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Dr. Bakary Sambe au Journal le Monde : « Le soufisme doit se renouveler pour séduire les jeunes attirés par le salafisme »

Vendredi 26 février 2016

Multiplication des contrôles de police, arrestations d’imams, fermeture de mosquée… L’Etat sénégalais a renforcé ses mesures de sécurité depuis les attentats de Bamako, fin novembre 2015, et de Ouagadougou, en janvier. Des événements qui marquent « la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest », selon Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute African Center for Peace Studies et coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique.

Contre la menace terroriste qui plane désormais sur le Sénégal, celui-ci préconise une réactualisation du discours des guides religieux qui, depuis longtemps, constituent un élément de cohésion sociale auSénégal.

Peut-on parler d’une radicalisation islamique de la société sénégalaise ?

La radicalisation reste un phénomène marginal parce que l’islam majoritaire au Sénégal est essentiellement soufi, confrérique et tolérant. Le champ religieux sénégalais est diversifié depuis les années 1950. C’est à partir des années 1970-1980 que des mouvements sont nés sur la base de leur opposition au système confrérique, considéré par certains comme « impur ».

Ces mouvements sont animés par l’idéologie salafiste qui s’est diffusée depuis le Moyen-Orient par le biais de la prédication, la da’wa. Le terreau idéologique était certes bien là depuis longtemps, mais c’est le phénomène de la mondialisation et la réduction de l’espace par les moyens de communication modernes qui en ont accéléré la propagation.

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Aujourd’hui, on assiste donc à l’aboutissement d’une longue évolution. Et ce malgré l’illusion longtemps entretenue dans les études africaines d’un islam subsaharien qui serait en marge de l’évolution globale des sociétés musulmanes.

Le Sénégal est l’un des berceaux de l’islam confrérique d’Afrique subsaharienne. Comment l’islam soufi résiste-t-il à cet islamisme d’inspiration wahhabite ?

« Le Sénégal est resté un îlot de stabilité dans l’océan d’instabilité qu’est l’Afrique de l’Ouest »

Les confréries ont d’abord été des cibles idéologiques puisque la naissance de l’islam radical s’est faite sous la bannière de la contestation virulente de ces confréries. Mais, jusqu’à présent, le Sénégal est resté un îlot de stabilité dans l’océan d’instabilité qu’est l’Afrique de l’Ouest. Et ce, grâce aux confréries, qui ont ralenti la pénétration massive des salafistes. On peut donc, sur ce point, les considérer comme un rempart.

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Une peinture d'El-Hadji Malick Sy, chef spirituel de la confrérie des tidjanes, à Dakar.

Une peinture d’El-Hadji Malick Sy, chef spirituel de la confrérie des tidjanes, à Dakar. CRÉDITS : SEYLLOU/AFP

Mais la question, aujourd’hui, est de savoir si ce rempart pourra tenir et s’adapter. Car, en face, on a une jeunesse en forte demande religieuse. Or les confréries peinent parfois à offrir un cadre spirituel adéquat et réactualisé. Du coup, certains de ces jeunes sont attirés par le semblant de modernité que leur offrent les salafistes.

Ces mouvements ont même investi l’espace universitaire en ayant pris, systématiquement, le contrôle des mosquées des deux grandes universités du pays : Cheikh-Anta-Diop à Dakar et Gaston-Berger à Saint-Louis. Depuis une quinzaine d’années, un travail de maillage s’est fait au niveau des étudiants et d’une élite intellectuelle que le discours traditionnel n’arrive plus à mobiliser. Ce qui contredit les analysesclassiques sur la paupérisation, la marginalisation et le mal-développement qui n’explique pas tout le phénomène de la radicalisation. Le soufisme doit se renouveler pour séduire les jeunes attirés par le salafisme.

Y a-t-il eu des initiatives des guides religieux face au terrorisme ?

En décembre 2015, lors du Mouloud, la célébration à Tivaouane – l’une des capitales spirituelles des tidjanes – de la naissance du prophète Mahomet, le thème retenu par les jeunes portait sur la lutte contre les radicalismes religieux. Un symposium s’est d’ailleurs tenu en présence des chefs religieux et du président sénégalais. Avant cela une conférence internationale sur l’initiative des niassènes de Kaolack, une grande famille religieuse au Sénégal, portait sur la paix et le refus de l’extrémisme. Les confréries ont donc pris la mesure de l’enjeu de la montée du radicalisme et tentent de la contrer par l’éducation à la paix et la prévention.

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Seulement, pour que leur action devienne efficace, il faudrait une modernisation de leur discours, qui doit notamment s’adapter à la jeunesse constamment ciblée par les éléments de récit extrémistes et la propagande salafiste. Au-delà du Sénégal, les confréries et les autres organisations islamiques majoritaires dans les Etats de la sous-région prennent également des initiatives en faveur de la déradicalisation. En Mauritanie par exemple, la Ligue des oulémas utilise même d’anciens repentis djihadistes pour décourager l’enrôlement et le recrutement des jeunes.

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Des membres de la confrérie des tidjanes autour du tombeau du cheikh Ahmed Tidjane Chérif, à Fès, au Maroc.

Des membres de la confrérie des tidjanes autour du tombeau du cheikh Ahmed Tidjane Chérif, à Fès, au Maroc. CRÉDITS : FADEL SENNA/AFP

La réponse africaine à l’extrémisme violent serait donc la promotion et la défense du soufisme ?

Oui. Cela passerait par une réactualisation du message du soufisme qui est davantage adapté à nos cultures. Au Sénégal, le soufisme est confrérique et offre un cadre de sociabilisation qui ne laisse pas beaucoup de place à la conquête des nouvelles idéologies. C’est un islam de paix qui, depuis des siècles, a su composer avec nos valeurs culturelles, et c’est pour cela que l’islamisation des sociétés africaines n’en a pas destructuré le fonctionnement.

« La conquête des cœurs est plus efficace et durable que la domination des corps »

Les salafistes au Mali ont détruit des mausolées qui faisaient partie du patrimoine national. Aux XVIIIe et XIXe siècles déjà, des figures historiques avaient tenté d’islamiser nos sociétés par le djihadisme. Cela n’a jamais véritablement prospéré. Car, à mon sens, la conquête des cœurs est plus efficace et durable que la domination des corps. Les soufis comme El-Hadj Malick Sy, El-Hadji Abdoulaye Niasse ou encore cheikh Ahmadou Bamba ont fait de l’islam au Sénégal un élément de cohésion sociale.

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Et ce n’est pas un hasard si les premières cibles des djihadistes sont les confréries puisqu’elles constituent un verrou qui protège de la montée de l’extrémisme violent.

Comment la menace djihadiste est-elle perçue ?

« Depuis les attentats de Bamako et surtout de Ouagadougou, c’est la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest »

Avant, le djihadisme était perçu comme un phénomène lointain. Mais depuis les attentats de Bamako et, surtout, de Ouagadougou, c’est la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest. Avant, le Sénégal et le Burkina Faso étaient érigés en modèle avec des sociétés où l’islam était tolérant et la coexistence entre les confessions des plus harmonieuses. Les attaques de Ouagadougou inaugurent sans nul doute une nouvelle ère dans notre rapport au terrorisme.

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Un officier sénégalais inspecte les voitures à l'entrée d'un hôtel dakarois, le 22 janvier 2016.

Un officier sénégalais inspecte les voitures à l’entrée d’un hôtel dakarois, le 22 janvier 2016. CRÉDITS : SEYLLOU/AFP

Que pensez-vous des critiques qui dénoncent une réaction démesurée des autorités sénégalaises face à la menace terroriste ?

A mon humble avis, l’Etat sénégalais, dont les représentants n’ont jamais été prolixes en la matière, est tellement soucieux des investissements étrangers, de la réussite du Plan Sénégal Emergent et du tourisme qu’il ne prendrait pas le risque d’évoquer cette menace s’il n’y avait pas le minimum d’éléments probants.

Lire aussi : Dakar muscle sa sécurité de crainte d’attentats terroristes

Dans l’une de vos conférences et lors des rencontres internationales, vous appelez les gouvernants à revoir les orientations éducatives…

Ce ne sont pas les interventions strictement militaires qui vont vaincre le terrorisme. En amont, il faudrait alors des politiques préventives qui passeraient par deux canaux : le système éducatif et, vœu pieux, une plus grande justice sociale dans nos pays et sur la scène internationale pour mettre fin aux frustrations génératrices de radicalismes et de terrorisme. Les partenaires internationaux de l’Afrique devraient l’intégrer dans leur politique de coopération : chez nous, parfois, un char d’occasion, vieux modèle, coûte plus cher que la construction d’une école. S’ils veulent, donc, vraiment nous aider, le bon choix est vite fait.

Bakary Sambe est l’auteur de l’ouvrage Boko Haram, du problème nigérian à la menace régionale (éd. Presses panafricaines, juillet 2015).
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/02/10/le-soufisme-doit-se-renouveler-pour-seduire-les-jeunes-attires-par-le-salafisme_4862570_3212.html#IL7PHzMUteuZEl6I.99

Observation du croissant lunaire-Docteur Bakary Samb « Notre pays est en train de traverser une phase charnière »

Vendredi 26 juin 2015

La communauté musulmane sénégalaise peine à accorder ses violons pour l’observation du croissant lunaire. Pour le docteur Bakary Samb, enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB), cette désunion s’explique par le fait que ‘’notre pays est en train de traverser une phase charnière’’.

 

 

Le Sénégal n’a pas encore tranché le débat sur l’observation du croissant lunaire. Cette année encore c’est en rang dispersé que les musulmans du Sénégal ont commencé le jeûne.

« En observant sociologiquement ce débat sur le croisant lunaire je me rends compte que notre pays est en train de traverser une phase charnière, dans laquelle il y a en même temps une volonté d’affirmation d’une unité de toutes les confréries qui se reconnaissent dans une commission ce qui est salutaire. En même temps, l’islam est devenu un fait transnational et que notre islam local maintenant s’efface aux contraintes des appartenances mondialisées. Le temps que ces contradictions se résolvent, je pense que notre pays pourra avancer vers de meilleures solutions pour que ces cacophonies qui ne sont pas positives pour l’image de l’islam », a expliqué le docteur Bakary Samb, enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB).

Pour autant ce chercheur estime que ce débat entre dans l’ordre naturel des choses et que les oulémas les plus érudits n’ont pas encore tranché.

«  La société musulmane sénégalaise est dans un débat, ce débat peut prendre du temps. Ce qui est souhaitable c’est que ce débat prenne fin et qu’on arrive enfin à une sorte de cohésion et d’attente. Entre cette volonté locale d’unification autour des confréries avec un pôle soudé et autour des confréries, et que de l’autre coté la volonté de faire appel à des formes d’appartenance mondialisée, ce sont des choses qui font partie de l’évolution des sociétés », a ajouté Dr Samb.

Par ailleurs, il souligne que les musulmans se féliciteraient qu’il y ait non pas un guide suprême mais une instance suprême qui pourrait donnait de grandes orientations qui pourraient être traduites dans les différentes civilisations en concordance avec les réalités locales pour que l’esprit général de l’islam puisse subsister.

 

Pour sa part, le président du Conseil départemental a salué la qualité du débat. « Tous les chefs religieux qui étaient présents ont dit avoir appris quelque chose. Pour moi, l’objectif est attient. Je veux que le Mbourois soit fier de lui, croit en lui et c’est en sens qu’on pourra penser à l’émergence de notre département », a laissé entendre le président du Conseil département de Mbour, Saliou Samb.

Le Conseil département de Mbour a organisé une conférence publique portant sur le thème ‘’Paix et religion au Sénégal : les chefs religieux, vecteurs de stabilité et de développement’’.

Elle est organisée dans le cadre de ‘’la vulgarisation des initiatives et actions du président Macky Sall pour la paix au sein de la Ummah islamique’’.

 

Cette activité a été clôturée par une séance de dédicace d’un ouvrage littéraire réalisé par le Dr Bakary Samb sur ‘’Les enjeux de la paix et de la sécurité en Afrique’’.

 

El Hadji Alassane Diallo

M’bour : Conférence de Bakary SAMBE sur le rôle des chefs religieux dans la paix et la stabilité, ce 20 juin

Vendredi 26 juin 2015
Le Conseil départemental de M’bour organise une conférence nationale sur le rôle des chefs religieux dans la paix et la stabilité du Sénégal.
Selon Saliou Samb, le Président de ladite collectivité, c’est  »d’abord une manière de rendre hommage à tous les chefs religieux du Sénégal de toutes les confessions, au regard de leur action pour la paix, ce qui nous a jusqu’ici épargné les situations que connaissent certains pays de la sous-région. »
Le Président du Conseil départemental de M’bour dit s’inscrire dans la continuité des« messages de paix lancés par le Président Macky Sall en direction de la Oummah, mais aussi dans la valorisation de notre patrimoine religieux depuis qu’il a donné aux quais du Port de Dakar, le nom de ces personnalités qui font la fierté de notre pays. »
La conférence sera animée par le Dr. Bakary Sambe, penseur sénégalais originaire de M’bour, à l’occasion de laquelle, il présentera pour la première fois depuis sa sortie, son nouveau livre sur Boko Haram.
Des personnalités de tous bords sont attendues à M’bour, y compris des chefs de représentations diplomatiques du monde musulman accréditées au Sénégal.

BAKARY SAMBE : CONFERENCE SUR « RELIGION ET PAIX’’L’ISLAM SÉNÉGALAIS DOIT TRAVAILLER À SA COHÉSION’’

Vendredi 26 juin 2015

La société musulmane sénégalaise est contrainte à ’’une sorte de cohésion et d’entente’’ pour mettre fin aux débats et contradictions internes qui la caractérisent, a analysé l’universitaire sénégalais Bakary Sambe.

« Ces débats et ces contradictions sont normaux dans toute société islamique’’, a-t-il fait valoir au cours d’une conférence publique qu’il introduisait samedi à Mbour (ouest), sur le thème « Religion et paix au Sénégal : les chefs religieux, vecteurs de stabilité et développement ».

« L’islam est toujours faite de divergences », entre une « volonté locale d’unification autour des confréries’’, d’une part, et celle de faire appel, d’autre part, « à des formes d’appartenance mondialisées, qui font partie de l’évolution des sociétés », a notamment déclaré ​le conférencier.
Concernant par exemple le débat sur le croissant lunaire, sujet de divergences et de contradictions, « le Sénégal est en train de traverser une phase charnière, dans laquelle il y a une volonté d’affirmation d’une unité entre les confréries qui se reconnaissent dans une commission en charge d’observer l’apparition du croissant lunaire’’, a soutenu le chercheur sénégalais.
Cette situation « est salutaire au moment où l’islam est devenu un fait transnational et que notre islam local fait face à des contraintes, des appartenances qui, aujourd’hui, sont mondialisées », a déclaré Bakary Sambe, enseignant au Centre d’étude des religions (CER) de l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal.
Selon M. Sambe, par ailleurs coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA), ’’tant que ces contradictions se résolvent, notre pays pourra avancer vers de meilleures solutions, pour éviter les cacophonies qui ne sont pas positives pour l’image de l’islam dans notre pays ».
Malgré « les soubresauts et les actualités internationales qui sont souvent présentées sous un mauvais jour, nous pouvons dire que l’islam est une religion de paix et de justice sociale », a-t-il indiqué.
« Ce qui pose problème, c’est la manipulation des symboles islamiques pour des motifs politiques », a-t-il relevé, ajoutant que les problèmes souvent constatés dans certains pays musulmans sont, en grande partie, dus à un refus ou des contestations de l’autorité.
« L’islam confrérique est un réel atout pour le Sénégal et pour l’Afrique, parce que c’est un islam qui nous a permis de vivre l’islam non pas comme une cassure ou un problème identitaire, mais de manière harmonieuse (…)’’, a-t-il souligné.
De cette manière, le Sénégal a pu intégrer « ’toutes les valeurs islamiques, tout en restant dans notre identité, en promouvant les valeurs de paix, de solidarité et de tolérance’’, telles qu’enseignées par El Hadji Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba, El Hadji Ibrahima Niasse et tant d’autres guides religieux, a-t-il conclu.

Parution d’un ouvrage de Dr. Bakary Sambe Boko Haram : »L’Afrique doit se mobiliser contre la radicalisation rampante »

Mardi 21 avril 2015
A la veille d’élections cruciales au Nigéria et sur l’issue desquelles planent beaucoup d’incertitudes, paraît « Boko Haram, du problème nigérian à la menace régionale ». C’est le titre du dernier ouvrage de Dr. Bakary Sambe publié chez Timbuktu Editions (mars, 2015 – Le Caire). Pour Sambe « il ne s’agit nullement d’un ouvrage de plus sur la recension des exactions ou pour contribuer au décompte macabre qui noircissent les rapports quotidiens des organisations internationales ». L’auteur dit s’être concentré sur les  « documents de base du mouvement, ses prêches, ses enregistrements et les déclarations recueillies auprès des acteurs-clés » afin de procéder à une démarche compréhensive et « partir de la perception des acteurs et de leur vision de leur propre action ».

Au-delà des tueries et des attaques récurrentes que sait-on, réellement, de Boko Haram, de sa stratégie, des profils de ses membres, de l’idéologie qui motive leurs actions et attitudes vis-à-vis de l’Etat nigérian et de la communauté internationale ? Comment, d’un problème nigérian, fruit de frustrations accumulées et d’une rupture de repères et d’imaginaire, Boko Haram est, progressivement, devenue une menace régionale ?

Après la déstabilisation du Mali, à l’heure où l’Organisation de l’Etat islamique se cherche des relais idéologiques et des zones de repli stratégiques, au moment où le Sud de la Libye est devenu une zone d’instabilité chronique, Boko Haram parviendra-t-il à ouvrir d’autres fronts? Quels seraient ses soutiens financiers, ses liens structurels avec les nébuleuses Al-Qaida, AQMI ou encore les Shebabs voisins ?

Dans cet ouvrage, alliant approche socio-historique, investigation factuelle et démarche prospective, Bakary Sambe, revient sur ces questions d’une actualité brûlante tout en réinterrogeant nombre de certitudes sur les stratégies préconisées par la communauté internationale dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler la « guerre contre le terrorisme ».

L’auteur : Dr. Bakary Sambe est enseignant-chercheur au Centre d’étude des religions (CER) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal) où il coordonne l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA).Politologue, spécialiste des relations internationales et spécifiquement du monde musulman et des rapports arabo-africains, il est, aujourd’hui, l’un des plus grands experts sur la problématique de la radicalisation et les réseaux transnationaux dans le Sahel. Après son essai Islam et diplomatie (2011), Sambe compte de nombreuses publications et contributions dans des ouvrages et revues internationales de référence.
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Autres articles

 »In the Arab World, We Africans are Viewed as Inferior Muslims »

Mercredi 15 mai 2013

The French military intervention in Mali has triggered controversial reactions among Muslim intellectuals in West Africa. While there is almost universal rejection of jihadism, opinion about France’s political motives is divided. Charlotte Wiedemann spoke to the Senegalese political scientist Bakary Sambe

Dr Sambe, you have consistently spoken out in favour of the French intervention in Mali. The war has now been going on for three months. Can there be a military solution to the problem of militant Islamism in Mali?

Bakary Sambe: Of course the problem cannot be solved by military means alone. But general security in West Africa was under threat from the armed jihadists in Mali. This is why I supported the intervention.

There is now a great deal of debate over the role of France, and I certainly do not support any neo-colonial interests that France might possibly associate with its course of action. Politically speaking, I grew up with the criticism of European colonialism and imperialism. But it is important that people understand that there is now such a thing as Arab imperialism, and we have to fight that too.

What exactly do you mean by ‘Arab imperialism’?

Sambe: For some time now, the proponents of international Wahhabism have been working on a plan to establish a Wahhabi zone of influence that extends right across the entire Sahel region, from Niger, northern Nigeria and Mali through to Senegal. This represents a huge threat to our brand of Islam, which has always lived in harmony with local cultures.

Bakary Sambe (photo: Lea Rösner)
Dr Bakary Sambe teaches and researches at the Centre for Religious Studies at the Université Gaston Berger in Saint- Louis, Senegal. His specialist subjects are the trans-national networks of militant Islamism and Arab-African relationsOrganisations that are financed by Arab nations such as Kuwait, Qatar and Saudi Arabia are attempting what could be described as an « Islamisation » of our region; they want to bring their idea of « true Islam » to sub-Saharan Africa. This is pure ideology motivated by an Arab paternalism that I vehemently oppose. The attempt to « Arabise » us is based on a total denial of our culture as African Muslims. The destruction of the mausoleums in Timbuktu was an extreme example of this.

In Mali, the leaders of the Islamist occupation in the North came from abroad, but they were also backed by a local minority. What is the reason for this? Poverty, as some claim, or an altered understanding of religion?

Sambe: Poverty is certainly a factor. The African state is weak and does not operate any kind of social policy. But above all, the state has withdrawn too much from the education system, leaving the field to non-state organisations that are financed out of Kuwait, Qatar and Saudi Arabia.

This is especially true of Mali, where the state education system is impoverished and religious players have been given too much room to manoeuvre. This gives rise to a parallel education system with an ideology that comes from abroad and over which the state has absolutely no control.

Although you denounce this Arab influence, you are also opposed to the term « Islam noir » – or « black Islam » – that some westerners are fond of using.

Sambe: This term was introduced during the colonial era and sought to infantilise us, the African people. Allegedly, we were so emotional because we were not as spiritually mature as the Arabs, who were consequently viewed as more dangerous. France has always tried to establish a barrier between the Maghreb and the sub-Saharan region, to prevent any intellectual exchange from taking place.

You speak of an inferiority complex that still affects African Muslims to this day. Where does this come from?

Sambe: In the Arab world, Muslims from sub-Saharan Africa are viewed as second-class Muslims, as sub-Muslims. Imagine this: in the fifteenth century, Timbuktu was an important city of scholars, and now, in the twenty-first century, Arab organisations come here, exploit our young people and tell them that it is their job to Islamise their societies! My response is this: Africa must stop importing ideologies from abroad and regarding itself as a kind of inferior Zone B.

Arab Muslims and sub-Saharan Muslims must at last develop a relationship built on mutual respect. It is still a relationship based on dominance. However, conversion has never been a one-way street. Each and every people that adopted Islam also gave something back to Islam. This was the only way that the universality of Islam could arise.

Interview: Charlotte Wiedemann

© Qantara.de 2013

Translated from the German by Nina Coon

Editor: Aingeal Flanagan/Qantara.de

La pensée de Cheikh Ahmed Tidiane Sy : Le message de Muhammad (SAW) sous le prisme d’un universalisme visionnaire ( 1ERE PARTIE )

Samedi 12 février 2011

Par Dr. Bakary SAMBE

L’éminent critique littéraire, Yahya Haqqi (1905-1992), alors directeur des Editions Dâr Maktabat al-Hayat de Beyrouth, pouvait-il imaginer toute la portée de son initiative lorsqu’il demandait à Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy, l’autorisation de publier un recueil de ses différentes interventions sur l’islam, la pensée islamique en Afrique et la situation des Musulmans en Afrique de l’Ouest ? Il devait être assez visionnaire pour comprendre que de ces petites notes guidant les démonstrations d’un orateur hors pair, jaillira une pensée éclairante pour les générations futures !

I- L’audace de la critique sociale ou le souci d’une conscience musulmane

En véritable précurseur, Serigne Cheikh a traité dans cet ouvrage non réédité de différents thèmes résumant sa conception d’une religion musulmane au cœur des préoccupations humaines avec toujours cette vocation universelle. Dès le début de l’ouvrage le grand penseur s’attèle à démontrer la manière dont l’Islam est naturellement une religion favorable à l’évolution de l’humanité car s’appuyant sur la justice comme fondement de la vie en société. Pour lui, le salut du genre humain et surtout du Musulman passe forcément par la foi et l’action, en revisitant constamment, la notion de volonté humaine « himmatul insân » rappelant ce pacte tacite entre Dieu et l’Homme qui devrait en être le vicaire sur terre (khalîfatu-l-lâhi fi-l-ardi).

Comme à l’accoutumée, Serigne Cheikh ne se limitera jamais à l’évocation et à la citation des auteurs et penseurs, mais il se plaît bien de les soumettre au questionnement prenant ainsi le risque de se mettre à dos nombre d’intellectuels qui, à l’époque, avaient un grand mal à se départir, pour certains, des chaînes de la rationalité et des conformismes érigés en doctrine, pour nombre d’entre eux. Dans son style et sa pensée, il leur opposait la force de la himma dont Seydina Cheikh Ahmad Tijânî disait qu’elle peut toujours avoir le dessus sur toutes les créatures « qâhiratun ‘alâ Jamî’il akwâni ». Al-Maktoum avait compris, comme le prédisait Seydinâ Cheikh, que la destinée du monde musulman ne pouvait être la meilleure possible si l’on se contentait d’un mimétisme irréfléchi des us et coutumes se sédimentant tout en subissant l’œuvre du temps. C’est pour cela, bien qu’incompris à l’instar de tous les visionnaires, il avait très tôt appelé à une conception élargie du religieux qui risquait le décalage ayant atteint les autres doctrines s’il se départait du discernement (tadbîr).

Pour comprendre cet état d’esprit, il faudrait faire le lien entre cette critique et la manière dont il décrit la méthode du dépositaire de la Tijâniyya dans « Fa ilayka » : cette prouesse de jumeler le monde d’ici-bas avec les exigences de l’autre (wa ja’alata dunyal ‘âlamîna shaqîqatan/ lil jannatil ‘Ulyâ bikulli ma’ânî). C’est pourquoi, sa critique sociale n’a même pas épargné certaines conceptions religieuses dès lors qu’elles allaient à l’encontre du principe de la « himma , yitté en Wolof».

Ainsi, il présentait l’islam au Sénégal comme traversé par une tension du fait d’être disputé entre deux catégories (cf. Al-Islâm as-Sinighâlî bayna Tâbaqatayni p.30) : 1) celle se limitant à une forme creuse de théologie atteinte d’une certaine négligence, sans ambition, sédimentée par la paresse intellectuelle (al-ghaflat wa taqçîr) et l’autre 2) considérant, à tort, le religieux et le spirituel comme la cause de toutes les décadences. Il faut lier, cette dernière remarque à la forte influence du marxisme dans la sphère de l’élite politique et intellectuelle sénégalaise des années 50 et 60.

Dans ses questionnements très courageux pour l’époque il posait deux postulats pour comprendre la désaffection du religieux et du spirituels dans certains cercles : Est-ce l’islam qui serait, alors, dépourvu d’idéal et coupé des réalités de notre monde ou ce sont, plutôt, les Musulmans qui ont substitué à ces réalités d’autres qui ne le sont que de nom ? Devant cette situation d’impasse ou de dilemme où les Musulmans sénégalais ne font que se nourrir d’illusions (zanniyât), il propose d’opérer obligatoirement un choix : celui de renouer avec l’esprit premier du message islamique qui voulait qu’il soit, par essence et par définition, en perpétuel conflit avec les illusions coutumières « âdât » avec lesquelles il fallait rompre pour qu’émergeât, enfin, une véritable « conscience musulmane ».

Serigne Cheikh exprimera clairement la solution qu’il voyait comme salutaire et qui ne pouvait se réaliser que 1) si l’islam s’apparentait à un message universel car entièrement positif et que 2) la renaissance musulmane –tant attendue – très en vogue chez les nationalistes de tous bords, soit d’abord intellectuelle avant d’être politique.

Face à un monde musulman préoccupé, à l’époque, par le combat contre divers ennemis et, surtout, la domination « impérialiste », Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy avait diagnostiqué le plus dévastateur d’entre les maux : l’ignorance, qui, dans son entendement n’a jamais été assimilable à une simple absence de culture ; mais se cachait aussi dans les éléments d’une culture qui ne servaient pas à affranchir l’homme et libérer l’intellect au servir du progrès pour lequel l’Islam fut révélé.

Ainsi, se plaçant toujours au-dessus des présupposés et du communément admis, Serigne Cheikh crut fondamental de se questionner sur la définition de cet acteur tellement important pour devoir incarner les vertus de l’Islam et du message mohammedien : le musulman.

De manière philosophique, il ouvre le chapitre consacré à cette définition encore par le questionnement : « Qu’est-ce qu’un musulman ? Le musulman est-il ce personnage religieux qui s’autolimite, vivant dans les espérances en nourrissant de scepticismes ? Ou est-il cet homme reconnaissant l’existence de la réalité primordiale et témoin des signes qui s’apparentent à cette réalité ? ». Au bout de sa démonstration, il en fit la l’interprétation du verset « Huwa sammâkumul muslimîna min qablu » 22/78.

La réponse à sa question initiale se fera par le procédé dit de l’élagation. Serigne Cheikh se disait sûr que le musulman ne pouvait être réduit à « ce sauvage qui se suffisait dogmatiquement de prendre parti pour Muhammad contre les autres prophètes », « ce n’est pas non plus ce jeune qui se contente d’exploser de colère lorsque l’on dit du mal de l’islam ou de son prophète, encore moins, cet autre intellectuel moderne défendant les identités, les primautés et les prébendes ».

Il conclura, après des développements dont le cadre de cet article ne permettrait pas de rendre compte que le musulman est, entre autres, celui qui reconnait la réalité primordiale tout en étant l’incarnation des évolutions humaines surtout dans le domaine de la sagesse et de l’équité pour assurer un séjour harmonieux de l’humanité sur cette planète.

Serigne Cheikh reviendra longuement sur cette notion d’évolution qui pouvait prêter à confusion au regard des différentes acceptions qu’elle pouvait avoir. Il reconnaît, d’ailleurs, qu’il n’a jamais cessé de critiquer les plus éminents professeurs et chercheurs qui en avaient une vision réductrice, l’assimilant à une forme d’hérésie ou d’athéisme (Zandaqa, Ilhâd p.54).

II- Entre harmonie et équilibre : l’éternelle quête du juste milieu

Fidèle au principe de l’inséparabilité entre philosophie et action, il précise que « l’application est l’âme de la connaissance ». Sa conception de l’évolution pourrait, ainsi, se résumer par cet équilibre qu’il établit entre fidélité au message mohammedien et l’audace de projeter au plus loin le discernement afin d’inscrire les pseudo-particularités dans la globalité de l’islam. De toute manière, Serigne Cheikh a toujours perçu ce dernier comme un « dosage » entre foi, courage et responsabilité, matière et esprit, corps et intellect, philosophie et action (Wattakhizû bayna zâlika Sabîlan !) pour conclure qu’« il n’y a point d’excellence, de distinction, de mérite que dans l’équilibre et le juste milieu ».

Cette réflexion sur l’équilibre nécessaire à l’harmonie déteint sur l’ensemble de sa pensée, mais sera traitée avec rigueur dans l’un des chapitres de l’ouvrage intitulé « Entre l’esprit et la matière ». Le questionnement qu’il introduit, empruntant le vocabulaire géopolitique de l’époque, et qui inspirera les développements ultérieurs est celui-ci : « Peut-il y avoir une coexistence pacifique entre esprit et matière ? N’y a-t-il pas une guerre secrète ou apparente entre ces deux contraires ? » Ces questionnements importants pour un monde musulman, alors, en recherche de modèle, en conflit avec lui-même comme avec le monde occidental avaient une portée inestimable à l’époque où il était question de trancher entre les attitudes de repli et d’ouverture.

C’est ainsi qu’il s’appuiera sur les conclusions d’un certain Al-Bahiy sur la parfaite possibilité pour le monde musulman de s’ouvrir aux sciences et techniques pour théoriser l’interdépendance entre matière et esprit comme celle entre le tout et la partie ; les différentes parties ayant toujours besoin de se reconnaître dans un tout qui finira par illustrer, à son tour, le principe fondamental de l’unicité divine.
Il faudra comprendre de tels développements théoriques sur l’interdépendance dans le contexte d’un monde bipolaire avec un capitalisme dominant combattant un socialisme totalisant. C’est alors qu’il rappela le rôle du spirituel que ne pouvait disqualifier le matérialisme ambiant comme ne pouvait l’exclure un communisme athée. D’ailleurs, tous les deux étaient aux prises avec une crise morale que ne pouvaient résoudre ni la technologie, ni l’économie libérale, ni le marxisme.

Dans un tel contexte, Serigne Cheikh Tidiane Sy voyait une seule issue pour la communauté de Muhammad, celle d’emprunter les chemins du savoir et de la science (As-sulûk al-‘ilmî) en y inscrivant toute action. Le cadre d’un tel cursus ou école était, alors, tout trouvé : « du berceau à la tombe (Min al-mahd ila lahd) ; il n’y aurait de vacances que pour la compétition et le dialogue, une vie se déroulant entre les murs de l’école de l’univers où l’on apprend avec les directives du Ciel, l’étudiant étant l’homme musulman et les cours inspirées par les problématiques de l’ici-bas et de l’au-delà ».

C’est après avoir s’être penché sur ces problématiques intéressant au plus haut degré l’Homme et l’acteur musulman, en particulier, que Serigne Cheikh a jugé opportun de réfléchir sur le système (l’Islam) en lui appliquant, sans complaisance, sa rigoureuse méthodologie toujours nourrie de questionnements et d’une volonté de rompre d’avec les présupposés et l’apologétique démesurée qui anéantit la volonté (himma ou yitté comme il aime à le dire).

A SUIVRE

Dr. Bakary SAMBE
publié la première fois sur Asfiyahi.Org
Le portail de la jeunesse Tijâniyya

RENAISSANCE AFRICAINE ET CONSCIENCE HISTORIQUE Par Jean Pierre KAYA

Jeudi 2 décembre 2010

RENAISSANCE AFRICAINE ET CONSCIENCE HISTORIQUE
Par Jean Pierre KAYA

L’option, ou l’attitude qui consiste à demander ou à conseiller aux Africains, d’oublier leur passé pour ne regarder que l’avenir, (sous-entendu, pour faire preuve de noblesse en refusant de s’abaisser à rendre les coups, pour apparaître, ou pour donner un signe clair de maturité, et de grandeur), relève du lapsus calami.
Cette attitude trahit en effet un conflit intérieur impossible à juguler de la part des anciens négriers et colonisateurs. Elle signifie, que l’on continue à regarder les Africains comme de grands enfants, pas encore matures. En même temps, conscients du mal qu’on leur a fait, on craint leur réaction, mais on a conscience que l’heure n’est plus aux rapports coloniaux ou esclavagistes.
Or, les Africains ne peuvent pas oublier ou ignorer leur passé. Pas, parce qu’ils ne veulent pas, mais tout simplement parce ne qu’ils peuvent pas. Car, ils portent ce passé profondément inscrit en eux-mêmes.
Mais ce refoulement d’un passé hautement traumatique, les expose à un retour du refoulé qui rend leur conduite imprévisible, parce qu’il a dévasté au préalable leur esprit et provoqué un dysfonctionnement de leur personnalité. Résultat, il y’ a un problème nègre, que toute l’humanité a l’obligation de connaître et de traiter sous peine de se retrouver dans un avenir proche, dans des tourments pires que ceux qu’inflige l’Enfer aux damnés.

I- L’ORIGINE DU MAL

Toutes les violences, les dominations, les humiliations, qu’un certain nombre de peuples (Arabes, et Européens) ont infligé aux Africains, ont atteint gravement le psychisme et la dignité du peuple Noir.
L’Homme Noir s’en est trouvé castré, et les conséquences qui en ont résultées, constituent précisément des obstacles à la Renaissance Africaine. Par ailleurs, les peuples désignés ci-dessus continuent à se comporter aujourd’hui encore sciemment ou non comme des ennemis de l’Afrique. Ainsi, leur attitude, leurs relations personnelles: économiques, commerciales et politiques avec l’Afrique et les Africains, constituent de véritables obstacles à la Renaissance Africaine, à cause de l’hypocrisie et du cynisme qui les caractérisent. Mais pourquoi une telle permanence dans la nuisance ?
En fait, cette attitude n’est que le prolongement à travers les millénaires d’une manipulation des textes sacrés du monde abrahamique, desquels des théologiens, des exégètes et des savants ont tiré »le mythe du Nègre maudit », qui diabolise l’Homme Noir et le refoule hors de la civilisation, jusqu’ à la périphérie de l’Histoire.
Le résultat de ces manipulations a engendré historiquement la Traite négrière et la Colonisation, et à l’époque contemporaine, le racisme anti-Noir et l’africanisme eurocentriste sur le plan intellectuel.
Les Noirs du monde entier, font quotidiennement dans leur vie personnelle l’expérience cruelle d’appartenir à une race dont quelques peuples irresponsables ont décidé par pure distraction, qu’elle était maudite.
Senghor dans ses envolées lyriques nous interpelle à ce propos. « Réveillez-vous un matin : Noir. Noir et nu. Noir et colonisé, dans le saisissement d’être vu par le regard corrosif du Blanc », écrivait-il.
Si l’on parvient à prendre la mesure de cette situation, on supputera alors la puissance du ressentiment qui anime le Nègre.

II- PREMIER PAS VERS LA PRISE DE CONSCIENCE

Conscients de ces faits, en l’an 2000, les responsables politiques africains ont décidé qu’il était temps de lancer un mouvement panafricain pour réhabiliter le peuple Noir : la Renaissance Africaine. Mais sans un état des lieux précis et rigoureux, sans une analyse préalable approfondie de la situation actuelle de la communauté africaine, et de l’héritage de l’Afrique, une telle initiative, comme tant d’autres mises en œuvre par l’Afrique postcoloniale, encore aliénée, ne pouvait que s’enliser.
La Renaissance implique une deuxième naissance, à partir d’un héritage et d’un patrimoine qui nous appartient. Dans notre cas, elle impose de faire la démonstration que toutes les affirmations et toutes les théories tirées de la manipulation des textes sacrés du monde abrahamique pour asservir le peuple Noir, ne sont que des mensonges et des lubies.
Nous avons le devoir dans ces conditions, de donner la preuve que notre héritage historique est porteur d’un projet capable non seulement de nous sauver nous-mêmes, mais aussi toute l’humanité.
Une telle initiative pour toucher et mobiliser la conscience historique des Africains, doit être menée par les Africains seuls. Et surtout pas avec l’aide de négriers déguisés qui aimeraient se faire passer pour des sauveurs de l’Afrique.

III- COMMENT ON Y VA ?

Or, avions nous dit tantôt, que pour réussir cette Renaissance, il faut avant tout surmonter ou briser les obstacles qui se dressent devant nous. Ces obstacles sont représentés par l’attitude des peuples qui consciemment ou inconsciemment veulent maintenir sur la communauté africaine leur pouvoir.
Ils le peuvent, parce qu’ils disposent d’un instrument qui reproduit et prolonge la traite négrière et la domination coloniale : c’est la société postcoloniale. A tous les niveaux, l’organisation (économique, monétaire, politique, sociale et culturelle) de cette société travaille contre les Africains et contre les intérêts vitaux et stratégiques de l’Afrique.
La société postcoloniale avions-nous déjà dit ailleurs, s’oppose à l’épanouissement des citoyens africains et au développement de l’Afrique elle-même. Cette société organise et perpétue la faiblesse, la corruption et la médiocrité de la communauté africaine.
Ainsi, il est inutile de rêver de la Renaissance Africaine, sans un démantèlement complet de cette société. Mais décider d’organiser la liquidation de cette société, c’est accepter de poser un acte révolutionnaire authentique de dimension historique. Donc, il ne peut y avoir de Renaissance Africaine, sans une Révolution Africaine préalable.
La question de la méthode, c’est-à-dire, celle de savoir comment doit se dérouler cette rupture, a déjà été sommairement traitée dans « Le Manifeste de la Révolution Africaine », elle sera approfondie dans le Tome III de la Théorie de la Révolution Africaine : »Mode opératoire », notre prochaine publication. Dans ces textes, nous montrons que, bien qu’ayant pris conscience de la gravité et de l’urgence de la situation actuelle de la communauté africaine, nous ne choisissons pas pour autant la politique du pire : la violence aveugle.
Nous optons pour une révolution démocratique, mais dont la finalité sera néanmoins la liquidation totale de la société postcoloniale. Ce qui privera les peuples ennemis de l’Afrique, car constituant par leur attitude un obstacle à la Renaissance Africaine, du moyen de perpétuer leur pouvoir sur la communauté africaine.
Par ailleurs, que faire du vide laissé par la disparition de la société postcoloniale ? Cette question impose de réfléchir sur le contenu de la notion de Renaissance Africaine, elle-même. De notre point de vue, étant donné les prémisses que nous avons posés, la Renaissance Africaine, ne peut être un simple assainissement des structures de la société postcoloniale.
Il ne peut pas non plus s’agir uniquement de s’appliquer à moderniser, c’est-à-dire rationaliser le fonctionnement de la société africaine postcoloniale. Malgré le léger intérêt que nous offre cette perspective, cela ne pose ni la question de la nature de la crise africaine, ni ne constitue une réponse appropriée à cette crise. Il faut être révolutionnaire.

IV- FAIRE TABLE RASE DU PASSE

Mais Que faire ? Jusqu’où faut-il aller ? Ici encore Senghor nous donne encore un indice : « Plus bas, plus bas, là où coule en rapides incoercibles, le fleuve de vin noir, qu’éclaire le soleil de minuit ».
Si, nous sommes parfaitement cohérents avec nous-mêmes, si nous ne craignons pas de déclencher l’hilarité générale et la moquerie, en affirmant que par les ressources de la Raison, nous sommes capables de tirer de l’héritage africain, un Mode de Production totalement novateur, et une idéologie qui nous permettraient de mettre en œuvre un projet de société, capable de sortir l’humanité elle-même, de la préhistoire de la conscience humaine, alors, rien ne sert d’appeler de tous ses vœux la Renaissance Africaine, car dans ce cas précis, nous ne ferions que masquer notre profonde aliénation. Et nous nous mentirions à nous-mêmes.
La Renaissance Africaine se résume en effet à une équation très simple. Il s’agit, de répondre en trois temps avec la ressource fondamentale de l’héritage africain, la MAAT, à la situation actuelle du Nègre. Une telle réponse est de nature à reconstruire l’identité, la personnalité et la dignité de l’Homme Noir.

a) Pratiquer la Maât pour combattre l’aliénation afin de faire éclore dans le psychisme du Nègre la mentalité pharaonique, pour l’inciter à se réapproprier la totalité de son héritage historique et culturel ; puis de se manifester comme un bâtisseur, un entrepreneur et un conquérant dans le monde.

b) Pratiquer la Maât pour rétablir le fonctionnement normal de la personnalité africaine, et mettre fin à la crise africaine.

c) Utiliser la Maât pour construire une nouvelle société africaine : la Société Initiatique, pour supplanter la société postcoloniale.

A noter que cette Société Initiatique ne s’oppose en aucune façon à la rationalité, mais uniquement pour parler comme Pareto aux dérivations de la société moderne. La Renaissance Africaine revient ainsi à bâtir, suis generis, la Société Initiatique.

CONCLUSIONS

En définitive, pour se débarrasser de son passé traumatique l’Homme Noir, est dans l’obligation d’opter pour une rupture révolutionnaire.
Celle-ci est dirigée en priorité contre la société africaine postcoloniale qui représente le point faible et aveugle de la communauté africaine.
Ensuite cette révolution sera redirigée contre certains acteurs de la scène internationale et les systèmes de pensée qu’ils ont mis au point dans l’intention d’aliéner, puis d’asservir le Nègre.
Enfin, celui-ci, doit se tourner avec assurance vers son héritage historique, qui contient un projet de société capable non seulement de le guérir de son aliénation, mais aussi de lui offrir une nouvelle formation sociale qui apportera à l’humanité elle-même, une nouvelle expérience de civilisation.

Maghrébins et Subsahariens : Tous Africains ? Interrogations au-delà des tabous

Lundi 15 novembre 2010

Maghrébins et Subsahariens : Tous Africains ? Interrogations au-delà des tabous

Interview accordée au New African Magazine (Nov- Décembre 2010) par Dr. Bakary SAMBE
Propos recueillis par Aïssatou Diamanka-Besland

Comment expliquez-vous de nos jours les distensions entre les Maghrébins et les Africains subsahariens, y a-t-il une genèse à cela ?

D’abord, je voudrais dire qu’il n’y a pas à s’alarmer d’un affrontement entre Maghrébins et Subsahariens en Afrique mais certaines attitudes sont à souligner et à lier pour comprendre un phénomène beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Je pense que tout part de la vision intersubjective entre Noirs africains et Arabes en général. Il y a, entre autres, l’esclavage, les razzias des armées arabes et/ou berbères au Sud du Sahara. D’une part, chez les Africains du Maghreb, une africanité non assumée et de l’autre chez certains africains le sentiment d’un défaut de considération et de respect de leurs éventuels apports malgré le partage d’une même religion, l’islam, qui jusqu’ici aide à maintenir un sentiment de « fraternité » ou en tout cas de partages des choses fondamentales qui unissent. Néanmoins, au-delà de cette apparente et relative symbiose occasionnée par le partage d’une même religion, les rapports entre Arabes et Africains sont caractérisés par la persistance de préjugés. Les Arabes africains se trouvent eux-mêmes quelques fois habités par une déchirure culturelle lorsqu’il s’agit d’assumer leur africanité et oscillent entre leur appartenance à la « oumma islamique » et leur identité propre. Mais un retour sur le passé commun aux deux rives du Sahara peut constituer une ébauche du nécessaire dialogue interculturel entre Arabes et Noirs africains. Ce qui interroge, surtout, c’est le choc des nationalismes entre négritude d’une part et arabité de l’autre ; choc encore bien présent dans les milieux intellectuels.

Dans la plus part des pays magrébins, il y a une forte communauté noire, mais elle n’a pas une grande visibilité, est-ce une forme de xénophobie ?

Je crois que les choses sont plus compliquées que cela, et il ne faudrait pas tirer des conclusions hâtives. Récemment lors d’un colloque organisé par l’Unesco à Rabat, dans le cadre du projet « La route de l’esclave », je présentais une communication sur l’incidence du rapport servile dans le regard intersubjectif entre Noirs et Arabes en rappelant que derrière des comportements qui frisent le racisme aujourd’hui il y avait tout le poids d’un héritage historique. En Algérie les Noirs sont dits « kahloush », de « Kahl » qui viendrait en arabe de l’appellation du « Cohl » désignant la noirceur. Au Maroc, les enfants crient après des personnes noires en l’appelant « ‘azzî » qui serait la déformation de « Azîzî » (mon cher Maître) que ne pouvaient pas prononcer correctement les esclaves noirs pour répondre à leurs maîtres lorsqu’ils les appelaient ! En Tunisie, on parle des Noirs sous le vocable de « Wçif » avec une connotation de servitude, en tout cas d’un statut d’infériorité. En Mauritanie, les populations noires sont dites « harthani », rappelant cet esclave noir servant dans l’agriculture !
Vous voulez dire que l’explication est donc historique et non forcément culturelle ?

Je ne peux l’affirmer de manière si tranchée mais il est sûr qu’avec un aussi lourd passé, il est extrêmement difficile de ne pas tomber dans des considérations teintées d’un certain racisme ou en tout cas d’un sentiment de supériorité faussant complètement les rapports. Au Sénégal, dans la langue wolof les Arabes sont dits « naar » qui signifie le « feu » en arabe, rappelant des périodes sombres où les voisins mauritaniens venaient sur l’autre rive du fleuve pour capturer des femmes et enfants après avoir mis le feu au village !

C’est donc une culture d’esclavagisme qui se perpétue ?

Pas forcément, ce serait trop simpliste de toujours voir les choses sous cet angle. Pour ce qui est de la xénophobie, je crois qu’il faudrait aussi prendre en compte la dimension migratoire : les pays du Maghreb sont devenus des passages pour les immigrés bannis (je n’aime pas le mot clandestins car l’émigration est un droit et qu’à chaque fois qu’un peuple a eu soif de liberté ou a aspiré a de meilleures conditions de vie, il a cherché à aller ailleurs !). Les pays Maghrébins sont devenus des agents de contrôles de l’immigration subsaharienne avec l’incitation des pays européens qui subventionnent une telle lutte ! N’oublions pas non plus que l’émigré, l’étranger de passage, surtout de couleur différente a toujours été pris pour cible et la xénophobie, malheureusement, est l’une des choses les mieux partagées dans toutes les sociétés en proie à la crise comme c’est le cas actuellement en Europe et en France notamment.

Les frontières entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne existent-elles vraiment ?

Si vous me posez cette question, je vais être contraint de revenir à des développements historiques. Vous savez, le Sahara n’a jamais été une barrière infranchissable mais « une mer intérieure » qui a toujours invité à passer d’un rivage à l’autre. Nos amis anglo-saxons parlent de « geographic likage area » pour le cas du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. L’établissement de liens et la circulation des savoirs ont accompagné le développement du commerce et ont suivi les routes et les caravanes des pèlerinages à travers ce vaste espace transsaharien. Au regard des nombreuses ressources historiques attestant de leur ancienneté, les échanges entre les deux rives du Sahara ne devraient, aucunement, trouver de difficultés à s’expliquer ou se justifier. Ils n’avaient plus qu’à se dérouler sur les sentiers balisés par des siècles d’histoire commune. Les récits se rapportant aux interactions entre les deux rives du Sahara ne manquent pas.

Vous voulez dire que cette histoire est ignorée ? N’est-elle pas plutôt occultée ?

Disons qu’elle n’est pas assez connue, comme cela méritait de l’être ! Il est curieux qu’une certaine version de l’histoire dissimule des faits importants ! Les déplacements d’hommes et de marchandises à travers le grand désert se situent bien avant l’arrivée des explorateurs européens au XVIème siècle. Ces derniers ne pénètreront véritablement à l’intérieur des régions ouest-africaines qu’au XIX ème siècle. Rappelons, de manière peut-être ironique que le plus vieil émissaire européen en Afrique noire, René Caillé, n’atteindra Tombouctou qu’en 1827, huit siècles après Al Bakrî alors que ce dernier notait, déjà à son époque, la conversion de plusieurs chefs politiques à la « nouvelle religion » qu’était l’Islam. Mais, il est vrai que le XI ème siècle est le vrai début de l’islamisation de l’Afrique de l’Ouest qui s’étalera sur une longue période, connaîtra plusieurs étapes et revêtira diverses formes.

Donc, les premiers rapports entre le Nord et le Sud du Sahara se sont établis à travers les routes commerciales. Justement comment ce processus d’islamisation s’est-il dessiné ? un mouvement uniforme ou en plusieurs étapes ?

Il y a d’abord la période où les premiers contacts ont fait que l’islam a commencé à gagner des fidèles dans l’aristocratie et les riches commerçants. Ainsi, il restera, longtemps, une religion d’élites lettrées et de souverains africains. Déjà en 1085, le Roi du Kanem se convertit à l’islam et entretint les meilleurs rapports avec les chefs politiques de Berbérie et de l’Egypte. Mais, le commerce transsaharien qui enregistrait le gros de ses échanges entre Berbères et Soudanais (du pays des Noirs), au début, prendra d’autres dimensions dès la première moitié du XI ème siècle.

Qu’est-ce qui faisait alors, historiquement, cet attrait pour l’Afrique subsaharienne chez les Maghrébins ?

Il faut savoir que l’Afrique subsaharienne fut, très tôt, un grand fournisseur d’or à l’Afrique du Nord. Le trafic du précieux métal dura plusieurs siècles et lia les confins du bilâd Sûdân au Maghreb et à l’Egypte par les routes transsahariennes. Ce commerce concernait, aussi, d’autres denrées comme le sel qui, malgré le succès de l’or, connut une grande importance. Savez-vous que le sel était devenu, à une certaine époque, une « denrée de luxe qui s’échangeait contre son poids en or » . C’était un produit devenu stratégique dans ce commerce.

Mais était-ce toujours pour de simples raisons économiques ou n’y avait-il pas une volonté de conversion, de prosélytisme ?
A cet enjeu purement économique s’est très rapidement greffé, un autre – cette fois-ci religieux – : la lutte opposant une frange de l’islam sunnite, le Malikisme (al-mâlikiyya), l’ibâdisme (al-‘ibâdhiyya). A cette lutte politique aux mobiles économiques on s’efforcera, toujours, de trouver un fondement religieux. Ce fut le début des razzias et des guerres mises sur le compte du Jihâd pour ceux qui attaquaient et sur celui de la fitna pour ceux qui les subissaient. C’est, là, une donnée fondamentale pour la compréhension des rapports ultérieurs entre le Maghreb et le Sud du Sahara qui n’ont jamais été isolés. Mais vous savez quelques fois l’histoire n’enseigne que le bon usage du doute ! Beaucoup de questions restent non encore élucidées !

Revenons, alors, au présent Si l’on prend l’exemple de l’Algérie, il a fallu plus d’une cinquantaine d’années pour qu’enfin un joueur métis intègre l’équipe nationale, comme percevez-vous ce fait social ?

Même s’il ne s’agit pas toujours d’un racisme dans son sens moderne, l’image du Noir a beaucoup souffert de ce poids historique. Ce fait est vu par certains intellectuels maghrébins, non pas comme une organisation ségrégative des places dans la société en fonction de la couleur de la peau ou de l’appartenance linguistico-culturelle, mais une simple difficulté à assumer le carrefour où se croisent arabo-berbères et négro-africains.
Ce sens de la mesure n’est pas du tout partagé au Moyen-Orient et dans la presqu’île arabique où l’esprit esclavagiste domine dès qu’il s’agit des rapports avec des personnes de couleur noire. Notons que dans l’arabe même moderne, l’usage du terme « ‘abd » (esclave) dans les parlers du Proche-Orient est encore courant.

Donc cette image d’infériorité lui colle à la peau si on ose dire…

C’est une image ambivalente et qui va de la considération au mépris ou de la méconnaissance à la fascination dans certains cas. Dans le Munjid, l’un des dictionnaires arabes contemporains les plus utilisés présentement, on peut encore retrouver « fustuq al-‘abîd » (pistache d’esclaves) pour désigner les arachides cultivées en Afrique subsaharienne. En Algérie ou en Tunisie on peut encore s’arrêter sur des expressions pleines de non-dits. L’expression indignée « Tu me prends pour ton wocif ou quoi ?!», utilisée fréquemment renvoie à cette position inférieure du « serviteur noir ». Et les exemples manifestant un imaginaire trouble du noir dans les sociétés maghrébines sont nombreux. Citons celle utilisée lors d’une crise épileptique qui atteint un membre de la famille : «Jaat’hou l’gnawa taâ l’wusfân ! » (Les esprits des Noirs viennent encore le posséder !) C’est une expression qui allie au dédoublement de la figure du noir, une certaine confusion entre les Gnâwa (confrérie de Noirs du Maroc) et les esprits qui possèdent (wusfân, pluriel de wasîf). De même, ce dédoublement de la figure du noir touche son rôle de « possédant » et de «guérisseur ». Une chanson populaire marocaine invoque le « k-hal » pour délivrer les possédés du mal : « Jiboub li al-khal ysawwab li al-‘aql » (Appelez-moi le Noir pour qu’il me rende l’esprit).


Pour les subsahariens, le Maghreb serait-il en dehors du continent africain ?

C’est un sujet qui revient très souvent dans les débats sur une certaine africanité du Maghreb. Il ne faut quand même pas oublier que le nom du continent vient de celui qui désignait la région la plus septentrionale de la Tunisie l’Ifriqiyya (l’Africa romaine). Le terme « rencontre » est le plus utilisé dans les travaux sur les relations entre le Maghreb et la région subsaharienne. Ces interactions culturelles sont, en grande partie, le résultat de longs siècles d’échanges sur le plan commercial. Mais le tissage de tels rapports est facilité par l’existence de cette zone commune dite de « geographic linkage area » occupée par des pays qui ont la particularité d’être, en même temps, des Etats arabes et africains. C’est pourquoi, à mon sens, sens que l’usage de l’expression « relations arabo-africaines » mérite quelques éclaircissements d’ordre géographique.
Mais, on continue quand même de voir des spécialistes comme vous utiliser des termes comme « relations arabo-africaines », les mots sont quand même importants….
Il est sûr qu’une telle expression peut sembler confuse lorsqu’elle laisse entendre une scission entre deux zones ou une différenciation entre deux « entités » géographiquement et historiquement distinctes. C’est pourquoi, l’expression « arabo-africain » me semble tellement imprécise et artificielle si l’on sait que 60 % des populations désignées comme Arabes vivent sur le continent africain et que les 2/3 des territoires considérés comme faisant partie du monde arabe se trouvent en Afrique.
Les Maghrébins sont-ils alors pour vous, des Arabes ou des Africains à part entière ?
Un Africain sur quatre est arabe et certains estiment que, par nombre de locuteurs, l’arabe est la première langue parlée en Afrique.. Dans cette expression plus que confuse mais très souvent admise pour un usage général, il faut, donc, entendre par « Arabes » ces populations maghrébines en plus de l’Egypte dans différents Etats d’Afrique du Nord, dans la terminologie des différents spécialistes de la question. Ey je ne veux pas entrer dans le débat sur la classification des ethnies du Maghreb consistant à désigner qui serait vraiment arabe ou berbère. Il serait intéressant de noter qu’en Afrique subsaharienne, notamment au Sénégal, ce débat n’a jamais été posé. En wolof, on appelle « naar », « arabe », toutes les populations à partir de la rive droite du fleuve. Cette région a été, très tôt, en contact avec les populations venues du Nord, depuis ses premières organisations politiques. Les Mauritaniens sont appelés « naaru gannaar », arabes de Mauritanie et les Marocains sont les « naaru Faas », ces arabes de « Fès » toujours objets de fascination mais aussi de respect, au Sud du Sahara ou encore « naaru Beyrouth » pour désigner les Syro-libanais. Cette perception positive du Maroc, par exemple, est certainement due à la fonction spirituelle remplie par la capitale religieuse du royaume chérifien surtout auprès des adeptes de la Tijâniyya représentant 55 % des Musulmans sénégalais.

Mais avec tout cet héritage que vous évoquez comment expliquer le rapport des Maghrébins à l’Afrique ?

Il est vrai que le mot « Afrique » ne cesse d’interroger le maghrébin. Notre ami A. Chaouite exprime bien cette situation confuse entre l’appartenance géographique au continent «noir» et le fait de se reconnaître dans sa culture et son identité. Il se définissait une mentalité de maghrébin-deuxième-moitié-de-ce-siècle pour qui le mot Afrique est un mot géographiquement familier et mythologiquement et historiquement plutôt étranger. Cette déchirure culturelle est partagée par plusieurs peuples dits de carrefour, c’est-à-dire à la lisière entre l’Afrique noire et l’Afrique blanche, comme Yves Lacoste aimait délimiter ce continent. On partage, géographiquement, l’appartenance à un continent dit noir mais on est habité par cette volonté de se différencier pour pouvoir partager, aussi, la fierté d’appartenance à la culture arabe ou arabo-islamique. Cette tension est omniprésente. Ainsi, le monde noir, si proche de l’environnement saharien, renvoie pour bon nombre de populations à sa lisière, à un monde imaginaire, invisible et caché jusqu’à la rencontre que rendent possible des contingences culturelles.

Vous reconnaissez alors qu’il a une véritable de déchirure culturelle ?

Oui certainement mais une déchirure culturelle qu’il faudrait cependant nuancer à partir de faits rarement étudiés et qui méritent de l’être dans un choix de dialogue interculturel. Rapports historiques concrets et influences mutuelles ont toujours caractérisé le Maghreb méditerranéen et l’Afrique subsaharienne posés comme deux entités anthropologiquement discernables. Pour certains analystes, le Maghreb, quelles que soient ses spécificités anthropologiques, ferait pourtant partie intégrante de la pluralité africaine.

Mais à quoi est donc due cette hésitation ou ce positionnement hésitant ?

Un autre fait devrait nous interpeller : le rôle de carrefour qu’a joué le Maghreb. Toujours hésitant à se dévoiler à lui-même, le Maghreb ne peut qu’osciller entre son amazighité qui l’oriente vers le Nord, l’est et le Sud. Ce ne sont donc pas les passerelles culturelles ou les références historiques qui font défaut mais une réelle volonté d’assumer ce passé commun. Mais, par exemple, le Maroc l’a bien compris : coincé au Nord par l’Espagne et à l’Est par le voisin algérien, il a toujours cherché une profondeur africaine au Sud du Sahara.

Que préconisez-vous alors pour vaincre ces réticences, dépasser ces clivages et avancer ensemble ?

J’avais dit au Colloque de Rabat que seule, une sorte de « thérapie collective » par une revivification du passé positif pourrait palier ce manque de reconnaissance, source des préjugés persistants. Car le regard intersubjectif du Maghreb nordiste est voilé de l’impensé d’une africanité étrange et familière. Plus que du racisme, la difficulté du rapport entre Noirs africains et Arabes est imputable à la difficulté d’assumer le carrefour dans ses réalités, et une pluralité sur le même plan d’immanence. Comme l’autre qui que « le Sahara n’a jamais été une barrière infranchissable mais une mer intérieure qui invite à passer d’un rivage à l’autre » ? Il serait intéressant de se pencher plus souvent sur le passé commun tant négligé dans la tradition universitaire occidentale afin de rendre compte des points de convergence préalable à tout dialogue interculturel.

Justement vous évoquez à chaque fois un passé commun, mais qu’est-ce qui rapprochent ces deux peuples de part et d’autre du Sahara ?

Je crois qu’il y a avant tout l’impact de la langue arabe et la religion qui l’a inscrit dans les pratiques des sociétés subsahariennes. Le commerce
Transsaharien dont j’ai tant parlé qui s’est développé dès le Moyen-âge se servait de l’arabe et de son alphabet pour faciliter les échanges entre commerçants africains et arabes. D’ailleurs, l’impact de l’arabe sur les langues africaines est plus sensible dans le champ lexical du commerce (poids, mesures, temps etc.), ou encore de la perception, forcément religieuse, du monde et de l’univers – l’arabe étant la principale sinon la seule langue liturgique des musulmans. Cette sacralité nourrit l’importante production littéraire en arabe et en « ’ajami » (textes en langues locales transcrites avec l’alphabet arabe enrichi de signes diacritiques pour les sonorités étrangères à l’arabe). Par exemple, chez les Sénégalais, l’arabe jouit en effet, comme langue et mode de civilisation, garde un caractère sacralisé. Une conception déterminante dans le débat, ou querelle idéologique, sur le rapport de l’Africain à l’islam et sa place dans cette communauté transnationale.

Selon vous le dialogue Sud-Sud est-il vraiment possible et dans quelle mesure ?

Ce dialogue a tout un terrain devant lui balisé. Il ne lui reste qu’à s’y dérouler en mettant au profit un héritage millénaire en commun, une proximité géographique mais surtout des défis similaires à relever : l’affranchissement de la domination politique et économique du Nord, une affirmation plus importante sur la scène internationale et la proposition d’alternative surtout à un moment où les modèles économiques importés de l’Occident ont conduit aux crises que l’on sait. C’est le moment où jamais pour les Africains de profiter de cette situation de la fin des pré-carrés, pour multiplier et diversifier les partenaires notamment en Asie où d’autres modèles émergent et en Amérique du Nord et du Sud. En tout cas les Asiatiques ont donné le ton : il est tout à fait possible de connaître le développement et l’essor économique en s’enracinant dans sa culture et son système de valeur loin de toute acculturation au nom d’une ouverture à sens unique. Au regard des interrogations qui habitent les systèmes occidentaux et le désarroi devant les innombrables crises, e modèle peut bien venir de nous-mêmes !

A propos de Dr. Bakary SAMBE
Arrivé du Sénégal en 1993 pour ses études à l’Université Lumière-Lyon 2 et à Sciences Po Lyon, Bakary Sambe est spécialiste des relations internationales. Titulaire d’un Master en langues et civilisations étrangères, Il obtient ensuite, un doctorat en sciences politiques. Depuis 2003, il est chercheur associé au Groupe de Recherches sur la Méditerranée et le Moyen-Orient GREMMO à la Maison de l’Orient de Lyon. Politologue, spécialiste des rapports arabo-africains, du militantisme islamique et des réseaux transnationaux, il vient de publier Islam et diplomatie : la politique africaine du Maroc (juillet 2010). Après avoir enseigné à l’Ecole internationale de Commerce et Développement (3A Amérique-Afrique- Asie), à l’Aga Khan University- Institute for the Study of Muslim Civilisations, de Londres, il rejoint, comme chercheur et expert, la European Foundation for Democracy (EFD) à Bruxelles. Il se dit vouloir être un « pont intellectuel » entre l’Europe, le monde arabe et son Afrique natale, il est également membre du Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences sociales en Afrique (CODESRIA) depuis 2008 et membre fondateur de la Fondation Europe – Méditerranée pour la coopération en sciences culturelles et pour l’échange culturel dans l’espace euro-méditerranéen. Très impliqué sur la question de la diversité en France, il fut invité, récemment aux Etats-Unis, par le Département d’Etat Américain dans le cadre du International Visitors leadership Program.

Dr Bacary Sambe pour une contribution intellectuelle des Africains à la marche du monde

Mercredi 18 août 2010

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Dr Bacary Sambe pour une contribution intellectuelle des Africains à la marche du monde

Dakar, 13 août (APS) – Le chercheur et politologue sénégalais Bakary Sambe a confié à l’APS que l’ouvrage qu’il vient de consacrer à la place de l’islam dans les relations internationales s’inscrit dans une rupture visant à amener les Africains à apporter ‘’cet œil d’être du dedans’’ dans l’analyse du monde, ‘’pour mieux expliquer les phénomènes.’’

’’J’ai voulu modestement participer à une rupture qui à mon avis doit s’amorcer, c’est-à-dire que les paradigmes développés et entretenus par les universités occidentales et les chercheurs occidentaux, ces paradigmes-là ont été le fruit de terrains qui sont différents des nôtres et donc forcément ne peuvent pas aider à concevoir et à expliquer parfaitement nos terrains et nos réalités’’, a-t-il déclaré.

’’Nous, les Africains en tout cas, nous devons prendre en charge les problématiques liées à la conceptualisation de certaines questions nous concernant et ne pas s’adonner à une reproduction intellectuelle à l’infini’’, a dit le chercheur.

Selon M. Sambe, chercheur à la Fondation européenne pour la démocratie à Bruxelles, il s’agit d’’’imposer une rupture et dire que nous pouvons désormais concevoir nos réalités, sans entrer dans un certain sectarisme, mais concevoir nos réalités en y apportant cet œil d’être du dedans pour mieux expliquer les phénomènes.’’

Dr Bacary Sambe, par ailleurs chercheur associé au Groupes de recherches sur la Méditerranée et le Moyen Orient (Lyon), a présenté récemment à Dakar et dans certaines villes du Sénégal, son livre intitulé « Islam et diplomatie : la politique africaine du Maroc. »

Il a souligné que l’analyse dont se prévaut cet ouvrage plaide pour la prise en compte des acteurs religieux, ordinaires ou associatifs e vue de ‘’compléter largement la conception des relations internationales’’ et les études y afférentes.

Les relations internationales ‘’ne sont pas que des relations interétatiques, mais on doit désormais prendre en compte le facteur religieux comme les facteurs culturels pour les introduire dans la conception’’ de ce domaine de recherche, a-t-il souligné.

‘’Ce qui m’intéressait beaucoup plus’’ dans ce livre, ‘’c’était la manière dont les acteurs politiques et diplomatiques pouvaient s’appuyer sur le facteur religieux et construire une politique, notamment une politique africaine, a-t-il dit. Et comment aussi ces facteurs religieux étaient manipulés à l’infini par les acteurs diplomatiques selon les contextes et les enjeux pour construire une politique étrangère’’.

Il a ajouté qu’écrire un tel livre après le 11 septembre 2001, ‘’entre dans le cadre d’un rétablissement de certaines vérités importantes’’, alors que des théoriciens ont tendance à parler de l’islam comme d’un ‘’péril vert’’ succédant au ‘’péril rouge’’ représenté par le communisme.

Dans ce cadre, le propos consiste à rappeler que ‘’l’islam dans son esprit en tout cas n’est pas synonyme de violence, l’islam n’est pas seulement un facteur déstabilisateur mais peut-être dans certaines conditions comme celles que j’ai évoquées dans mon livre, un facteur d’union, de cohésion et un acteur facilitateur de rapports entre des pays, en s’appuyant sur cette forme de fraternité religieuse, ce que Maxime Rodinson appelait +un patriotisme de communauté+’’, a expliqué Dr Bacary Sambe.

 

BK/CTN

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