Exclusif- Visite de Macky en Arabie Saoudite, Rébellion chiite au Yémen, engagement du Sénégal, lutte contre le terrorisme, Dr. Bakary Sambe décortique les enjeux pour Xalima
Enseignant-Chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, spécialiste des relations arabo-africaines, du militantisme islamique et des réseaux transnationaux, Dr. Bakary accorde un entretien à Xalimasn.com. Il revient sur les enjeux de la visite de Macky Sall en Arabie Saoudite au moment où le Moyen-Orient traverse une crise majeure quelque peu occultée par l’accord cadre sur le nucléaire iranien.
D’abord, pouvez-vous revenir sur le contexte qui prévaut au Yémen et qui semble tant préoccuper l’Arabie Saoudite ?
Cette visite se déroule à un moment crucial où l’Arabie saoudite a pris la tête d’opérations militaires mobilisant des milliers d’homme et des dizaines d’appareils pour combattre les rebelles chiites houthis dirigés par Badr Dîn Ali Hussein Al-Houthi et appartenant à branche zaydite du chiisme peuplant le nord-ouest du Yémen, en rébellion contre le gouvernement central depuis la réunification des années 90. Ces rebelles chiites s’étaient aussi insurgés contre Sanaa en 2004 lors de la guerre dite du Saada. C’est une véritable opération de containment et ou de guerre préventive que mène Riyad au Yémen, l’Arabie Saoudite abritant aussi une minorité chiite dans la région pétrolifère de Charguiyya et ne voulant pas être contaminé de même que le Bahreïn qui est dans une situation similaire. Cette intervention de l’Arabie Saoudite répond à un appel en détresse du Président Abd Rabbo Mansour Hadi qui n’avait pas d’autre option sinon une allégeance à Daesh qui serait une catastrophe pour la région et la communauté internationale. Elle est justifiée par Riyad en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations Unies et des accords de défense dans le cadre de la Ligue arabe pour essayer de lui donner une certaine légalité.
Justement Macky Sall a salué cette opération dirigée par l’Arabie Saoudite et vient de réitérer le soutien « total » de Dakar à Riyad. Que cache un tel engagement ?
Les relations entre le Sénégal et l’Arabie Saoudite et le Sénégal datent des années 60 depuis le Roi Fayçal et se sont poursuivies avec l’avènement de Fahd Ibn Abdelaziz puis avec Abdallah. Senghor a eu sa visite « mémorable », Abdou Diouf a été dénommé « l’homme de Taef » et Wade a eu ses heures de gloire avec comme cerise sur le gâteau un second sommet de l’OCI plaçant notre pays au cœur des relations saoudo-africaines. Macky Sall vient de signer sa véritable entrée sur la scène moyen-orientale à une période où l’Arabie Saoudite semble vivre un tournant avec l’arrivée récente du Roi Salman connu pour son pragmatisme, surtout dans un contexte où l’Arabie Saoudite est fortement préoccupée par l’influence grandissante de l’Iran qui serait derrière les insurrections chiites au Yémen. Nous sommes donc dans un scénario proche de celui du début des années 90 où l’Arabie Saoudite menacée par saddam Hussein tenait à renforcer sa coopération avec l’Afrique surtout par le biais d’un pays « pivot » comme le Sénégal. Le soutien « total » de Macky Sall à Ryad ouvre de nouvelles perspectives pouvant aboutir à un engagement plus prononcé du Sénégal.
Cette visite est-elle aussi « historique » que celles de Diouf ou de Wade ?
La visite de Macky Sall pourrait être « historique » si le Sénégal saisissait l’opportunité des mutations de la politique saoudienne de plus en plus consciente du danger des extrémismes religieux et du terrorisme avec Daesh aux portes de la péninsule arabique, pour s’assurer de la coopération effective du Royaume dans la lutte contre la radicalisation. L’Arabie Saoudite longtemps décriée surtout pour ses relations financières avec des mouvements salafistes et wahhabites sur le continent pourrait désormais exercer une certaine pression sur des mouvements d’obédience wahhabite et collaborer avec les Etats sahéliens dans le tarissement des moyens financiers de tels groupes sur le continent. Il y a aujourd’hui une réelle convergence d’intérêts que le Sénégal, avec les pays de la sous-région, pourrait mettre à profit dans ce cadre. L’Arabie Saoudite semble avoir compris que le développement du radicalisme religieux n’est dans l’intérêt d’aucun pays. La volonté de l’aile politique du pouvoir saoudien est nette dans ce domaine. Reste à savoir si l’aile religieuse fera preuve d’une même ouverture sans résistances.
Mais cet engagement du Sénégal se justifiait-il si l’on sait les risques que notre pays prend en même temps ?
Il faut voir dans cette opération « tempête de fermeté » la reconstitution d’un front sunnite en Orient comme au Maghreb. Parmi les pays engagés aux côtés de Riyad, l’Égypte, la Jordanie, le Soudan, et le Maroc. Le Pakistan a, de sa part, indiqué avoir été sollicité et avoir mis la question « à l’étude », une manière très diplomatique de prendre le temps de réfléchir. Mais il y a des constantes et des équilibres dans notre diplomatie : le Sénégal partage avec l’Arabie Saoudite et le Maroc, la commission Al-Quds aux Nations Unies où ils sont les défenseurs des « droits inaliénables du peuple palestinien ». Il est vrai que cet axe stratégique s’est renforcé avec comme têtes de pont l’Arabie Saoudite au Mashrek, le Maroc au Maghreb et le Sénégal en Afrique subsaharienne. D’autres Etats du Golfe s’intéressent à notre pays au regard de sa position stratégique mais aussi sa « voix » symbolique au sein de l’ensemble francophone africain et des organisations panislamiques internationales. C’est le cas du Qatar par exemple. J’ose espérer que les autorités sénégalaises ont mesuré aussi les risques inhérents à un tel engagement sur le plan diplomatique et sécuritaire : les rebelles chiites bénéficient incontestablement du soutien de l’Iran dont il ne faut pas négliger les capacités de nuisance, encore réelles, si l’on se réfère à l’histoire récente avec les armes dites « iraniennes » ayant transité par un pays enclavé dans notre territoire et destinées à des groupes rebelles.
Notre pays s’est-il donc embarqué dans une situation confuse au Moyen-Orient avec des conséquences sécuritaires à venir ?
La confrontation historique entre sunnisme et chiisme conquérants a de beaux jours devant elle. Elle a commencé au 7e siècle et ne finira pas de sitôt. L’Iran et l’Arabie saoudite ont toujours été dans cette logique de confrontation idéologique sous couvert de prédications religieuses contradictoires et sont à la recherche effrénée d’alliances partout dans le monde musulman. L’Arabie Saoudite cherche aussi à contenir cette influence iranienne partout dans le monde musulman comme l’Iran arrive à nouer des relations avec certains groupes notamment soufis en Afrique où le salafisme wahhabite combat les confréries. Riyad a d’ailleurs tout intérêt à modérer ses ardeurs et ses partenaires dans ce combat et mieux comprendre les nouveaux enjeux de sa politique extérieure en Afrique. Mais le plus à craindre ce sont les inéluctables retombées des inconséquences et contradictions de la diplomatie occidentale en Orient. Au même moment où elle assure son soutien logistique et en renseignement à l’Arabie Saoudite, au Yémen en proie à des rebelles chiites, elle s’appuie sur des rebelles chiites, en Irak et en Syrie, pour venir à bout de l’Organisation de « l’Etat islamique ». La question est surtout comment les pays du Conseil de coopération du Golfe vont apprécier cette nouvelle donne selon laquelle l’Iran devient de plus en plus fréquentable auprès de leurs alliés occidentaux dont le réalisme diplomatique en arrive à brouilles toutes les grilles d’analyse.
Propos recueillis par Xalimasn.com