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Archive pour novembre 2012

Deux ans après la révolution en Tunisie : désenchantements et espoirs

Jeudi 22 novembre 2012

Mohamed-Cherif Ferjani

Professeur de science politique à l’Université Lyon2 en délégation CNRS à l’IRMC à Tunis

REVOLUTION ET ESPOIRS DE LA LIBERATION

 En janvier 2011, lorsque le peuple tunisien a réussi, par un soulèvement pacifique, à se débarrasser de son dictateur, un vent de liberté a soufflé sur toute la région entrainant des soulèvements en Egypte, en Lybie, au Yémen, en Syrie et ailleurs. On a alors parlé d’un « printemps arabe » annonciateur de la naissance de l’autre rive de la Méditerranée à la démocratie. Les mots d’ordre qui ont porté le soulèvement à l’origine de la chute/fuite de Ben Ali traduisaient une aspiration à la liberté, à la dignité et à la justice de sociale. Les premières mesures de la transition autorisaient tous les espoirs : amnistie générale, reconnaissance des anciens partis interdits et de nouveaux partis ainsi que de dizaines d’associations incarnant  différentes expressions d’une société civile jusqu’alors étouffée et que plus rien ne semble ramener à la soumission, démantèlement des rouages symboles du pouvoir déchu, etc. Au bout de quelques semaines (du 14 janvier au 27 février 2011), on est passé de la logique de réformer le système, en en gardant les institutions, à une logique révolutionnaire liant « les objectifs de la révolution » à la nécessité de réformes politiques permettant une transition démocratique (nom de la Haute instance) passant par l’abrogation de la constitution en vigueur et la dissolution des assemblées et des conseils municipaux et régionaux en place, l’élection d’une constituante sous l’égide d’une instance indépendante, avec un code électoral imposant la parité hommes femmes, etc. La Tunisie devenait un modèle pour un nouveau type de « révolutions de l’indignation » dans lequel les jeunes et les réseaux sociaux sont les principaux acteurs. Le vent de la révolution a libéré tout ce que la dictature a étouffé durant des décennies, le meilleur et le pire ! C’est précisément, l’ampleur de la réaction libérée par la révolution qui fut à l’origine des premiers désenchantements.

NUAGES DANS LE CIEL DE LA TRANSITION

En effet, les nuages ont commencé à s’amonceler dans le ciel d’une fragile transition avec la violence de courants obscurantistes qui ont profité des libertés acquises grâce à la révolution pour affirmer ouvertement leur rejet de la démocratie, des droits humains et des acquis modernes de la Tunisie, dont en particulier les droits des femmes et la liberté de conscience, d’expression et de création. Des mosquées ont été prises par des islamistes radicaux pour devenir des tribunes propageant des discours de haine et d’incitation à la violence contre tous les symboles de ce qui est contraire à leurs conceptions : les femmes émancipées, les non musulmans et les musulmans qui ne partagent pas leurs vues, les artistes et les œuvres jugées blasphématoires ou attentatoires au sacré, la consommation de l’alcool, la non observation des normes religieuses et prescriptions cultuelles, etc. Des lieux de cultes chrétiens et juifs, des mosquées ibadhites, des mausolées soufis ont été la cible d’attaques et d’incendies.

Tout en minorisant les atteintes aux libertés et aux doits fondamentaux par les courants radicaux, le mouvement islamiste d’Ennahda, bénéficiant de son statut de principale victime des vingt dernières années de la dictature, a su joué sur la peur qu’inspirent les salafistes pour se présenter comme une alternative à la menace qu’ils représentent, ainsi qu’à la dictature et aux courants modernistes jugés trop laïques et peu respectueux de « l’identité arabo-musulmane » du peuple, et qui sont accusés sinon de collaboration du moins de sournoise connivence avec le pouvoir déchu et « les ennemis de l’islam ». Tout en ménageant les mouvements qui se réclament des différentes branches du salafisme pour s’en servir comme réserve électorale, il a rassuré les grandes puissances et profité des largesses des riches pétro-monarchies de la Presqu’Île Arabique dont l’objectif était et reste l’étouffement du souffle démocratique du « printemps arabe ». En face, le camp moderniste était de plus en plus divisé et incapable de s’entendre sur le minimum d’objectifs communs pour faire face à la montée inquiétante des islamistes. Certains mouvements ont préféré s’allier aux islamistes dans l’espoir de les assagir plutôt que de s’allier avec des partis et des mouvements avec lesquels ils partageaient les mêmes objectifs. Ce faisant, ils ont contribué à donner une caution démocratique et laïque à l’islam politique et une crédibilité à son discours d’ouverture et de modération.

ENNAHDA A L’EPREUVE DU POUVOIR : ENTRE UTOPIE THEOCRATIQUE ET REACTIVATION DES ROUAGES DE LA DICTATURE :

 Ce processus a conduit à la victoire, certes relative, des islamistes aux élections du 23 octobre 2013 : quelque 37% des votes exprimés (des quelque 50% du corps électoral) et 41% des sièges. Une nouvelle phase transitionnelle a commencé sous la direction d’Ennahda et de deux partis laïques qui ont accepté de gouverner avec elle : le Congrès pour la République (CPR) de Moncef Marzouki et le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (ETTAKATOL) Les rivalités entre ces deux partis dont les chefs convoitaient le Palais de Carthage (la Présidence de la République) a favorisé Ennahda et lui a permis d’asseoir son hégémonie sur le gouvernement et dans l’Assemblée Constitutionnelle.

La politique menée depuis le tournant des élections n’a fait qu’ajouter aux désenchantements générés par la violence salafiste, la duplicité d’Ennahda et l’impuissance du camp moderniste à unir ses rangs. Elle a montré les limites de la conversion démocratique du Mouvement Ennahda et la fidélité de son chef – R. Ghannouchi – et de ses lieutenants les plus influents au sein du mouvement, aux fondamentaux intégristes de l’islam politique tels qu’ils furent fixés dans la doctrine des Frères Musulmans  par Hassan Al-Banna. C’est la fidélité à cette doctrine qui est derrière les mesures et les tentatives visant à restreindre les libertés et les droits fondamentaux des citoyens, dont en particulier ceux des femmes. L’aggravation des inégalités sociales et régionales, la volonté de soumettre les rouages de l’Etat à Ennahda en vue des prochaines échéances électorales (avec notamment la révocation des Gouverneurs, des Délégués, des Maires, des présidents et des directeurs des services administratifs et des entreprises publiques dans tous les secteurs importants, pour les remplacer, contrairement aux engagements pris avant les élections, par des hommes d’Ennahda), la réapparition du népotisme et de la corruption sous des formes plus arrogantes que sous le règne de Ben Ali avec l’aide des mêmes personnes qui avaient servi sous la dictature déchue, etc., ont été à l’origine de nouveaux désenchantements à la mesure des espoirs suscités par la révolution. La volonté de soumettre la justice en s’appuyant sur les structures et les magistrats corrompus qui ont servi docilement la dictature de Ben Ali s’est traduite au niveau de la justice transitionnelle par une conception sélective : ceux qui font allégeance à Ennahda sont blanchis et les autres sont harcelés, soumis à des chantages de toutes sortes et menacés en dehors de toute procédure légale.   L’hégémonisme du parti de R. Ghannouchi s’appuie sur le non respect des délais concernant l’élaboration de la constitution, la mise en place d’instances indépendantes pour l’organisation des prochaines élections, pour l’autorégulation des médias et de la justice, comme pour la promulgation des lois relatives à ses instances. Outre l’indulgence à l’égard de la violence des salafistes contre les expressions de la société civile, les démocrates et les défenseurs des libertés et des droits fondamentaux, voire contre les citoyens dont les comportements ne correspondent pas à leurs conceptions, l’hégémonisme d’Ennahda s’appuie sur des milices et des phalanges autoproclamées « ligues – ou comités – de protection de la révolution » s’attaquant aux manifestations de la société civile, aux réunions des partis de l’opposition, aux locaux des syndicats.

RESISTANCE DE LA SOCIETE CIVILE, UN ATOUT MAJEUR POUR LA REUSSITE DE LA TRANSITION DEMOCRATIQUE

Cependant, la résistance opposée par la société civile, et notamment par le mouvement syndical qui s’est régénéré grâce au rôle que ses structures locales et régionales ont joué dans la révolution, a pu limiter l’offensive islamiste contre les libertés, les droits et les acquis modernes de la Tunisie. Cette résistance a fait reculer le gouvernement sur certaines nominations, notamment à la tête des médias, sur la volonté d’inscrire la sharî‘a comme source de la loi et de remplacer le principe d’égalité par la notion de complémentarité entre hommes et femmes ou de limiter les libertés par le « respect du sacré », et sur des mesures visant à interdire ou limiter la liberté de manifester. La solidarité de toute la société civile, et de tous les courants opposés à la politique dirigée par Ennahda, avec l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens lorsqu’elle est devenue la cible des attaques de l’islam politique en raison de son rôle dans la défense des salariés, des populations défavorisées, des libertés et des droits fondamentaux, a obligé les partis au pouvoir à reculer.

C’est aussi sous la pression de la société civile que les partis et les mouvements se réclamant de la modernité, de la démocratie et du progrès ont été obligés de se regrouper de façon à équilibrer un champ politique menacé par le retour à l’hégémonie d’un parti – Ennahda à la place du RCD, avec les mêmes pratiques, les mêmes conceptions et, parfois, les mêmes hommes de main -, face à des partis divisés entre ceux qui lui servent d’alibi et ceux qui lui résistent dans la désunion et l’impuissance. C’est ainsi qu’on a vu apparaître le mouvement initié par le Premier Ministre de la deuxième phase de la transition (27 février – 23 octobre 2011), Beji Caïd Essebsi, sous le nom de Nidâ’(Appel) Tunisie qui représente désormais une force au moins équivalente à Ennahda, le processus de rapprochement entre des mouvements du centre gauche – le Parti Républicain lui-même né d’une fusion de plusieurs partis dont en particulier le PDP (Parti Démocrate Progressiste) et Afaq Tunisie, la Voie Sociale et Démocratique née également de la fusion de plusieurs partis dont l’ancien parti Communiste (devenu dans les années 1990 le Mouvement Ettajdid) et du Parti du Travail Tunisien -, Le Front Populaire regroupant des partis de la gauche radicale et des organisations nationalistes panarabes, le Front Démocratique regroupant des partis où domine une orientation  démocrate musulmane. Ces regroupements envisagent des alliances électorales pour les prochaines échéances comme c’est le cas entre Nida’ Tunisie, le Parti Républicain et la Voie Sociale et Démocratique et d’autres partis ou fronts qui cherchent encore avec qui s’allier. Ces fusions et alliances ne pourront rivaliser avec les islamistes qu’en allant, comme le fait le Front Populaire, dans les régions défavorisées et dans les cités populaires pour y affronter les salafistes et les partisans d’Ennahda, quitte à y laisser plus que des plumes. En effet, ce n’est pas en se réunissant dans les hôtels de la capitale et des stations balnéaires et en se réfugiant dans les quartiers riches qu’ils réussiront à rallier les populations qui commencent à désenchanter par rapport aux promesses de l’islam politique.

Les victoires remportées grâce la résistance de la société civile ont pesé sur les relations entre les partis alliés au pouvoir et au sein de chacun de ces partis. En effet, des contradictions de plus en plus importantes opposent ouvertement les partis de la troïka par rapport au contenu de la prochaine constitution (notamment au sujet des droits des femmes et du principe d’égalité, de la référence à la sharî‘a et aux valeurs de l’islam, d’un côté, et aux textes internationaux concernant les droits humains, de l’autre, du caractère civil de l’Etat, de la nature du régime politique, etc.) comme par rapport aux décisions et mesures prises unilatéralement par Ennahda sans consultation de ses alliés, ou par rapport aux demandes de la société civile et des partis de l’opposition, ou encore par rapport à l’attitude vis-à-vis de la violence des salafistes. Ces contradictions se traduisent au niveau de chaque parti par des clivages qui ont conduit à l’éclatement du CPR et de ETTAKATOL.

Le mouvement Ennhada, sans éclater comme ses alliés, est lui-même traversé par des clivages de plus en plus apparents concernant notamment l’attitude par rapport aux mouvements salafistes et leurs prolongements au sein d’Ennahda, mais aussi par rapport aux demandes de la société civile et aux engagements pris avant les élections à propos de ces demandes. Trois tendances commencent à se dessiner : (1) une aile clairement salafiste proche de la version wahhabite représentée par Habib Ellouze et Sadok Chourou, (2) une aile plus proche de la doctrine des Frères Musulmans qui ne veut pas rompre avec les salafistes tout en voulant ménager les Etats-Unis d’Amérique et les Etats Européens et leurs alliés au Proche Orient ; Ghannouchi, sa famille et ses lieutenants les plus proches représentent cette aile encore hégémonique au sein d’Ennahda, (3) une aile plus encline à une rupture avec les salafistes pour honorer les engagement internationaux du mouvements (notamment à l’égard des Etats- Unis et de l’Europe) et ses promesses démocratiques ; cette aile s’exprime à travers les positions défendues, contre celle des deux premières ailes, par le chef du gouvernement Hamadi Jbali, parfois, mais pas toujours, par ses Ministres de l’Intérieur, Ali Laarayedh, des Droits humains et de la Justice transitionnelle, Sélim Dilou, de la Justice, Noureddine Bhiri, et par l’intellectuel du mouvement, Ajmi Lourimi. Malgré l’omnipotence de R. Ghannouchi qui continue à pousser au maintien des liens avec les salafistes en leur donnant des gages au détriment de la démocratie, des droits humains et du caractère civil de l’Etat, la troisième aile arrive à marquer des points à la faveur des extravagances des salafistes (notamment avec l’attaque en plein jour contre l’ambassade des Etats-Unis et les affrontements avec les forces de l’ordre à Bir Ali Ben Khlifa, au printemps 2012, et dans la banlieue populaire de la capitale, Douar Hicher en octobre 2012.

Les victoires remportées par la société civile dans la défense des libertés et des droits acquis avant et après l’indépendance, voire depuis le XIXème siècle, les processus de regroupement qui vont dans le sens d’un rééquilibrage du paysage politique en faveur de la démocratie, les échecs du gouvernement, la corruption et le népotisme qui ont fait leur réapparition dans la pratique du nouveau pouvoir, les divisions advenues ou à venir de la Troïka au pouvoir, sont des facteurs qui incitent à l’optimisme. Malgré les désenchantements, compréhensibles au regard des attaques et des menaces visant les libertés et les droits chèrement acquis et accumulés depuis plus d’un siècle et demi, l’espoir de voir le processus en cours aboutir à l’instauration d’une démocratie est loin d’être compromis. Bien au contraire, la résistance, dont a fait preuve la société civile durant ces deux dernières années, montre que quels que soient les vainqueurs dans les prochaines échéances électorales, la Tunisie ne sera plus gouvernée comme avant. Les gouvernants devront compter avec la résistance de la société et avec la liberté que les Tunisien(ne)s ne semblent plus prêts à sacrifier pour quelque impératif que ce soit. Le mérite du processus en cours en Tunisie est qu’il ne repose sur aucune force, aucune institution au dessus la société : ni armée comme c’était longtemps le cas en Turquie et dans d’autres transitions, ni une monarchie qui anticipe les évolutions en les cadrant, comme au Maroc. C’est à la société civile et à ses seules forces pacifiques que ce mérite revient. Il revient aux partis politiques modernistes, quelle que soit leur idéologie, de prouver qu’ils sont à la hauteur de ce que la résistance de la société civile permet d’espérer.

Cri de coeur de Tunisie : Pourquoi le wahhabisme vise notre Histoire

Mardi 20 novembre 2012

Par Soufia Ben Achour

Les mausolées de nos saints sont pris pour cible par les salafistes. Après la destruction des Bouddhas de Bamyan par les Talibans, en Afghanistan, voici que les wahhabites sévissent au Mali, en Libye, puis en Tunisie. Mais pour quelles raisons visent-ils nos monuments historiques ?

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L’attaque qui a visé la zaouia de Saida Manoubia, à la Manouba, le mardi 16 octobre a marqué les esprits. Sans doute à cause de la personnalité particulière de la Sainte, mais aussi certainement parce qu’il s’agit de la première fois qu’un mausolée est visé au cœur de la capitale. Or des actes similaires ont eu lieu à trois autres reprises dans d’autres villes de Tunisie.

Le 10 octobre 2012, un incendie s’est déclaré dans le mausolée de Sidi Bouhdida à El Fahs, dans la région de Zaghouan. Le tombeau du Saint, des exemplaires du Coran ont été complètement calcinés. La porte du mausolée a été défoncée par les assaillants.

Le 20 septembre 2012, des salafistes ont fermé la zaouia de Sidi Abdelkader Jilani à Menzel Bouzelfa, au Cap-Bon, et jeté les tableaux qui ornaient ses murs au sol. Les extrémistes n’ont pas saccagé les lieux, mais se sont contentés de bloquer l’accès au mausolée où venaient prier chaque jeudi quelques centaines d’adeptes.

Le 4 mai 2012, un groupe de salafistes a démoli au bulldozer «la zaouia» (mausolée) de Sidi Yaakoub, située à Beni Zelten, du côté de Matmata, au gouvernorat de Gabès. Les responsables de la destruction du mausolée ont estimé que visiter ce lieu est «un acte de mécréance» (kuffr en arabe).

Le même mode opératoire transparait donc dans ces quatre attaques. Difficile de n’y voir qu’une simple coïncidence. D’autant plus que des salafistes djihadistes ont détruit des mausolées dans la Libye frontalière, presque au même moment. Pendant que les groupes extrémistes qui contrôlent désormais le nord du Mali démolissent méthodiquement les trésors historiques de la ville de Tombouctou.

Il faudrait remonter à mars 2001, à la destruction à l’explosif des Bouddhas géants de Bamyan, par les Talibans, en Afghanistan, pour retrouver la trace de ces actes qui visent délibérément la destruction de monuments qui constituent le patrimoine commun de toute l’humanité. Ce qui justifie cette rage destructrice ? Le wahhabisme saoudien.

Les effets du Wahhabisme en Arabie Saoudite
Le culte wahhabite considère la visite de sites archéologiques, religieux ou historiques à de l’idolâtrie. Il s’agirait donc de «chirk». A cet égard, Abdelaziz Ibn Baz, le mufti d’Arabie Saoudite émet une fatwa en 1994,  stipulant qu’« il n’est pas permis de glorifier les bâtiments et les sites historiques. De telles actions mènent au polythéisme». Ce qui justifierait donc la destruction de ces monuments. Et cela ne date pas d’aujourd’hui.

Ainsi, en 1806, lorsque l’armée wahhabite a occupé Médine, les armées wahhabites ont rasé le Baqi, le cimetière des figures principales de l’aube de l’Islam des débuts. La tombe du prophète Mohamed a même failli être démolie.

En avril 1925, les compagnons d’Abdelaziz Ibn Saoud, ou Ikhwan détruisent aux Hijaz les monuments en rapport avec des saints ou des imams. A La Mecque, on assista ainsi à la démolition des tombes de la famille du prophète. Le cimetière des martyrs d’Ohod n’a pas échappé à la destruction, et même la mosquée de la tombe de Hamza ibn `Abd al-Muttalib n’a pas été épargnée. Le sectarisme wahhabite n’a même pas hésité à s’en prendre à la maison où serait né notre Prophète Mohamed, pour en faire dans un premier temps un souk, puis une librairie. Or que peut-on attendre d’une secte qui ose s’en prendre à l’héritage du plus glorieux des Messagers ? Les Wahhabites auraient-ils une revanche à prendre sur l’Histoire, puisque c’est à des cheikhs Malékites maghrébins que l’on doit la plus éclatante réponse à leur rigidité doctrinale ?

Soufia Ben Achour

 

Intervention Nord-Mali : Pourtant, le Sahel est si important pour les Etats-Unis …

Vendredi 2 novembre 2012

Par Dr. Bakary SAMBE

Les déclarations prêtées, depuis Alger, au général Carter Ham, chef du commandement américain pour l’Afrique (Africom) ont dû surprendre nombre de diplomates rentrés fraîchement de la 67è Assemblée générale de l’ONU à New York. Carther Ham semble insister sur position américaine privilégiant « une solution diplomatique et politique à la crise malienne ». Pourtant, à commencer par le premier pays concerné nombreux sont ceux qui ont plaidé pour une intervention militaire dans le Nord du Mali. Il semblerait que Washington opte pour une maîtrise de tous les enjeux avant un positionnement définitif ; ce qui expliquerait les récentes investigations menées sur les différents acteurs (MNLA, MUJAO, Ansar Dine) afin de mesurer les divers degrés d’implication mais aussi le rapport de force devant déterminer sa stratégie.

On peut se demander si ces déclarations expriment, réellement, un positionnement déjà établi ou cachent  une certaine précaution motivée par la hantise d’un échec au cas où deux acteurs majeurs de cette crise ne s’engageaient pas dans une éventuelle intervention : la Mauritanie et surtout l’Algérie qui n’est pas en faveur de l’option militaire.  Carther Ham, renforcé par Carlson, a été catégorique aussi bien à Alger qu’à Rabat : «Aucune intervention militaire n’est envisageable dans cette région ni dans le nord du Mali», ajoutant que « le déploiement de forces militaires ne fera que compliquer la situation en ce moment ».

Pourtant, la crise que traverse le Mali, avec ses répercussions attendues sur le plan régional avait occupé une bonne place dans le discours prononcé par Hillary Clinton dans l’enceinte de l’Université de Dakar. On ne peut en douter, les enjeux géostratégiques sont énormes pour les Etats-Unis dont l’action et l’influence, dans le Sahel, devraient rester une réalité avec laquelle il va bien falloir compter dans les prochaines années. Il est de l’intérêt des USA d’avoir une maîtrise de toutes les situations qui peuvent s’y produire de la même manière que le Maghreb. Depuis les attaques du 11 septembre, les Etats-Unis s’intéressent davantage à cette dernière région ainsi qu’au Sahel qui en est le prolongement stratégique (partenariats économiques, coopération militaire et sécuritaire). Le 11 septembre a véritablement favorisé un rapprochement entre les États-Unis et les régimes maghrébins, notamment algérien (surtout depuis 2001), mauritanien (depuis 2002), marocain (depuis mai 2003, suite aux attentats de Casablanca), et même, à l’époque, libyen (après décembre 2003).

Rien qu’en 2012, c’est la deuxième fois que le Général Ham se rend en Algérie en moins de six mois. Cette fréquence révèle l’intérêt diplomatique des Etats-Unis pour le Sahel mais aussi la position-clé qui est celle de l’Algérie pour l’issue de ce conflit loin d’être à son épilogue.

Mais Washington a tout intérêt à ce que cette zone du Sahel soit stable parce qu’elle représente un double enjeu économique et stratégique pour positionnement américain en Afrique.

 

Le Sahel représente un enjeu économique immédiat pour les Etats-Unis :

Le Sahel est un espace stratégique pour le transport du pétrole et du gaz. Les luttes d’influence entre les trois protagonistes (Etats-Unis, France et Chine) n’y sont plus un secret. La France peut jouer la carte de la proximité linguistique et, peut-être inconsciemment, de l’héritage colonial alors que les Etats-Unis ne peuvent compter que sur leur présence économique et militaire effective. Présence doublée d’une capacité à user d’une diplomatie moderne, idéal-type du soft power. Pour l’approvisionnement en pétrole, les Etats-Unis qui importent actuellement 15% de leurs besoins d’Afrique devraient en importer 25% en 2015. La région du Sahel va, donc, jouer un rôle de premier plan dans sa fourniture d’énergie. Rappelons que ces dernières années, le Tchad et la Mauritanie sont devenus des pays producteurs de pétrole. Dans le cadre de la diversification des pays fournisseurs de pétrole les Etats-Unis ont même entrepris un intense travail de lobbying pour obtenir, dans le bassin de Taoudéni (1193 de Bamako), une importante concession pétrolière qui avait été octroyée à la société américaine Terralliance Petroleum. Au regard de tous ces éléments, les USA pays sont directement concernés par cette crise au Mali qui n’est pas sans conséquences même jusqu’au Nigeria où Washington suit de près la situation, à cause de la présence de Boko Haram. Les enjeux sont énormes en ce qui concerne aussi bien le pétrole que l’uranium (stratégique pour le nucléaire, notamment français). On sait que la Chine, par exemple, cherche, en premier lieu, à maintenir actifs les deux contrats d’exploitation de pétrole dans la région de Gao et continue ses manœuvres pour tirer profit d’une éventuelle redistribution des cartes…

 

D’énormes enjeux stratégiques et sécuritaires pour les USA

Avec le processus de fragmentation du Mali, tous les pays du Sahel et ceux du Maghreb limitrophes sont menacés. Suite l’auto-proclamation de l’indépendance pour le moment fragile de l’Azawad au nord du Mali, c’est la Libye qui risque de connaître le même sort avec les tentations autonomistes voir sécessionnistes de la Cyrénaïque riche en hydrocarbures, et même du Fezzan au Sud. Les groupes terroristes aussi bien locaux que transnationaux sillonnent déjà la région en y menant leurs activités assez aisément : contrebande, trafic d’armes armes, recrutement de djihadistes. Les groupes terroristes, dont le plus actif est le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) affilié à al Qaeda, constituent une menace pour cette région avec ses plus de cent millions d’habitants. En plus, États-Unis y ont déjà beaucoup investi dans la coopération militaire entre les gouvernements dans la région (Algérie, Maroc, Tunisie, Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Sénégal et Nigéria).

L’enjeu majeur pour l’Amérique est donc d’éviter une situation incontrôlée mais aussi d’empêcher les groupes d’y établir des bases comme en Afghanistan avant le 11 septembre. Les Etats-Unis ont déjà dépensé en 2002, dans le cadre de l’Initiative Pan Sahel (IPS), plus de 8 millions de dollars. Un autre programme la Trans-Sahara Counter terrorism Initiative a aussi été financé par les Etats-Unis (depuis juin 2005) avec l’Exercice Flintlock 2005 pour l’entrainement des forces de sept pays sahéliens afin d’empêcher les groupes terroristes et armés d’établir des refuges sécurisés dans la région. Le coût initial de ce programme était, selon des sources concordantes, de l’ordre de 100 millions de dollars !

Si les forces terroristes d’Ansar Dine liées à Al-Qaeda arrivaient à contrôler durablement le Nord Mali et coopèrent encore plus avec les autres mouvances djihadistes (Boko Haram, MUJAO déjà actif, Shebab en Somalie), une véritable zone comparable à l’Afghanistan va voir le jour et gêner, durablement, les intérêts économiques des Etats Unis (pétrole et richesses minières) comme de la France.

Cela compromettrait même, à jamais, l’installation et la consolidation d’une base militaire américaine dans des zones comme Tessalit (1300 km de Bamako). Pourtant des voix s’élevaient, récemment, dans la classe politique malienne, pour appeler à une concession de cette base aux Etats-Unis, considérés comme la seule puissance capable de déloger efficacement les éléments d’Al-Qaeda. On sait, par exemple, qu’au début du conflit malien en avril, l’Iran prévoyait les vols de deux avions cargo pour, depuis Khartoum, débarquer à Kidal et Tessalit puis à Tombouctou, une fois prise, des centaines de combattants rameutés d’Afghanistan, du Pakistan, du Yémen et de Somalie ainsi que des armes sol-air pour leur permettre de répliquer à tout raid aérien. Dans une telle configuration, seule une base à Tessalit permettra aux USA d’avoir non seulement le contrôle sur le vaste espace sahélien, mais de maîtriser les mouvements de bâtiments de guerre ainsi que le transport du pétrole dans une bonne partie du pourtour méditerranéen. Les Américains en sont conscients qui observent avec grand intérêt les développements dans la région loin de leur isolationnisme traditionnel et malgré leurs intentions « purement » économiques telles qu’affichées généralement.

De plus, l’énorme influence dont jouissent actuellement les Etats-Unis, notamment au Maghreb, pourrait, peu-être, aider à résoudre l’équation algérienne si pesante sur l’issue du conflit ; l’Algérie étant le seul pays pouvant aider à déloger les éléments d’AQMI du Nord Mali, comme elle avait, du reste, pendant des années, empêché Khadhafi de s’y installer.

Mais, Washington devrait travailler sur plusieurs hypothèses y compris celle qui verrait réussir une intervention militaire de la CEDEAO. Malgré les réticences algériennes et mauritaniennes, des experts misent sur une telle éventualité. Pour les déjà convaincus de l’opération militaire, sa réussite serait possible pour plusieurs raisons: la CEDEAO a déjà acquis une grande expérience (ECOMOG au Libéria et en Sierra Léone) même s’il y a eu des ratés; le désert du Sahel est propice à une intervention armée. L’autre élément tactique qui les galvanise est la supériorité aérienne des forces de la coalition qui serait décisive dans une zone, à maints égards, différente de l’Afghanistan avec ses montagnes qui permettent le camouflage des rebelles. Selon eux, tout indiquerait que les islamistes ne feront pas le poids (insuffisance en nombre, équipements et compétences tactiques) malgré leur bonne connaissance supposée du terrain et … l’aide supposée de certaines monarchies du Golfe !

Quelle que soit l’issue de cette crise, aucune puissance ne pourra se permettre une auto-exclusion du processus de reconstruction et, surtout, d’un indispensable et ambitieux plan de l’ONU comprenant un pan économique important pour pacifier, à long terme, la région du Sahel !

Dr. Bakary Sambe, Enseignant-Chercheur à l’UFR CRAC Université Gaston Berger de Saint-Louis, Spécialiste du monde musulman et des réseaux transnationaux.