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Dr. Bakary Sambe au Journal le Monde : « Le soufisme doit se renouveler pour séduire les jeunes attirés par le salafisme »

Vendredi 26 février 2016

Multiplication des contrôles de police, arrestations d’imams, fermeture de mosquée… L’Etat sénégalais a renforcé ses mesures de sécurité depuis les attentats de Bamako, fin novembre 2015, et de Ouagadougou, en janvier. Des événements qui marquent « la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest », selon Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute African Center for Peace Studies et coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique.

Contre la menace terroriste qui plane désormais sur le Sénégal, celui-ci préconise une réactualisation du discours des guides religieux qui, depuis longtemps, constituent un élément de cohésion sociale auSénégal.

Peut-on parler d’une radicalisation islamique de la société sénégalaise ?

La radicalisation reste un phénomène marginal parce que l’islam majoritaire au Sénégal est essentiellement soufi, confrérique et tolérant. Le champ religieux sénégalais est diversifié depuis les années 1950. C’est à partir des années 1970-1980 que des mouvements sont nés sur la base de leur opposition au système confrérique, considéré par certains comme « impur ».

Ces mouvements sont animés par l’idéologie salafiste qui s’est diffusée depuis le Moyen-Orient par le biais de la prédication, la da’wa. Le terreau idéologique était certes bien là depuis longtemps, mais c’est le phénomène de la mondialisation et la réduction de l’espace par les moyens de communication modernes qui en ont accéléré la propagation.

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Aujourd’hui, on assiste donc à l’aboutissement d’une longue évolution. Et ce malgré l’illusion longtemps entretenue dans les études africaines d’un islam subsaharien qui serait en marge de l’évolution globale des sociétés musulmanes.

Le Sénégal est l’un des berceaux de l’islam confrérique d’Afrique subsaharienne. Comment l’islam soufi résiste-t-il à cet islamisme d’inspiration wahhabite ?

« Le Sénégal est resté un îlot de stabilité dans l’océan d’instabilité qu’est l’Afrique de l’Ouest »

Les confréries ont d’abord été des cibles idéologiques puisque la naissance de l’islam radical s’est faite sous la bannière de la contestation virulente de ces confréries. Mais, jusqu’à présent, le Sénégal est resté un îlot de stabilité dans l’océan d’instabilité qu’est l’Afrique de l’Ouest. Et ce, grâce aux confréries, qui ont ralenti la pénétration massive des salafistes. On peut donc, sur ce point, les considérer comme un rempart.

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Une peinture d'El-Hadji Malick Sy, chef spirituel de la confrérie des tidjanes, à Dakar.

Une peinture d’El-Hadji Malick Sy, chef spirituel de la confrérie des tidjanes, à Dakar. CRÉDITS : SEYLLOU/AFP

Mais la question, aujourd’hui, est de savoir si ce rempart pourra tenir et s’adapter. Car, en face, on a une jeunesse en forte demande religieuse. Or les confréries peinent parfois à offrir un cadre spirituel adéquat et réactualisé. Du coup, certains de ces jeunes sont attirés par le semblant de modernité que leur offrent les salafistes.

Ces mouvements ont même investi l’espace universitaire en ayant pris, systématiquement, le contrôle des mosquées des deux grandes universités du pays : Cheikh-Anta-Diop à Dakar et Gaston-Berger à Saint-Louis. Depuis une quinzaine d’années, un travail de maillage s’est fait au niveau des étudiants et d’une élite intellectuelle que le discours traditionnel n’arrive plus à mobiliser. Ce qui contredit les analysesclassiques sur la paupérisation, la marginalisation et le mal-développement qui n’explique pas tout le phénomène de la radicalisation. Le soufisme doit se renouveler pour séduire les jeunes attirés par le salafisme.

Y a-t-il eu des initiatives des guides religieux face au terrorisme ?

En décembre 2015, lors du Mouloud, la célébration à Tivaouane – l’une des capitales spirituelles des tidjanes – de la naissance du prophète Mahomet, le thème retenu par les jeunes portait sur la lutte contre les radicalismes religieux. Un symposium s’est d’ailleurs tenu en présence des chefs religieux et du président sénégalais. Avant cela une conférence internationale sur l’initiative des niassènes de Kaolack, une grande famille religieuse au Sénégal, portait sur la paix et le refus de l’extrémisme. Les confréries ont donc pris la mesure de l’enjeu de la montée du radicalisme et tentent de la contrer par l’éducation à la paix et la prévention.

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Seulement, pour que leur action devienne efficace, il faudrait une modernisation de leur discours, qui doit notamment s’adapter à la jeunesse constamment ciblée par les éléments de récit extrémistes et la propagande salafiste. Au-delà du Sénégal, les confréries et les autres organisations islamiques majoritaires dans les Etats de la sous-région prennent également des initiatives en faveur de la déradicalisation. En Mauritanie par exemple, la Ligue des oulémas utilise même d’anciens repentis djihadistes pour décourager l’enrôlement et le recrutement des jeunes.

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Des membres de la confrérie des tidjanes autour du tombeau du cheikh Ahmed Tidjane Chérif, à Fès, au Maroc.

Des membres de la confrérie des tidjanes autour du tombeau du cheikh Ahmed Tidjane Chérif, à Fès, au Maroc. CRÉDITS : FADEL SENNA/AFP

La réponse africaine à l’extrémisme violent serait donc la promotion et la défense du soufisme ?

Oui. Cela passerait par une réactualisation du message du soufisme qui est davantage adapté à nos cultures. Au Sénégal, le soufisme est confrérique et offre un cadre de sociabilisation qui ne laisse pas beaucoup de place à la conquête des nouvelles idéologies. C’est un islam de paix qui, depuis des siècles, a su composer avec nos valeurs culturelles, et c’est pour cela que l’islamisation des sociétés africaines n’en a pas destructuré le fonctionnement.

« La conquête des cœurs est plus efficace et durable que la domination des corps »

Les salafistes au Mali ont détruit des mausolées qui faisaient partie du patrimoine national. Aux XVIIIe et XIXe siècles déjà, des figures historiques avaient tenté d’islamiser nos sociétés par le djihadisme. Cela n’a jamais véritablement prospéré. Car, à mon sens, la conquête des cœurs est plus efficace et durable que la domination des corps. Les soufis comme El-Hadj Malick Sy, El-Hadji Abdoulaye Niasse ou encore cheikh Ahmadou Bamba ont fait de l’islam au Sénégal un élément de cohésion sociale.

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Et ce n’est pas un hasard si les premières cibles des djihadistes sont les confréries puisqu’elles constituent un verrou qui protège de la montée de l’extrémisme violent.

Comment la menace djihadiste est-elle perçue ?

« Depuis les attentats de Bamako et surtout de Ouagadougou, c’est la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest »

Avant, le djihadisme était perçu comme un phénomène lointain. Mais depuis les attentats de Bamako et, surtout, de Ouagadougou, c’est la fin des exceptions en Afrique de l’Ouest. Avant, le Sénégal et le Burkina Faso étaient érigés en modèle avec des sociétés où l’islam était tolérant et la coexistence entre les confessions des plus harmonieuses. Les attaques de Ouagadougou inaugurent sans nul doute une nouvelle ère dans notre rapport au terrorisme.

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Un officier sénégalais inspecte les voitures à l'entrée d'un hôtel dakarois, le 22 janvier 2016.

Un officier sénégalais inspecte les voitures à l’entrée d’un hôtel dakarois, le 22 janvier 2016. CRÉDITS : SEYLLOU/AFP

Que pensez-vous des critiques qui dénoncent une réaction démesurée des autorités sénégalaises face à la menace terroriste ?

A mon humble avis, l’Etat sénégalais, dont les représentants n’ont jamais été prolixes en la matière, est tellement soucieux des investissements étrangers, de la réussite du Plan Sénégal Emergent et du tourisme qu’il ne prendrait pas le risque d’évoquer cette menace s’il n’y avait pas le minimum d’éléments probants.

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Dans l’une de vos conférences et lors des rencontres internationales, vous appelez les gouvernants à revoir les orientations éducatives…

Ce ne sont pas les interventions strictement militaires qui vont vaincre le terrorisme. En amont, il faudrait alors des politiques préventives qui passeraient par deux canaux : le système éducatif et, vœu pieux, une plus grande justice sociale dans nos pays et sur la scène internationale pour mettre fin aux frustrations génératrices de radicalismes et de terrorisme. Les partenaires internationaux de l’Afrique devraient l’intégrer dans leur politique de coopération : chez nous, parfois, un char d’occasion, vieux modèle, coûte plus cher que la construction d’une école. S’ils veulent, donc, vraiment nous aider, le bon choix est vite fait.

Bakary Sambe est l’auteur de l’ouvrage Boko Haram, du problème nigérian à la menace régionale (éd. Presses panafricaines, juillet 2015).
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/02/10/le-soufisme-doit-se-renouveler-pour-seduire-les-jeunes-attires-par-le-salafisme_4862570_3212.html#IL7PHzMUteuZEl6I.99

Expansion de l’extrémisme religieux en Afrique : Pr Bakary Samb appelle les gouvernants à revoir les orientations éducatives

Jeudi 10 décembre 2015

Pour faire face à l’expansion de l’extrémisme religieux et du terrorisme, il faut préconiser la solution de la prévention par l’éducation, estime le Pr Bakary Samb. Cet enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis et spécialiste des mouvements djihadistes donnait, jeudi dernier, une leçon inaugurale lors du lancement du Master 2 Défense, sécurité et paix du Centre des hautes études de défense et de sécurité.

Comment combattre un ennemi diffus, insaisissable et parfois intérieur ? Que doit faire une armée conventionnelle devant un mouvement non conventionnel dont l’objectif est, entre autres, déstabilisation l’Etat voire la destruction en vue de lui substituer un Etat islamique ? Trouver une réponse à ces questionnements relève aujourd’hui d’un dilemme pour toutes les armées du monde, selon le Pr Bakary Sambe qui, par ricochet, ne manque pas de se poser la question de l’efficience de la solution strictement sécuritaire contre le terrorisme et l’extrémisme. D’autant plus que, prenant l’exemple de Boko Haram, il fait observer que ce mouvement, malgré tous les moyens militaires mobilisés contre lui par une coalition de pays, continue ses exactions macabres au-delà des frontières nigérianes.

Dès lors, le nouveau défi n’est-il pas la prévention pour éviter l’intervention qui semble n’avoir pas eu les effets escomptés ? A cette question, le Pr Bakary Sambe répond par l’affirmative. « La lutte contre le terrorisme en amont avec une politique de prévention par l’éducation, le renforcement des capacités, la résorption des inégalités et la promotion d’espaces de socialisation alternatives au tout religieux, aux surenchères ethnico-confessionnelles paraîtraient plus efficaces que les formes de guerres asymétriques », argue-t-il. Cet enseignant à l’université de Saint-Louis et spécialiste des mouvements djihadistes donnait, jeudi dernier, une leçon inaugurale à l’occasion du lancement du Master 2 Défense, sécurité et paix du Centre des hautes études de défense et de sécurité
Etant d’avis que la radicalisation est « l’enfant issu du mariage entre l’injustice et l’ignorance », le Pr Sambe invite les gouvernants africains à agir sur les orientations éducatives et les programmes favorisant une plus grande inclusion des laissés pour compte afin d’éviter un plus grand émiettement des structures sociales et étatiques. « Au regard de son enjeu et de sa corrélation avec l’expansion des idéologies djihadistes violentes, la question éducative mérite aujourd’hui une interventionétatique africain, onusien, en faisant de la prévention par la socialisation le socle de la lutte contre le radicalisme religieux et l’extrémisme violent dans les décennies à venir », ajoute-t-il.

Dans la recherche de solutions, il appelle à intégrer la dimension anthropologique et à mettre à profit les ressources culturelles africaines en termes de médiation et de socialisation alternative. « Tant qu’on va continuer à privilégier l’intervention en lieu et place de la prévention par l’éducation et la justice sociale dans des régions où l’achat d’un vieux char coûte souvent plus cher que la construction d’une école, on ne s’en sortira pas », prévient-il.

Dans un autre registre, le Pr Bakary Sambe regrette le fait que le radicalisme religieux gagne du terrain sur le continent sous plusieurs formes au moment où les gens sont restés pendant longtemps enfermés dans de vieilles grilles d’analyse rarement renouvelées sur un islam africain qui serait naturellement et durablement pacifique. Cela est d’autant plus préjudiciable que, fait-il remarquer, « les pays du Sahel souffrent toujours d’une dualité du système éducatif avec l’école officielle francophone et la multiplication d’écoles coraniques, arabes, franco-arabes ». Ce qui, aux yeux du Pr Sambe, « représente un grand danger pour ce qui est de la cohésion nationale dans le processus de la construction de l’Etat sous sa forme jacobine ». Et, selon lui, dans les prochaines années, il y a à craindre que le choc des extrême, islamisme radical et christianisme évangélique deviennent source de tensions ethnico-religieuses, notamment en Côte d’Ivoire, au Nigéria, au Cameroun, au Bénin et dans une moindre mesure au Sénégal. Même s’il trouve louables les efforts faits par les autorités sénégalaises notamment dans la reconnaissance du bac et l’ouverture d’une section Arabe à l’Ena pour intégrer ces arabophones, le Pr Sambe n’en estime pas moins qu’il faut faire plus.

Elhadji Ibrahima THIAM

Observation du croissant lunaire-Docteur Bakary Samb « Notre pays est en train de traverser une phase charnière »

Vendredi 26 juin 2015

La communauté musulmane sénégalaise peine à accorder ses violons pour l’observation du croissant lunaire. Pour le docteur Bakary Samb, enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB), cette désunion s’explique par le fait que ‘’notre pays est en train de traverser une phase charnière’’.

 

 

Le Sénégal n’a pas encore tranché le débat sur l’observation du croissant lunaire. Cette année encore c’est en rang dispersé que les musulmans du Sénégal ont commencé le jeûne.

« En observant sociologiquement ce débat sur le croisant lunaire je me rends compte que notre pays est en train de traverser une phase charnière, dans laquelle il y a en même temps une volonté d’affirmation d’une unité de toutes les confréries qui se reconnaissent dans une commission ce qui est salutaire. En même temps, l’islam est devenu un fait transnational et que notre islam local maintenant s’efface aux contraintes des appartenances mondialisées. Le temps que ces contradictions se résolvent, je pense que notre pays pourra avancer vers de meilleures solutions pour que ces cacophonies qui ne sont pas positives pour l’image de l’islam », a expliqué le docteur Bakary Samb, enseignant à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB).

Pour autant ce chercheur estime que ce débat entre dans l’ordre naturel des choses et que les oulémas les plus érudits n’ont pas encore tranché.

«  La société musulmane sénégalaise est dans un débat, ce débat peut prendre du temps. Ce qui est souhaitable c’est que ce débat prenne fin et qu’on arrive enfin à une sorte de cohésion et d’attente. Entre cette volonté locale d’unification autour des confréries avec un pôle soudé et autour des confréries, et que de l’autre coté la volonté de faire appel à des formes d’appartenance mondialisée, ce sont des choses qui font partie de l’évolution des sociétés », a ajouté Dr Samb.

Par ailleurs, il souligne que les musulmans se féliciteraient qu’il y ait non pas un guide suprême mais une instance suprême qui pourrait donnait de grandes orientations qui pourraient être traduites dans les différentes civilisations en concordance avec les réalités locales pour que l’esprit général de l’islam puisse subsister.

 

Pour sa part, le président du Conseil départemental a salué la qualité du débat. « Tous les chefs religieux qui étaient présents ont dit avoir appris quelque chose. Pour moi, l’objectif est attient. Je veux que le Mbourois soit fier de lui, croit en lui et c’est en sens qu’on pourra penser à l’émergence de notre département », a laissé entendre le président du Conseil département de Mbour, Saliou Samb.

Le Conseil département de Mbour a organisé une conférence publique portant sur le thème ‘’Paix et religion au Sénégal : les chefs religieux, vecteurs de stabilité et de développement’’.

Elle est organisée dans le cadre de ‘’la vulgarisation des initiatives et actions du président Macky Sall pour la paix au sein de la Ummah islamique’’.

 

Cette activité a été clôturée par une séance de dédicace d’un ouvrage littéraire réalisé par le Dr Bakary Samb sur ‘’Les enjeux de la paix et de la sécurité en Afrique’’.

 

El Hadji Alassane Diallo

M’bour : Conférence de Bakary SAMBE sur le rôle des chefs religieux dans la paix et la stabilité, ce 20 juin

Vendredi 26 juin 2015
Le Conseil départemental de M’bour organise une conférence nationale sur le rôle des chefs religieux dans la paix et la stabilité du Sénégal.
Selon Saliou Samb, le Président de ladite collectivité, c’est  »d’abord une manière de rendre hommage à tous les chefs religieux du Sénégal de toutes les confessions, au regard de leur action pour la paix, ce qui nous a jusqu’ici épargné les situations que connaissent certains pays de la sous-région. »
Le Président du Conseil départemental de M’bour dit s’inscrire dans la continuité des« messages de paix lancés par le Président Macky Sall en direction de la Oummah, mais aussi dans la valorisation de notre patrimoine religieux depuis qu’il a donné aux quais du Port de Dakar, le nom de ces personnalités qui font la fierté de notre pays. »
La conférence sera animée par le Dr. Bakary Sambe, penseur sénégalais originaire de M’bour, à l’occasion de laquelle, il présentera pour la première fois depuis sa sortie, son nouveau livre sur Boko Haram.
Des personnalités de tous bords sont attendues à M’bour, y compris des chefs de représentations diplomatiques du monde musulman accréditées au Sénégal.

BAKARY SAMBE : CONFERENCE SUR « RELIGION ET PAIX’’L’ISLAM SÉNÉGALAIS DOIT TRAVAILLER À SA COHÉSION’’

Vendredi 26 juin 2015

La société musulmane sénégalaise est contrainte à ’’une sorte de cohésion et d’entente’’ pour mettre fin aux débats et contradictions internes qui la caractérisent, a analysé l’universitaire sénégalais Bakary Sambe.

« Ces débats et ces contradictions sont normaux dans toute société islamique’’, a-t-il fait valoir au cours d’une conférence publique qu’il introduisait samedi à Mbour (ouest), sur le thème « Religion et paix au Sénégal : les chefs religieux, vecteurs de stabilité et développement ».

« L’islam est toujours faite de divergences », entre une « volonté locale d’unification autour des confréries’’, d’une part, et celle de faire appel, d’autre part, « à des formes d’appartenance mondialisées, qui font partie de l’évolution des sociétés », a notamment déclaré ​le conférencier.
Concernant par exemple le débat sur le croissant lunaire, sujet de divergences et de contradictions, « le Sénégal est en train de traverser une phase charnière, dans laquelle il y a une volonté d’affirmation d’une unité entre les confréries qui se reconnaissent dans une commission en charge d’observer l’apparition du croissant lunaire’’, a soutenu le chercheur sénégalais.
Cette situation « est salutaire au moment où l’islam est devenu un fait transnational et que notre islam local fait face à des contraintes, des appartenances qui, aujourd’hui, sont mondialisées », a déclaré Bakary Sambe, enseignant au Centre d’étude des religions (CER) de l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, dans le nord du Sénégal.
Selon M. Sambe, par ailleurs coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (ORCRA), ’’tant que ces contradictions se résolvent, notre pays pourra avancer vers de meilleures solutions, pour éviter les cacophonies qui ne sont pas positives pour l’image de l’islam dans notre pays ».
Malgré « les soubresauts et les actualités internationales qui sont souvent présentées sous un mauvais jour, nous pouvons dire que l’islam est une religion de paix et de justice sociale », a-t-il indiqué.
« Ce qui pose problème, c’est la manipulation des symboles islamiques pour des motifs politiques », a-t-il relevé, ajoutant que les problèmes souvent constatés dans certains pays musulmans sont, en grande partie, dus à un refus ou des contestations de l’autorité.
« L’islam confrérique est un réel atout pour le Sénégal et pour l’Afrique, parce que c’est un islam qui nous a permis de vivre l’islam non pas comme une cassure ou un problème identitaire, mais de manière harmonieuse (…)’’, a-t-il souligné.
De cette manière, le Sénégal a pu intégrer « ’toutes les valeurs islamiques, tout en restant dans notre identité, en promouvant les valeurs de paix, de solidarité et de tolérance’’, telles qu’enseignées par El Hadji Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba, El Hadji Ibrahima Niasse et tant d’autres guides religieux, a-t-il conclu.

Dr Bakary SAMBE, enseignant à l’UGB : «Boko Haram s’inscrit dans la logique d’une sordide manipulation politique des symboles religieux »

Vendredi 6 mars 2015

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Dr Bakary SAMBE, enseignant à l’UGB : «Boko Haram s’inscrit dans la logique d’une sordide manipulation politique des symboles religieux »

Dr Bakary Sambe est le coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique (Orcra) au Centre d’étude de religions (Cer) une structure unique en son genre sur le continent, créée, il y a deux ans, par l’université Gaston Berger de Saint-Louis. M. Sambe est, par ailleurs, expert international ayant été chargé de la préparation du récent document d’analyse sur Boko Haram du Bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest (Unowa), du rapport Paix et sécurité dans l’espace Cedeao (2013), sur le radicalisme religieux et la menace terroriste en collaboration avec l’Institut d’Etude de sécurité (Iss) de Dakar. Politologue, il est spécialiste du monde musulman, plus spécifiquement des relations arabo-africaines, du militantisme islamique et des réseaux transnationaux. Dans cet entretien, il décortique l’objectif et le modus operandi de Boko Haram, ainsi que ses liens avec les autres mouvements terroristes.

Comment expliquez-vous la naissance de l’extrémisme en Afrique et surtout de Boko Haram ?
Lorsque le phénomène Aqmi s’est déclaré dans les sociétés maghrébines, il fallait s’attendre à sa propagation au moins idéologique au sud du Sahara. Bien avant cela, depuis les années 70, suite aux vagues de désertification, les pays du Sahel ont été le lieu de déploiement de toutes sortes d’organisations alliant « da’wah » (prédication) et « ighâtha » (secours, humanitaire) pour l’exportation d’idéologies telles que celles qui ont cautionné la destruction des mausolées de Tombouctou. Ces idéologies sont présentes dans tous les pays de la bande sahélienne et inspirent le « takfîr », le fait de déclarer « impies » même certaines franges des musulmans comme le fait exactement Boko Haram. La négation du système étatique, de son système d’éducation pour une prétendue « islamisation » de la société et de l’Etat.
C’est en 2002 que Muhammad Yusuf, issu du Mouvement des Yan Brothers finalement appelé « yusufî », crée la Jamâ’atou Ahli Sunnah li da’wati wa –l-jihad plus connue sous le nom de Boko Haram mettant la question éducative au centre de son combat contre « l’Etat injuste » parce que n’appliquant pas ce que le mouvement considère comme la charia. C’est une rupture d’imaginaire et de repères entre le gouvernement d’Abuja et cette jeunesse du Nord dont une partie est enrôlée par Boko Haram opposant au modèle d’Etat à l’occidentale, celui de Sokoto et d’Ousmane Dan Fodio. Cette rupture est consommée et l’affrontement reste le seul lien. Il est aujourd’hui difficile de sortir de cette spirale de la violence.

Boko Haram sème la terreur au sein de la population en enlevant des lycéennes, commet des attentats dans les marchés voire les mosquées. Pourtant, ces éléments se réclament de l’Islam. Qu’en dites-vous ?
Boko Haram s’inscrit dans la logique de ces mouvements qui se sont toujours adonnés à une sordide manipulation politique des symboles religieux. Les actions de tels mouvements favorisent la stigmatisation des musulmans et de leur religion alors que l’islam est une religion de paix. De la même manière que les extrémistes de tous bords se réfugient derrière la religion pour commettre leurs forfaitures, les éléments de Boko Haram utilisent l’islam pour solder leur compte avec l’Etat fédéral nigérian ; leurs victimes dépassent largement le cadre de ceux qu’ils veulent combattre comme des « impies », selon leur expression et englobe en grande majorité même des musulmans qui ne partagent pas leur vision étriquée de l’islam. La racine du mal est dans ce salafisme exclusif qui prétend détenir le dogme véritable « al-aqîdah al-çahîha » et s’accapare même l’appellation de sunnite insinuant par exemple que les adeptes des Tarîqa sont dans la déviance. Il faudra que l’on y prenne garde, même chez nous, au Sénégal.

Des jeunes vulnérables sont souvent la cible de ce mouvement. Est-ce à dire que c’est la pauvreté qui favorise l’éclosion et l’essor de ces mouvements. S’il y en a d’autres causes, quelles sont-elles ?
La paupérisation aggravée de certaines franges de la population, la marginalisation poussée de jeunes désœuvrés sont parmi les facteurs explicatifs de la radicalisation. Mais la source principale se trouve dans l’affaiblissement des Etats sahéliens à partir des sécheresses des années 1970 suivies des politiques drastiques dites d’ajustement structurels ayant porté un rude coup aux secteurs de l’éducation, de la santé du travail social. Ce sont ces secteurs que les mouvements radicaux ont investis avec la stratégie d’islamisation par le bas reposant sur deux socles : la « da’wah » (prédication) et « ighâtha », le travail social et humanitaire. Par ce biais, le salafisme dont le but premier est la destruction de l’islam local notamment confrérique s’est largement répandu jusqu’à prendre aujourd’hui la forme djihadiste comme au Nord du Mali. S’y ajoute que suite à la chute du mur de Berlin, l’islam est devenu, pour certaines sociétés du Sud comme d’autres marginalisées du Nord, une forme d’alternative à opposer à l’ultralibéralisme dévastateur du lien social et des économies, mais sert aussi de résistance à l’arrogance des plus puissants comme des régimes despotiques du monde musulman.

Boko Haram s’attaque aux pays voisins du Nigeria (Cameroun, Tchad, Niger) au point que ces derniers sont obligés d’intervenir dans le territoire nigérian. Mieux, une force a été constituée pour aller à l’assaut du mouvement. Quelle analyse en faites-vous ?
Il ne faut pas exclure que ce qui se déroule au Moyen-Orient avec l’organisation de l’Etat islamique inspire une volonté d’établir l’Etat islamique dont rêvait Muhammad Yusuf autour du bassin du lac Tchad. Al-Qaida a changé de stratégie depuis l’expérience afghane : au lieu d’une politique globale avec une direction centralisée, l’idéologie djihadiste se limite à une récupération opportuniste des conflits locaux en les « islamisant » comme au Nord du Mali. Il est à craindre que ce bassin du Lac Tchad devienne une nouvelle zone d’instabilité au cœur du continent s’ajoutant au Sud libyen, au Nord Mali. Les inéluctables interventions militaires qui se profilent ne régleront, malheureusement, pas le problème malgré leur nécessité conjoncturelle pour reprendre le contrôle de ses territoires. Boko Haram, d’un problème originellement nigérian, s’est muée en une menace régionale à laquelle il faut désormais faire face.

Pourtant, l’Ua dispose d’une force d’intervention et la Cedeao a l’Ecomog, mais, ce sont des forces que l’on n’a pas vu sur le terrain ?
On sera sur le même scénario que lors de la crise malienne. La question logistique et celle du financement de cette opération militaire qui ne sera pas une promenade de santé se posera malheureusement à terme et l’on sera obligé de recourir à un mandat onusien avec une coalition internationale sans que les instances africaines puissent peser sur les grandes orientations à cause de leurs divisions et des querelles de leadership dans la sous-région.
Certains accusent le gouvernement nigérian de laxisme vis-à-vis de Boko Haram. Pensez-vous que le Nigeria, première puissance économique du continent, met tous les atouts de son côté pour éradiquer le fléau ?
Au Nigeria, la sécurité engloutit le quart du budget fédéral évalué à coups de milliards de dollars. Paradoxalement, aux trois Etats du Nord les plus touchés par le phénomène Boko Haram, seuls 2 millions de dollars sont alloués. S’y ajoute que depuis le tournant de 2009 et l’opération dite « Flush out », les forces de sécurité nigériane perdent de plus en plus la bataille du renseignement avec une population entenaillée entre les accusations de connivence et les exactions de Boko Haram leur reprochant de collaborer avec « l’Etat impie et injuste » (al-hukûma al-jâ’ira ». La confusion suite à la création des Civilian Task Forces comme des milices d’autodéfense en plus des inter-manipulations entre Boko Haram et la classe politique plonge le Nord Nigeria dans une situation d’insécurité endémique. C’est le président Jonathan lui-même qui déclare fin 2014 : « Boko Haram has infiltrated my government » (Boko Haram a infiltré mon gouvernement).

En s’attaquant à des églises, Boko Haram ne risque-t-il pas de créer ce que vous avez l’habitude d’appeler « le choc des extrémismes » ?
Boko Haram a toujours voulu jouer sur la dialectique entre un Nord majoritairement musulman exclu de l’exercice du pouvoir – surtout depuis l’élection de Goodluck Jonathan – et d’un Sud chrétien et animiste qui serait sous influence de l’Occident, accaparant le pouvoir et perpétuant le projet « occidental » de christianisation du pays « ‘amaliyyat tancîr » comme disait Muhammad Yusuf dans ses premiers sermons. Parmi les cibles privilégiées du mouvement, les chrétiens, considérés dans l’univers discursif et idéologique de Boko Haram, comme les « suppôts » de l’Occident et de son modèle. Heureusement que les leaders religieux musulmans comme chrétiens, dans leur majorité, ne sont jamais tombés dans ce piège de Boko Haram voulant provoquer une guerre totale entre les composantes confessionnelles d’un pays déjà fragilisé.
Mais, la crainte est partagée d’un affrontement inéluctable, en Afrique, entre l’évangélisme prosélyte et l’islam radical conquérant. Les deux ont les mêmes méthodes : s’occuper des populations démunies pour, plus tard, préoccuper l’Etat affaibli qui, souvent, brille par le déficit d’Etat dans des secteurs aussi névralgiques que l’éducation, la santé, le social. Comme j’ai eu à le dire franchement aux partenaires au développement lors du Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, les différentes stratégies au Sahel qui se mettent en place, parfois par des schémas top-down, sans ancrage sociologique, doivent, malheureusement, avouer un retard de quarante ans par rapport aux réseaux qu’elles visent à éradiquer aujourd’hui. Les extrémismes de tous bords disposent abondamment de deux ressources faisant cruellement défaut à nos Etats assaillis par les urgences: le temps pour dérouler leurs stratégies à long terme (par fois au prix de compromis temporaires « taqiyya ») et l’argent pour se substituer à l’Etat avant de l’affaiblir à défaut de l’anéantir.

Avec la chute de Khadafi, la Libye est devenue l’épicentre de ce terrorisme qui impose un défi de type nouveau parce que transnational, violent avec des hommes déterminés et aguerris dont le mode opératoire repose sur des attentats, enlèvements, piraterie, trafic d’armes, etc. Cela, face à un manque de moyens ou de stratégies des pays. N’est-ce pas un problème ?
La boîte de Pandore avait été ouverte depuis la partition du Soudan. Ce n’est pas un hasard si l’opération militaire en Libye est baptisée « l’aube de l’Odyssée ». Le continent est embarqué, pour au moins un quart de siècle, dans un cycle d’instabilité que ne pourront régler les seules opérations militaires. L’opération Serval est passée, Barkhane se met en place mais les groupes djihadistes sont encore plus que déterminés et mieux armés dans le Sud libyen comme dans les zones rocailleuses d’Agharghart ou de Timidghin (Sud algérien) mais aussi le Nord Mali avec des attaques récurrentes. La leçon à retenir est qu’on ne vainc pas le terrorisme avec des chars et des drones. Il faut investir dans la prévention, dans des systèmes éducatifs performants, promouvoir la bonne gouvernance et la justice sociale. C’était le sens de la Bande dessinée « prévenir les extrémismes » lancée à Dakar et réalisée en coopération avec la Fondation Konrad Adenauer pour les écoles africaines. Aucun Etat au monde ne peut lutter seul contre le terrorisme. Il faut une coopération internationale donnant sa chance à la prévention si l’on ne veut pas s’embourber davantage dans l’interventionnisme qui alimente le djihadisme et fait le lit de situations dramatiques exploitées à leur tour par l’extrémisme violent.

Comment faire pour juguler l’action du mouvement qui, vous le disiez tantôt, a des ramifications (liens avec d’autres mouvements extrémistes) ? 
La pire des choses à craindre est que Boko Haram devienne un label inspirant les laissés-pour-compte de nos systèmes éducatifs, souvent, dans une dualité improductive, génératrice de frustrations et de marginalisation. Entre Boko Haram et les autres mouvances djihadistes opérant dans le Sahel et à l’international, la connivence idéologique en termes de discours et d’objectifs est bien établie. Malgré les déclarations d’Abubakar Shekau faisant allégeance à l’Organisation de l’Etat islamique en Irak, on ne peut prouver de liens organisationnels avec un commandement centralisé entre Boko Haram et Al-Qaida ou même Aqmi. La naissance du Mujao avait été expliquée par beaucoup d’experts comme un repli identitaire des islamistes noirs africains souffrant d’une discrimination de la part des « Algériens » d’Aqmi, Boko Hram reste la manifestation d’un djihadisme africain se nourrissant beaucoup plus de l’imaginaire de Sokoto et d’Usma Dan Fodio que des théories d’Al Baghdâdî. Le fond idéologique reste, toutefois, le même comme il y a un partage de vue sur la création de l’Etat islamique tant rêvé. De plus en plus, le parallélisme entre l’action d’Al-Baghdadi en Irak et celle des hommes de Shekau dans le bassin du lac Tchad est brandi comme pour prouver l’unité du mouvement djihadiste. Sur le plan opérationnel, il n’est pas à exclure que des entraînements de combattants soient les premiers jalons d’une coopération entre factions djihadistes sur le continent et au-delà.

Propos recueillis par  Daouda MANE

Une réponse africaine à l’extrémisme violent : Promouvoir et défendre le soufisme pour vaincre le Djihadisme

Lundi 3 novembre 2014

L’Afrique et ses oulémas ont tout intérêt à repréciser leur discours et à réaffirmer ce mode d’islam pacifique complètement en harmonie avec nos sociétés et nos cultures au lieu d’essayer d’importer des idéologies telles que le salafisme, le wahhabisme ou le jihadisme qui répondent à d’autres circonstances politiques, d’autres contingences culturelles qui ne sont pas forcément les nôtres.

J’ai toujours lancé un appel aux chefs confrériques soufis qui ont une responsabilité historique. Leur responsabilité historique est la suivante : ce sont des personnalités qui ont voix au chapitre, ce sont des personnalités qui ont presque le monopole du discours religieux et ce sont ces personnalités-là qui doivent aujourd’hui se faire entendre ou en tout cas adhérer à ce discours-là pour que l’Afrique, le modèle religieux, le modèle islamique qui a préservé la paix sociale dans certains de nos pays jusqu’à présent – exception faite de la situation malienne et de quelques autres pays comme le Niger – que cet islam-là ne soit pas supplanté par toutes ces « stratégies du Sahel ». Je les appelle « stratégies du Sahel », elles ont été développées dans les années 1970 de la part de ces pays et organisations malheureusement du monde arabe qui font passer des idéologies, exportent des idéologies qui n’ont rien à voir avec le contexte africain, et ces idéologies sont productrices de violence, de haine et d’une certaine instabilité telle qu’on le voit au Moyen-Orient et dans certaines régions du Maghreb.

La vraie réponse contre le djihadisme et l’extrémisme violent doit d’abord être une réponse pédagogique et surtout préventive. La lutte contre le terrorisme, c’est d’abord une bataille idéologique, elle se gagne par l’éducation, elle se gagne par la prise de conscience. J’ai coutume de dire aux partenaires européens et à d’autres Occidentaux que si on attend que des jihadistes, que des milices soient installées dans le nord du Mali, dans le sud du Niger, je ne sais où, ou dans le sud libyen pour qu’on arrive avec des drones, des chars de combat, il faut avouer que nous avons perdu une grande bataille dans cette guerre contre le terrorisme. Cette guerre se mène par l’éducation, par la généralisation de l’éducation, par une prise de conscience citoyenne, par la démocratie, par la lutte contre les injustices et les inégalités sociales. Mais là, la méthode répressive est la moins bonne des réponses, parce que justement elle n’a pas d’efficacité.

Il y a des prises de position claires, notamment au sein des confréries soufies traditionnelles, mais aussi dans certaines organisations religieuses elles-mêmes. Certaines organisations se réclament du salafisme ou du wahhabisme au Sénégal, au Mali, mais dans le discours public, elles ont renoncé au jihadisme. En tout cas, elles l’ont crypté dans leurs discours publics : on rejette le jihadisme et la violence, en rappelant les principes de l’islam sur ce point précis, en rejetant toute forme de violence dont la base serait islamique.

Le phénomène n’est pas encore bien répandu en Afrique subsaharienne, mais rien n’empêche que l’on puisse réfléchir à des moyens de prévenir cela. Il revient aux Etats africains, aux sociétés civiles africaines, aux personnalités musulmanes africaines de produire une réflexion claire et précise sur cette question-là et de prévenir que ce danger jihadiste, que cette tentation jihadiste, puisse s’installer, en tout cas puisse avoir l’impact qu’elle a eu au Moyen-Orient, au Maghreb, mais aussi en Europe.

Il y a des initiatives qui méritent encouragements. Des initiatives marocaines avec la formation des imams, avec certaines radios, l’organisation de prêches, les sensibilisations menées par des musulmans et par des leaders, des jeunes leaders musulmans, des politiques… Il y a eu récemment aussi, du côté de l’Algérie, le lancement de la Ligue des oulémas du Sahel pour un islam modéré, un islam pacifique, un islam vrai parce que le fond même de l’islam, c’est le pacifisme et la paix. Il y a des initiatives, donc je pense que ce discours mérite encore d’être développé au sein des confréries qui doivent prendre leurs responsabilités, sortir des discours purement traditionnels pour répondre aux exigences des temps modernes, mais aussi pour répondre aux aspirations d’une jeunesse de plus en plus demandeuse de spiritualité et qui, si elle n’est pas satisfaite, peut lorgner ailleurs.

 

 

Africains Musulmans et questions internationales : La partie invisible du débat avec Tariq Ramadan

Lundi 1 septembre 2014

Par Dr. Bakary SAMBE 

Pour mieux comprendre ce débat, il faut vraiment retourner à l’origine des divergences avec Tariq Ramadan. Tout est parti de ma critique sur sa prise de position sur ce qu’il appelle  » l’impérialisme français » dans l’intervention au Mali. Je lui suggérais simplement d’ajouter à cette critique de l’intervention des forces étrangères en Afrique, la dimension du « paternalisme arabe ». En fait les pays et organisations arabes ont tendance à considérer les musulmans africains comme des maillons faibles de la oummah qu’il faut islamiser malgré le passé « islamique » depuis le Moyen-Age.

Parfois, cela cause de nombreux problèmes parce qu’en voulant « islamiser » les Africains ils s’appuient sur des mouvements salafistes et wahhabites qui disent vouloir purifier l’islam comme ce fut le cas avec la destruction des mausolées de Tombouctou lors de l’occupation djihadiste dans le Nord du Mali. Voici le lien de ce débat antérieur : http://www.lescahiersdelislam.fr/Occupation-du-Nord-Mali-L-autre-vrai-paternalisme-occulte-par-Tariq-Ramadan_a208.html

J’ai eu à m’expliquer sur cette question avec Monsieur Ramadan lors du Forum Social Mondial en Tunisie où je l’appelais à assumer ses responsabilités car sa parole était écoutée dans le monde musulman pour que cette image de l’africain toujours considéré comme sous-musulman dans le monde arabe change enfin.

Je pense qu’il n’a jamais supporté cette critique et surtout la contestation de sa parole sur l’islam venant, en plus, d’un africain (toujours un musulman inférieur en rang et en dignité). Au lieu de prendre cette critique avec humilité de la part d’un collègue africain qui ne lui veut aucun mal, Monsieur Ramadan est venu au Sénégal pour dire sur la chaîne de télévision publique sénégalaise que je le critiquais simplement pour devenir célèbre. Voir le lien de ce débat : http://senegal.afrix.net/2013/07/11/mise-au-point-de-bakary-sambe-cher-monsieur-ramadan-la-diffamation-est-aussi-contraire-a-lislam-et-a-lethique/

Sur le débat à propos de la crise israélo-palestinienne :

Sur le débat télévisé, j’avais une posture difficile en ayant prôné le dialogue malgré l’ampleur de la violence. Ma position sur le dialogue est motivée par le fait que le dialogue ne soit pas pour moi l’apanage des peureux ou des lâches mais une responsabilité des braves.

Dans cette perspective, j’ai soutenu depuis le début de la crise qu’il serait important de renforcer le camp de la paix incarné par le Fatah et ses soutiens. Dès le début de la crise dans tous les médias sénégalais j’ai critiqué tout d’abord l’attitude inacceptable d’Israel qui tue, massacre et viole le droit international sous le regard spectateur de la communauté internationale perdant de plus en plus de crédibilité et faisant du « deux poids deux mesures » sur les valeurs qu’elle veut incarner comme la justice et la démocratie à travers le monde.

J’ai critiqué y compris sur le plateau de télévision, l’attitude des extrémistes des deux bords en commençant par ceux de la droite du Likoud comme Netanyahu, Libermann, Tzipi Livni qui n’encouragent pas la paix et ont incarné un bellicisme qui a plongé le Proche-Orient dans le chaos actuel. Ils ont assassiné la paix et l’esprit du dialogue. Mais j’ai aussi critiqué Khaled Meshaal et les caciques du Hamas qui n’aident pas toujours la cause palestinienne et y jettent un certain discrédit en usant de la violence et en repoussant le dialogue alors que je suis sûr que nos frères palestiniens ont besoin de plus de paix que de guerre ! J’ai dit aussi que certains pays arabes ont surtout instrumentalisé la question palestinienne et ont causé beaucoup de tort aux palestiniens en se servant de leur cause juste plus qu’ils ne la servent !

C’est surtout ma critique des idéologies telles que le salafisme et les tentatives d’exportation en Afrique par des pays et organisations arabes qui dérange, je crois.

L’islam tel que vécu traditionnellement en Afrique avait jusqu’ici permis de garder un compromis social aujourd’hui largement menacé par les idéologies djihadistes comme nous l’avons vu au Nord du Mali et au Nigeria.

Mais encore une fois, au lieu de rester sur la thématique du débat, Monsieur Ramadan dévié en voulant régler des polémiques antérieures telles que ma critique sur sa position au Mali. Avant même le début du débat télévisé, il m’a interpellé en me disant : « c’est vous qui écrivez les articles contre moi ? » Pour dire qu’il était bien parti pour régler son compte à cet Africain qui a osé remettre en question sa parole sur l’islam !

C’était une anormalité qu’il ne pouvait digérer. Mais je ne garde rien contre lui ni n’entre jamais dans la logique d’attaques dont il est parfois injustement victime. Ce qui me choque aujourd’hui, c’est qu’il a profité de mes positions sur la politique des pays et organisations arabes en Afrique (paternalisme religieux) pour me présenter comme un anti-arabe, ses partisans même me prennent pour un pro-israélien alors que j’ai fermement condamné les massacres perpétrés contre les palestiniens dès le début du débat.

Je le sais avec un peu plus de recul et au vu des réactions d’incompréhension sur ma position : il était difficile de tenir un langage de raison à un moment où les esprits étaient surchauffés et les cœurs pleins d’émotion. Je ne regrette rien d’avoir appelé à la paix mais avec le camp de la paix et à critiquer les extrémistes de tous bords qui ne servent pas la paix qu’ils soient israéliens ou palestiniens.

J’ai l’esprit tranquille dans le sens où je n’ai jamais cautionné la politique de massacre et de tuerie qui est celle du gouvernement israélien mais aussi parce que j’ai le courage de dire à nos amis arabes que la solution se trouve dans le dialogue et que l’esprit va-t-en-guerre fait le jeu des ultra-radicaux du Likoud et du Hamas ! Toutefois je reconnais bien David de Goliath !

Pour rassurer les collègues et amis qui se sont beaucoup soucié de l’image diabolisant que Tariq Ramadan a voulu donner de moi (peut-être qu’on ne se connaît pas encore bien !), ma position que j’avais du mal à défendre à cause du temps médiatique qui ne laisse pas faire des démonstrations, se résume en trois points :

1- Condamnation ferme des exactions israéliennes (voir ma prise de position dès le début comme le premier intellectuel sénégalais qui s’est exprimé sur l’attitude inacceptable d’Israel en termes de violation du droit international et du droit international humanitaire : http://www.dakaractu.com/Entretien-Gaza-L-usage-disproportionne-de-la-force-par-Israel-en-flagrante-violation-du-droit-international-est-source_a70409.html

2- Je suis pour le dialogue et pour cela il faut favoriser le camp de la paix incarné par le Fatah et Mahmoud Abbas: si on laisse les extrémistes du Likoud et ceux du Hamas gérer la situation il n’y aura jamais de paix (au passage, c’est pourquoi, j’ai refusé qu’on compare Nelson Mandela au Hamas).

3- J’ai souligné la solidarité entre Africains et arabes mais je refuse toute forme de paternalisme et d’exportations d’idéologies niant la possibilité aux africains de vivre l’islam selon leurs réalités, comme je l’avais souligné en mars 2013 lors d’un autre débat avec Ramadan à Tunis http://en.qantara.de/content/interview-with-bakary-sambe-in-the-arab-world-we-africans-are-viewed-as-inferior-muslims

Tout est parti de ma critique sur les Frères musulmans quand j’ai expliqué que c’était certes un parti politique mais pas « ordinaire » ayant comme emblème deux sabres croisés et marqué en bas « Préparez-vous » http://www.dakaractu.com/Dr-Bakary-SAMBE-UGB-a-Tariq-Ramadan-Comparer-Nelson-Mandela-au-Hamas-est-une-insulte-a-sa-memoire_a72017.html

C’est par la suite que Tariq Ramadan m’a traité « d’esprit colonisé » en arguant que je tirais mon discours de Paris ou de Washington. Je n’ai pas compris cette attitude qui finalement ne m’a guère blessé surtout venant de quelqu’un qui, après avoir loyalement servi Tony Blair comme conseiller ns’est livré dans les bras de Shaykha Muza et du Qatar. soit !

Ma réponse à la fin du débat était que je m’inspirais surtout de Cheikh Ahmadou Bamba, Cheikh Ek Hadji Malick et de Cheikh Moussa Camara dans ma critique du djihadisme et de la violence au nom de l’islam, pour réaffirmer qu’en Afrique, nous avons des ressources pertinentes sur le discours religieux islamique et qu’on n’avait pas besoin d’être des musulmans sous tutelle.

Je crois même qu’au nom de la solidarité avec nos amis arabes, ils pourraient être invités à s’inspirer des réussites de l’expérience africaine de l’islam en termes d’harmonisation entre réalités sociales et principes religieux que j’appelle « assimilation critique de l’islam » et surtout de cohabitation pacifique tout en étant conscients de nos échecs respectifs.

Dr. Bakary Sambe Head of Observatory on Religious Radicalism and Conflicts in Africa

Center for the Study of Religions Gaston Berger University

www.cer-ugb.net

bakary.sambe@gmail.com

Ignored and neglected: The Muslims of sub-Saharan Africa

Jeudi 20 mars 2014

Ignored and neglected: The Muslims of sub-Saharan Africa

Most attention for developments in the Muslim world, political, intellectual, or otherwise, focuses primarily on the Middle East and to some extent also South Asia. Geographically peripheral areas such as Southeast Asia, but even more so, sub-Saharan Africa, are generally neglected in both media and scholarship. The fact that Indonesia is the largest Muslim nation state in the world, and that Nigeria‘s Muslims number close to 90 million (more than the entire populations of, say, Iran, Turkey, or Egypt) is often ignored.

When areas such as West Africa do  receive coverage it is generally due to political crises or acute security concerns emerging from the region which are thought to have an effect on developments elsewhere. Seldom is there any attention for the local situation in its own right or a genuine interest in the region’s place within the Muslim world or in its historical contributions to Islamic civilization. Africans are seen as ‘marginal’ Muslims.

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In view of  recent events in Mali there has at least been some awareness of the destruction of its indigenous Islamic legacy in the course of clashes between locals, outside Islamic activists, and intervening foreign armed forces. However, so far this had hardly gone beyond indignation over the threats to UNESCO heritage sites such as the town of Djenné and it Great Mosque. Some cursory mention was also made of the equally endangered manuscript collections of Timbuktu. Such concerns demonstrate that there is an inkling of the role of Africa in shaping Muslim culture.

But that is all about the past, present-day Muslims in countries like Mali and its neighbours still face marginalization. However, some critical voices among its intellectuals do speak about the discrimination they face from their co-religionists, often in the guise of bringing ‘true Islam’ to Africa.

Bakary+Sambe dans INTERNATIONAL
Bakary Sambe

This issue was addressed by the Senegalese intellectual Bakary Sambe. Trained in Lyon as an Arabist, Africanist and political scientist, he specializes in trans-regional Muslim relations, in particular between the Arab world and Africa. He has taught in France and Senegal, and has held research associations with the European Foundation for Democracy and the Aga Khan University in London.

Organisations that are financed by Arab nations such as Kuwait, Qatar and Saudi Arabia are attempting what could be described as an « Islamisation » of our region; they want to bring their idea of « true Islam » to sub-Saharan Africa. This is pure ideology motivated by an Arab paternalism that I vehemently oppose. The attempt to « Arabise » us is based on a total denial of our culture as African Muslims.

His criticism is not only directed at the oil-rich Gulf States, but also individuals such as Tariq Ramadan, who  — although controversial in his own right — is nevertheless regarded as an ‘acceptable face of Islam’. But according to Sambe, his attitudes still reflect a kind of paternalism towards non-Arab Muslims which he considers ‘imperialist‘.

At the same time, he sees little emancipatory or redeeming value in promoting Islam Noir or ‘Black Islam’:

This term was introduced during the colonial era and sought to infantilise us, the African people. Allegedly, we were so emotional because we were not as spiritually mature as the Arabs, who were consequently viewed as more dangerous. France has always tried to establish a barrier between the Maghreb and the sub-Saharan region, to prevent any intellectual exchange from taking place.

timbuktu_manuscripts dans ISLAM AFRICAIN
Islamic manuscripts in Timbuktu

He finds its ironic that now, at the beginning of the 21th century, Gulf Arabs come to ‘Islamize’ West-Africa’s Muslims, while in the 15th century, when large parts of the Arabian Peninsula had reverted to being a cultural backwater, the scholars in Timbuktu were producing their treasured manuscripts….

Sambe thinks it is high time for African Muslims to shake off their inferiority complex and work redeveloping their own religious and intellectual traditions. Only this way Muslims can interact on par which each other.

Occupation du Nord-Mali : l’autre vrai paternalisme occulté par Tariq Ramadan

Vendredi 25 janvier 2013
Par Bakary Sambe*
A supposer que Tariq Ramadan ait un différend personnel voire politico-idéologique avec la France, cela frôle l’indécence de vouloir régler ses comptes pendant que se déroule sous nos yeux un véritable drame du peuple malien. Il a saisi cette opportunité pour s’attaquer à la politique africaine de la France, dont l’armée s’est mobilisée pour libérer le Nord-Mali à une période cruciale.

Sans prendre la défense d’un pays qui a ses choix et ses orientations que nous ne partageons pas totalement, il faut tout de même admettre que si la France n’était pas intervenue, il aurait fallu deux jours de plus pour que les troupes d’occupation sous couvert d’« islamisation »arrivent à prendre Bamako et continuer allègrement leur chemin afin d’instaurer, sur une bonne partie de l’Afrique de l’Ouest, l’émirat « islamique » longtemps rêvé par Mokhtar Belmokhtar.

Pour dire que l’enjeu majeur pour nos pays n’est pas la résurgence de ce discours refuge de Ramadan cherchant habilement à rallier aussi bien la gauche traditionnelle africaine que les néo-islamistes galvanisés par les victoires en demi-teinte des Frères musulmans du Maghreb et de l’Égypte. Peut-être ignorait-il que la nouvelle génération africaine avait dépassé ce débat et se préoccupait plus d’avenir.

Un impérialisme idéologique

L’article de Tariq Ramadan est, certes, intéressant sous plusieurs aspects, y compris, la critique du suivisme intellectuel de nos élites et de la faiblesse de nos États et régimes qui ont fait qu’avec tout le poids historico-symbolique nous ayons encore besoin de la France pour libérer le Nord du Mali. Mais je reste persuadé que François Hollande, sous le feu des critiques de la presse française et d’une certaine opinion, avait tellement à faire en politique intérieure qu’il se serait bien passé d’une guerre dans un contexte aussi morose.

La réflexion de Tariq Ramadan serait plus complète et crédible s’il avait, avec la même vigueur, dénoncé le processus historique et les constructions idéologiques qui amenèrent Ansar Dine et ses membres à s’attaquer au patrimoine de Tombouctou.

Mais il n’a pas pu ni voulu dénoncer avec la même vigueur cet impérialisme idéologique des pays et organisations du monde arabe, qui, sous couvert, d’islamisation de l’Afrique, financent et appuient des mouvements et ONG remettant, aujourd’hui, en cause l’existence même de l’État malien. Et, on peut légitimement se demander, à qui le tour demain ?

Il faut garder présent à l’esprit que des mouvements comme Ansar Dine et leurs alliés d’AQMI ont pour but déclaré de réislamiser le Sahel africain comme si l’islam ne s’y était pas répandudepuis le Moyen Âge dans le cadre d’un long processus constructif et harmonieux attesté par toutes les sources historiques.

C’est cette croyance à une infériorité spirituelle du musulman africain qui est à la base de l’activisme de nombre d’ONG et de pays arabes au « secours » de l’« Afrique musulmane ». En d’autres termes, un impérialisme sur le lit d’un paternalisme d’un autre genre que Tariq Ramadan n’a pas voulu dénoncer. Peut-être même ne le perçoit-il pas, certainement emporté par les lieux communs de l’idéologie d’une « internationale musulmane », dont les adeptes africains sont aussi des inféodés d’un autre impérialisme.

L’infériorisation du nègre dans l’historiographie arabe

L’attaque au patrimoine de Tombouctou par des phalanges venues du nord du Sahara est un retour de l’Histoire. Elle s’inscrit dans la même logique que celle qui avait animé le sultan marocain Mansour Al-Dhahabi, en 1595, lorsqu’il mobilisa son armée pour, disait-il, islamiser le Songhaï alors que Tombouctou était le centre d’un bouillonnement intellectuel depuis le XIIe siècle. L’épisode qu’en a retenu l’historiographie arabe est encore plus sinistre et plus révélateur de l’état d’esprit d’infériorisation du nègre : les armées d’Al-Mansour capturèrent comme esclave l’un des plus grands oulémas de son temps, Ahmed Baba, déporté finalement à Marrakech.

Mais, au-delà des faits, ce sont le discours et l’idéologie qui sont tout aussi « impérialistes » et réducteurs. En réalité, dans le subconscient arabe, au Maghreb comme au Machrek, il n’a jamais été considéré que l’Africain puisse être « bon » musulman. La perception « folklorique »qu’avaient donnée à l’islam « noir » certains commis coloniaux devenus « chercheurs » dans l’Afrique de l’entre-deux-guerres, perpétuée, ensuite, par des africanistes hexagonaux et certains de leurs disciples africains, a fortement déteint sur la manière qu’ont les Arabes musulmans de regarder leurs « frères » du sud du Sahara.

Mieux, l’image d’une Afrique « sans civilisation, terre de l’irréligion » (ad-dîn ‘indahum mafqûd) rejointe par les théories de la tabula rasa, véhiculée par Ibn Khaldoun (Muqaddima) et noircie par l’intellectuel syrien Mahmoud Shâkir, dans son Mawâtin shu’ûb al-islâmiyya, est restée intacte dans certains imaginaires. Ce dernier auteur, à titre d’exemple, présente le Sénégal, qu’il n’a peut-être jamais visité, comme un pays avec ses « sauvages et cannibales » dépourvu de toute pratique ou pensée islamique « respectables ».

Le massacre du patrimoine de Tombouctou par ces bandes armées financées par des pays et organisations arabes me conforte davantage dans l’idée que, derrière le bannissement systématique des pratiques religieuses des communautés originaires d’Afrique, il y avait le mépris d’une catégorie de musulmans qui n’auraient que le choix d’une posture mimétique s’ils voulaient rester « dans la communauté ». L’expression la plus parfaite de la négation de l’apport de l’Afrique à la civilisation islamique. On dirait revivre les pires moments de la théorie ayant orienté l’entreprise coloniale, dont Tariq Ramadan critique sélectivement les résidus. Mais il ne s’attaque pas à la substance de ce paternalisme arabe sous couvert d’islamisation qui veut arriver à bout des équilibres sociaux comme de l’harmonie longtemps louée des sociétés africaines musulmanes.

En fait, il est passé parmi les choses admises qu’il y a une éternelle mission islamisatrice dont les Arabes, cette minorité dominante du monde musulman, seraient naturellement investis. Le Qatar a son « croissant rouge », qui appuie Ansar Dine à Gao, et le Koweït son Agence des musulmans d’Afrique comme l’Arabie Saoudite pilote, par milles officines, la World Association of Muslim Youth (WAMY), généreuse donatrice de la célèbre mosquée de Goodge Street, à Londres, bastion du jihadisme européen.

Un islam « africain » plus « folklorique » ?

Cette croyance est tellement ancrée qu’elle marque l’attitude de mépris de la part des intellectuels du monde arabe vis-à-vis de l’islam africain et de sa production. J’en fus témoin irrité, c’est dans l’enceinte de la prestigieuse université de Californie, à Los Angeles, qu’un haut responsable de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), dont Tariq Ramadan est la star préférée, avait laissé entendre que l’islam « africain » était plus « folklorique » que « spirituel », répondant, ainsi, à un chercheur américain encore intéressé par l’enrichissante diversité de l’islam !

Le plus grave est que ce paternalisme arabe sur les musulmans de « seconde zone » que seraient éternellement les Africains se nourrit d’un vieil imaginaire savamment entretenu. C’est incroyablement, encore Ibn Khaldoun, pourtant esprit éclairé de son temps, qui les traitait de « wahshiyyûn » (sauvages) cannibales « ya’kulu ba’duhum ba’dan » ignorant toute notion de civilisation « tamaddun, hadâra ».

La pensée religieuse n’a pas été en reste lorsque dans la Risâla d’ibn Zayd al-Qayrawânî, faisant encore curieusement référence dans nos pays, il fut mentionné dans un esprit foncièrement esclavagiste qu’il était banni (yuharramu) de commercer avec les habitants du Bilâd Sûdân (pays des Noirs) qui sont des « impies » (kuffâr).

Comme aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne d’alors devait être le dindon de la farce théologico-politique entre le kharijisme « banni » et un sunnisme dominant contrôlant les points d’eau sur les routes du commerce caravanier. Dans des relents de pure nostalgie Khalîl al-Nahwî pleure encore l’Afrique musulmane qui ne saurait avoir de personnalité propre que par les « profondes influences » de ce qu’il appelle la « civilisation arabo-musulmane »(Ifrîqiyya-l-Muslima ; Al-Huwiyya-d-dâ’i‘a ; L’Afrique musulmane, l’identité perdue).

L’avenir de l’Afrique subsaharienne

C’est cette vision qui accompagne l’entreprise de déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest par la prédication d’une forme de religiosité née des contradictions ayant eu cours dans un monde arabe qui a longtemps valsé entre arabisme et islamisme pour en arriver à sa présente impasse.

Je crois personnellement qu’il était mal venu de la part de Tariq Ramadan de vouloir transposer ses différends avec la France ou l’Occident qu’il dit « meurtri et mourant de ses doutes et des crises économiques, politiques et identitaires qui le traversent ». Soit.

Mais le véritable enjeu pour les pays africains, loin des idéologies importées et des modèles qu’on voudrait y plaquer, est une réflexion sur l’avenir des entités politiques aujourd’hui menacées par cet activisme dont ne parle point Tariq Ramadan.

Pouvait-il ignorer ce vieux projet de zone d’influence d’un islam wahhabite radical clairement identifiable aujourd’hui ? Cette ligne Érythrée-Khartoum encerclant l’Éthiopie « chrétienne », en passant par Ndjaména et traversant les actuelles provinces du Nord-Nigeria appliquant la « sharî‘a », le Niger et le Mali, sous effervescence islamiste, pour aboutir au Sénégal, seul pays d’Afrique noire ayant accueilli par deux fois le sommet de l’OCI et siège régional de la Ligue islamique mondiale entre autres ? Ou bien, dans la démarche ramadanienne, la critique et la dénonciation des complots et conspirations sont aussi sélectives ?

À moins qu’on accorde à Tariq Ramadan le bénéfice d’un doute sur sa connaissance des réalités subsahariennes ! 

Mais serait-ce même la seule raison si l’on sait que, sur cette question précise de l’intervention française au Mali, Tariq Ramadan adopte la même position que le chef spirituel et idéologue d’Ennahda, le tunisien Rachid Ghannouchi, le Premier ministre marocain Benkirane, le président égyptien issu des Frères musulmans Mohamed Morsi, rejoints plus tard par l’emblématique Yusuf Qaradâwî, le prédicateur sous les ordres du Qatar, qui a financé Mokhtar Belmokhtar le nouvel émir autoproclamé de l’Afrique subsaharienne ?

En tout état de cause, dans cette prise de position énigmatique de Ramadan, aussi bien l’occultation du paternalisme arabe savamment drapé du prétexte d’islamisation que la troublante coïnci-concordance avec les déclarations des leaders du panislamisme les plus en vue donnent le tournis aux plus optimistes quant à sa sincérité.

* Dr. Bakary Sambe est enseignant-chercheur au Centre d’études des religions (CER), UFR des Civilisations, Religions, Arts et Communication, université Gaston Berger, Saint-Louis du Sénégal.

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