L’Afrique et ses oulémas ont tout intérêt à repréciser leur discours et à réaffirmer ce mode d’islam pacifique complètement en harmonie avec nos sociétés et nos cultures au lieu d’essayer d’importer des idéologies telles que le salafisme, le wahhabisme ou le jihadisme qui répondent à d’autres circonstances politiques, d’autres contingences culturelles qui ne sont pas forcément les nôtres.
J’ai toujours lancé un appel aux chefs confrériques soufis qui ont une responsabilité historique. Leur responsabilité historique est la suivante : ce sont des personnalités qui ont voix au chapitre, ce sont des personnalités qui ont presque le monopole du discours religieux et ce sont ces personnalités-là qui doivent aujourd’hui se faire entendre ou en tout cas adhérer à ce discours-là pour que l’Afrique, le modèle religieux, le modèle islamique qui a préservé la paix sociale dans certains de nos pays jusqu’à présent – exception faite de la situation malienne et de quelques autres pays comme le Niger – que cet islam-là ne soit pas supplanté par toutes ces « stratégies du Sahel ». Je les appelle « stratégies du Sahel », elles ont été développées dans les années 1970 de la part de ces pays et organisations malheureusement du monde arabe qui font passer des idéologies, exportent des idéologies qui n’ont rien à voir avec le contexte africain, et ces idéologies sont productrices de violence, de haine et d’une certaine instabilité telle qu’on le voit au Moyen-Orient et dans certaines régions du Maghreb.
La vraie réponse contre le djihadisme et l’extrémisme violent doit d’abord être une réponse pédagogique et surtout préventive. La lutte contre le terrorisme, c’est d’abord une bataille idéologique, elle se gagne par l’éducation, elle se gagne par la prise de conscience. J’ai coutume de dire aux partenaires européens et à d’autres Occidentaux que si on attend que des jihadistes, que des milices soient installées dans le nord du Mali, dans le sud du Niger, je ne sais où, ou dans le sud libyen pour qu’on arrive avec des drones, des chars de combat, il faut avouer que nous avons perdu une grande bataille dans cette guerre contre le terrorisme. Cette guerre se mène par l’éducation, par la généralisation de l’éducation, par une prise de conscience citoyenne, par la démocratie, par la lutte contre les injustices et les inégalités sociales. Mais là, la méthode répressive est la moins bonne des réponses, parce que justement elle n’a pas d’efficacité.
Il y a des prises de position claires, notamment au sein des confréries soufies traditionnelles, mais aussi dans certaines organisations religieuses elles-mêmes. Certaines organisations se réclament du salafisme ou du wahhabisme au Sénégal, au Mali, mais dans le discours public, elles ont renoncé au jihadisme. En tout cas, elles l’ont crypté dans leurs discours publics : on rejette le jihadisme et la violence, en rappelant les principes de l’islam sur ce point précis, en rejetant toute forme de violence dont la base serait islamique.
Le phénomène n’est pas encore bien répandu en Afrique subsaharienne, mais rien n’empêche que l’on puisse réfléchir à des moyens de prévenir cela. Il revient aux Etats africains, aux sociétés civiles africaines, aux personnalités musulmanes africaines de produire une réflexion claire et précise sur cette question-là et de prévenir que ce danger jihadiste, que cette tentation jihadiste, puisse s’installer, en tout cas puisse avoir l’impact qu’elle a eu au Moyen-Orient, au Maghreb, mais aussi en Europe.
Il y a des initiatives qui méritent encouragements. Des initiatives marocaines avec la formation des imams, avec certaines radios, l’organisation de prêches, les sensibilisations menées par des musulmans et par des leaders, des jeunes leaders musulmans, des politiques… Il y a eu récemment aussi, du côté de l’Algérie, le lancement de la Ligue des oulémas du Sahel pour un islam modéré, un islam pacifique, un islam vrai parce que le fond même de l’islam, c’est le pacifisme et la paix. Il y a des initiatives, donc je pense que ce discours mérite encore d’être développé au sein des confréries qui doivent prendre leurs responsabilités, sortir des discours purement traditionnels pour répondre aux exigences des temps modernes, mais aussi pour répondre aux aspirations d’une jeunesse de plus en plus demandeuse de spiritualité et qui, si elle n’est pas satisfaite, peut lorgner ailleurs.