Archive pour mai 2013

 »In the Arab World, We Africans are Viewed as Inferior Muslims »

Mercredi 15 mai 2013

The French military intervention in Mali has triggered controversial reactions among Muslim intellectuals in West Africa. While there is almost universal rejection of jihadism, opinion about France’s political motives is divided. Charlotte Wiedemann spoke to the Senegalese political scientist Bakary Sambe

Dr Sambe, you have consistently spoken out in favour of the French intervention in Mali. The war has now been going on for three months. Can there be a military solution to the problem of militant Islamism in Mali?

Bakary Sambe: Of course the problem cannot be solved by military means alone. But general security in West Africa was under threat from the armed jihadists in Mali. This is why I supported the intervention.

There is now a great deal of debate over the role of France, and I certainly do not support any neo-colonial interests that France might possibly associate with its course of action. Politically speaking, I grew up with the criticism of European colonialism and imperialism. But it is important that people understand that there is now such a thing as Arab imperialism, and we have to fight that too.

What exactly do you mean by ‘Arab imperialism’?

Sambe: For some time now, the proponents of international Wahhabism have been working on a plan to establish a Wahhabi zone of influence that extends right across the entire Sahel region, from Niger, northern Nigeria and Mali through to Senegal. This represents a huge threat to our brand of Islam, which has always lived in harmony with local cultures.

Bakary Sambe (photo: Lea Rösner)
Dr Bakary Sambe teaches and researches at the Centre for Religious Studies at the Université Gaston Berger in Saint- Louis, Senegal. His specialist subjects are the trans-national networks of militant Islamism and Arab-African relationsOrganisations that are financed by Arab nations such as Kuwait, Qatar and Saudi Arabia are attempting what could be described as an « Islamisation » of our region; they want to bring their idea of « true Islam » to sub-Saharan Africa. This is pure ideology motivated by an Arab paternalism that I vehemently oppose. The attempt to « Arabise » us is based on a total denial of our culture as African Muslims. The destruction of the mausoleums in Timbuktu was an extreme example of this.

In Mali, the leaders of the Islamist occupation in the North came from abroad, but they were also backed by a local minority. What is the reason for this? Poverty, as some claim, or an altered understanding of religion?

Sambe: Poverty is certainly a factor. The African state is weak and does not operate any kind of social policy. But above all, the state has withdrawn too much from the education system, leaving the field to non-state organisations that are financed out of Kuwait, Qatar and Saudi Arabia.

This is especially true of Mali, where the state education system is impoverished and religious players have been given too much room to manoeuvre. This gives rise to a parallel education system with an ideology that comes from abroad and over which the state has absolutely no control.

Although you denounce this Arab influence, you are also opposed to the term « Islam noir » – or « black Islam » – that some westerners are fond of using.

Sambe: This term was introduced during the colonial era and sought to infantilise us, the African people. Allegedly, we were so emotional because we were not as spiritually mature as the Arabs, who were consequently viewed as more dangerous. France has always tried to establish a barrier between the Maghreb and the sub-Saharan region, to prevent any intellectual exchange from taking place.

You speak of an inferiority complex that still affects African Muslims to this day. Where does this come from?

Sambe: In the Arab world, Muslims from sub-Saharan Africa are viewed as second-class Muslims, as sub-Muslims. Imagine this: in the fifteenth century, Timbuktu was an important city of scholars, and now, in the twenty-first century, Arab organisations come here, exploit our young people and tell them that it is their job to Islamise their societies! My response is this: Africa must stop importing ideologies from abroad and regarding itself as a kind of inferior Zone B.

Arab Muslims and sub-Saharan Muslims must at last develop a relationship built on mutual respect. It is still a relationship based on dominance. However, conversion has never been a one-way street. Each and every people that adopted Islam also gave something back to Islam. This was the only way that the universality of Islam could arise.

Interview: Charlotte Wiedemann

© Qantara.de 2013

Translated from the German by Nina Coon

Editor: Aingeal Flanagan/Qantara.de

Le Sénégal pourrait-il connaître le sort du Mali ?

Mercredi 15 mai 2013

Par Gaël Cogné
France Info TV

Pays proche du Mali, le Sénégal fait figure de modèle démocratique dans la sous-région… comme son voisin hier. Le pays n’est peut-être pas à l’abri du péril islamiste.

Depuis quelques mois, la carte des conseils aux voyageurs du Sahel du ministère des Affaires étrangères s’empourpre. Du jaune, elle a viré au orange, puis au rouge. Les consignes sont impératives : pas question d’aller au Mali ou au Nigeria, et évitez de mettre les pieds au Tchad. L’otage français passe pour une denrée prisée dans cette vaste région qui borde le sud du Sahara. Dans tout le Sahel ? Non. A mieux regarder la carte, un petit confetti jaune résiste sur les rives de l’océan Atlantique. Le Sénégal, avec ses plages de sable blanc, ses 18 000 Français expatriés et son légendaire sens de l’hospitalité, la “teranga” en wolof.

Un risque terroriste éludé

Le tableau a cependant pris quelques petits coups de canif. Comme le 22 février. La flambant neuve ambassade des Etats-Unis à Dakar adresse alors un SMS inquiétant à ses ressortissants. Depuis le bunker hyper sécurisé de la pointe des Almadies, consigne est donnée d’éviter le centre de la capitale sénégalaise. La sécurité y est d’ailleurs renforcée.

Alors que le Sénégal est frontalier de pays confrontés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), la question d’une contagion jihadiste a pourtant été étrangement éludée dans le pays. Il faut attendre le 15 janvier, avec l’engagement de troupes sénégalaises au Mali, pour que le nouveau président, Macky Sall, invite les chefs religieux à “prévenir leurs disciples contre d’éventuelles influences étrangères”. Le 9 mars, il concède qu’”il y a un risque de cellules dormantes, comme partout ailleurs. La carte du terrorisme mondial est une carte mondiale”.

“Nous nous sommes reposés sur nos lauriers”

D’autres se font plus directs. “On sait que des ressortissants de tous les pays de l’Afrique de l’Ouest ont fourni des troupes au Mujao”, l’un des groupes terroristes qui contrôlait le Nord-Mali, indique à francetv info Alioune Tine, président de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho) à Dakar. Dans un entretien au journal sénégalais Sud Quotidien, il affirmait que des Sénégalais se trouvaient dans les rangs terroristes. Ces jihadistes peuvent être “des gens passés par l’immigration qui ont échoué au Mali, ou bien des talibés (étudiants en théologie). Souvent, ils sont très jeunes et vivent dans une extrême pauvreté. Avec le trafic de drogue, ils trouvent un moyen de faire facilement de l’argent. Finalement, c’est une question démographique et de chômage”.

Qu’en est-il sur le territoire du Sénégal ? “Dans certaines mosquées, il existe des prêcheurs qui ont un discours pas vraiment différent du message des jihadistes”, estime Alioune Tine. Bakary Sambe, chercheur à l’université Gaston Berger de Saint Louis, s’inquiète aussi : “Nous nous sommes longtemps reposés sur nos lauriers, avec un certain mythe du Sénégalais naturellement non-violent, et en comptant sur un islam confrérique soufi paisible. Nous n’avons pas pris en compte la dimension transnationale de la menace.” Il ajoute : “Depuis 2005, je signalais [qu'il existait] un projet de créer une zone d’influence wahhabite [le wahhabisme étant un courant rigoriste de l'islam proche du salafisme], sous l’impulsion de l’Arabie saoudite et ses organisations, sur toute l’étendue du Sahel.” De la Somalie et l’Erythrée, jusqu’au Sénégal.

“Bombe à retardement”

Il poursuit son raisonnement : “Aujourd’hui, nous constatons l’importation d’une idéologie wahabbite et salafiste. Si l’idéologie du nord du Mali qui a conduit à s’attaquer au patrimoine de Tombouctou est présente au Sénégal, la phase opérationnelle n’est qu’une question de circonstance. Or, les circonstances sont imprévisibles. Personne ne s’attendait à ce que des Sénégalais s’immolent devant le palais présidentiel. Une personne qui fait cela est capable de porter une ceinture d’explosifs. Les ingrédients en termes de désespoir et de perte de repères d’une jeunesse en proie au chômage sont bien là.”

Le chercheur relève que de nombreuses ONG islamiques officient à Dakar, un “hub” à l’échelle de la sous-région. Elles “mènent un travail social, d’assistance, construisent des écoles où une certaine idéologie est dispensée. Et l’Etat n’a aucun regard, aucune emprise”. Pour lui, l’enjeu est central. “A côté de l’école publique d’Etat, un enseignement islamique crée une élite frustrée qui n’arrive pas à s’insérer économiquement en sortant de ces écoles parallèles, car la maîtrise du français reste une condition essentielle pour prendre l’ascenseur social. C’est une bombe à retardement ! Dans quelques décennies, la cohésion sociale risque d’en être affectée.”

Des confréries qui font obstacle

Dans un entretien au site Maliweb, l’intellectuel et ancien diplomate malien Bandiougou Gakou rappelle précisément que c’est ainsi que les choses ont commencé : “Au Mali, la véritable implantation du salafisme a débuté par le financement systématique des mosquées et des madrasas [écoles] acceptant de répandre la doctrine wahhabite.”

Toutefois, un bon connaisseur de l’islamisme dans la région relativise. “Le Sénégal a un côté très religieux, mais le wahhabisme se heurte aux confréries” (mouride, tidiane, layène…). Selon lui, l’influence salafiste “pour le moment, s’observe à la marge”. Des “gens ont cherché à infiltrer la confrérie des mourides mais ils ont été identifiés. Le Sénégal est un peu préservé par les confréries”, admet Alioune Tine.

Conflit touareg au Mali, conflit casamançais au Sénégal

Mais d’autres éléments inquiètent cette figure de la société civile sénégalaise. Il remarque que comme le Mali avec les Touaregs, le Sénégal ne parvient pas à se débarrasser d’un vieux conflit en Casamance, une zone du sud-ouest du pays. “Au Sénégal, il y a aussi du trafic d’armes et du narco-trafic. Nous savons que dans le conflit casamançais, beaucoup d’armes ont été financées par le trafic de cannabis. Ce qui s’est passé au Mali peut arriver au Sénégal…”

Dans une publication, repérée par un blog de Rue89, le think tank Ipode dresse le même constat sur le conflit en Casamance. Les deux auteurs, Mouhamadou El Hady Ba et Pierre Amath Mbaye, ajoutent que, comme au Mali, certains officiers sont mal payés ; que, comme au Mali, les autorités religieuses et politiques sont remises en question ; que, comme au Mali, l’éducation fait défaut ; et enfin que “le Sénégal est bien plus inégalitaire que le Mali”.

Pour les deux chercheurs, le risque n’est pas à la contagion d’un “péril islamiste” venu de l’étranger, mais à “une transformation de nos propres conflits de basse intensité (en Casamance) en conflit de forte intensité”. Selon leur analyse, les islamistes venus de l’étranger ont pu mettre la main sur le Nord-Mali en exploitant une situation délétère depuis les années 1960 entre la rébellion touareg et un Etat malien en décrépitude. Et ce, alors même que le Mali faisait figure de modèle démocratique.

Par Gaël Cogné
France Info TV