Archive de la catégorie ‘DIVERSITE’

Bakary Sambe (UGB) : « Les différentes stratégies Sahel ont 40 ans de retard sur les réseaux qu’elles cherchent à éradiquer »

Lundi 29 décembre 2014

« Les terroristes disposent abondamment de deux choses qui manquent cruellement à nos Etats sous pression : le temps et l’argent », dira Bakary Sambe en guise d’introduction de son exposé reprenant les grandes lignes du document de travail qu’il a publié en collaboration avec la Fondation pour la Recherche stratégique (FRS).

S’exprimant lors du panel consacré au terrorisme qu’il partageait, entre autres, avec l’Envoyé Spécial des Nations Unies et d’autres experts internationaux, le Sénégalais, Dr. Bakary Sambe a voulu dès l’entame de son propos, « attirer l’attention de la communauté internationale sur les risques d’en arriver à une amère impression d’un second ‘trop tard’ si l’on continue à privilégier les solutions strictement militaires en négligeant l’approche sociologique et préventive du phénomène terroriste ».

Pour le coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes religieux à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, « les différentes stratégies Sahel qui gagneraient d’ailleurs à être harmonisées accusent un retard d’au moins 40 ans sur les réseaux qu’elles veulent éradiquer », rappelant que « la région du Sahel a souffert des sécheresses des années 70 et des politiques d’ajustement des années 80 pendant que l’Europe, subissant les effets du choc pétrolier, n’avait aucune politique d’anticipation au moment où les pétrodollars avaient envahi l’espace du social et de l’humanitaire  dans un contexte d’affaiblissement aggravé des Etats africains ».

« Sans une harmonisation de ces différentes stratégies dites du Sahel de la part des partenaires au développement, elles perdront de leur efficacité comme cela a été le cas pour l’aide bilatérale ou encore multilatérale », dira Bakary Sambe.

D’après cet enseignant-chercheur au Centre d’Etude des Religions (CER) de l’UGB, « les groupes terroristes comme Al-Qaida ont radicalement changé de stratégie, loin des actions à visée globale, se suffisant de parasiter les conflits locaux tout en attirant l’Occident  dans le piège de l’interventionnisme lui-même générateur de frustrations et de radicalisation ».

Une réponse africaine à l’extrémisme violent : Promouvoir et défendre le soufisme pour vaincre le Djihadisme

Lundi 3 novembre 2014

L’Afrique et ses oulémas ont tout intérêt à repréciser leur discours et à réaffirmer ce mode d’islam pacifique complètement en harmonie avec nos sociétés et nos cultures au lieu d’essayer d’importer des idéologies telles que le salafisme, le wahhabisme ou le jihadisme qui répondent à d’autres circonstances politiques, d’autres contingences culturelles qui ne sont pas forcément les nôtres.

J’ai toujours lancé un appel aux chefs confrériques soufis qui ont une responsabilité historique. Leur responsabilité historique est la suivante : ce sont des personnalités qui ont voix au chapitre, ce sont des personnalités qui ont presque le monopole du discours religieux et ce sont ces personnalités-là qui doivent aujourd’hui se faire entendre ou en tout cas adhérer à ce discours-là pour que l’Afrique, le modèle religieux, le modèle islamique qui a préservé la paix sociale dans certains de nos pays jusqu’à présent – exception faite de la situation malienne et de quelques autres pays comme le Niger – que cet islam-là ne soit pas supplanté par toutes ces « stratégies du Sahel ». Je les appelle « stratégies du Sahel », elles ont été développées dans les années 1970 de la part de ces pays et organisations malheureusement du monde arabe qui font passer des idéologies, exportent des idéologies qui n’ont rien à voir avec le contexte africain, et ces idéologies sont productrices de violence, de haine et d’une certaine instabilité telle qu’on le voit au Moyen-Orient et dans certaines régions du Maghreb.

La vraie réponse contre le djihadisme et l’extrémisme violent doit d’abord être une réponse pédagogique et surtout préventive. La lutte contre le terrorisme, c’est d’abord une bataille idéologique, elle se gagne par l’éducation, elle se gagne par la prise de conscience. J’ai coutume de dire aux partenaires européens et à d’autres Occidentaux que si on attend que des jihadistes, que des milices soient installées dans le nord du Mali, dans le sud du Niger, je ne sais où, ou dans le sud libyen pour qu’on arrive avec des drones, des chars de combat, il faut avouer que nous avons perdu une grande bataille dans cette guerre contre le terrorisme. Cette guerre se mène par l’éducation, par la généralisation de l’éducation, par une prise de conscience citoyenne, par la démocratie, par la lutte contre les injustices et les inégalités sociales. Mais là, la méthode répressive est la moins bonne des réponses, parce que justement elle n’a pas d’efficacité.

Il y a des prises de position claires, notamment au sein des confréries soufies traditionnelles, mais aussi dans certaines organisations religieuses elles-mêmes. Certaines organisations se réclament du salafisme ou du wahhabisme au Sénégal, au Mali, mais dans le discours public, elles ont renoncé au jihadisme. En tout cas, elles l’ont crypté dans leurs discours publics : on rejette le jihadisme et la violence, en rappelant les principes de l’islam sur ce point précis, en rejetant toute forme de violence dont la base serait islamique.

Le phénomène n’est pas encore bien répandu en Afrique subsaharienne, mais rien n’empêche que l’on puisse réfléchir à des moyens de prévenir cela. Il revient aux Etats africains, aux sociétés civiles africaines, aux personnalités musulmanes africaines de produire une réflexion claire et précise sur cette question-là et de prévenir que ce danger jihadiste, que cette tentation jihadiste, puisse s’installer, en tout cas puisse avoir l’impact qu’elle a eu au Moyen-Orient, au Maghreb, mais aussi en Europe.

Il y a des initiatives qui méritent encouragements. Des initiatives marocaines avec la formation des imams, avec certaines radios, l’organisation de prêches, les sensibilisations menées par des musulmans et par des leaders, des jeunes leaders musulmans, des politiques… Il y a eu récemment aussi, du côté de l’Algérie, le lancement de la Ligue des oulémas du Sahel pour un islam modéré, un islam pacifique, un islam vrai parce que le fond même de l’islam, c’est le pacifisme et la paix. Il y a des initiatives, donc je pense que ce discours mérite encore d’être développé au sein des confréries qui doivent prendre leurs responsabilités, sortir des discours purement traditionnels pour répondre aux exigences des temps modernes, mais aussi pour répondre aux aspirations d’une jeunesse de plus en plus demandeuse de spiritualité et qui, si elle n’est pas satisfaite, peut lorgner ailleurs.

 

 

Africains Musulmans et questions internationales : La partie invisible du débat avec Tariq Ramadan

Lundi 1 septembre 2014

Par Dr. Bakary SAMBE 

Pour mieux comprendre ce débat, il faut vraiment retourner à l’origine des divergences avec Tariq Ramadan. Tout est parti de ma critique sur sa prise de position sur ce qu’il appelle  » l’impérialisme français » dans l’intervention au Mali. Je lui suggérais simplement d’ajouter à cette critique de l’intervention des forces étrangères en Afrique, la dimension du « paternalisme arabe ». En fait les pays et organisations arabes ont tendance à considérer les musulmans africains comme des maillons faibles de la oummah qu’il faut islamiser malgré le passé « islamique » depuis le Moyen-Age.

Parfois, cela cause de nombreux problèmes parce qu’en voulant « islamiser » les Africains ils s’appuient sur des mouvements salafistes et wahhabites qui disent vouloir purifier l’islam comme ce fut le cas avec la destruction des mausolées de Tombouctou lors de l’occupation djihadiste dans le Nord du Mali. Voici le lien de ce débat antérieur : http://www.lescahiersdelislam.fr/Occupation-du-Nord-Mali-L-autre-vrai-paternalisme-occulte-par-Tariq-Ramadan_a208.html

J’ai eu à m’expliquer sur cette question avec Monsieur Ramadan lors du Forum Social Mondial en Tunisie où je l’appelais à assumer ses responsabilités car sa parole était écoutée dans le monde musulman pour que cette image de l’africain toujours considéré comme sous-musulman dans le monde arabe change enfin.

Je pense qu’il n’a jamais supporté cette critique et surtout la contestation de sa parole sur l’islam venant, en plus, d’un africain (toujours un musulman inférieur en rang et en dignité). Au lieu de prendre cette critique avec humilité de la part d’un collègue africain qui ne lui veut aucun mal, Monsieur Ramadan est venu au Sénégal pour dire sur la chaîne de télévision publique sénégalaise que je le critiquais simplement pour devenir célèbre. Voir le lien de ce débat : http://senegal.afrix.net/2013/07/11/mise-au-point-de-bakary-sambe-cher-monsieur-ramadan-la-diffamation-est-aussi-contraire-a-lislam-et-a-lethique/

Sur le débat à propos de la crise israélo-palestinienne :

Sur le débat télévisé, j’avais une posture difficile en ayant prôné le dialogue malgré l’ampleur de la violence. Ma position sur le dialogue est motivée par le fait que le dialogue ne soit pas pour moi l’apanage des peureux ou des lâches mais une responsabilité des braves.

Dans cette perspective, j’ai soutenu depuis le début de la crise qu’il serait important de renforcer le camp de la paix incarné par le Fatah et ses soutiens. Dès le début de la crise dans tous les médias sénégalais j’ai critiqué tout d’abord l’attitude inacceptable d’Israel qui tue, massacre et viole le droit international sous le regard spectateur de la communauté internationale perdant de plus en plus de crédibilité et faisant du « deux poids deux mesures » sur les valeurs qu’elle veut incarner comme la justice et la démocratie à travers le monde.

J’ai critiqué y compris sur le plateau de télévision, l’attitude des extrémistes des deux bords en commençant par ceux de la droite du Likoud comme Netanyahu, Libermann, Tzipi Livni qui n’encouragent pas la paix et ont incarné un bellicisme qui a plongé le Proche-Orient dans le chaos actuel. Ils ont assassiné la paix et l’esprit du dialogue. Mais j’ai aussi critiqué Khaled Meshaal et les caciques du Hamas qui n’aident pas toujours la cause palestinienne et y jettent un certain discrédit en usant de la violence et en repoussant le dialogue alors que je suis sûr que nos frères palestiniens ont besoin de plus de paix que de guerre ! J’ai dit aussi que certains pays arabes ont surtout instrumentalisé la question palestinienne et ont causé beaucoup de tort aux palestiniens en se servant de leur cause juste plus qu’ils ne la servent !

C’est surtout ma critique des idéologies telles que le salafisme et les tentatives d’exportation en Afrique par des pays et organisations arabes qui dérange, je crois.

L’islam tel que vécu traditionnellement en Afrique avait jusqu’ici permis de garder un compromis social aujourd’hui largement menacé par les idéologies djihadistes comme nous l’avons vu au Nord du Mali et au Nigeria.

Mais encore une fois, au lieu de rester sur la thématique du débat, Monsieur Ramadan dévié en voulant régler des polémiques antérieures telles que ma critique sur sa position au Mali. Avant même le début du débat télévisé, il m’a interpellé en me disant : « c’est vous qui écrivez les articles contre moi ? » Pour dire qu’il était bien parti pour régler son compte à cet Africain qui a osé remettre en question sa parole sur l’islam !

C’était une anormalité qu’il ne pouvait digérer. Mais je ne garde rien contre lui ni n’entre jamais dans la logique d’attaques dont il est parfois injustement victime. Ce qui me choque aujourd’hui, c’est qu’il a profité de mes positions sur la politique des pays et organisations arabes en Afrique (paternalisme religieux) pour me présenter comme un anti-arabe, ses partisans même me prennent pour un pro-israélien alors que j’ai fermement condamné les massacres perpétrés contre les palestiniens dès le début du débat.

Je le sais avec un peu plus de recul et au vu des réactions d’incompréhension sur ma position : il était difficile de tenir un langage de raison à un moment où les esprits étaient surchauffés et les cœurs pleins d’émotion. Je ne regrette rien d’avoir appelé à la paix mais avec le camp de la paix et à critiquer les extrémistes de tous bords qui ne servent pas la paix qu’ils soient israéliens ou palestiniens.

J’ai l’esprit tranquille dans le sens où je n’ai jamais cautionné la politique de massacre et de tuerie qui est celle du gouvernement israélien mais aussi parce que j’ai le courage de dire à nos amis arabes que la solution se trouve dans le dialogue et que l’esprit va-t-en-guerre fait le jeu des ultra-radicaux du Likoud et du Hamas ! Toutefois je reconnais bien David de Goliath !

Pour rassurer les collègues et amis qui se sont beaucoup soucié de l’image diabolisant que Tariq Ramadan a voulu donner de moi (peut-être qu’on ne se connaît pas encore bien !), ma position que j’avais du mal à défendre à cause du temps médiatique qui ne laisse pas faire des démonstrations, se résume en trois points :

1- Condamnation ferme des exactions israéliennes (voir ma prise de position dès le début comme le premier intellectuel sénégalais qui s’est exprimé sur l’attitude inacceptable d’Israel en termes de violation du droit international et du droit international humanitaire : http://www.dakaractu.com/Entretien-Gaza-L-usage-disproportionne-de-la-force-par-Israel-en-flagrante-violation-du-droit-international-est-source_a70409.html

2- Je suis pour le dialogue et pour cela il faut favoriser le camp de la paix incarné par le Fatah et Mahmoud Abbas: si on laisse les extrémistes du Likoud et ceux du Hamas gérer la situation il n’y aura jamais de paix (au passage, c’est pourquoi, j’ai refusé qu’on compare Nelson Mandela au Hamas).

3- J’ai souligné la solidarité entre Africains et arabes mais je refuse toute forme de paternalisme et d’exportations d’idéologies niant la possibilité aux africains de vivre l’islam selon leurs réalités, comme je l’avais souligné en mars 2013 lors d’un autre débat avec Ramadan à Tunis http://en.qantara.de/content/interview-with-bakary-sambe-in-the-arab-world-we-africans-are-viewed-as-inferior-muslims

Tout est parti de ma critique sur les Frères musulmans quand j’ai expliqué que c’était certes un parti politique mais pas « ordinaire » ayant comme emblème deux sabres croisés et marqué en bas « Préparez-vous » http://www.dakaractu.com/Dr-Bakary-SAMBE-UGB-a-Tariq-Ramadan-Comparer-Nelson-Mandela-au-Hamas-est-une-insulte-a-sa-memoire_a72017.html

C’est par la suite que Tariq Ramadan m’a traité « d’esprit colonisé » en arguant que je tirais mon discours de Paris ou de Washington. Je n’ai pas compris cette attitude qui finalement ne m’a guère blessé surtout venant de quelqu’un qui, après avoir loyalement servi Tony Blair comme conseiller ns’est livré dans les bras de Shaykha Muza et du Qatar. soit !

Ma réponse à la fin du débat était que je m’inspirais surtout de Cheikh Ahmadou Bamba, Cheikh Ek Hadji Malick et de Cheikh Moussa Camara dans ma critique du djihadisme et de la violence au nom de l’islam, pour réaffirmer qu’en Afrique, nous avons des ressources pertinentes sur le discours religieux islamique et qu’on n’avait pas besoin d’être des musulmans sous tutelle.

Je crois même qu’au nom de la solidarité avec nos amis arabes, ils pourraient être invités à s’inspirer des réussites de l’expérience africaine de l’islam en termes d’harmonisation entre réalités sociales et principes religieux que j’appelle « assimilation critique de l’islam » et surtout de cohabitation pacifique tout en étant conscients de nos échecs respectifs.

Dr. Bakary Sambe Head of Observatory on Religious Radicalism and Conflicts in Africa

Center for the Study of Religions Gaston Berger University

www.cer-ugb.net

bakary.sambe@gmail.com

L’homme africain entrera-t-il un jour dans la fin de l’Histoire ?

Jeudi 20 mars 2014

L’homme africain entrera-t-il un jour dans la fin de l’Histoire ?

Dans un discours à Dakar qui avait fait scandale, Nicolas Sarkozy avait évoqué la difficulté de l’Homme africain à rentrer dans l’Histoire. Au regard des conflits sans fin qui déchirent l’Afrique, la question qui se pose à elle est plutôt celle de sa capacité à sortir, comme l’Europe avant elle, d’une histoire faite de guerres et de violences.

Guerres sans fin

La France a lancé une intervention en Centrafrique.La France a lancé une intervention en Centrafrique. Crédit Reuters

Atlantico : Alors que François Hollande a reçu les chefs d’État africains à l’Élysée pour le sommet pour la paix et la sécurité en Afrique ce week-end, la France a lancé une intervention en Centrafrique.Quelles sont les zones actuelles de conflits en Afrique ?

Bakary Sambe : Le continent est devenu un terrain de jeux d’influences : intérêts et puissances s’y affrontent pendant que les États qui se délitent font face au défi du déficit d’État. L’Afrique vit pleinement le choc entre le principe de souveraineté et la trans-nationalité des acteurs. A l’Est, sur la corne de l’Afrique la Somalie fait face aux attaques des Shebabs. Alors que la République démocratique du Congo se déchire encore, la Centrafrique est entré dans un cycle de violence dont la fin n’est pas du tout proche, le nord du Nigeria vit au rythme des attentats terroristes et des attaques de Boko Haram qui étend ses opérations jusqu’au nord-Cameroun de temps à autre. Pendant ce temps, au Mali, après plusieurs mois d’occupation au Nord, les élections se sont bien passées mais les problèmes persistent avec le MNLA qui déclare la reprise de la guerre contre le pouvoir de Bamako. Et de temps en temps, les incursions djihadistes et les attaques spectaculaires rappellent que, malgré l’efficacité temporaire de l’Opération Serval, on ne vainc jamais le terrorisme par des blindés. D’ailleurs, l’opération française en Centrafrique sera beaucoup plus compliquée que Serval. Ce sera une guerre urbaine, sans front ni ennemi identifié sur fond de surenchère ethnico-confessionnelle, véritable bourbier pour les armées conventionnelles dont les stratégies de combat sont rendues obsolètes à l’ère de la guerre asymétrique imposée par les guérillas et les groupes terroristes.

De quelle nature sont ces différents conflits ? Quelles en sont les causes ?

La chute du mur de Berlin a consacré l’obsolescence de la guerre dans le sens d’un affrontement entre armées conventionnelles. Les types de conflits que l’on rencontre en Afrique sont de différents types : les irrédentismes et guérillas engagés dans des luttes politico-nationalistes comme le MNLA au nord du Mali, le Darfour jusqu’à la création du Soudan du Sud etc. Un autre type de conflit est celui qui part généralement d’une contestation politico-armée du pouvoir central pouvant aboutir à son renversement comme le CNT libyen ou la Séléka centrafricaine ou à un pourrissement comme en République démocratique du Congo. Les effets de la chute de Khadhafi combinés avec le redéploiement d’Al-Qaïda au Maghreb islamique et le foisonnement des groupuscules djihadistes plongent la zone sahélienne dans l’absurde guerre contre le terrorisme.

Les opérations terroristes se nourrissent de la faiblesse des États et de la trans-nationalité d’un ennemi devenu diffus depuis qu’Al-Qaïda a abandonné l’option des causes globales en se contentant de parasiter les conflits locaux auxquels ils s’efforcent de donner un habillage religieux. Ce fut exactement la stratégie d’Ansar Dine au Nord-Mali avec la question touarègue. La confessionnalisation du conflit en Centrafrique risque d’aboutir aux mêmes travers alors qu’on est dans un pays qui est une véritable mosaïque ethno-religieuse pour une population de 5 millions d’habitants dont 35% de catholiques, 45% de protestants, 15% de musulmans sans compter la minorité animiste de 5 %. Le choc entre les extrémismes musulmans wahhabites et évangélistes chrétiens peut aggraver le déchirement d’une société centrafricaine fortement secouée par des crises politiques répétitives depuis plus d’une décennie.

Comment de temps encore ces conflits « pour rien » dureront-ils ? A quelles conditions le continent africain pourra-t-il entrer dans la « fin de l’Histoire » ?

Malheureusement pour le continent, la boîte de Pandore avait été ouverte depuis la partition du Soudan et le déclenchement de la guerre de Libye qui portait bien son nom d’Aube de l’Odyssée. Je crains fort que l’Afrique soit entrée dans une phase d’au moins vingt ans où ce genre de conflits va freiner son développement tant attendu et qui se profilait à l’horizon avec la saturation prévisible de l’Asie, pendant que l’Europe est encore plongée dans la crise alors que les rares niches de croissances sont sur le continent noir. Beaucoup s’accordent sur un fait : l’Afrique est en train de revivre les pires moments similaires à ceux du temps de la Guerre froide où par alliés et agents interposés, différentes puissances et idéologies (salafisme wahhabites, évangélistes pentecôtistes, baptistes) s’y affrontent par délégation. Nous voilà, après la période des conférences nationales et des processus démocratiques dans le sillage de la Conférence de la Baule des années 1990, plongés, de nouveau, pour longtemps dans l’ère des sommets pour la paix et la sécurité. Espérons cette fois-ci que de ce mal peut-être nécessaire sortira définitivement du bien pour ce continent plein de potentialités, pour paraphraser un peu, Léopold Sédar Senghor.

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Occupation du Nord-Mali : l’autre vrai paternalisme occulté par Tariq Ramadan

Vendredi 25 janvier 2013
Par Bakary Sambe*
A supposer que Tariq Ramadan ait un différend personnel voire politico-idéologique avec la France, cela frôle l’indécence de vouloir régler ses comptes pendant que se déroule sous nos yeux un véritable drame du peuple malien. Il a saisi cette opportunité pour s’attaquer à la politique africaine de la France, dont l’armée s’est mobilisée pour libérer le Nord-Mali à une période cruciale.

Sans prendre la défense d’un pays qui a ses choix et ses orientations que nous ne partageons pas totalement, il faut tout de même admettre que si la France n’était pas intervenue, il aurait fallu deux jours de plus pour que les troupes d’occupation sous couvert d’« islamisation »arrivent à prendre Bamako et continuer allègrement leur chemin afin d’instaurer, sur une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest, l’émirat « islamique » longtemps rêvé par Mokhtar Belmokhtar.

Pour dire que l’enjeu majeur pour nos pays n’est pas la résurgence de ce discours refuge de Ramadan cherchant habilement à rallier aussi bien la gauche traditionnelle africaine que les néo-islamistes galvanisés par les victoires en demi-teinte des Frères musulmans du Maghreb et de l’Égypte. Peut-être ignorait-il que la nouvelle génération africaine avait dépassé ce débat et se préoccupait plus d’avenir.

Un impérialisme idéologique

L’article de Tariq Ramadan est, certes, intéressant sous plusieurs aspects, y compris, la critique du suivisme intellectuel de nos élites et de la faiblesse de nos États et régimes qui ont fait qu’avec tout le poids historico-symbolique nous ayons encore besoin de la France pour libérer le Nord du Mali. Mais je reste persuadé que François Hollande, sous le feu des critiques de la presse française et d’une certaine opinion, avait tellement à faire en politique intérieure qu’il se serait bien passé d’une guerre dans un contexte aussi morose.

La réflexion de Tariq Ramadan serait plus complète et crédible s’il avait, avec la même vigueur, dénoncé le processus historique et les constructions idéologiques qui amenèrent Ansar Dine et ses membres à s’attaquer au patrimoine de Tombouctou.

Mais il n’a pas pu ni voulu dénoncer avec la même vigueur cet impérialisme idéologique des pays et organisations du monde arabe, qui, sous couvert, d’islamisation de l’Afrique, financent et appuient des mouvements et ONG remettant, aujourd’hui, en cause l’existence même de l’État malien. Et, on peut légitimement se demander, à qui le tour demain ?

Il faut garder présent à l’esprit que des mouvements comme Ansar Dine et leurs alliés d’AQMI ont pour but déclaré de réislamiser le Sahel africain comme si l’islam ne s’y était pas répandudepuis le Moyen Âge dans le cadre d’un long processus constructif et harmonieux attesté par toutes les sources historiques.

C’est cette croyance à une infériorité spirituelle du musulman africain qui est à la base de l’activisme de nombre d’ONG et de pays arabes au « secours » de l’« Afrique musulmane ». En d’autres termes, un impérialisme sur le lit d’un paternalisme d’un autre genre que Tariq Ramadan n’a pas voulu dénoncer. Peut-être même ne le perçoit-il pas, certainement emporté par les lieux communs de l’idéologie d’une « internationale musulmane », dont les adeptes africains sont aussi des inféodés d’un autre impérialisme.

L’infériorisation du nègre dans l’historiographie arabe

L’attaque au patrimoine de Tombouctou par des phalanges venues du nord du Sahara est un retour de l’Histoire. Elle s’inscrit dans la même logique que celle qui avait animé le sultan marocain Mansour Al-Dhahabi, en 1595, lorsqu’il mobilisa son armée pour, disait-il, islamiser le Songhaï alors que Tombouctou était le centre d’un bouillonnement intellectuel depuis le XIIe siècle. L’épisode qu’en a retenu l’historiographie arabe est encore plus sinistre et plus révélateur de l’état d’esprit d’infériorisation du nègre : les armées d’Al-Mansour capturèrent comme esclave l’un des plus grands oulémas de son temps, Ahmed Baba, déporté finalement à Marrakech.

Mais, au-delà des faits, ce sont le discours et l’idéologie qui sont tout aussi « impérialistes » et réducteurs. En réalité, dans le subconscient arabe, au Maghreb comme au Machrek, il n’a jamais été considéré que l’Africain puisse être « bon » musulman. La perception « folklorique »qu’avaient donnée à l’islam « noir » certains commis coloniaux devenus « chercheurs » dans l’Afrique de l’entre-deux-guerres, perpétuée, ensuite, par des africanistes hexagonaux et certains de leurs disciples africains, a fortement déteint sur la manière qu’ont les Arabes musulmans de regarder leurs « frères » du sud du Sahara.

Mieux, l’image d’une Afrique « sans civilisation, terre de l’irréligion » (ad-dîn ‘indahum mafqûd) rejointe par les théories de la tabula rasa, véhiculée par Ibn Khaldoun (Muqaddima) et noircie par l’intellectuel syrien Mahmoud Shâkir, dans son Mawâtin shu’ûb al-islâmiyya, est restée intacte dans certains imaginaires. Ce dernier auteur, à titre d’exemple, présente le Sénégal, qu’il n’a peut-être jamais visité, comme un pays avec ses « sauvages et cannibales » dépourvu de toute pratique ou pensée islamique « respectables ».

Le massacre du patrimoine de Tombouctou par ces bandes armées financées par des pays et organisations arabes me conforte davantage dans l’idée que, derrière le bannissement systématique des pratiques religieuses des communautés originaires d’Afrique, il y avait le mépris d’une catégorie de musulmans qui n’auraient que le choix d’une posture mimétique s’ils voulaient rester « dans la communauté ». L’expression la plus parfaite de la négation de l’apport de l’Afrique à la civilisation islamique. On dirait revivre les pires moments de la théorie ayant orienté l’entreprise coloniale, dont Tariq Ramadan critique sélectivement les résidus. Mais il ne s’attaque pas à la substance de ce paternalisme arabe sous couvert d’islamisation qui veut arriver à bout des équilibres sociaux comme de l’harmonie longtemps louée des sociétés africaines musulmanes.

En fait, il est passé parmi les choses admises qu’il y a une éternelle mission islamisatrice dont les Arabes, cette minorité dominante du monde musulman, seraient naturellement investis. Le Qatar a son « croissant rouge », qui appuie Ansar Dine à Gao, et le Koweït son Agence des musulmans d’Afrique comme l’Arabie Saoudite pilote, par milles officines, la World Association of Muslim Youth (WAMY), généreuse donatrice de la célèbre mosquée de Goodge Street, à Londres, bastion du jihadisme européen.

Un islam « africain » plus « folklorique » ?

Cette croyance est tellement ancrée qu’elle marque l’attitude de mépris de la part des intellectuels du monde arabe vis-à-vis de l’islam africain et de sa production. J’en fus témoin irrité, c’est dans l’enceinte de la prestigieuse université de Californie, à Los Angeles, qu’un haut responsable de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), dont Tariq Ramadan est la star préférée, avait laissé entendre que l’islam « africain » était plus « folklorique » que « spirituel », répondant, ainsi, à un chercheur américain encore intéressé par l’enrichissante diversité de l’islam !

Le plus grave est que ce paternalisme arabe sur les musulmans de « seconde zone » que seraient éternellement les Africains se nourrit d’un vieil imaginaire savamment entretenu. C’est incroyablement, encore Ibn Khaldoun, pourtant esprit éclairé de son temps, qui les traitait de « wahshiyyûn » (sauvages) cannibales « ya’kulu ba’duhum ba’dan » ignorant toute notion de civilisation « tamaddun, hadâra ».

La pensée religieuse n’a pas été en reste lorsque dans la Risâla d’ibn Zayd al-Qayrawânî, faisant encore curieusement référence dans nos pays, il fut mentionné dans un esprit foncièrement esclavagiste qu’il était banni (yuharramu) de commercer avec les habitants du Bilâd Sûdân (pays des Noirs) qui sont des « impies » (kuffâr).

Comme aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne d’alors devait être le dindon de la farce théologico-politique entre le kharijisme « banni » et un sunnisme dominant contrôlant les points d’eau sur les routes du commerce caravanier. Dans des relents de pure nostalgie Khalîl al-Nahwî pleure encore l’Afrique musulmane qui ne saurait avoir de personnalité propre que par les « profondes influences » de ce qu’il appelle la « civilisation arabo-musulmane »(Ifrîqiyya-l-Muslima ; Al-Huwiyya-d-dâ’i‘a ; L’Afrique musulmane, l’identité perdue).

L’avenir de l’Afrique subsaharienne

C’est cette vision qui accompagne l’entreprise de déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest par la prédication d’une forme de religiosité née des contradictions ayant eu cours dans un monde arabe qui a longtemps valsé entre arabisme et islamisme pour en arriver à sa présente impasse.

Je crois personnellement qu’il était mal venu de la part de Tariq Ramadan de vouloir transposer ses différends avec la France ou l’Occident qu’il dit « meurtri et mourant de ses doutes et des crises économiques, politiques et identitaires qui le traversent ». Soit.

Mais le véritable enjeu pour les pays africains, loin des idéologies importées et des modèles qu’on voudrait y plaquer, est une réflexion sur l’avenir des entités politiques aujourd’hui menacées par cet activisme dont ne parle point Tariq Ramadan.

Pouvait-il ignorer ce vieux projet de zone d’influence d’un islam wahhabite radical clairement identifiable aujourd’hui ? Cette ligne Érythrée-Khartoum encerclant l’Éthiopie « chrétienne », en passant par Ndjaména et traversant les actuelles provinces du Nord-Nigeria appliquant la « sharî‘a », le Niger et le Mali, sous effervescence islamiste, pour aboutir au Sénégal, seul pays d’Afrique noire ayant accueilli par deux fois le sommet de l’OCI et siège régional de la Ligue islamique mondiale entre autres ? Ou bien, dans la démarche ramadanienne, la critique et la dénonciation des complots et conspirations sont aussi sélectives ?

À moins qu’on accorde à Tariq Ramadan le bénéfice d’un doute sur sa connaissance des réalités subsahariennes ! 

Mais serait-ce même la seule raison si l’on sait que, sur cette question précise de l’intervention française au Mali, Tariq Ramadan adopte la même position que le chef spirituel et idéologue d’Ennahda, le tunisien Rachid Ghannouchi, le Premier ministre marocain Benkirane, le président égyptien issu des Frères musulmans Mohamed Morsi, rejoints plus tard par l’emblématique Yusuf Qaradâwî, le prédicateur sous les ordres du Qatar, qui a financé Mokhtar Belmokhtar le nouvel émir autoproclamé de l’Afrique subsaharienne ?

En tout état de cause, dans cette prise de position énigmatique de Ramadan, aussi bien l’occultation du paternalisme arabe savamment drapé du prétexte d’islamisation que la troublante coïnci-concordance avec les déclarations des leaders du panislamisme les plus en vue donnent le tournis aux plus optimistes quant à sa sincérité.

* Dr. Bakary Sambe est enseignant-chercheur au Centre d’études des religions (CER), UFR des Civilisations, Religions, Arts et Communication, université Gaston Berger, Saint-Louis du Sénégal.

La conquête médiatique de l’Afrique : comment des pays et des groupes d’intérêts tissent leur toile autour de l’Afrique.

Vendredi 27 juillet 2012

Par Komla KPOGLI

La conquête médiatique de l’Afrique : comment des pays et des groupes d’intérêts tissent leur toile autour de l’Afrique.

Dans les écoles de communication, il est bien connu que la meilleure propagande est celle qu’on se fait à soi. Il est bien connu aussi que pour bien vendre un produit, il faut communiquer intensément autour de lui. Ces assertions sont en train d’être vérifiées, une nouvelle fois, en terre africaine où se déploie actuellement un gigantesque marathon visant à y implanter des médias. Surtout, la télévision. L’image étant le moyen le plus évident de convaincre.

Après l’enracinement des médias tels que BBC (British Broadcasting Corporation), VOA (Voice of America), RFI (Radio France Internationale), DW (Deutsche Welle), renforcés par CCTV-F (Télévision chinoise en Français), France 24 qui sont parfois plus connus en Afrique que dans les pays d’où ces radios et télévisions émettent, voici venu l’heure de Al Qarra TV, Al Jezeera qui investissent la place.

Pour ceux qui doutent, le dispositif médiatique est l’un des meilleurs outils du Soft Power, puissance d’influence, qu’un pays, un groupe commercial, un acteur socio-politique et idéologique puisse déployer pour atteindre ses objectifs au moindre coût possible. Capacité d’atteindre une masse, capacité de faire adhérer à une cause, capacité de répéter un message et le faire entrer dans les cerveaux, capacité de transformer le vrai en faux et le faux en vrai, capacité de fidéliser un groupe d’hommes. Voilà quelques-unes des forces des médias.

Pendant que le sommeil se prolonge sous les tropiques, à pas masqués et prétendant la volonté d’informer les populations africaines – l’information étant un outil de guerre et la laisser entre les mains étrangères est plus que dangereuse – des détenteurs de capitaux et des groupes d’intérêts divers et variés sont en train de tisser leur toile médiatique autour de l’Afrique. Les tout premiers à avoir compris qu’il fallait prendre les Africains en étau, les dresser, leur labourer la tête pour les paralyser aussi bien dans la réflexion que dans l’action, les piller sans qu’ils s’en rendent compte sont les occidentaux. Avec BBC, RFI, DW, VOA, CNN, les agences Associated Press (USA), Reuters (Angleterre), AFP (France)…ils ont garanti des contacts avec les populations. Ils ont noué entre ces populations et leurs pays ainsi que les entreprises multinationales qu’ils servent des liens quasi indéboulonnables.

Ces médias ont toujours présenté l’Afrique comme une terre misérable, minée par des conflits fratricides et ethniques, pauvre et demandant éternellement l’aide d’un Occident généreux, bienfaisant et bon samaritain pendant que les richesses africaines sont drainées vers l’étranger. Ces médias ont installé dans le décor africain l’Occident, ses intérêts, ses vues, ses désirs, ses projets, ses hommes. Cette présence est présentée comme normale, légitime puisque purement humanitaire. Il en est ainsi de la présence des bases militaires françaises en Afrique qui y seraient rien que pour « sauver les africains et empêcher des guerres ethniques ». « L’ethnie » serait la mesure de toute chose en Afrique, selon les spécialistes médiatiques occidentaux.

Des militaires britanniques envoyés de temps à autre dans tel ou tel pays, comme ce fut le cas en Sierra Léone et plus récemment en Somalie serait tout aussi des missions humanitaires. Les Etats-Unis d’Amérique qui déploient actuellement leur outil militaire Africom seraient eux aussi en train de s’installer en Afrique pour permettre aux Africains de vivre en sécurité et de ne plus se faire des guerres entre eux. Eux qui se sont « tant battus les uns contre les autres et souvent tant haïs, qui parfois se combattent et se haïssent encore mais qui pourtant se reconnaissent comme frères » disait Sarkozy dans le portrait qu’il fit de l’homme africain à Dakar.

Ailleurs, l’Occident défend ses intérêts. En Afrique, il est en mission humanitaire. Il n’y est que, parce qu’épris d’amour pour l’homme noir qu’il a tant aimé au point de l’avoir mis dans les fers de l’esclavage et de la colonisation, pour l’aider au développement. Et cela lui coûte d’ailleurs des sommes colossales, nous apprend-on dans ces médias. Ainsi donc inversé, et cette inversion répétée à l’infini, le rôle de l’Afrique dans l’économie mondiale est celui d’une terre qui n’a rien et à qui de bonnes âmes donnent tout. Pourtant les fameux « explorateurs » et « découvreurs » au XVIIIè siècle déjà la trouvaient immensément riche. Où sont donc passées les richesses qu’ils décrivirent dans leurs récits de voyage pour que l’Afrique soit devenue si « pauvre » qu’elle ne doive sa survie qu’à « l’aide » ?

Considérant l’Afrique comme son domaine réservé qu’il aide en le pillant, l’Occident voit d’un mauvais œil les incursions des autres sur ses terres. Le cas le plus patent est celui de la Chine qui, en pleine croissance, vient chercher ses ressources manquantes en Afrique, éternel continent à partager et à repartager entre puissances d’hier et celles naissantes. Confrontée donc aux tentatives d’empêchement et de « déstabilisation » des premières, la Chine définit une stratégie médiatique sur deux fronts en Afrique. Il s’agit de construire et de polir son image à travers les médias qu’elle pilote elle-même et de joindre dans le même temps des journalistes africains à cette entreprise.

Sur le premier registre, la Chine a lancé depuis le 11 janvier 2012 sa section Afrique de la CCTV émettant depuis Nairobi au Kenya. CCTV Africa projette ouvrir 14 bureaux locaux dans différents territoires africains. Réduite pour le moment à 02 heures d’émission par jour, la CCTV Africa compte d’ici 2015 émettre 24 heures 24. Outre la chaîne de télévision, la Chine déploie son agence de presse Xinhua (Chine nouvelle) qui dispose déjà de plus de 150 correspondants dans toute l’Afrique.

Sur le second plan, la Chine, consciente que pour mieux évangéliser un peuple il faut associer des indigènes au projet, recrute et forme des journalistes africains. Visitant le 21 avril 2011 le Kenya, Li Changchun, membre du comité permanent du bureau politique du comité central du PCC, affirmait que la Chine a formé 208 journalistes et patrons de médias africains entre 2004 et 2010. La tactique de la formation des journalistes africains continue de faire son œuvre. La guerre psychologique est donc engagée par la Chine au travers des Africains pour rassurer les Africains et rejeter le plus loin possible l’influence occidentale dans les territoires africains. Les pays occidentaux sont eux-mêmes des adeptes de cette stratégie qui repère des journalistes locaux, leur attribue des bourses pour la formation, les invite dans leurs ambassades pour leur offrir des amuse-gueule lors de ce qu’on appelle des séminaires de formation. En la matière donc la Chine ne fait que copier ses prédécesseurs.

Ainsi donc la combinaison de ces deux stratégies portées par le slogan de « Gagnant-gagnant » vanté par la Chine et incorporé aujourd’hui dans le vocabulaire africain, la Chine a plutôt bonne presse en Afrique. Son image polie passe mieux que celles des Occidentaux. Des « intellectuels » africains n’hésitent pas asséner à longueur d’articles ou de commentaires que la Chine est la seule et vraie « partenaire » que l’Afrique dispose. On cite le développement chinois en modèle sans jamais mentionner qu’il fut précédé de plusieurs révolutions sanglantes qui avaient détruit le règne des colons et leurs suppôts, et qui avaient ramené la Chine à ses racines culturelles. Les liens que Chine a avec l’Afrique sont présentés comme salvateurs pour une Afrique détruite par l’exploitation occidentale.

Sans Etats en Afrique, avec des territoires dirigés par des pions et des individus sans foi ni loi, il y a toujours des « intellectuels » africains qui trouvent que le peuple africain profite de ces relations dont la principale caractéristique est de donner des contrats miniers et des contrats de construction d’infrastructures (et quelles infrastructures ?) aux chinois. Sans Etat, avec des dictateurs corrompus et assassins des africains qu’ils régentent parce que s’opposant à eux, qui va défendre les intérêts de l’Afrique, l’Afrique de la base et non du sommet en coupure totale avec celle-ci ? Comment peut-on penser intérêt du peuple en étant son plus fervent opposant ?

A la veille du Forum de Pékin (Beijing) en 2006, les autorités chinoises invitèrent 23 journalistes de 16 pays d’Afrique francophone afin de leur permettre de « vivre les réalités de la République populaire de Chine comme des témoins privilégiés de la transformation d’un pays par la magie du travail. » Ces journalistes missionnaires originaires du Bénin, Burundi, Cameroun, Congo, Congo (RDC), Djibouti, Gabon, Guinée-Conakry, Madagascar, Mali, Maurice, Niger, Seychelles, Tchad, Togo et des Comores, avaient été conduits dans des villes symboles et douchés dans le bain chinois durant leur séjour du 16 au 26 septembre 2006. Suite à ce forum, un plan d’action a été publié.

Dans ce plan d’action de Beijing (2007-2009) Pékin annonçait sa décision d’aider les pays africains à former le personnel des radio-télévisions et à « inviter des responsables et des autorités de la presse et des groupes de médias, ainsi que des journalistes africains, à venir en Chine pour échanger des vues, faire des reportages et explorer des modalités de coopération efficaces. » Une fois rentrés dans leur territoire respectif, la prédication laudatrice en faveur de la Chine peut commencer. A côté de ce dispositif médiatique, sans cesse renforcé par des bourses et autres dons chinois, Pékin fonde des Instituts Confucius partout dans les universités africaines et attire par des bourses des étudiants africains qui devront séjourner en Chine et revenir en Afrique y apporter l’amour de la Chine et y défendre ses intérêts.

L’offensive médiatique en Afrique ne se limite à ces seuls pays. Le Qatar déjà propriétaire des terres fertiles en Afrique arrive avec son Al-Jezeera. En février 2012, le pays lançait à Nairobi au Kenya Al Jezeera en Swahili avec un potentiel de 100 millions de téléspectateurs. Dans un article publié le 28 mai 2012 par Georges Malbrunot et Paule Gonzales du Figaro nous informent que Al-Jezeera serait en train de réfléchir sur le lancement d’une version française qui sera basée à Dakar dans le territoire du Sénégal. Plus loin dans cet article, on apprend que le choix de Dakar est fait par le Qatar non seulement parce que « Al-Jazeera sera beaucoup plus libre de s’affranchir de certaines contraintes au Sénégal qu’à Paris », mais aussi parce que le Qatar est à la recherche d’une influence politique et entend par là contester la domination française dans la région. C’est dire combien l’Afrique est une proie discutée pendant que ses populations assommées par les pillages de toute sorte sont dans un sommeil comateux.

Au-delà, prétendant condamner la diffusion d’images misérabilistes sur l’Afrique par d’autres médias, un groupe d’hommes menés par le tunisien Najib Gouiaa et le français Pierre Fauque financé par une banque dont Najib Gouiaa tait le nom, a créé Al Qarra TV. Sa rédaction permanente est basée à Paris et elle fait de l’information toute en images avec un réseau de correspondants en Afrique. On apprend par la voie de Najib Gouiaa que Al Qarra disponible pour le moment en Arabe, en Anglais et en Français, est en train de travailler sur « d’autres versions linguistiques du continent ». Cette télévision qui, selon l’aveu de son directeur Najib Gouiaa, reçoit 80% de ses images des agences Associated Press, Reuters et l’AFP et d’indépendants est suivie pour le moment massivement par les « cadres » et des « acteurs économiques et politiques ».

Comme on peut le voir, chacun active son Soft Power pour parvenir à ses fins en Afrique. En montrant notre incapacité à reconquérir notre espace et à l’occuper effectivement, nous avons laissé la terre africaine, ses richesses et son peuple à la merci de tous les vents et de tous les intérêts. Nous avons laissé notre espace territorial libre et à ce titre, il n’est que justice que d’autres viennent l’investir avec leurs idées et les produits. C’est dire combien le réveil sera lent et douloureux car, les résultats du Soft Power qui installe dans les cerveaux des croyances et des opinions difficilement modifiables sont les plus efficaces. En secrétant et en répétant à longueur de journées, des idées pour servir leurs intérêts divers et variés, ces médias fabriquent et conditionnent l’opinion africaine.

Ils peuvent grâce à leur pouvoir de manipulation à grande échelle renverser des pouvoirs indésirables ou plonger les populations dans une léthargie assurant la plus grande stabilité à une tyrannie obséquieuse et docile. On a vu d’ailleurs de quoi France 24, RFI, BBC, CNN, VOA, DW ont été capables sur la Côte d’Ivoire. On a vu de quoi a été capable Al Jezeera sur la Libye avec des images hollywoodiennes de massacre de populations civiles par les hommes de Kadhafi tournées dans ses studios à Qatar. On vu combien France 24, BBC, CNN…ont été capables de fabriquer l’opinion aussi bien dans leur pays respectif que dans les pays désignés à subir des guerres humanitaires de l’Occident.

Il est donc nécessaire que les milieux de combat pour une autre Afrique intègrent dans leurs réflexions la question des médias. Par quel canal et comment, dans cette bataille satellitaire qui se mène sur le continent, arriver à parler aux Africains pour faire passer le message de la nécessité de renverser le désordre organisé imposé comme un ordre établi en Afrique ? Par quel canal démontrer aux Africains que leur seul et unique allié dans le monde est eux-mêmes ? Comment faire adhérer les Africains à la réalité selon laquelle la construction de véritables Etats dirigés par des hommes ayant le devoir de rendre compte de leurs actions précède toute idée de coopération ? Par quel canal prouver aux Africains que les relations internationales sont fondées sur les logiques de puissance et d’intérêts alors qu’on leur vend l’opinion qu’elles sont l’œuvre de la paix et des fameux droits de l’homme ? Par quel canal remettre les valeurs africaines au centre des préoccupations à l’heure toute sorte de cultes investit l’Afrique et coupe les Africains de leurs capacités créatrices les plus intrinsèques ? Ce ne sont pas les satrapes africains, ces contremaîtres rétribués au prorata du travail servile fourni par les Africains sous leur surveillance sanglante qui réfléchiront sur ces questions d’enjeux majeurs. Ils sont satisfaits de leurs parts dans le système. Ils n’ont rien à foutre du reste.

Toutes ces questions méritent de sérieuses discussions dans ces milieux. En laissant les Africains être informés et formés (au journalisme notamment) par les autres, disons plutôt déformés par les autres, on donne à ceux-ci le droit de les programmer contre eux-mêmes, contre toute l’Afrique et son avenir.

Komla KPOGLI

Le régime d’Abdoulaye Wade : Des mesures liberticides à la profanation de la Zawiya Tijâniyya

Mardi 21 février 2012

Par Dr. Bakary Sambe

Source : oumma.com

Les images de ce vendredi, de fidèles qui s’étouffent et suffoquent en plein Dzikr (invocation), dans une mosquée bondée aux vitres cassées et assaillie de policiers à la chasse aux opposants, n’augure rien de souhaitable pour le Sénégal.

A force de vouloir se perpétuer, même illégalement, pour un troisième mandat anticonstitutionnel, le régime d’Abdoulaye Wade veut-il en arriver à casser le « contrat social sénégalais » ? Ce pays était connu dans le monde par l’harmonie presque parfaite entre ses communautés religieuses.

Heureuse exception dans  « l’Afrique des dictatures », le Sénégal, ce pays de 95 % de Musulmans, fut dirigé pendant vingt ans par Léopold Sédar Senghor, un président de confession catholique, soutenu par la plupart des confréries musulmanes. D’ailleurs, avant l’indépendance, le même Senghor était député du Sénégal colonial au Palais Bourbon, pendant longtemps plébiscité par les marabouts contre un musulman du nom de Lamine Guèye. Cela n’a jamais posé problème aussi bien au sein des communautés musulmanes que dans l’élite religieuse du pays de manière générale.

Mais, ces dernières semaines, cette « vitrine démocratique de l’Afrique » a commencé à s’écarquiller et la communauté internationale découvre un visage méconnu du Sénégal. Celui d’Abdoulaye Wade qui, non content de restreindre les libertés individuelles et politiques (interdictions de manifester et de se réunir), s’attaque maintenant à celle du culte.

La scène est insoutenable en plein centre de Dakar. En pleine séance de hadratoul Joumou’a (Dzikr du vendredi), un des piliers de la confrérie Tijâniyya qui se pratique, le vendredi après-midi, entre les prières d’Al –Asr et du Maghrib, les éléments de la police sénégalaise ont « bombardé » la foule de fidèles avec des lacrymogènes et autres projectiles, faisant fi des circonstances sacrées et du respect minimum dû à un lieu de culte.

La dérive liberticide s’installe au pays de la Teranga (hospitalité et savoir vivre) et n’épargne même plus des espaces aussi symboliques de l’islam et de la Tijâniyya . Cette Zawiya ainsi profanée a été fondée, au début du 20è siècle, par Cheikh El Hadji Malick Sy, une des « figures historiques de l’islamisation en profondeur du Sénégal » (voir oumma.com), en pleine période coloniale. C’était un des symboles de la résistance culturelle à la politique d’ « assimilation de l’indigène », chère à la troisième République.

Pourtant, beaucoup de témoignages rappellent que, même durant la colonisation, malgré la proximité géographique entre la Zawiya et le Palais du Gouverneur de l’Afrique occidentale française (AOF), l’Administration a toujours couvert d’un certain respect ce lieu « sacré » malgré les « gênes occasionnées par le muezzin ».

Mais, le régime de Wade n’en est pas à sa première profanation et violation de la liberté de culte comme d’opinion. En 2007, un haut responsable de l’opposition avait été arrêté à sa sortie de messe à l’occasion de la fête religieuse de Pâques au grand dam des autorités de l’Eglise et des défenseurs des Droits humains. C’est, aussi, sous Abdoulaye Wade que des évêques ont reçu des menaces de mort, à l’époque, unanimement condamnées par la classe politique du pays.

Cependant, l’évènement de ce vendredi 17 février, à une semaine d’un scrutin incertain tant la candidature de Wade est largement contestée bien que « validée » par un Conseil constitutionnel dont le salaire des membres fut généreusement augmenté à une semaine du dépôt des listes. Rappelons qu’il y a, à peine deux mois, Abdoulaye Wade avait même fait appel au lobbying de juristes français pour contrecarrer l’avis des constitutionnalistes sénégalais unanimes sur l’inconstitutionnalité de sa troisième candidature.

L’on se souvient la manière dont les conséquents per diem de ceux appelés les « tirailleurs français » de Wade, à la charge du contribuable sénégalais, ont fait l’objet de toutes les dénonciations dans la classe politique.

Aujourd’hui, la timide réaction des chancelleries occidentales, le soutien des caciques du régime et de leurs clientèles, semblent conforter Abdoulaye Wade dans sa volonté de vouloir rester illégalement à la tête du Sénégal. Hier, encore (17/02/2012), Karim, son fils et probable héritier d’une « république bananière » en gestation, était l’hôte de la société de communication Image Sept, sur les Champs Elysées pour prédire les résultats des élections de la semaine prochaine : 53 % pour Wade qui passerait au premier tour !

Les services d’un proche d’Alain Madelin, Anne Méaux de l’Agence Image Sept, dont nul n’ignore le passé militant au sein du Groupe Occident, assurent la communication de Wade comme elle s’occupait, jusqu’à sa chute, de l’image d’un certain Ben Ali. Le grand Cabinet parisien a bien pris le soin d’affecter la très connue sur la place du Paris communiquant, Marie Luce Straborsky, comme « coach » de l’« ami sénégalais », Abdoulaye Wade, pour les besoins d’un forfait qui se trame.

Presque sûr des résultats que l’opposition sénégalaise dit être « préfabriqués », le régime d’Abdoulaye Wade persiste dans la violation des libertés fondamentale après celle de la Constitution.

Mais les images de ce vendredi, de fidèles qui s’étouffent et suffoquent en plein Dzikr (invocation), dans une mosquée bondée aux vitres cassées et assaillie de policiers à la chasse aux opposants, n’augure rien de souhaitable pour le Sénégal.

Pourtant, à l’origine de tout cet acharnement, un simple rassemblement pacifique qu’un candidat de l’opposition voulait tenir à la mythique Place de l’indépendance et arbitrairement interdit par le régime de Wade. L’opposant « historique » de naguère qui a bien vite oublié les raisons et les circonstances de sa victoire contre Abdou Diouf avec tous les sacrifices consentis par notre génération. D’ailleurs, un de ses plus sérieux challengers, Idrissa Seck, en concluait hier que c’était bien « le Jour 1 de la dictature au Sénégal ».

Cet évènement inédit dans l’histoire politique et religieuse du Sénégal a, d’ailleurs, été à l’origine de violentes manifestations dans la ville de Tivaouane, capitale de la Tijâniyya sénégalaise et même dans d’autres cités religieuses du pays.

La vigilance est, donc, de mise car le Sénégal des poèmes de Senghor, chantre de la Négritude, le Sénégal de l’alternance politique pacifique en 2000, celui de la coexistence harmonieuse des religions et des peuples, des idéaux de la démocratie et de la Civilisation de l’Universel, est vraiment en pleine zone de turbulence.

UN COLLECTIF D’INTELLECTUELS MOURIDES SE PRONONCE SUR LE PROJET DE LOI DE LA VICE-PRÉSIDENCE

Samedi 25 juin 2011

UN COLLECTIF D’INTELLECTUELS MOURIDES SE PRONONCE SUR LE PROJET DE LOI DE LA VICE-PRÉSIDENCE

Nous considérons que la situation du pays est aujourd’hui grave et commande que toutes les femmes, tous les hommes, animés de la bonne volonté de maintenir l’unité nationale, la concorde et l’entente entre les citoyens, puissent se prononcer car l’intérêt supérieur de la nation le suggère.

Ce pays le Sénégal, est et a toujours été un pays de dialogue. Nous, ce collectif d’intellectuels, appartenons à une Communauté de dialogue, fondée sur les valeurs de consensus, d’unité et de défense des intérêts supérieurs de la Nation. Son Khalife actuel, dès l’entame de son magistère a tenu à démontrer cet ancrage du Mouridisme dans la défense de ces valeurs d’unité comme ont eu à le faire ses prédécesseurs.

De ce fait et animés de cette volonté d’unité, nous considérons que ce projet divise profondément la Nation Sénégalaise, et ébranle son Unité en remettant en cause la souveraineté du Peuple.

Ainsi nous demandons au chef de l’Etat de retirer ce projet et d’ouvrir ses portes au dialogue afin de trouver un consensus et d’aller à l’essentiel, qui consiste aujourd’hui à s’occuper des vrais problèmes urgents des sénégalais : coupures de courant, inondations, monde rural, chômage des jeunes et la paix en Casamance, entre autres.

Membres du Collectif d’intellectuels mourides :
Mame Thierno Mbacke
Serigne Khadim Lo, Conférencier-Chercheur
Cheikh Fatma Mbacke, Ingénieur Informaticien
Cheikh Mbacke Khaïra, Chef d’entreprise
Khadim DIOP, Financier-banquier
Serigne Same Bousso, Conférencier-Chercheur
Serigne Mame Balla Mbacke, Chercheur
Abdou Aziz Mbacke Majalis, chercheur-écrivain

Musulmans d’origine « subsaharienne » dans l’islam de France : contre un paternalisme d’un nouveau genre

Samedi 11 juin 2011

Musulmans d’origine « subsaharienne » dans l’islam de France : contre un paternalisme d’un nouveau genre
Par Bakary Sambe

« Eh, cousin ! Musulman ? Al hamdullilah, mon frère ! »
Il ne suffisait pas au « Black » de France d’être poursuivi par l’image banania ! Du « Noir » dans toutes ses déclinaisons dialectales au Kahloush en Algérie, ‘Azzî au Maroc, Samâra en Égypte et Wçif en Tunisie, voire ‘Abd (esclave !) en Syrie. En plus d’être une curiosité à Paris, il ne lui restait que de devenir une attraction new look à la mosquée !

La vision « folklorique » qu’avaient donnée à l’islam « noir » certains commis coloniaux devenus « chercheurs » dans l’Afrique de l’entre-deux-guerres, perpétuée, ensuite, par des africanistes hexagonaux et certains de leurs disciples africains, a-t-elle déteint sur la manière qu’ont les Arabes musulmans de regarder leurs « frères » du sud du Sahara ? Ou bien l’image d’une Afrique « sans civilisation, terre de l’irréligion » rejointe par les théories de la tabula rasa, véhiculée depuis Ibn Khaldoun et noircie par Mahmoud Shâkir, dans son Mawâtin shu’ûb al-islâmiyya, est-elle restée intacte dans certains imaginaires ?

Nombre de faits le font croire qui confirment la périphérisation d’un « islam africain », qui a que trop souffert de stéréotypes entretenus par un manque d’intérêt scientifique ayant fait dire à Christian Coulon que l’islam africain restait le « parent pauvre de l’islamologie classique ».

À la triste occasion des insultes racistes proférées par Ayman Al-Zawâhiri à l’endroit d’un Barack Obama qu’il qualifiait d’esclave, j’avais cru important de remonter à l’origine de tels préjugés entretenus « grâce » à un imaginaire plus que persistant. J’ai eu à rappeler que derrière le bannissement systématique des pratiques pourtant religieuses des communautés originaires d’Afrique, dans certaines mosquées « puristes », comme le Mawlûd, il y avait le mépris d’une catégorie de musulmans qui n’ont qu’à adopter la posture mimétique s’ils voulaient rester au sein de la communauté.

Il s’ensuit des faits déplorables comme l’exclusion des mosquées lorsque ceux-ci veulent perpétuer des pratiques importantes pour eux comme les chants religieux (même s’il s’agit de la Burdah, d’Al-Bûsayrî !) alors que les anâshîd (chansons) en « arabe compréhensible » sont permis et font moins « désordre » dans les lieux de culte de l’Hexagone. Dans certaines villes, des autorités religieuses originaires d’Afrique se demandaient même si on allait vers une dangereuse ethnicisation des mosquées en France. Peut-on, déontologiquement, et d’un point de vue de la cohérence du discours et de l’action, se contenter de dénoncer les seules discriminations dont on se considère victimes en fermant les yeux sur d’autres ?

Des musulmans de seconde zone ?
Loin de toute susceptibilité, malgré le discours égalitaire, on peut être conforté dans l’idée selon laquelle certains croient à une catégorisation hiérarchique des musulmans, dont certains devraient rester de seconde zone. J’en fus témoin irrité : c’est dans l’enceinte de la prestigieuse université de Los Angeles (Californie) qu’un président de CRCM avait laissé entendre que l’islam « africain » était plus « folklorique » que « spirituel », répondant, ainsi, à un chercheur américain encore intéressé par l’enrichissante diversité de l’islam !

Des musulmans originaires d’Afrique subsaharienne ont fini, malheureusement, par l’intégrer malgré eux et, dans bien des cas, se sentent plus à l’aise à la paroisse catholique du coin où ils sont les bienvenus que dans des mosquées où ils doivent se faire plus discrets avec leurs dhikr « hétérodoxes ».

Lorsque des responsables d’une grande organisation musulmane présidant le CFCM demandent au comité de gestion d’une mosquée de venir adhérer à leur association pour y représenter Bilâl (1), on ne peut qu’accréditer une telle hypothèse. Surtout que, à côté de cette mosquée dirigée par un « imam noir », il faudrait absolument en construire une autre plus « normale » dans une commune ne comptant que quelques centaines de musulmans !

La réponse donnée à ceux qui déplorent le manque de représentativité dans les instances de l’islam de France est plus souvent du type : « Venez-vous investir ! » Curieusement, la même qu’on sert aux « minorités visibles » dans les partis politiques français au système bien verrouillé ! Mais faudrait-il en arriver à adopter un certain accoutrement, avec qamîs et autres djellabas, et se contenter du « Mâ shâ ‘Allah » à fonction conative avec « le bon accent » et à tout bout de champ pour finir par être accepté comme « frère » ?

Pourtant, la communauté musulmane de France dans son ensemble gagnerait à laisser s’exprimer toutes les sensibilités surtout que l’apport de tous est souhaitable dans ce défi d’une harmonieuse cohabitation dans la Cité qui interpelle toutes les religions présentes en France.

Lutter contre la non-reconnaissance de la diversité des réalités islamiques
À mon sens, un tel fait est la résultante d’un déficit d’éducation à la différence symptomatique de la pauvreté d’un discours religieux traditionnel. Il y a, au sein de la communauté musulmane de France, un pressant besoin d’éducation à la tolérance pour ainsi lutter contre la non-reconnaissance bien incorporée de la diversité des réalités islamiques.

Le fait persiste ainsi que la croyance à une prédominance, pourtant contestable aussi bien par les données démographiques que les nouvelles réalités d’un monde changeant ; un dynamisme auquel n’échappent ni les musulmans ou ce qu’il est convenu d’appeler le monde musulman.

Même si le Sénégal compte deux fois plus de musulmans que la Jordanie et si l’Égypte vient en huitième position des pays à majorité musulmane derrière le Nigeria, persiste encore l’idée selon laquelle le modèle doit forcément venir du monde arabe, ne représentant numériquement qu’à peine 20 % des adeptes de l’islam, de l’Atlantique à la mer de Chine.

Mais aussi, en Afrique subsaharienne, prédomine une image presque sacralisée des coreligionnaires arabes indéfectiblement liés dans l’imaginaire à la langue du Coran et au Prophète de l’Islam, avec un profond respect pouvant tourner quelquefois à la vénération. À se demander si les musulmans subsahariens eux-mêmes ne sont pas appelés à être les véritables acteurs de leur affirmation et de leur reconnaissance.

L’Afrique devrait, de manière générale, sortir de la posture consommatrice d’idéologies et oser l’alternative, surtout que l’islam y est vécu de manière harmonieuse et paisible ; modèle qui pourrait inspirer dans bien des régions du monde musulman.

Il serait grand temps que les écrits et sagesses des grands penseurs africains ou malais de l’islam soient vulgarisés au même titre que ceux du Maghreb ou du Machrek pour enfin sortir de l’illusion selon laquelle hors d’une acculturation au profit d’une seule culture de l’islam il n’y aurait point de salut. Dans nos centres hexagonaux de formation sur l’islam, que sait-on des innombrables écrits d’Ahmad Baba de Tombouctou, d’Ibrâhim al-Kanemy, d’Ahmed Bello du Nigeria, d’El Hadji Malick Sy en matière de Sîra avec le Khilâçu Dhahab fî Sîrat Khayr al-Arab, ou de tasawwuf (soufisme) avec le Masâlik al-Jinân, de Cheikh Ahmadou Bamba ?

Pourtant, les Africains ont bien réussi une assimilation critique de l’islam, dont ils ont su harmoniser les principes avec leurs cultures et valeurs comme tous les mujtahidûn du monde musulman.

À partir de là, au nom de quel unitarisme, parfois dogmatique, devrait-on les en détourner au lieu de verser ces particularités sur le compte de l’universalité d’un islam qui s’est toujours accommodé de la diversité ? Sinon, comment s’opposer, de manière cohérente, aux autres formes de paternalisme, que l’on a tout aussi intérêt à dénoncer et dont on doit, au même titre, se débarrasser ?

Note
(1) Considéré comme un compagnon du Prophète dans les ouvrages de Sîra et esclave noir affranchi par Abû Bakr, bien que cette thèse soit rigoureusement battue en brèche par Doumby Fakoly, qui met en doute l’hypothèse selon laquelle un Abyssin de cette époque puisse être esclave en Arabie. L’Histoire, comme disait un de mes professeurs, n’enseigne que le bon usage du doute !

* Bakary Sambe est docteur en sciences politiques, spécialiste du monde musulman et des relations internationales, senior fellow à la European Foundation for Democracy (EFD) ‒ Bruxelles.

 » QUOTAS DANS LE FOOTBALL FRANCAIS : LE RETOUR DES CLICHES ? »

Mercredi 4 mai 2011

NETTALI.NET – Les révélations de Médiapart, le journal en ligne français, ont fait l’effet d’une bombe. Lors d’une importante réunion tenue le 08 novembre 2011, les responsables de la fédération française de football et des techniciens dont le Dtn et le sélectionneur national, ont taillé bavette autour d’un chiffre : 45 % des jeunes actuellement dans les petites catégories de l’équipe de France sont des binationaux !

Mais que de clichés : tous les jeunes de 1,90 m et 85 kg déjà en petite catégorie ne sont pas des futurs Patrick Vieira. Mais en se projetant dans l’avenir et au regard des tendances lourdes qui se dessinent, les responsables incriminés ont partagé la peur de voir la fameuse formation à la française profiter à d’autres.

Le Sénégal a battu la France en match de la coupe du monde asiatique en 2002 avec une légion de joueurs évoluant en première division française, la plupart formés là-bas. Ce sont des clins d’œil de l’histoire. Puissante comme la vague sonore qui accompagne les chœurs de supporters anglais, c’est surtout le moment d’un retour de bâton,

Faut-il mettre en place des « quotas » basés sur l’origine ethnique du joueur ? Naturellement, la discussion se voulait confidentielle, mais dans une démarche très « Wikileaks », le journal en ligne a révélé l’ampleur du malaise. Faut-il s’en étonner ? La France a des problèmes avec « son » identité. Une équipe nationale ayant une importante force de représentation identitaire, le racisme dans le football ne pouvait plus se contenir dans les marginalités des groupuscules d’extrême-droite qui pullulent dans les stades européens.

Le Dtn François Blancquart a été suspendu de ses fonctions pour une semaine alors que le sélectionneur des « Bleus », Laurent Blanc a présenté ses excuses à ceux que ses propos ont choqué. Malaise. Dimanche 1er mai sur Canal +, l’actuel capitaine de l’équipe de France, Alou Diarra, né en France de parents maliens, a juré qu’il n’avait jamais senti une once de racisme dans le comportement de celui que l’on surnomme « le président », en raison de son charisme et de sa classe en tant que joueur. Laurent Blanc raciste ? Difficile à croire ! Et même si c’était le cas…

Champion du monde 89, avec la génération « Blancs-Blacks-Beurs », Laurent Blanc s’était récemment signalé pour déplorer « le cas » Mousssa Sow, actuel meilleur buteur de Ligue 1 sous les couleurs de Lille et membre de la sélection A des « Lions » du Sénégal. Il a fait toute sa formation dans l’hexagone et a porté l’équipe de France en petite catégorie. Naturellement, le sélectionneur de l’équipe de France regrette de ne pas l’avoir dans son effectif…

Rattrapée par son passé colonial et ses vagues d’émigration successives des années d’après-guerre, la France et son football posent un problème finalement politique. Ses emblèmes sont devenus colorés. Dans un contexte ravivé par un discours politique traumatisé par les thèses du Front national -qui a le vent en poupe dans les sondages politiques-, cette affaire-là n’est pas simple comme une série de jonglages. Le choix d’un joueur de défendre les couleurs d’un pays tient surtout à une décision intime, qui est dans la plupart des cas dictée par l’opportunité sportive d’abord, le lien sentimental ensuite, et, malheureusement, dès fois, par « le mercenariat ». Le football et l’identité nationale s’entremêlent.

Dans le cas précis de la double idée qu’il y a trop de joueurs d’origine étrangère en équipe de France et de la pertinence à continuer une politique de formation dont ils ne sont pas assurés de tirer, seuls, des bénéfices, les dirigeants du foot français vivent les traumatismes de leur classe politique dont celle qui est au pouvoir actuellement sous la houlette du président Sarkozy ne cache pas ses tendances xénophobes. Mais à qui la faute ? On ne le dira jamais assez : la France est assise sur une identité nationale très forte mais construite sur un passé ouvert sur le monde.

Aujourd’hui, elle dit être présente partout militairement où ses « devoirs » l’appellent. On ne dit toujours pas que c’est la Légion étrangère –composée dans sa grande majorité d’apatrides- qui est la première sur le théâtre des opérations. Elle a fait un débat monstre avant d’accepter de voir un « black » présenter son journal télévisé. Pape Diouf, ex-président de l’Om, a passé beaucoup de temps à défendre le bien-fondé de sa présence à ce niveau malgré tout son bagout. Flash-back…

C’est en 1931 que l’arrière-gauche Raoul Diagne devient le premier non français de souche à revêtir le maillot tricolore. Il est le fils de Blaise Diagne, ancien sous-secrétaire d’Etat aux colonies, et donc premier noir à devenir ministre de la république française. L’Allemagne franchira le pas en 1974, alors que le pays du foot, l’Angleterre, ne vivra l’expérience qu’à la coupe du monde de 1978 (la sélection du joueur Viv Anderson fera naître une intense polémique). Ancienne plus grande puissance coloniale au monde, l’Angleterre, administrant ses territoires sous la loi de « l’indirect rule », connaîtra moins d’affinités –la langue en moins- avec le Nigéria, le Ghana ou encore le Kenya. Or, avec sa politique d’assimilation, la France entendait réunir sous la République ses colonies. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale c’est une vague migratoire qui atteint la France.

LES FAUX CLICHES

Les français constatent, sans doute avec une gêne pour certains, que la plupart de leurs plus grands joueurs sont d’origine étrangère : Kopa, Platini, Zidane. Avant eux, le marocain Larbi Ben Barek –qui a passé 16 ans en équipe de France, a écrit les belles pages du foot hexagonal sans jamais avoir obtenu la nationalité française, selon l’enquête réalisée par le journaliste Christophe Cassiau-Haurie.

Il évoque également le franco-béninois Lucien Cossou dans les années 60 et le franco-sénégalais au destin tragique, Jean-Pierre Adams dans les années 70. L’explosion a lieu dans les années 80 quand les enfants d’émigrés nés en France percent dans le football ; ils ont pour nom Jean Tigana, Gérald Passi ou Basile Boli. La génération de 1998, championne du monde, illustrera à merveille, cette tendance. Combien de « gardes noires » pour parler des défenseurs centraux « blacks » qui ont fait l’histoire du foot français ? La réalité du racisme dans le football (surtout en Italie) et les problèmes d’intégration dans la société française, vus sous le regard d’un « black » respecté, pousseront d’ailleurs l’ex-défenseur Lilian Thuram, d’origine antillaise, à faire son entrée en politique.

Avec la fin de la limitation du nombre de joueurs communautaires en Europe, pour pallier à l’inflation des salaires des professionnels qui a en découlé, les clubs ont commencé à puiser dans leurs centres de formation. Qui y étaient ? Pour la plupart, des jeunes issus de l’immigration… La caractérisation physique –qui rappelle de sinistres thèses- fait son bonhomme de chemin. Pour gagner des trophées, « il faut des monstres physiques derrière et au milieu défensif ; les géniaux techniciens blancs –de préférence petits- feront le reste ! » C’est un faux cliché comme celui qui fait croire aux femmes blanches que les africains ont des sexes imposants !

Les quotas migratoires ne sont plus un tabou. Jean-Marie Le Pen est arrivé au second tour de la présidentielle face à Jacques Chirac en 2002. Aujourd’hui, le Front national n’est plus une formation politique marginale. Elle fait plus qu’apporter de mauvaises réponses à de bonnes questions : son discours s’est « humanisé » pour certains et attire les classes défavorisées. L’effet télévisuel des « blacks » et « beurs » en nombre dans l’équipe de France a fait mouche. Surtout que certains parmi eux rechignent à chanter « La Marseillaise ». La France à des problèmes avec son passé.

Les dirigeants de son football, on ne peut attendre moins d’eux, ont la responsabilité de penser à son avenir. La tentation sera alors forte de « ferrer » les jeunes joueurs dès leur première apparition sous le maillot de l’équipe de France. Grand dilemme, mais question bête : peut-on forcer un homme à jouer pour une équipe ? Attention à l’auto-goal !

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Lamine Sèn

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