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Des mausolées de Médine aux saints de Tombouctou : le Wahhabisme à l’assaut de la mémoire

Jeudi 19 juillet 2012

Par Bakary SAMBE

Encore une belle occasion d’alimenter la théorie sur les « nouveaux barbares » ! Les télévisions du monde entier se sont braquées sur les horribles images de destruction des mausolées dans la ville historique de Tombouctou. Au-delà de la mise en pratique d’une doctrine wahhabite dans son expression la plus extrême, c’est le symbole même d’un islam africain constitutif de la civilisation musulmane qui est, encore, la cible de ces groupes. Mais, cette idéologie rétrograde qui a toujours enfermé le débat sur l’islam dans un carcan ahistorique et une vision étriquée, avait déjà commis plusieurs forfaitures dans le même sens. 

La « saga » wahhabite avait bien commencé en Arabie-même avant de décider d’en finir avec tout ce qui pouvait symboliser la diversité. Cet unitarisme dogmatique professé, à l’époque par un « théologien » en mal de reconnaissance qui s’offrit aux désirs d’un politique en quête de légitimité lui servant de bras armé, n’a cessé de faire des ravages dans les sociétés musulmanes, elles-mêmes, avant de se rendre tristement célèbre par le plasticage des Bouddha géants d’Afghanistan. L’idéologie wahhabite fait encore, malheureusement, des émules et a conduit, récemment, à la destruction des mausolées des trois principaux guides religieux de la confrérie soufie Qâdiriyya à Mgadiscio par les Shebab.

Dans la logique de l’excluvisme religieux, ce courant prend souvent le masque de la restauration des dogmes pour se considérer comme ce virtuel « vrai islam » avec un endoctrinement qui a ses propres méthodes. Pourtant le Wahhabisme – se cachant très souvent derrière le vocable du salafisme- n’est qu’une simple tradition religieuse, développée dans ce qui est devenu l’Arabie Saoudite, depuis le milieu du xviiie siècle par les oulémas de l’institution religieuse fondée par les héritiers de Muhammad Ibn Abd al-Wahhab (1703-1792).

 Cette institution, en retour, se considère comme la « gardienne » de cette tradition. L’une et l’autre entretiennent un rapport organique avec l’État saoudien, fondé en 1744 à la suite d’un pacte conclu entre Ibn Abd al-Wahhab et Muhammad Ibn Sa?ud, selon lequel le « sabre » se mettrait désormais au service du « goupillon », et réciproquement. Voilà qu’un pacte purement politique, fondé sur la légitimation réciproque et l’échange de services, s’autoproclame seule « doctrine véritable » à l’assaut de tout ce qui, dans le monde musulman pouvait matérialiser son enrichissante diversité.

Mais la série des destructions et des saccages d’une bonne partie de la mémoire de l’islam avait bien commencé à Médine au cimetière d’Al- Baqî que les wahhabites ont complètement rasé, à l’époque. Si, aujourd’hui, en terre africaine, les disciples du wahhabisme continuent de taxer les adeptes du soufisme d’associateurs (pratiquant ce qu’ils appellent le shirk) et les excommunient, les sources historiques restent formelles sur une tradition qui était bien ancrée en Arabie musulmane depuis la période classique de l’islam.La présence de mausolées et de tombeaux ornés et décorés, édifiés, ou agrandis, avant 1326, est clairement attestée par Ibn Battûta lors de son pèlerinage à la Mecque et par Ibn Jubayr avant lui (1183). Le célèbre historien Ibn Battûta décrivait même une « grande coupole » sur la tombe d’Uthman ibn Affan, l’un des quatre califes dits « bien guidés » appartenant, pourtant, à la période sacralisée et idéalisée des tenants du salafisme wahhabite !C’est, bien plus tard, que les wahhabites, près de 1200 ans après, en vertu d’une fatwa prise par un certain cheikh Muhammad al-Tayyib, ont détruit les mausolées du cimetière médinois d’Al-Baqî` contigüe à la Mosquée du Prophète.

D’ailleurs n’eût été la résistance de certains savants et autorités musulmans, le propre mausolée du Prophète de l’islam aurait déjà connu le même sort que ceux des saints de Tombouctou.Et l’on peut croire que, sur le sort de la mosquée-tombeau de Médine, les wahhabites ne sont que dans une logique de « hudna », pause stratégique, le temps d’accomplir ce « vœu pieux » de « désacraliser » le mausolée du Prophète. Un célèbre penseur contemporain de ce courant continue à le professer et qui a bien inspiré les démolisseurs de Tombouctou. Il s’agit de Shaykh Albânî, dans son ouvrage « Ahkâm al-Janâ-iz wa bida’uha ». Il y recommande que l’on retire la tombe du Prophète de l’islam de la mosquée de Médine. La désacralisation est bien en marche ! Ce même auteur, presque sacralisé dans nos écoles salafistes de Dakar, Bamako ou encore de Niamey, insiste sur cette demande dans un autre de ses ouvrages Tahdir as-sâjid Min ittikhâdil Qubûri Masâjid (pp 68/69).Cette idéologie de la destruction n’a pas commencé à Tombouctou et ne s’y arrêtera certainement pas.

 Elle est inscrite dans un processus continu de négation de la différence, de la culture du débat pourtant institué par les textes et faits fondateurs de l’islam. La même logique politique accompagne cette doctrine wahhabite qui, en réalité, a toujours été au service du pouvoir politique. Le cimetière d’al- Baqî, avant la venue au pouvoir du régime saoudo-wahhabite, avait plusieurs mausolées, qui étaient des lieux de pèlerinage des chiites et même des sunnites qui venaient à Médine. C’est partant d’un dogme qui considère comme un péché de se rendre sur la tombe d’un défunt que de nombreux sites religieux ont été détruits. Les wahhabites avaient même forgé le projet de détruire les sites Karbala et de Najaf (mausolée d’Imam Ali), en Irak, et leur projet de destruction de la tombe du Prophète a été abandonné suite aux violentes objections de la communauté islamique internationale. Au-delà des évènements malheureux de Tombouctou on dirait que les tenants du wahhabisme sont dans une logique de destruction du patrimoine historique et de la mémoire tout court. Sinon comment comprendre la démolition d’une partie de la montagne d’Abû Qays, non loin de deux portes principales de la Ka’ba (Bâb-u- Salâm et Bâb-u-Ali) ? Abû Qays symbolisait pourtant, selon la tradition musulmane, le premier endroit d’où le Prophète débuta sa prédication et où, habituellement les pèlerins étaient invités à faire une prière spéciale. La mémoire religieuse ainsi effacée, un somptueux palais royal y prit vite place comme pour avoir une belle vue sur la pierre noire peut-être visée, aussi, par les fatwas de la destruction. S’il en était des idoles à détruire en priorité, ce serait, sans conteste, celles dressées sur le chemin d’une intelligence des textes sacrés, peuplant les esprits formatés pour l’éternel taqlîd, l’imitation aveugle non contextualisée au mépris de la raison et de la logique de l’ikhtilâf, le principe garanti de la divergence et du débat.

 L’attaque au patrimoine de Tombouctou ne peut se comprendre que si l’on garde présent à l’esprit tout ce que cette ville représente pour l’Afrique, l’islam et l’humanité. Cette cité connue, à l’origine, comme un campement des nomades berbères du XIIIème siècle marquera l’histoire du commerce transsaharien durant tout le XIVème siècle. Tombouctou fait partie de cette époque de la grandeur en Afrique et de la civilisation sahélienne, notamment avec l’empereur Manding Mansa Mûsâ, l’homme du célèbre pèlerinage à la Mecque.

C’est en son temps que la Grande Mosquée de Djingareyber a été construite (1325 ap-JC) par un architecte andalou, Abû Ishâq as-Sahilî à qui le généreux empereur offrit, tout de même, 40 000 mithqâl (200 kg) d’or ! Au-delà d’une barbarie se drapant d’un manteau religieux, d’une étroitesse d’esprit signe d’une certaine pauvreté spirituelle conduisant à l’importation de cette idéologie, pourtant battue en brèche dès sa naissance dans les ouvrages de Sulaymân Ibn Abdulwahhâh (propre frère du fondateur du Wahhabisme, dans Aççawâ’iq al-ilâhiyya fi-r-radd ‘ala-l-wahhâbiyya) mais aussi de Yûsûf Ismâ’îl Nabhânî (Shawâhid-u-l-haqq), c’est cet esprit de Tombouctou que l’on a voulu tuer ! Car, c’est surtout l’esprit de Tombouctou qui dérange les idéologies sectaires telles que ce wahhabisme d’un autre temps. Tombouctou est la ville des échanges et de l’ouverture.

C’est de cette ville mythique que partit ce fils du Sahel qui émerveilla les Shaykh de Marrakech, ville de Qâdî ‘Iyâd : Ahmed Bâba al-Tinbuktî, tel que connu dans les classiques d’histoire au Maroc. L’image de l’érudit venu du Sûdân fit vite place à son statut de captif _ après l’aventure saadienne d’Al- Mansûr contre l’empire Sonhaï, en 1596_ ! N’est-ce pas, aussi, ce fils de Tombouctou qui démontra à l’époque, dans ses débats avec les Fuqahâ et oulémas maghrébins, que la pensée islamique n’a jamais été monolithique et que la philosophie du débat et de la divergence était aussi une réalité islamique ? Mais Tombouctou ne doit pas tomber ! Sinon le chemin est ouvert pour d’autres dérives, d’autres destructions de mausolées et pour une dictature « intellectuelle » favorable au règne de la nouvelle « sainte ignorance ».

 Dr. Bakary Sambe, Spécialiste du monde musulmanSenior Fellow, European Foundation for Democracy –(EFD) Bruxelles

Le régime d’Abdoulaye Wade : Des mesures liberticides à la profanation de la Zawiya Tijâniyya

Mardi 21 février 2012

Par Dr. Bakary Sambe

Source : oumma.com

Les images de ce vendredi, de fidèles qui s’étouffent et suffoquent en plein Dzikr (invocation), dans une mosquée bondée aux vitres cassées et assaillie de policiers à la chasse aux opposants, n’augure rien de souhaitable pour le Sénégal.

A force de vouloir se perpétuer, même illégalement, pour un troisième mandat anticonstitutionnel, le régime d’Abdoulaye Wade veut-il en arriver à casser le « contrat social sénégalais » ? Ce pays était connu dans le monde par l’harmonie presque parfaite entre ses communautés religieuses.

Heureuse exception dans  « l’Afrique des dictatures », le Sénégal, ce pays de 95 % de Musulmans, fut dirigé pendant vingt ans par Léopold Sédar Senghor, un président de confession catholique, soutenu par la plupart des confréries musulmanes. D’ailleurs, avant l’indépendance, le même Senghor était député du Sénégal colonial au Palais Bourbon, pendant longtemps plébiscité par les marabouts contre un musulman du nom de Lamine Guèye. Cela n’a jamais posé problème aussi bien au sein des communautés musulmanes que dans l’élite religieuse du pays de manière générale.

Mais, ces dernières semaines, cette « vitrine démocratique de l’Afrique » a commencé à s’écarquiller et la communauté internationale découvre un visage méconnu du Sénégal. Celui d’Abdoulaye Wade qui, non content de restreindre les libertés individuelles et politiques (interdictions de manifester et de se réunir), s’attaque maintenant à celle du culte.

La scène est insoutenable en plein centre de Dakar. En pleine séance de hadratoul Joumou’a (Dzikr du vendredi), un des piliers de la confrérie Tijâniyya qui se pratique, le vendredi après-midi, entre les prières d’Al –Asr et du Maghrib, les éléments de la police sénégalaise ont « bombardé » la foule de fidèles avec des lacrymogènes et autres projectiles, faisant fi des circonstances sacrées et du respect minimum dû à un lieu de culte.

La dérive liberticide s’installe au pays de la Teranga (hospitalité et savoir vivre) et n’épargne même plus des espaces aussi symboliques de l’islam et de la Tijâniyya . Cette Zawiya ainsi profanée a été fondée, au début du 20è siècle, par Cheikh El Hadji Malick Sy, une des « figures historiques de l’islamisation en profondeur du Sénégal » (voir oumma.com), en pleine période coloniale. C’était un des symboles de la résistance culturelle à la politique d’ « assimilation de l’indigène », chère à la troisième République.

Pourtant, beaucoup de témoignages rappellent que, même durant la colonisation, malgré la proximité géographique entre la Zawiya et le Palais du Gouverneur de l’Afrique occidentale française (AOF), l’Administration a toujours couvert d’un certain respect ce lieu « sacré » malgré les « gênes occasionnées par le muezzin ».

Mais, le régime de Wade n’en est pas à sa première profanation et violation de la liberté de culte comme d’opinion. En 2007, un haut responsable de l’opposition avait été arrêté à sa sortie de messe à l’occasion de la fête religieuse de Pâques au grand dam des autorités de l’Eglise et des défenseurs des Droits humains. C’est, aussi, sous Abdoulaye Wade que des évêques ont reçu des menaces de mort, à l’époque, unanimement condamnées par la classe politique du pays.

Cependant, l’évènement de ce vendredi 17 février, à une semaine d’un scrutin incertain tant la candidature de Wade est largement contestée bien que « validée » par un Conseil constitutionnel dont le salaire des membres fut généreusement augmenté à une semaine du dépôt des listes. Rappelons qu’il y a, à peine deux mois, Abdoulaye Wade avait même fait appel au lobbying de juristes français pour contrecarrer l’avis des constitutionnalistes sénégalais unanimes sur l’inconstitutionnalité de sa troisième candidature.

L’on se souvient la manière dont les conséquents per diem de ceux appelés les « tirailleurs français » de Wade, à la charge du contribuable sénégalais, ont fait l’objet de toutes les dénonciations dans la classe politique.

Aujourd’hui, la timide réaction des chancelleries occidentales, le soutien des caciques du régime et de leurs clientèles, semblent conforter Abdoulaye Wade dans sa volonté de vouloir rester illégalement à la tête du Sénégal. Hier, encore (17/02/2012), Karim, son fils et probable héritier d’une « république bananière » en gestation, était l’hôte de la société de communication Image Sept, sur les Champs Elysées pour prédire les résultats des élections de la semaine prochaine : 53 % pour Wade qui passerait au premier tour !

Les services d’un proche d’Alain Madelin, Anne Méaux de l’Agence Image Sept, dont nul n’ignore le passé militant au sein du Groupe Occident, assurent la communication de Wade comme elle s’occupait, jusqu’à sa chute, de l’image d’un certain Ben Ali. Le grand Cabinet parisien a bien pris le soin d’affecter la très connue sur la place du Paris communiquant, Marie Luce Straborsky, comme « coach » de l’« ami sénégalais », Abdoulaye Wade, pour les besoins d’un forfait qui se trame.

Presque sûr des résultats que l’opposition sénégalaise dit être « préfabriqués », le régime d’Abdoulaye Wade persiste dans la violation des libertés fondamentale après celle de la Constitution.

Mais les images de ce vendredi, de fidèles qui s’étouffent et suffoquent en plein Dzikr (invocation), dans une mosquée bondée aux vitres cassées et assaillie de policiers à la chasse aux opposants, n’augure rien de souhaitable pour le Sénégal.

Pourtant, à l’origine de tout cet acharnement, un simple rassemblement pacifique qu’un candidat de l’opposition voulait tenir à la mythique Place de l’indépendance et arbitrairement interdit par le régime de Wade. L’opposant « historique » de naguère qui a bien vite oublié les raisons et les circonstances de sa victoire contre Abdou Diouf avec tous les sacrifices consentis par notre génération. D’ailleurs, un de ses plus sérieux challengers, Idrissa Seck, en concluait hier que c’était bien « le Jour 1 de la dictature au Sénégal ».

Cet évènement inédit dans l’histoire politique et religieuse du Sénégal a, d’ailleurs, été à l’origine de violentes manifestations dans la ville de Tivaouane, capitale de la Tijâniyya sénégalaise et même dans d’autres cités religieuses du pays.

La vigilance est, donc, de mise car le Sénégal des poèmes de Senghor, chantre de la Négritude, le Sénégal de l’alternance politique pacifique en 2000, celui de la coexistence harmonieuse des religions et des peuples, des idéaux de la démocratie et de la Civilisation de l’Universel, est vraiment en pleine zone de turbulence.

Le Neuf 3, DSK et le Bronx ….

Jeudi 19 mai 2011

Source : oumma.com, jeudi 19 mai 2011
Par Badia Benjelloun
(….)
Il est exigé de l’opinion de la retenue, de la sérénité à l’endroit d’un homme connu pour sa perversion sous prétexte que l’inculpé doit bénéficier de la présomption d’innocence. Mais qu’en a-t-il été de la position de l’actuel prévenu dans l’affaire augurale d’une dérive ‘sécuritaire’ et surtout stigmatisante de la fausse agression du RER D en juillet 2004 ? Une jeune femme mythomane avait dénoncé un délit imaginaire au cours duquel de jeunes Arabes et Noirs l’auraient violentée, elle et son bébé de 13 mois. Le récit agrémenté de dessins au feutre sur la peau de son ventre, représentant des croix gammées inversées, avait mobilisé toute la classe politique et médiatique contre cet acte antisémite honteux. Une fois exposé le résultat de l’enquête, qui a révélé la teneur mensongère de la plainte, Strauss-Kahn interrogé sur ses condamnations hâtives et inopportunes de la jeunesse des banlieues, répondait sur Antenne 2 au journal télévisé de 20 heures, le lundi 12 juillet :

« Si c’est un coup monté, évidemment ça serait critiquable en tant que coup monté, mais ça changerait rien au fait que c’est la dixième ou la vingtième des agressions de ce genre. Même si celle-ci se révélait après coup, on en sait rien pour le moment, ne pas s’être exactement passée comme on vous le raconte, ce qui est sûr c’est qu’il y en a eu 20 avant ! » .

Lui sera-t-il appliqué par mesure de réciprocité et selon le principe de l’universalité, les mêmes règles compassionnelles ? La justice devra-t-elle se faire expéditive et se contenter du seul et confortable argument du « vraisemblable » , ici dans le cas de l’affaire du RER D du rendu vraisemblable, en renonçant à la recherche du vrai ? La victime de son acte prédateur, Nafissatou Diallo, a émigré dans la banlieue de New-York depuis sa Guinée natale sous l’effet d’une mondialisation qu’il a aidée à parachever. Elle aurait pu tout aussi bien être la sœur ou la cousine d’un de ces Noirs qui auraient assailli la mythomane du train de banlieue du neuf trois..

Révolutions en Afrique Subsaharienne : Qui verra venir ?

Mercredi 9 mars 2011

Par Danièle HUBERT
Il est aujourd’hui reproché aux dirigeants occidentaux de « n’avoir rien vu venir » à propos des révolutions en cours en Afrique du Nord. Facile à dire après coup : qui pouvait prévoir que le suicide d’un jeune marchand de quatre saisons allait enflammer le monde arabe ?
Mais il serait impardonnable qu’il en soit de même quant aux évolutions parfaitement prévisibles du reste de l’Afrique.
Chacun sait que le continent africain, réservoir de matières premières considérable, joue un rôle de plus en plus déterminant dans l’économie de la planète et les équilibres géostratégiques. Les entreprises multinationales y réalisent des bénéfices qu’elles veulent bien sûr préserver, mais le sous-sol africain suscite aussi la convoitise des pays émergents qui veulent assurer les approvisionnements indispensables à leur développement.
Parallèlement, la lutte contre le terrorisme et la nécessité de sécuriser les approvisionnements énergétiques amènent les grandes puissances à être particulièrement attentives à ce qui se passe en Afrique.
Malgré le trésor que constituent les ressources de son sol, l’Afrique peine à se développer. Ceci tient au fait que l’émergence de dirigeants pouvant permettre la mise en place d’un nouveau partenariat gagnant/gagnant avec les grandes puissances et les entreprises multinationales se trouve entravée par un management politique d’un autre âge, plus ou moins pérennisé par des acteurs internationaux qui manquent de vision : la communauté internationale et le monde entrepreneurial doivent cesser de soutenir de quelque manière que ce soit des régimes prévaricateurs, au Gabon ou ailleurs. Ils doivent refonder la préservation légitime de leurs intérêts sur le développement, l’enrichissement des populations et l’ouverture de nouveaux marchés potentiellement considérables. Tout le monde à tout à y gagner.
Incapables de considérer l’intérêt commun, les dirigeants de ces pays se montrent le plus souvent déconnectés des préoccupations de leurs peuples et détournent au profit de leur clan les richesses nationales, au lieu de gérer la part du commerce mondial qui leur revient dans l’intérêt de tous. Ces abus se traduisent par une misère inacceptable et des inégalités explosives (le Gabon enregistre le premier PIB d’Afrique avec 14 500 $ par habitant et par an, alors que 60% de la population y vit dans des bidonvilles au-dessous du seuil de pauvreté).
Les peuples protestent, font grève, manifestent, se mobilisent au travers d’associations… tandis que les pouvoirs issus de la prétendue démocratisation des années 1990, tendent à se crisper. Coups d’état, falsification des élections, manipulations constitutionnelles… maintiennent au pouvoir quasi systématiquement des régimes rejetés par des peuples résignés, et contraints au silence par la peur.
Dans la plupart des pays d’Afrique, près de la moitié de la population à moins de 15 ans. Souvent précarisées et sans perspectives, les nouvelles générations cherchent leur place. Dans les campagnes en crise, les ghettos urbains ou sur les campus paupérisés, elles inventent des références culturelles, alimentant de nouvelles formes de contestation. Dans cet univers mouvant où les réseaux sociaux prennent une importance majeure, la tentation de la violence s’installe comme une donnée sociale, un défi pour des populations en quête légitime d’un avenir meilleur, qu’elles savent à portée de main.
L’Afrique est riche. Une distribution plus juste de ses ressources en ferait pour demain l’un des marchés présentant les plus forts potentiels de développement, dans l’intérêt même des économies occidentales.
Les responsables de la diplomatie française comprendront-ils enfin que l’évolution démocratique de toute l’Afrique sub-saharienne est inévitable ? La France saura-t-elle se positionner favorablement pour accompagner un développement porté par une énergie populaire qui ne demande qu’à s’exprimer ? Qui en France saura impulser un nouveau partenariat avec les dirigeants de demain ?

Situation en Egypte, Frères Musulmans et risques de contagion…

Dimanche 27 février 2011

Entretien avec Bakary SAMBE, docteur en sciences politiques, spécialiste des relations internationales et du monde musulman, Senior Fellow à la European Foundation for Democracy (EFD), a récemment publié « Islam et diplomatie » (juillet 2010)

Comment analysez-vous ce vent de liberté et démocratisation qui balaye le monde arabe, comme récemment la Tunisie et l’Egypte ?

On pourrait appeler cela l’effet « cocotte-minute » ! Depuis des décennies la parole politique est bridée, les libertés élémentaires bafouées ; A force de privations et de répression, cela finit bien par exploser. C’est le cas en Tunisie avec le régime policier de Ben Ali et la corruption qui s’était érigée en système clanique. Mais cette situation a permis de de voir s’effondrer toutes les théories politiques essentialistes, notamment occidentales, qui enfermaient les sociétés arabo-musulmanes ou du tiers monde dans un carcan et les figeait dans l’immobilisme. Nombre de spécialistes croyaient que l’aspiration à la liberté, à la démocratie, aux droits de l’homme était l’apanage de certaines sociétés au détriment d’autres.

En effet beaucoup croyaient cela improbables …

Ce qui les a mis dans un désarroi inouï est le fait que ce soit parti de la Tunisie où on croyait le régime de Ben Ali être le produit de mécanismes sociaux figés à jamais. L’acte du jeune Mohammed Bouazizi qui s’est immolé a démonté tous les présupposés sur les populations arabo-musulmanes que l’on croyait seulement capable de transférer la violence sur le terrain du terrorisme et de la lâcheté. Mais cette situation exprime, par ailleurs, un ras-le-bol général démontrant que la « fin de l’histoire » que théorisait Fukuyama pouvait aussi partir du bas et n’était pas un simple processus messianique émanant d’un Occident devant exporter la démocratie libérale et l’économie de marché. Les choses sont beaucoup plus complexes. Le cas égyptien vient encore signer l’obsolescence de telles théories ; Et heureusement…

Y a t-il des risques de contagion dans la région ?

Il est clair que la jeunesse du monde arabe affranchie de la censure par la magie de l’Internet et de Facebook a bien retenu la leçon tunisienne. Des manifestations ont suivi en Algérie. Le Maroc voisin s’agite avec des appels à manifestations contradictoires selon les sensibilités, mais le plus important est que le débat est désormais posé et le gouvernement l’a bien compris qui a procédé à une baisse des prix de certaines denrées en prenant conscience de la nécessité de réduire le fossé entre riches et pauvres, par exemple. Le cas égyptien n’est pas seulement l’effet d’une contagion : des manifestations avaient bien eu lieu dans ce pays avant même la chute de Ben Ali. Le mouvement « Kifâya », (ça suffit, en arabe) avait bien germé depuis 2004 et ses slogan étaient repris durant ces deux dernières semaines sur la place Tahrir qui a jubilé à l’annonce de la démission de Mubarak après 30 ans de règne. Les mêmes ingrédients qui ont produit le ras-le-bol tunisien sont aujourd’hui tous réunis dans le monde arabe où on voit un pays comme le Yemen d’Ali Abdallah Saleh s’agiter. D’ailleurs des concessions importantes ont été faites par le régime de Sanaa avec la célèbre phrase du président yéménite qui fera certainement date : « lâ tawritha wa lâ tamdîda » (plus question de dévolution monarchique, ni de prolongement de mandat). Signe des temps, même la monarchie jordanienne toujours forte de l’allégeance des bédouins et des clans de la région du Karak semble secouée par des protestations demandant des mesures urgentes sur le plan sociopolitique, sans que cela soit le fait des seuls Frères Musulmans comme à l’accoutumée….

Parlons-en des « Frères musulmans », on craint, d’ailleurs, leur arrivée au pouvoir en Egypte. Selon vous, de telles craintes sont-elles vraiment justifiées ?

D’abord, il faudra s’accorder sur ce dont on parle. Fondée dans les années 20 par Hassan Al-Bannâ’, rappelons que la stratégie des Frères Musulmans s’appuie sur deux aspects : la prédication (da’wa) ou appel au respect des prescriptions religieuses selon une certaine lecture ; dans la société égyptienne, cela a réussi à mobiliser surtout dans les années 1980, les Frères sont également parvenus à s’infiltrer dans plusieurs associations de charité. Le deuxième aspect touche à leur rôle politique, avec un engagement fort en 1984 par une alliance avec le parti libéral Wafd qui leur a permis de faire entrer six députés au Parlement égyptien. En 1987, les Frères Musulmans furent au cœur de l’Alliance Islamique, une association composée de deux forces politiques légales de faible impact et de la Confrérie. Officiellement illégal à l’époque et qui le reste encore aujourd’hui. Cette alliance a obtenu 60 sièges au Parlement dont 35 détenus par les Frères. Jusqu’en 1995, les Frères ont continué à se présenter aux élections législatives et en 2000, ils obtiennent 17 sièges au Parlement. Pour dire que contrairement à l’image créée par les médias occidentaux, ils ont toujours joué la carte de la démocratie, comme d’ailleurs le FIS algérien jusqu’à l’interruption du processus démocratique. Je crois personnellement que ces partis, comme la Nahda en Tunisie (promettant de ne pas revenir le code du statut personnel et les droits des femmes) ont évolué. C’est l’exercice du pouvoir et la confrontation aux réalités avec des responsabilités à assumer qui les contraindront à cette évolution inéluctable ; le discours dans l’opposition se trouve toujours mis à l’épreuve dès qu’il s’agit de régler des problèmes socio-économiques. Ils ont conscience que la jeunesse qui a déclenché ce « printemps arabe » ne demandait pas des versets coraniques ou des hadîths et des mosquées mais du travail, de la formation, et par-dessus tout, de la liberté et de la démocratie. A mon avis, ce sont là des assurances qui peuvent dissiper toutes les craintes ! Voyez le cas de l’AKP avec Erdogan en Turquie ! Si les Frères Musulmans tiennent le discours de la démocratie pour se faire accepter, ils finiront par être tenus par leur discours ! Il va être intéressant de suivre leur évolution, maintenant, dans un contexte égyptien en transition……

Est-ce qu’une arrivée au pouvoir des « Frères musulmans » en Egypte peut avoir un impact sur la géopolitique dans la zone surtout vis-à-vis d’Israël ?

Il est clair que l’Egypte est un point central de la géopolitique du Moyen-Orient ; Obama l’avait bien compris qui y prononça son discours de 2009. Moubarak et Abdallah II de Jordanie sont les alliés incontournables des Etats-Unis dans le cadre du processus de paix qui tarde à tenir ses promesses. Les Frères Musulmans étaient soupçonnés dans l’assassinat de Sadate après les accords de Camp David. Mais, comme je l’ai dit sur la question démocratique, même si les Frères musulmans, après tout, la première force du champ politique égyptien arrivaient aux affaires, les contraintes politiques locales, les exigences économiques qui font que l’Egypte est demandeuse d’aide occidentale et surtout l’aspiration à la paix de ces peuples du Moyen-Orient, vont infléchir leur attitude vis-à-vis du processus de paix. Certainement Israël serait amené à être moins intransigeant et que les Etats-Unis vont revoir leur copie surtout pour atténuer l’anti-amaricanisme dans la rue et l’opinion publique arabes. On a bien observé la retenue des autorités américaines qui n’ont pas voulu se mettre à dos les manifestants par précaution. Imaginez, si Washington s’était rangé aux côtés de Moubarak, malgré les pressions saoudiennes, comment assainir par la suite les rapports avec les Egyptiens. Je crois que nous sommes véritablement dans une nouvelle ère…

Pouvez-vous revenir rapidement sur l’évolution de la crise égyptienne qui a eu finalement l’issue que l’on sait ?

Je n’ai jamais voulu faire des prédictions surtout en politique qui est une usine à surprises par nature ! Mais il était permis d’imaginer plusieurs scenarii possibles : Jusqu’à hier Hosni Moubarak n’avait, en apparence, manifesté aucune intention de partir et croyait toujours pouvoir s’en sortir, mais avec le durcissement du ton dans la rue égyptienne qui n’a rien voulu céder en bravant un couvre-feu datant de la mort de Sadate, le Raïs a bien été obligé de quitter le pouvoir. Mercredi, la déclaration de Omar Suleiman issu des élites de l’armée semblait insinuer que celle-ci avait fait le choix de protéger le régime. Les choses se sont précipitées et ce régime ne pouvait plus compter sur des soutiens dans un pays où la révolte avait déjà gagné les syndicats, les jeunes et même les fonctionnaires. La situation était intenable : le peuple a eu raison de la dictature et même de la force, car il ne faut pas oublier que l’on a décompté plus de 300 morts parmi les manifestants. Je pense qu’à partir de là, ils ne pouvaient plus faire machine arrière…

Et que peut-il se passer dans les jours à venir ?

Hosni Moubarak a donc fini par céder après 18 jours de mobilisation. L’homme fort de l’Egypte depuis 30 ans vient d’annoncer, par la voix de son vice-président Omar Souleimane, qu’il quittait le pouvoir et le confiait à l’armée. Il faudra être attentif maintenant sur la manière dont elle va gérer la transition : sera-t-elle loyale par rapport à la population qui a consenti de nombreux sacrifices conformément à la fibre nationaliste qu’on lui connaît ? Les prochains jours nous édifieront. Mais ma grande question est comment les régimes arabes vont maintenant contenir l’onde de choc partie de Tunis. Le vent de la liberté et de démocratie qui vient de souffler sur l’un des plus importants pays du monde arabe va-t-il épargner les autres ? Une heure à peine après sa démission, les puissants Frères musulmans de Jordanie déclaraient, par la voix de leur porte-parole, Jamil Abu Bakr, que le départ de Moubarak « doit être une leçon pour beaucoup de régimes arabes. Il est intervenu grâce à la volonté du grand peuple égyptien et est le résultat de l’injustice et de la corruption.» Ces deux derniers symptômes étant omniprésents dans le monde arabe, on peut légitimement se demander si la leçon tunisienne et l’expérience égyptienne ne vont pas encore faire des émules…
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Quel avenir pour la Tunisie – Interview de M. Chérif Ferjani

Dimanche 13 février 2011

Quel avenir pour la Tunisie ?
Par Julie Langlois

source : Lyon Capitale

INTERVIEW – Mohamed-Chérif Ferjani, politologue, spécialiste de l’Islam et du monde arabe tente de répondre à cette question pour Lyon Capitale. Né en Tunisie, il est professeur à l’Université Lyon 2, chercheur à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée. Ancien prisonnier politique en Tunisie de 1975 à 1980, il est membre fondateur de la section tunisienne d’Amnesty International. Lundi 7 février, il donnait une conférence à l’Université Lyon 3 sur le thème : « La Tunisie aujourd’hui et demain ? ».

Lyon Capitale : Quel est votre point de vue sur les événements qui se sont déroulés récemment en Tunisie ?

Pour moi, ce qui se passe en Tunisie est un événement historique important qui suscite beaucoup d’espoir pour les Tunisiens et pour toute la rive Sud de la Méditerranée, voire le reste du monde. C’est d’autant plus important que tout le monde, en Tunisie comme ailleurs, a intégré l’idée que le système de Ben Ali était trop fort pour être renversé. C’est donc un grand soulagement pour le peuple tunisien.

La partie est cependant loin d’être jouée et pour tourner définitivement la page de la dictature et instaurer la démocratie, la Tunisie va devoir affronter d’autres défis. Malgré la fuite de Ben Ali et de beaucoup des membres de sa famille, malgré l’arrestation ou la mise en résidence surveillée de ses proches qui n’ont pas pu quitter le pays à temps, malgré le début du démantèlement du Parti-Etat comme rouage principal de la dictature, le limogeage ou la mise à la retraite de ministres, de gouverneurs, de haut gradés de l’administration et de la police trop liés au système déchu et considérés comme un obstacle à la réalisation des objectifs de la révolution, voire comme une menace à la sécurité de pays, et malgré les différentes mesures prises par le gouvernement de transition, il reste encore des obstacles à franchir pour atteindre les objectifs de cette révolution.

Quel avenir se dessine selon vous pour la Tunisie ?

Le démantèlement des rouages de la dictature, avec la dissolution du RCD (parti de Ben Ali), est bien entamé ; mais l’essentiel reste à faire pour instaurer la démocratie. Les prochaines élections présidentielles , dans 6 mois auront lieu trop tôt selon moi, car beaucoup de partis étaient jusqu’ici muselés comme toutes les expressions autonomes de la société. Il faut que les expressions sociales et politiques aient le temps de s’organiser, d’élaborer des programmes, de confronter leurs projets, de les faire connaître pour que la population sache pour qui et pour quoi elle va voter. La Tunisie est actuellement dans une période de transition où tout reste à faire, que ce soit au niveau des institutions, des programmes politiques ou encore du code électoral sur la base duquel les élections seront organisées.

Quelles sont les revendications de la population tunisienne ?

Le mot d’ordre principal du soulèvement était : Travail/ Liberté/ Dignité. Pour ce qui est de la Liberté, durant cette période de transition, nous assistons à une reconnaissance des partis politiques qui ont demandé à l’être, le pluralisme politique associatif et médiatique est en passe de devenir une réalité. De même, le gouvernement a ratifié des conventions internationales concernant les droits humains (abolition de la peine capitale, de la torture et des traitements dégradant pour la dignité humaine, adhésion à la création du tribunal pénal international), levé les réserves de la Tunisie sur la convention relative à l’élimination des discriminations à l’égard des femmes (comme l’inégalité en matière d’héritage ou l’interdiction du mariage entre une femme musulmane et un homme non-musulman) ; ce genre de mesure donne une orientation démocratique à l’évolution de la situation et est malheureusement peu médiatisé.

En ce qui concerne la dignité, les Tunisiens ne supportent plus l’arrogance de la police et de l’administration dont les attitudes reproduisent celles de l’ancien système. Des personnes sont mortes sous la torture et brûlées dans un commissariat de police. Dans plusieurs endroits, on continue à traiter la population avec mépris. Des émeutes continuent à éclater partout pour dénoncer ces pratiques. Les Tunisiens veulent être traités avec dignité.

Que doit faire le peuple selon vous dans cette période de transition ?

Il était déjà nécessaire avant de virer certains cadres et agents de la police. Les manifestations étaient, au départ, pacifiques, mais elles sont aujourd’hui souvent violentes à cause de l’attitude de la police et de certains responsables de l’ancien Parti-Etat qui continuent à agir comme par le passé. On ne peut pas exclure une part de manipulation de ces responsables envers la population pour engendrer des émeutes afin de créer le chaos. Le but, pour ces opposants à la révolution, étant de restaurer la dictature et de détourner le mouvement de son orientation démocratique. La population a raison de réagir contre les pratiques de la police et des responsables du RCD.

Que doit faire le gouvernement actuel selon vous ?

Le gouvernement de transition n’a pas le droit de prendre prétexte des agissements qui sont à l’origine des émeutes pour restreindre la liberté d’expression. Il doit permettre la libre expression de toutes les opinions, par tous les moyens légaux, y compris par des réunions et des manifestations publiques, et cela pour celles et ceux qui le soutiennent, comme pour celles et ceux qui contestent, à tort ou à raison, sa légitimité. Pour ce qui est du travail, les pouvoirs publics doivent avoir comme priorité de préserver les emplois existants et créer, au plus vite, de nouveaux emplois, notamment pour les jeunes et dans les régions défavorisées d’où est parti le soulèvement qui a conduit à la chute du régime de Ben Ali.

Est-ce que les propositions des politiques tunisiens en place vous semblent cohérentes ?

L’un des ministres reconduit, et réputé pour être intègre et compétent, avait déjà présenté un plan dans lequel se retrouve beaucoup de ces propositions syndicales et de l’opposition. Ce plan a été écarté d’un revers de main car jugé trop coûteux ! On n’a vu que ce plan risquait d’enlever à la mafia son pouvoir sans tenir compte du coût social et politique de ce rejet. L’Etat doit reprendre l’initiative, renoncer à son désengagement, favoriser l’implantation d’entreprises et d’activités économiques pourvoyeuses d’emplois, et donner l’exemple en consacrant une part plus importante de ses investissements à ses objectifs. Mais, en raison des difficultés inhérentes à la conjoncture actuelle, et de l’urgence d’une politique prenant en compte les espoirs de la population, on ne doit pas courir le risque de décevoir encore une fois. Tous ceux qui veulent et qui ont intérêt à voir une démocratie s’instaurer sur la rive sud de la Méditerranée, doivent y contribuer.

Que peut faire la France pour aider à la reconstruction économique et sociale de la Tunisie ?

La France et les pays européens, qui ont eu tort de porter à bout de bras la dictature corrompue de Ben Ali, ont là une occasion de se racheter, en apportant leur aide à la réussite de la révolution démocratique en Tunisie. Les états européens ont gelé les avoirs de Ben Ali et de sa famille proche (estimés par Forbes à au moins 5 milliards de dollars, l’équivalent du budget tunisien). C’est une enveloppe assez importante pour garantir une aide substantielle à la Tunisie dans l’effort qui doit être consacré à la création d’emplois. Le manque d’emplois risque en effet d’aggraver la crise sociale et de compromettre les espoirs démocratiques. La France et l’Europe disent vouloir aider la Tunisie ; il faut que les actes suivent le discours.

Par comparaison à la Tunisie, pensez-vous que les Marocains respectent leur roi Mohammed VI ?

Au Maroc, le système est différent. Les structures traditionnelles n’ont pas été démantelées et continuent à fonctionner. Il existe une certaine forme de liberté d’expression à la différence de la Tunisie. Par exemple, les chômeurs peuvent parler librement et sont rassemblés dans des associations indépendantes du gouvernement. Il n’y a pas un vide entre le pouvoir et la société. Le pluralisme syndical et associatif existe et c’est très important car il permet de faire le relais entre le pouvoir et la population. Le chômage existe ainsi que des disparités socio-économiques importantes, mais contrairement à la Tunisie, les Marocains accèdent à la liberté d’expression, ce qui permet de tempérer la crise. Au contraire, en Tunisie, tout passe par l’Etat et rien ne se fait encore en dehors de l’Etat.

Mots-clés : tunisie , professeur , Maison de l’Orient et de la Méditerranée , avenir , Université Lyon 2 , spécialiste de l’islam , politologue , Mohamed-Chérif Ferjani

Révolution en Tunisie et en Egypte. Réflexions au 4 février 2011

Dimanche 6 février 2011

Par Jean-Paul Baquiast

A quel titre pourrions nous proposer ici des réflexions sur un phénomène qui avait pris tout le monde de court, y compris évidemment nous-mêmes? La question mérite d’autant plus d’être posée que se multiplient les commentaires venant de personnes qui à tort ou à raison se prétendront mieux informés que nous. Ceux de ces commentaires qui nous parviennent sont généralement très pertinents. Difficile donc de faire mieux.

Nous avons cependant en tant qu’éditeur d’Automates Intelligents un petit avantage méthodologique (dont d’ailleurs nous n’avons pas le monopole), celui provenant de l’approche systémique, celle qui recherche, derrière les évènements, à identifier le jeu de superorganismes de diverses natures associant à des humains des technologies et des concepts. Parlons pour simplifier de systèmes anthropotechniques ou anthropotechnomémétiques, pour saluer le travail de décryptage que font, parallèlement à nous, nos amis de la mémétique. Nos lecteurs savent ce dont il s’agit. Les autres trouveront toutes informations utiles sur nos sites.

La révolution populaire et ses acteurs

On a parlé de « soulèvement des peuples tunisien et égyptien », longtemps opprimés par des pouvoirs sur lesquels nous reviendrons dans la seconde partie de cet article. Cette image plait bien aux imaginations révolutionnaires. On pourrait la contester, en la rattachant à un romantisme sans liens avec la réalité des populations tunisienne et égyptienne. Nous pensons au contraire qu’elle est profondément juste. Précisément parce que les peuples en question nous paraissent exister concrètement. Il s’agit de tous les jeunes et moins jeunes des classes dites éduquées », regroupés par les réseaux de la radio, de la télévision et d’internet. Ceux-ci comme toujours en de telles situations peuvent contribuer à dynamiser des éléments moins informés, femmes, travailleurs ruraux…. Cette importance des réseaux numériques a été mille fois soulignée et commentée. Mais on est encore loin des analyses un peu scientifique qu’elle exigerait.

Nous sommes là concrètement en présence d’un système anthropotechnique qui n’est pas aussi facile à étudier qu’il semble. Certes, ses agents, par définition, ne s’y dissimulent pas mais au contraire s’y exposent. On y trouve des humains mais aussi des idées et des images (autrement dit des mèmes). Tous s’y expriment, se renforcent et mutent en permanence. Malgré les différences de langages, les contenus révolutionnaires en émanant ont circulé et continuent à le faire très largement. Cependant les forces émettrices et réceptrices de ces contenus sont plus difficiles à identifier qu’il ne semble. Des analyses géopolitiques complexes s’imposent pour ce faire, qui elles- mêmes seront différentes selon les appartenance des observateurs-acteurs.

Bornons-nous ici à constater qu’une communauté d’approche s’est ainsi établie entre les mouvements démocratiques européens et leurs homologues dans le monde arabe, particulièrement dans le Maghreb et l’Egypte. Les bons exemples circulent dans les deux sens. C’est ainsi que la gauche européenne est en train d’apprendre certaines choses utiles à partir de l’exemple tunisien et égyptien, quel que soit l’avenir des révolutions dans ces deux pays. Notamment le fait qu’un pouvoir autoritaire, aussi bien installé qu’il semble être, puisse trébucher sur un événement apparemment fortuit. La « contamination démocratique » sur le mode viral ne arrêtera sans doute pas à la Tunisie et à l’Egypte. Il est très probable qu’elle touchera tout le monde arabe.

Les « mèmes » démocratiques au sens occidental, incluant l’égalité entre hommes et femmes et la laïcité, ne sont pas les seuls à circuler au sein du vaste système anthropotechnique qui relie aujourd’hui tous les humains connectés aux réseaux autour du thème de la révolution. On y retrouve les mèmes religieux, plus particulièrement ceux de l’islam. Comme les peuples arabes sont dans leur très grande majorité de religion musulmane, les images de leurs révolutions comporte aussi beaucoup d’images contribuant à répandre des comportements telles que les prières dans les rues qui ne sont pas acceptés en Europe mais qui recruteront par suite de ces exemples de nouveaux adeptes dans les populations musulmanes européennes. On sait à cet égard combien l’islam et l’islamisme ont su construire des mèmes favorisant leurs diffusions dans des sociétés jusque là réticentes ou hostiles.

Nous pouvons indiquer à ce sujet que si les forces démocratiques européennes sont véritablement convaincues des bienfaits, non seulement des élections libres mais des droits civils, de la liberté d’expression et du rôle essentiel des contre-pouvoirs caractérisant la démocratie européenne, elles devront en conséquence reconnaître que la démocratie dans des pays musulmans devra tenir compte de la religion voire de la charia. Mais les forces démocratiques européennes devront en contrepartie demander qu’en Europe règne le droit et les moeurs européens, sans concessions à l’égard d’exigences de multiculturalité émanant de minorités revendiquant leur appartenance à telle ou telle religion. Évidemment le jugement des Européens à l’égard de l’islam dans les pays musulmans deviendrait plus hostile si celui-ci, dérive toujours possible, même et surtout dans un pays en train de devenir une démocratie politique, se radicalisait et prônait la guerre sainte à l’égard des sociétés non musulmanes.

Le réseaux des « régimes rentiers »

Nous emprunterons cette expression et l’analyse qui la sous-tend au politologue Zaki Laïdi. Celui-ci dans un article du Monde en date du 03/02/2011, a décrit sans reprendre notre propre terme ce que l’on peut appeler un réseau de systèmes anthropotechniques s’articulant autour des industries du pétrole et de l’armement. Le noeud de ce réseau se trouve autour des lobbies politico-industriel du pétrole et de l’armement américain, dont la Maison Blanche et le Pentagone constituent la tête visible. Mais le réseau a diffusé à partir de 1973 dans tout le Proche et le Moyen Orient, à la suite de l’augmentation des prix du pétrole. Ce phénomène a fait « de la quasi-totalité des régimes arabes des régimes rentiers au fonctionnement parfaitement identifié ».

Selon Zaki Laïdi, un régime rentier est un régime où l’Etat exerce un très fort contrôle sur les sources de la richesse, une richesse produite sans création de valeur ajoutée dans le pays et largement dépendante de l’étranger pour sa valorisation. Cette richesse ne se limite pas seulement au pétrole, pour les Etats qui en disposent. Elle peut être représentée, comme en Egypte, par le tourisme ou le Canal de Suez. La structure rentière sépare l’Etat et les couches associées au pouvoir de la population. Elles s’enrichissent tout en s’accommodant parfaitement du chômage des classes pauvres. « Mieux vaut avoir en face de soi des chômeurs ou des travailleurs précaires dont on achètera le soutien contre un logement ou quelques avantages sociaux que de laisser se constituer une classe sociale créant de la richesse par elle-même et capable de s’autonomiser par rapport à l’Etat au point de commencer à lui demander des comptes et de contester son pouvoir ».

L’extension du chômage résultant de l’accroissement démographique des populations et d’un accaparement de plus en plus égoïste des richesses par des familles dirigeantes crée des revendications de plus en plus fortes, prenant différentes formes, révolutionnaires, religieuses, terroristes. Pour s’en prémunir, les Etats rentiers ont fait un large appel aux armements sophistiqués procurés par le coeur du système anthropotechnique militaro-industriel global, c’est-à-dire les Etats-Unis. Ceux-ci, outre des armements, ont fournis des formations et des avantages divers aux forces armées des Etats rentiers.

Les militaires, dans ces Etats, ne se confondent pas nécessairement avec les gouvernements. Ils ont tendance à se transformer en sous-systèmes anthropotechniques spécifiques. Cependant contrairement à ce qu’espèrent parfois les oppositions démocratiques, ils sont par essence si l’on peut dire incapables de se constituer en gouvernement vraiment démocratique, reposant sur une large base populaire civile. Les oppositions à Hosni Moubarak espèrent trouver en l’armée égyptienne un appui solide. On peut en douter. La preuve en est qu’au soir du 4 février, qui devait marquer le départ du Raïs, celui-ci est toujours là. Les Etats-Unis aussi.

Le concept d’Etat rentier est intéressant car il peut s’appliquer à certains des cercles les plus riches et les plus influents à la tête des Etats occidentaux, Etats-Unis et pays européens compris. Ces Etats ne sont pas des dictatures autoritaires. Mais ils sont loin d’être encore des démocraties idéales. Les classes dirigeantes dans ces pays ont intérêt, comme dans les régimes rentiers, à maintenir une part importante de la population dans le sous-emploi, afin de diminuer leur force revendicative. Dans le même temps, elles favorisent l’immigration de travailleurs précaires provenant des pays pauvres

Conclusion provisoire

Nous voyons donc actuellement se mettre en place une confrontation de type darwinien, pour l’acquisition du pouvoir et des ressources, entre des réseaux anthropotechniques solidement organisés, disposant de l’ensemble des technologies industrielles associées au pétrole et à l’armement, et des réseaux regroupant des populations bien plus nombreuses mais désarmées, celles des sociétés arabes en lutte pour la démocratisation. La seule arme capable de mobiliser ces populations, dont il est encore difficile d’apprécier l’efficacité à terme, se trouve dans l’internet et la télévision.

Bien que ces technologies numériques soient largement utilisées et détournées par les pouvoirs, elles offrent des champs de mutation chaotique dont nul n’est aujourd’hui capable d’apprécier la force. Les semaines et les mois qui viennent permettront sans doute d’en juger. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Il faudra aussi essayer d’évaluer l’impact des évènements d’Égypte sur le reste du monde, sur Israël en premier lieu, mais aussi l’Inde, la Chine, la Russie et tous les Etats en relations plus ou moins conflictuelles avec des sociétés musulmanes.

Tunisie, Egypte, le même but mais…

Lundi 31 janvier 2011

Tunisie, Egypte, le même but mais…

(Source: Agoravox)

Il est évident que le peuple égyptien s’est révolté, suivant l’exemple du tunisien, avec le même but, à savoir se débarrasser de son président, le « raïs », véritable potentat en place depuis un peu plus de…32 ans (contre 23 pour son « collègue » tunisien, en fuite).

Mais si ce peuple arrivait à ses fins – ce qui n’est pas encore le cas – quelles seraient les conséquences pour cette nation stratégique dans la région et riche de 80 millions d’âmes ?

Certainement pas les mêmes que celles qui s’installent actuellement en Tunisie.

Il faut tout d’abord souligner que les deux révoltes ont eu des sources différentes. Rurales en Tunisie, citadines en Egypte. Que la première a été a été assez rapidement encadrée, puis menée à son terme, par un syndicat puissant et surtout une classe moyenne mature et responsable, couche sociale très importante dans le pays, au contraire de l’Egypte.

La révolte de celle-ci, après les premiers soubresauts, a été par contre récupérée en grande partie par les « frères musulmans », religieux pugnaces, combattus fermement par le pouvoir. Le choix du vendredi, jour réservé à l’exercice de l’islam, pour lancer les manifestations de masse en témoigne. Comme les prières exécutées par des milliers de manifestants dans les rues et avenues devant les caméras et les cris de « Allah Akbar », « Dieu est Grand » qui ont conduit les cortèges.

Et c’est justement ce dernier élément qui fera la différence entre les deux mouvements si jamais les égyptiens arrivaient à se débarrasser de leur octogénaire raïs et de ses sbires. Il est indéniable que le pays des pharaons une fois libéré, serait soumis à une religiosité beaucoup plus présente qu’actuellement. Il ne faut pas oublier que la population des déshérités, beaucoup plus pauvre que celle de la Tunisie, constituera un ferment propice à la propagation du « refuge religieux ».

En Tunisie la question n’est pas trop d’actualité. Une fois le dictateur éjecté et après quelques jours de contestation devant le siège du Premier Ministre, le peuple a réussi à exclure du gouvernement dit « de transition » la quasi-totalité des représentants du parti alors au pouvoir, le RCD. Le cabinet en place, où ne siège aucun religieux, est chargé, rappelons le d’organiser des élections législatives comme présidentielles dans un délai de six mois, quitte à modifier certains articles de la constitution et du code électoral.

Mais, et il faut le souligner, dans la paix et la liberté de paroles revenues, la rue tunisienne discourt entre autres de l’éventuelle arrivée en politique d’un parti religieux légal et même de savoir s’il est toujours opportun de conserver dans la Constitution, la mention qui affirme que l’Islam est la religion de l’Etat.

Sur le sujet, les avis sont partagés. Certains prétendent que le parti religieux qu’on pourrait désigner comme « musulman démocratique » serait identique à la « démocratie chrétienne » de l’Occident. D’autres par contre, continuent de s’interroger. Il est vrai qu’apparemment – certains reportages télévisés l’ont hélas démontré – la majorité des religieux incarcérés sous l’ère Ben Ali et qui ont été récemment libérés sont apparus, quelquefois dans les paroles mais surtout dans les attitudes, parmi les plus fervents adeptes de l’Islam pur et dur.

Et compte tenu de l’énorme affluence populaire qui a réceptionné dimanche à Tunis le retour au pays après 20 ans d’exil de Rached Ghannouchi le leader islamiste, on se demande dès lors si d’une part les mosquées du pays resteront interdites d’accès en dehors des heures de prières comme elles l‘étaient jusque là, et d’autre part s’il sera désormais interdit à ces mêmes mosquées de dispenser l’enseignement primaire aux enfants qui ne sont pas encore en âge de scolarité. Quelques uns se mettent aussi à rêver qu’entre autres « libertés religieuses »,… le mariage civil (il n’en existe pas d’autre dans le pays) entre homme et femme de confessions différentes, soit enfin possible.

Tout laisse supposer toutefois que la laïcité qui nourrit la Tunisie depuis des lustres, à travers ses élites et la quasi-totalité de sa classe dite moyenne, la mettra à l’abri de tout excès religieux.

Ce qui n’est pas encore le cas en Egypte. D’autant que son armée, au contraire de la tunisienne, n’a pas encore pris parti pour le peuple. Le monde occidental, inquiet comme l’est son chef de file, les Etats Unis d’Amérique, principal bailleur de fonds du régime de Moubarak, n’a pas encore désavoué totalement le pouvoir du raïs. Il lui demande des réformes profondes plutôt que de « prendre la fuite comme l’autre ».

Il est donc fort à parier que la révolte sanglante des égyptiens ne conduira pas à une complète révolution. D’autant que la position géographique de cet énorme réservoir humain, se trouve, comme la Jordanie et la Syrie, aux pouvoirs semblables, bien proche d’Israël, le chouchou de ces mêmes occidentaux.

http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/tunisie-egypte-le-meme-but-mais-88031

Égypte : le souffle tiède de la révolte

Lundi 31 janvier 2011

Par Marie Girod

Plusieurs symboles sacrificiels en Algérie, Mauritanie et Egypte attirent l’attention sur le niveau de désespoir des populations concernées. Quatre hommes au Caire ont procédé par immolation dont deux devant le Parlement, lieu stratégique devant lequel se déroulent habituellement les protestations hebdomadaires des Égyptiens.

Scepticisme et tension règnent. Si les Égyptiens partagent la joie de voir la Tunisie s’être débarrassée de son tyran, croire que l’Égypte pourrait faire de même dans les semaines à venir laisse dubitatif. L’Égypte et la Tunisie, d’un point de vue politique et économique subissent les mêmes contraintes depuis trois décennies. Mais l’argument qui les dissocie concerne l’idée d’une faiblesse de la conscience politique des Égyptiens.

Peut-on condamner si vite un peuple à ne pas participer au champ des possibles ?

Ahmed, commerçant d’une cinquantaine d’années dont la boutique se situe à deux pas du Parlement est sceptique quant à une révolte en Égypte à court terme, car les jeunes n’ont plus d’espoir : « Je me rappelle les émeutes dans les années 70 à propos de la hausse des prix, les gens sont descendus dans les rues et la police a réprimé dans le sang».

Or, l’Égypte est à l’aube d’élections présidentielles (septembre 2011) jouées d’avance préparant le renouvellement de l’ère Moubarak. On ne trouve plus beaucoup de gens pour apprécier certains « bénéfices » de la politique dictatoriale du PND (Parti au pouvoir), le ras le bol a gagné toutes les strates de la société, d’où une fonction unificatrice.

D’après Tewfik Aclimandos, chercheur au Collège de France, « les Égyptiens ont une conscience politique mais ne croient pas les hommes politiques. Si l’on compare avec la Tunisie, les classes moyennes tunisiennes sont plus instruites, l’autoritarisme tunisien plus crispé. La hausse des prix en Égypte est facteur de risques d’ insurrection populaire».

Démocratie, Dictature, ou Islamisme ?

L’Occident entretient un double discours qui consiste à promouvoir les valeurs démocratiques dans le monde arabe via le dialogue culturel entre autres, mais lorsqu’il s’agit de la liberté des peuples à s’autodéterminer l’Occident devient frileux, prône qu’une dictature vaut mieux que le risque de voir les pays aux mains des islamistes.

Les Frères musulmans sont en réalité très divisés sur la manière dont ils gouverneraient l’Égypte ce qui ne permet pas d’envisager qu’il serait aisé pour la confrérie de prendre le pouvoir dans un avenir proche, surtout par la force. Quant à la menace d’un coup d’état qui suivrait une destitution du pouvoir actuel n’est pas la seule option pour l’Égypte, meme si cette dernière force est numériquement importante et socialement soutenue.

De l’opposition émergent de nouveaux mouvements ces dernières années tel le Hashd (Mouvement démocratique populaire pour le changement), héritier des nasséristes pour une part, qui appelle ce 25 janvier, jour de la fête de la police, à l’insurrection. Jihan Ibrahim, membre du Hashd, rappelle le mouvement des ouvriers de Mehala (au nord du Caire) en 2008, et la succession de grèves aux motifs diverses depuis. « Le choix symbolique du jour de la police pour manifester vise directement cet état policier qui est un instrument brutal du régime pour réprimer les libertés. Je doute, explique Jihan Ibrahim que la révolte se déclare ce jour-là mais j’espère que le president prendra cela comme un avertissement qu’il peut lui arriver la même chose qu’à Ben Ali en Tunisie.»

http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=22877

Présentation à Casablanca de l’ouvrage « Islam et diplomatie: la politique africaine du Maroc » de son auteur Bacary Sambe

Lundi 1 novembre 2010

26/10/2010 08:07.
(MAP) Maghreb Arabe Presse

Paru en langue française aux éditions « Marsam », cet essai de 238 pages met en lumière les liens séculaires entre le Maroc et le Sénégal en particulier et les pays de l’Afrique de l’Ouest en général. Des liens séculaires où la dimension religieuse revêt une importance particulière, compte tenu du rayonnement spirituel du Royaume au niveau du continent africain qu’illustre parfaitement la « Tariqa Tijaniya », qui compte des millions d’adeptes dans les pays d’Afrique de l’Ouest, a tenu à expliquer M. Sambe dans une déclaration à la MAP.

Pour M. Abdelwahab Maalmi, professeur des relations internationales à la faculté de Droit de Casablanca, l’ouvrage retrace l’histoire du Maroc, « carrefour entre l’arabité, la berbérité et l’africanité » qui reste « ce pays, cet arbre, avec la posture singulière de pouvoir autant tendre ses branches vers la Méditerranée que de persévérer dans la préservation de ses racines africaines ».

Cette oeuvre tente également d’analyser les facteurs qui garantissent au Maroc, « pays de ressourcement spirituel pour des millions d’Africains, son prestige diplomatique en Afrique », fondé sur l’histoire, l’imaginaire et surtout son statut de « modèle religieux », a dit M. Maalmi, précisant que cet essai part du passé historique pour déboucher sur les stratégies africaines du Maroc contemporain « qui a toujours pu s’appuyer sur un héritage largement nourri de références religieuses et spirituelles ».

Ont assisté à la cérémonie de présentation de cette Âœuvre une palette d’intellectuels ainsi que des politologues, des chercheurs et des hommes de lettres.

Bakary Sambe est docteur en Sciences politiques spécialisé en Relations internationales (IEP de Lyon) et titulaire d’un Master en langues et civilisations étrangères. Il est chercheur au sein du Groupe de recherches sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (GREMMO) connu pour ses études des rapports arabo-africains.

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