INTERVENTION MILITAIRE AU MALI : « L’ONU REDOUTE UN ÉVENTUEL ÉCHEC », SELON UN UNIVERSITAIRE
Ouestafnews – L’intervention militaire au nord Mali, reste suspendue à une décision de l’Organisation des Nations-Unies (Onu) encore attendue en ce 12 octobre 2012. Cependant si l’idée d’une intervention militaire étrangère fait désormais l’unanimité entre le gouvernement de transition malien et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, elle suscite néanmoins toujours de petites réserves dans certaines chancelleries. La France quant à elle se dit prête à appuyer une telle initiative, mais quid de la participation des « pays du champs » à savoir l’Algérie et la Mauritanie, de l’attentisme de l’Onu…
Dans cet entretien accordé à Ouestafnews, le Dr Bakary Sambe, universitaire spécialisé sur la question du militantisme islamique et des réseaux transnationaux, nous livre une analyse sur ces derniers points.
Aqmi se finance au moyen de prise d’otages occidentaux et est soupçonné de recevoir un appui financier de certains pays arabes. Les dirigeants de l’armée malienne semblent aussi avoir perdu le contrôle de leurs forces armées. Pour illustrer ce fait : l’assassinat par balle par des soldats insurgés de seize prédicateurs islamistes à 15 kilomètres de Diaboli, en défiant l’ordre donné, indique que les structures de commandement sont en train de se désagréger.
Ouestafnews- Que vous inspirent les hésitations de l’Onu concernant ce projet?
B.S - Les hésitations de l’Onu cachent à mon avis la crainte d’un éventuel échec, l’extension et l’enlisement du conflit dans la sous-région. C’est-à-dire que la communauté internationale veut se donner toutes les garanties de réussite d’une telle opération avant de s’y engager. C’est le même état d’esprit qui sous-tend les positions américaines sur la question. Les déclarations prêtées, depuis Alger, au général Carter Ham, chef du commandement américain pour l’Afrique (Africom) ont dû surprendre nombre de diplomates, Carter Ham semblait insister sur position américaine privilégiant « une solution diplomatique et politique à la crise malienne ».
Il semblerait que Washington opte pour une maîtrise de tous les enjeux avant un positionnement définitif ; ce qui expliquerait ses récentes investigations menées sur les différents acteurs (MNLA, Mujao, Ansar Dine) afin de mesurer les divers degrés d’implication mais aussi le rapport de force devant déterminer sa stratégie.
On peut se demander si ces déclarations expriment, réellement, un positionnement définitif ou cachent une certaine précaution motivée par la hantise d’un échec au cas où deux acteurs majeurs de cette crise ne s’engageaient pas dans une éventuelle intervention : la Mauritanie et surtout l’Algérie qui n’est pas en faveur de l’option militaire. Carter Ham, renforcé par Carlson, a été catégorique aussi bien à Alger qu’à Rabat : «Aucune intervention militaire n’est envisageable dans cette région ni dans le nord du Mali», ajoutant que « le déploiement de forces militaires ne fera que compliquer la situation en ce moment ». Inspirant pour les « colombes » onusiennes ?
Ouestafnews- Justement, peut-on véritablement venir à bout de ces groupes armés sans une implication active de pays frontaliers que sont l’Algérie et la Mauritanie?
B.S - Les positions algériennes et mauritaniennes sont paradoxales comme l’était celle du Sénégal il y a quelques jours. On sait qu’Aqmi est un phénomène algérien. Tous les chefs de Katiba (Abû Zayd, Mokhtar Bel Mokhtar etc.) sont des algériens.
La Mauritanie a du mal à contrôler sa vaste frontière avec le Mali et son territoire est une zone de repli stratégique. Craint-elle peut-être une extension du conflit et ses éventuelles répercussions sur sa sécurité intérieure ?
Mais, pour les convaincre d’une coopération ne serait-ce que minimaliste, la solution pourrait être américaine. Carter Ham était à Alger il y à peine quelques jours. L’énorme influence dont jouissent actuellement les Etats-Unis, notamment au Maghreb, pourrait, peut-être, aider à résoudre l’équation algérienne si pesante sur l’issue du conflit, l’Algérie étant le seul pays pouvant aider à déloger les éléments d’Aqmi du Nord Mali, comme elle avait, du reste, pendant des années, empêché Khadhafi de s’y installer.
Hélas, pour l’heure, l’Algérie n’y a aucun intérêt immédiat et semble bien confortable dans sa posture actuelle d’un pays qui s’est débarrassé du djihadisme à l’intérieur de ses frontières. De plus Alger a envie de tout sauf de s’encombrer d’un nouveau front touareg ou berbère.
Mais, les USA qui hésitent encore devraient travailler sur plusieurs hypothèses y compris celle qui verrait réussir une intervention militaire de la Cedeao. La France est plus décidée pour les raisons que l’on sait : intérêt stratégiques et économiques importants et des otages encore entre les mains d’Aqmi.
Malgré la diversité des positions et des intentions, tout le monde en est conscient : quelle que soit l’issue de cette crise, aucune puissance ne pourra se permettre une auto-exclusion du processus de reconstruction et, surtout, d’un indispensable et ambitieux plan de l’ONU comprenant un pan économique important pour pacifier, à long terme, la région du Sahel.