millions de téléspectateurs. Dans un article publié le 28 mai 2012 par Georges Malbrunot et Paule Gonzales du Figaro nous informent que Al-Jezeera serait en train de réfléchir sur le lancement d’une version française qui sera basée à Dakar dans le territoire du Sénégal. Plus loin dans cet article, on apprend que le choix de Dakar est fait par le Qatar non seulement parce que « Al-Jazeera sera beaucoup plus libre de s’affranchir de certaines contraintes au Sénégal qu’à Paris », mais aussi parce que le Qatar est à la recherche d’une influence politique et entend par là contester la domination française dans la région. C’est dire combien l’Afrique est une proie discutée pendant que ses populations assommées par les pillages de toute sorte sont dans un sommeil comateux.
Au-delà, prétendant condamner la diffusion d’images misérabilistes sur l’Afrique par d’autres médias, un groupe d’hommes menés par le tunisien Najib Gouiaa et le français Pierre Fauque financé par une banque dont Najib Gouiaa tait le nom, a créé Al Qarra TV. Sa rédaction permanente est basée à Paris et elle fait de l’information toute en images avec un réseau de correspondants en Afrique. On apprend par la voie de Najib Gouiaa que Al Qarra disponible pour le moment en Arabe, en Anglais et en Français, est en train de travailler sur « d’autres versions linguistiques du continent ». Cette télévision qui, selon l’aveu de son directeur Najib Gouiaa, reçoit 80% de ses images des agences Associated Press, Reuters et l’AFP et d’indépendants est suivie pour le moment massivement par les « cadres » et des « acteurs économiques et politiques ».
Comme on peut le voir, chacun active son Soft Power pour parvenir à ses fins en Afrique. En montrant notre incapacité à reconquérir notre espace et à l’occuper effectivement, nous avons laissé la terre africaine, ses richesses et son peuple à la merci de tous les vents et de tous les intérêts. Nous avons laissé notre espace territorial libre et à ce titre, il n’est que justice que d’autres viennent l’investir avec leurs idées et les produits. C’est dire combien le réveil sera lent et douloureux car, les résultats du Soft Power qui installe dans les cerveaux des croyances et des opinions difficilement modifiables sont les plus efficaces. En secrétant et en répétant à longueur de journées, des idées pour servir leurs intérêts divers et variés, ces médias fabriquent et conditionnent l’opinion africaine.
Ils peuvent grâce à leur pouvoir de manipulation à grande échelle renverser des pouvoirs indésirables ou plonger les populations dans une léthargie assurant la plus grande stabilité à une tyrannie obséquieuse et docile. On a vu d’ailleurs de quoi France 24, RFI, BBC, CNN, VOA, DW ont été capables sur la Côte d’Ivoire. On a vu de quoi a été capable Al Jezeera sur la Libye avec des images hollywoodiennes de massacre de populations civiles par les hommes de Kadhafi tournées dans ses studios à Qatar. On vu combien France 24, BBC, CNN…ont été capables de fabriquer l’opinion aussi bien dans leur pays respectif que dans les pays désignés à subir des guerres humanitaires de l’Occident.
Il est donc nécessaire que les milieux de combat pour une autre Afrique intègrent dans leurs réflexions la question des médias. Par quel canal et comment, dans cette bataille satellitaire qui se mène sur le continent, arriver à parler aux Africains pour faire passer le message de la nécessité de renverser le désordre organisé imposé comme un ordre établi en Afrique ? Par quel canal démontrer aux Africains que leur seul et unique allié dans le monde est eux-mêmes ? Comment faire adhérer les Africains à la réalité selon laquelle la construction de véritables Etats dirigés par des hommes ayant le devoir de rendre compte de leurs actions précède toute idée de coopération ? Par quel canal prouver aux Africains que les relations internationales sont fondées sur les logiques de puissance et d’intérêts alors qu’on leur vend l’opinion qu’elles sont l’œuvre de la paix et des fameux droits de l’homme ? Par quel canal remettre les valeurs africaines au centre des préoccupations à l’heure toute sorte de cultes investit l’Afrique et coupe les Africains de leurs capacités créatrices les plus intrinsèques ? Ce ne sont pas les satrapes africains, ces contremaîtres rétribués au prorata du travail servile fourni par les Africains sous leur surveillance sanglante qui réfléchiront sur ces questions d’enjeux majeurs. Ils sont satisfaits de leurs parts dans le système. Ils n’ont rien à foutre du reste.
Toutes ces questions méritent de sérieuses discussions dans ces milieux. En laissant les Africains être informés et formés (au journalisme notamment) par les autres, disons plutôt déformés par les autres, on donne à ceux-ci le droit de les programmer contre eux-mêmes, contre toute l’Afrique et son avenir.
Komla KPOGLI