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Visite de Mohammed VI : Les dessous d’un choix obligé de l’Afrique subsaharienne

Samedi 16 mars 2013

Source : Dakaractu.com

16/03/2013

Pour avoir perdu du terrain sur le front méditerranéen et maghrébin, le Maroc n’a plus le choix sur le plan géopolitique et se tourne davantage vers l’Afrique au sud du Sahara. C’est l’avis du Pr Bakary Sambe. Malgré une présence depuis le Moyen-Age, le Maroc a toujours voulu se donner l’image du « pays maghrébin le plus influent au Sud du Sahara » rappelle, le chercheur au Centre d’Etude des Religions (CER) de l’UFR des Civilisations, Religions, Arts et Communication (Université Gaston Berger de Saint- Louis).

Auteur du livre « Islam et diplomatie : la politique africaine du Maroc », le professeur Bakary Sambe parle, certes, de « continuité historique » à l’occasion de la visite du souverain Mouhamed VI au Sénégal soulignant que le Maroc a été le premier pays africain visité par Wade alors nouvellement élu. Il souligne que « les changements politiques intervenus dans les deux pays n’ont jamais eu d’impact négatif sur la qualité des relations bilatérales » et que, le Maroc « jouant sur une stratégie de bilatéralisme sélectif en Afrique, depuis son départ de l’UA en 1984, suite à l’adhésion du Sahara occidental, a toujours fait du Sénégal le pivot de son influence au Sud du Sahara ».

Cependant, soutient Bakary Sambe, « le royaume chérifien n’a jamais perdu de vue l’efficacité politique des symboles religieux qu’il a toujours placés au coeur de sa diplomatie, saisissant les infinies possibilités qu’offre la dimension religieuse dans les contextes du Sud fortement marqués par une certaine privatisation des rapports y compris politiques ». Pour Sambe, « rien n’est laissé au hasaerd; le choix d’un vendredi, la rencontre avec la Ligue des Oulémas du Maroc et du Sénégal, le facteur Tijâniyya, mais aussi la revivification des liens d’amitié entre Hassan II et la famille de Cheikh Gaïndé Fatma, du côté de Touba ». De toute façon, rappelle Bakary Sambe, « il en a toujours été ainsi dans la tradition diplomatique partagée entre les deux pays : de l’inauguration de la grande mosquée de Dakar construite par l’architecte personnel de Hassan II, Gustave Collet, jusqu’à l’officialisation diplomatique du colloque annuel de Fès et des Journées Tijâniyya à Dakar, Rabat avait très vite compris l’impact certain de la stratégie de sacralisation parfois à outrance des rapports diplomatiques ». Le spécialiste du, monde musulman à l’UFR-CRAC de l’Université Gaston Berger va même jusqu’à en conclure « une recherche de modèle religieux » de la part du Maroc qui « tient particulièrement à la survie du Fiqh malikite et du dogme ash’arite en Afrique subsaharienne, où ils sont challengés, comme au Maroc d’ailleurs, par la montée de l’islam wahhabite, et qui fait que le Maroc s’est lancé depuis Hassan II dans une activité soutenue de réédition des classiques religieux redistribués grâcieusement dans les medersas africaines ».

Mais, la nouveauté, pour Bakary Sambe est que les mutations géopolitiques récentes ont fait que le Maroc ne pouvait plus avoir le monopole d’une telle influence basée sur ce qu’il appelle « les ressources symboliques et religieuses. La Turquie dont le premier Ministre Racep T. Erdogan était récemment à Dakar, investit de plus en plus le champ de la « diplomatie religieuse » avec des moyens financiers incomparables et surtout « un modèle de réussite économique à vendre dans le cadre d’une autre alternative Sud-Sud longtemps vantée par le Maroc ».

C’est ce que dit démontrer, Bakary Sambe, dans une récente publication en collaboration avec l’IFRI, l’Institut Français des Relations Internationales (Le Maghreb et son Sud: vers des Liens renouvelés, Editions du CNRS, 2013), en revenant sur les nouvelles perspectives de la « stratégie d’influence marocaine à l’heure des profondes mutations géopolitiques » auxquelles nous assistons.

S’arrêtant, précisément, sur ces « mutations » Bakary Sambe soutient que « Le Maroc n’a pas le choix sur un plan géopolitique. Ses ambitions en Méditerranée sont depuis longtemps bridées par le puissant voisin espagnol. A l’est, l’autre voisin algérien le bouscule jouant sur le conflit avec le Polissario. Donc le Maroc ne peut prétendre à une influence que vers le sud du Sahara », renseigne le Pr Sambe.

Mais, pour le spécialiste des questions internationales, « La deuxième raison, c’est que récemment, nous l’avons vu, qu’avec la crise au Mali, il y a eu un retour en force de l’Algérie sur la scène africaine et on connaît les velléités, sinon les rivalités entre ses deux pays en matière diplomatique, notamment autour du problème du Sahara occidental », ajoute-t-il.

Selon le professeur Bakary Sambe, outre les signatures de conventions et autres accords, particulièrement en matière de transport et de circulation, la visite du roi Mohamed VI sera l’occasion de rencontrer les chefs religieux tidianes, mourides et d’autres confréries. « Mais aussi la rencontre avec les ressortissants marocains qui sont établis depuis très longtemps au Sénégal. Les deux pays étant liés par une convention d’établissement qui fait que les citoyens sénégalais et marocains peuvent résider dans l’un ou l’autre pays avec les mêmes privilèges que les nationaux », précise-t-il.

Mais, « en plus de négocier un accord de libre échange avec la zone UEMOA et s’ouvrir un marché ouest africain de 243 millions de consommateurs sur 15 pays », dit-il, pour conclure, « dans un contexte d’une forte ruée générale vers l’Afrique et ses ressources, le Maroc veut se positionner davantage comme la porte maghrébine de l’Afrique subsaharienne pour, en même temps, jouer les intermédiaires avec l’Europe et consolider la percée de ses entreprises notamment ses grandes banques qui ont fait une OPA sur de larges parcelles du secteur financier ». Et, selon lui, » c’est la raison pour laquelle nos dirigeants sur lesquels compte beaucoup la diplomatie marocaine devraient être plus exigeants avec leur allié, notamment sur la gestion de l’immigration subsaharienne dont les pays maghrébins se font les « gendarmes » d’une Europe en proie à la crise et qui se barricade », insiste, Bakary Sambe.