Archive de la catégorie ‘ISLAM AFRICAIN’

Des mausolées de Médine aux saints de Tombouctou : le Wahhabisme à l’assaut de la mémoire

Jeudi 19 juillet 2012

Par Bakary SAMBE

Encore une belle occasion d’alimenter la théorie sur les « nouveaux barbares » ! Les télévisions du monde entier se sont braquées sur les horribles images de destruction des mausolées dans la ville historique de Tombouctou. Au-delà de la mise en pratique d’une doctrine wahhabite dans son expression la plus extrême, c’est le symbole même d’un islam africain constitutif de la civilisation musulmane qui est, encore, la cible de ces groupes. Mais, cette idéologie rétrograde qui a toujours enfermé le débat sur l’islam dans un carcan ahistorique et une vision étriquée, avait déjà commis plusieurs forfaitures dans le même sens. 

La « saga » wahhabite avait bien commencé en Arabie-même avant de décider d’en finir avec tout ce qui pouvait symboliser la diversité. Cet unitarisme dogmatique professé, à l’époque par un « théologien » en mal de reconnaissance qui s’offrit aux désirs d’un politique en quête de légitimité lui servant de bras armé, n’a cessé de faire des ravages dans les sociétés musulmanes, elles-mêmes, avant de se rendre tristement célèbre par le plasticage des Bouddha géants d’Afghanistan. L’idéologie wahhabite fait encore, malheureusement, des émules et a conduit, récemment, à la destruction des mausolées des trois principaux guides religieux de la confrérie soufie Qâdiriyya à Mgadiscio par les Shebab.

Dans la logique de l’excluvisme religieux, ce courant prend souvent le masque de la restauration des dogmes pour se considérer comme ce virtuel « vrai islam » avec un endoctrinement qui a ses propres méthodes. Pourtant le Wahhabisme – se cachant très souvent derrière le vocable du salafisme- n’est qu’une simple tradition religieuse, développée dans ce qui est devenu l’Arabie Saoudite, depuis le milieu du xviiie siècle par les oulémas de l’institution religieuse fondée par les héritiers de Muhammad Ibn Abd al-Wahhab (1703-1792).

 Cette institution, en retour, se considère comme la « gardienne » de cette tradition. L’une et l’autre entretiennent un rapport organique avec l’État saoudien, fondé en 1744 à la suite d’un pacte conclu entre Ibn Abd al-Wahhab et Muhammad Ibn Sa?ud, selon lequel le « sabre » se mettrait désormais au service du « goupillon », et réciproquement. Voilà qu’un pacte purement politique, fondé sur la légitimation réciproque et l’échange de services, s’autoproclame seule « doctrine véritable » à l’assaut de tout ce qui, dans le monde musulman pouvait matérialiser son enrichissante diversité.

Mais la série des destructions et des saccages d’une bonne partie de la mémoire de l’islam avait bien commencé à Médine au cimetière d’Al- Baqî que les wahhabites ont complètement rasé, à l’époque. Si, aujourd’hui, en terre africaine, les disciples du wahhabisme continuent de taxer les adeptes du soufisme d’associateurs (pratiquant ce qu’ils appellent le shirk) et les excommunient, les sources historiques restent formelles sur une tradition qui était bien ancrée en Arabie musulmane depuis la période classique de l’islam.La présence de mausolées et de tombeaux ornés et décorés, édifiés, ou agrandis, avant 1326, est clairement attestée par Ibn Battûta lors de son pèlerinage à la Mecque et par Ibn Jubayr avant lui (1183). Le célèbre historien Ibn Battûta décrivait même une « grande coupole » sur la tombe d’Uthman ibn Affan, l’un des quatre califes dits « bien guidés » appartenant, pourtant, à la période sacralisée et idéalisée des tenants du salafisme wahhabite !C’est, bien plus tard, que les wahhabites, près de 1200 ans après, en vertu d’une fatwa prise par un certain cheikh Muhammad al-Tayyib, ont détruit les mausolées du cimetière médinois d’Al-Baqî` contigüe à la Mosquée du Prophète.

D’ailleurs n’eût été la résistance de certains savants et autorités musulmans, le propre mausolée du Prophète de l’islam aurait déjà connu le même sort que ceux des saints de Tombouctou.Et l’on peut croire que, sur le sort de la mosquée-tombeau de Médine, les wahhabites ne sont que dans une logique de « hudna », pause stratégique, le temps d’accomplir ce « vœu pieux » de « désacraliser » le mausolée du Prophète. Un célèbre penseur contemporain de ce courant continue à le professer et qui a bien inspiré les démolisseurs de Tombouctou. Il s’agit de Shaykh Albânî, dans son ouvrage « Ahkâm al-Janâ-iz wa bida’uha ». Il y recommande que l’on retire la tombe du Prophète de l’islam de la mosquée de Médine. La désacralisation est bien en marche ! Ce même auteur, presque sacralisé dans nos écoles salafistes de Dakar, Bamako ou encore de Niamey, insiste sur cette demande dans un autre de ses ouvrages Tahdir as-sâjid Min ittikhâdil Qubûri Masâjid (pp 68/69).Cette idéologie de la destruction n’a pas commencé à Tombouctou et ne s’y arrêtera certainement pas.

 Elle est inscrite dans un processus continu de négation de la différence, de la culture du débat pourtant institué par les textes et faits fondateurs de l’islam. La même logique politique accompagne cette doctrine wahhabite qui, en réalité, a toujours été au service du pouvoir politique. Le cimetière d’al- Baqî, avant la venue au pouvoir du régime saoudo-wahhabite, avait plusieurs mausolées, qui étaient des lieux de pèlerinage des chiites et même des sunnites qui venaient à Médine. C’est partant d’un dogme qui considère comme un péché de se rendre sur la tombe d’un défunt que de nombreux sites religieux ont été détruits. Les wahhabites avaient même forgé le projet de détruire les sites Karbala et de Najaf (mausolée d’Imam Ali), en Irak, et leur projet de destruction de la tombe du Prophète a été abandonné suite aux violentes objections de la communauté islamique internationale. Au-delà des évènements malheureux de Tombouctou on dirait que les tenants du wahhabisme sont dans une logique de destruction du patrimoine historique et de la mémoire tout court. Sinon comment comprendre la démolition d’une partie de la montagne d’Abû Qays, non loin de deux portes principales de la Ka’ba (Bâb-u- Salâm et Bâb-u-Ali) ? Abû Qays symbolisait pourtant, selon la tradition musulmane, le premier endroit d’où le Prophète débuta sa prédication et où, habituellement les pèlerins étaient invités à faire une prière spéciale. La mémoire religieuse ainsi effacée, un somptueux palais royal y prit vite place comme pour avoir une belle vue sur la pierre noire peut-être visée, aussi, par les fatwas de la destruction. S’il en était des idoles à détruire en priorité, ce serait, sans conteste, celles dressées sur le chemin d’une intelligence des textes sacrés, peuplant les esprits formatés pour l’éternel taqlîd, l’imitation aveugle non contextualisée au mépris de la raison et de la logique de l’ikhtilâf, le principe garanti de la divergence et du débat.

 L’attaque au patrimoine de Tombouctou ne peut se comprendre que si l’on garde présent à l’esprit tout ce que cette ville représente pour l’Afrique, l’islam et l’humanité. Cette cité connue, à l’origine, comme un campement des nomades berbères du XIIIème siècle marquera l’histoire du commerce transsaharien durant tout le XIVème siècle. Tombouctou fait partie de cette époque de la grandeur en Afrique et de la civilisation sahélienne, notamment avec l’empereur Manding Mansa Mûsâ, l’homme du célèbre pèlerinage à la Mecque.

C’est en son temps que la Grande Mosquée de Djingareyber a été construite (1325 ap-JC) par un architecte andalou, Abû Ishâq as-Sahilî à qui le généreux empereur offrit, tout de même, 40 000 mithqâl (200 kg) d’or ! Au-delà d’une barbarie se drapant d’un manteau religieux, d’une étroitesse d’esprit signe d’une certaine pauvreté spirituelle conduisant à l’importation de cette idéologie, pourtant battue en brèche dès sa naissance dans les ouvrages de Sulaymân Ibn Abdulwahhâh (propre frère du fondateur du Wahhabisme, dans Aççawâ’iq al-ilâhiyya fi-r-radd ‘ala-l-wahhâbiyya) mais aussi de Yûsûf Ismâ’îl Nabhânî (Shawâhid-u-l-haqq), c’est cet esprit de Tombouctou que l’on a voulu tuer ! Car, c’est surtout l’esprit de Tombouctou qui dérange les idéologies sectaires telles que ce wahhabisme d’un autre temps. Tombouctou est la ville des échanges et de l’ouverture.

C’est de cette ville mythique que partit ce fils du Sahel qui émerveilla les Shaykh de Marrakech, ville de Qâdî ‘Iyâd : Ahmed Bâba al-Tinbuktî, tel que connu dans les classiques d’histoire au Maroc. L’image de l’érudit venu du Sûdân fit vite place à son statut de captif _ après l’aventure saadienne d’Al- Mansûr contre l’empire Sonhaï, en 1596_ ! N’est-ce pas, aussi, ce fils de Tombouctou qui démontra à l’époque, dans ses débats avec les Fuqahâ et oulémas maghrébins, que la pensée islamique n’a jamais été monolithique et que la philosophie du débat et de la divergence était aussi une réalité islamique ? Mais Tombouctou ne doit pas tomber ! Sinon le chemin est ouvert pour d’autres dérives, d’autres destructions de mausolées et pour une dictature « intellectuelle » favorable au règne de la nouvelle « sainte ignorance ».

 Dr. Bakary Sambe, Spécialiste du monde musulmanSenior Fellow, European Foundation for Democracy –(EFD) Bruxelles

Le régime d’Abdoulaye Wade : Des mesures liberticides à la profanation de la Zawiya Tijâniyya

Mardi 21 février 2012

Par Dr. Bakary Sambe

Source : oumma.com

Les images de ce vendredi, de fidèles qui s’étouffent et suffoquent en plein Dzikr (invocation), dans une mosquée bondée aux vitres cassées et assaillie de policiers à la chasse aux opposants, n’augure rien de souhaitable pour le Sénégal.

A force de vouloir se perpétuer, même illégalement, pour un troisième mandat anticonstitutionnel, le régime d’Abdoulaye Wade veut-il en arriver à casser le « contrat social sénégalais » ? Ce pays était connu dans le monde par l’harmonie presque parfaite entre ses communautés religieuses.

Heureuse exception dans  « l’Afrique des dictatures », le Sénégal, ce pays de 95 % de Musulmans, fut dirigé pendant vingt ans par Léopold Sédar Senghor, un président de confession catholique, soutenu par la plupart des confréries musulmanes. D’ailleurs, avant l’indépendance, le même Senghor était député du Sénégal colonial au Palais Bourbon, pendant longtemps plébiscité par les marabouts contre un musulman du nom de Lamine Guèye. Cela n’a jamais posé problème aussi bien au sein des communautés musulmanes que dans l’élite religieuse du pays de manière générale.

Mais, ces dernières semaines, cette « vitrine démocratique de l’Afrique » a commencé à s’écarquiller et la communauté internationale découvre un visage méconnu du Sénégal. Celui d’Abdoulaye Wade qui, non content de restreindre les libertés individuelles et politiques (interdictions de manifester et de se réunir), s’attaque maintenant à celle du culte.

La scène est insoutenable en plein centre de Dakar. En pleine séance de hadratoul Joumou’a (Dzikr du vendredi), un des piliers de la confrérie Tijâniyya qui se pratique, le vendredi après-midi, entre les prières d’Al –Asr et du Maghrib, les éléments de la police sénégalaise ont « bombardé » la foule de fidèles avec des lacrymogènes et autres projectiles, faisant fi des circonstances sacrées et du respect minimum dû à un lieu de culte.

La dérive liberticide s’installe au pays de la Teranga (hospitalité et savoir vivre) et n’épargne même plus des espaces aussi symboliques de l’islam et de la Tijâniyya . Cette Zawiya ainsi profanée a été fondée, au début du 20è siècle, par Cheikh El Hadji Malick Sy, une des « figures historiques de l’islamisation en profondeur du Sénégal » (voir oumma.com), en pleine période coloniale. C’était un des symboles de la résistance culturelle à la politique d’ « assimilation de l’indigène », chère à la troisième République.

Pourtant, beaucoup de témoignages rappellent que, même durant la colonisation, malgré la proximité géographique entre la Zawiya et le Palais du Gouverneur de l’Afrique occidentale française (AOF), l’Administration a toujours couvert d’un certain respect ce lieu « sacré » malgré les « gênes occasionnées par le muezzin ».

Mais, le régime de Wade n’en est pas à sa première profanation et violation de la liberté de culte comme d’opinion. En 2007, un haut responsable de l’opposition avait été arrêté à sa sortie de messe à l’occasion de la fête religieuse de Pâques au grand dam des autorités de l’Eglise et des défenseurs des Droits humains. C’est, aussi, sous Abdoulaye Wade que des évêques ont reçu des menaces de mort, à l’époque, unanimement condamnées par la classe politique du pays.

Cependant, l’évènement de ce vendredi 17 février, à une semaine d’un scrutin incertain tant la candidature de Wade est largement contestée bien que « validée » par un Conseil constitutionnel dont le salaire des membres fut généreusement augmenté à une semaine du dépôt des listes. Rappelons qu’il y a, à peine deux mois, Abdoulaye Wade avait même fait appel au lobbying de juristes français pour contrecarrer l’avis des constitutionnalistes sénégalais unanimes sur l’inconstitutionnalité de sa troisième candidature.

L’on se souvient la manière dont les conséquents per diem de ceux appelés les « tirailleurs français » de Wade, à la charge du contribuable sénégalais, ont fait l’objet de toutes les dénonciations dans la classe politique.

Aujourd’hui, la timide réaction des chancelleries occidentales, le soutien des caciques du régime et de leurs clientèles, semblent conforter Abdoulaye Wade dans sa volonté de vouloir rester illégalement à la tête du Sénégal. Hier, encore (17/02/2012), Karim, son fils et probable héritier d’une « république bananière » en gestation, était l’hôte de la société de communication Image Sept, sur les Champs Elysées pour prédire les résultats des élections de la semaine prochaine : 53 % pour Wade qui passerait au premier tour !

Les services d’un proche d’Alain Madelin, Anne Méaux de l’Agence Image Sept, dont nul n’ignore le passé militant au sein du Groupe Occident, assurent la communication de Wade comme elle s’occupait, jusqu’à sa chute, de l’image d’un certain Ben Ali. Le grand Cabinet parisien a bien pris le soin d’affecter la très connue sur la place du Paris communiquant, Marie Luce Straborsky, comme « coach » de l’« ami sénégalais », Abdoulaye Wade, pour les besoins d’un forfait qui se trame.

Presque sûr des résultats que l’opposition sénégalaise dit être « préfabriqués », le régime d’Abdoulaye Wade persiste dans la violation des libertés fondamentale après celle de la Constitution.

Mais les images de ce vendredi, de fidèles qui s’étouffent et suffoquent en plein Dzikr (invocation), dans une mosquée bondée aux vitres cassées et assaillie de policiers à la chasse aux opposants, n’augure rien de souhaitable pour le Sénégal.

Pourtant, à l’origine de tout cet acharnement, un simple rassemblement pacifique qu’un candidat de l’opposition voulait tenir à la mythique Place de l’indépendance et arbitrairement interdit par le régime de Wade. L’opposant « historique » de naguère qui a bien vite oublié les raisons et les circonstances de sa victoire contre Abdou Diouf avec tous les sacrifices consentis par notre génération. D’ailleurs, un de ses plus sérieux challengers, Idrissa Seck, en concluait hier que c’était bien « le Jour 1 de la dictature au Sénégal ».

Cet évènement inédit dans l’histoire politique et religieuse du Sénégal a, d’ailleurs, été à l’origine de violentes manifestations dans la ville de Tivaouane, capitale de la Tijâniyya sénégalaise et même dans d’autres cités religieuses du pays.

La vigilance est, donc, de mise car le Sénégal des poèmes de Senghor, chantre de la Négritude, le Sénégal de l’alternance politique pacifique en 2000, celui de la coexistence harmonieuse des religions et des peuples, des idéaux de la démocratie et de la Civilisation de l’Universel, est vraiment en pleine zone de turbulence.

UN COLLECTIF D’INTELLECTUELS MOURIDES SE PRONONCE SUR LE PROJET DE LOI DE LA VICE-PRÉSIDENCE

Samedi 25 juin 2011

UN COLLECTIF D’INTELLECTUELS MOURIDES SE PRONONCE SUR LE PROJET DE LOI DE LA VICE-PRÉSIDENCE

Nous considérons que la situation du pays est aujourd’hui grave et commande que toutes les femmes, tous les hommes, animés de la bonne volonté de maintenir l’unité nationale, la concorde et l’entente entre les citoyens, puissent se prononcer car l’intérêt supérieur de la nation le suggère.

Ce pays le Sénégal, est et a toujours été un pays de dialogue. Nous, ce collectif d’intellectuels, appartenons à une Communauté de dialogue, fondée sur les valeurs de consensus, d’unité et de défense des intérêts supérieurs de la Nation. Son Khalife actuel, dès l’entame de son magistère a tenu à démontrer cet ancrage du Mouridisme dans la défense de ces valeurs d’unité comme ont eu à le faire ses prédécesseurs.

De ce fait et animés de cette volonté d’unité, nous considérons que ce projet divise profondément la Nation Sénégalaise, et ébranle son Unité en remettant en cause la souveraineté du Peuple.

Ainsi nous demandons au chef de l’Etat de retirer ce projet et d’ouvrir ses portes au dialogue afin de trouver un consensus et d’aller à l’essentiel, qui consiste aujourd’hui à s’occuper des vrais problèmes urgents des sénégalais : coupures de courant, inondations, monde rural, chômage des jeunes et la paix en Casamance, entre autres.

Membres du Collectif d’intellectuels mourides :
Mame Thierno Mbacke
Serigne Khadim Lo, Conférencier-Chercheur
Cheikh Fatma Mbacke, Ingénieur Informaticien
Cheikh Mbacke Khaïra, Chef d’entreprise
Khadim DIOP, Financier-banquier
Serigne Same Bousso, Conférencier-Chercheur
Serigne Mame Balla Mbacke, Chercheur
Abdou Aziz Mbacke Majalis, chercheur-écrivain

العلاقة الروحية بين التيجانية والمغرب .. (حوار) مع الباحث السينغالي بكاري سامبي الحسن سرات

Mardi 15 mars 2011

العلاقة الروحية بين التيجانية والمغرب .. (حوار) مع الباحث السينغالي بكاري سامبي
الحسن سرات

السينغالي باكاري سامبي أستاذ علوم سياسية، وباحث ضمن « مجموعة البحوث حول البحر المتوسط والشرق الأوسط » بمدينة ليون الفرنسية، سامبي -الذي يجيد اللغة العربية- من الباحثين الأفارقة الشباب في مجال العلاقات الدولية، وهو أيضا خبير مختص في علم السياسة والعلاقات العربية الإفريقية وحركات النضال الإسلامي والشبكات العابرة للدول، ويعمل خبيراً في المؤسسة الأوروبية للديمقراطية ببروكسل. وله مدونة على الإنترنت حول التصوف عامة، والتيجانية خاصة.
سامبي الذي أصدر مؤخراً كتاباً بعنوان « الإسلام والدبلوماسية: سياسة المغرب الإفريقية » تحدث إلى موقع إسلام أون لاين حول أهم القضايا المطروحة في الكتاب، مثل الطرق الصوفية ووزنها السياسي والدبلوماسي في العلاقات المغربية الإفريقية، واستثمار المغرب لميراثه التاريخي الديني في علاقاته مع إفريقيا عامة والسينغال خاصة، والتوظيف الإيديولوجي والسياسي للتصوف، وغيرها.
نص الحوار:
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العامل الديني
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*أنتم من الباحثين الأفارقة الذين أعادوا الاعتبار للعامل الديني في العلاقات المغربية الإفريقية. كيف جاءتكم فكرة الكتاب؟
**منذ مدة طويلة وأنا مهتم بالعلاقات الدولية، وهو تخصص يسيطر عليه الباحثون الأميركيون، رغم الجهود التي بذلها الفرنسي رايمون آرون الذي لم يفلح في التخلص من المقاربة الواقعية. وعلاوة على هذا، فإن جامعاتنا الإفريقية ورثت مقاربة مغرقة في المؤسساتية للعلاقات الدولية. وهذه المقاربة المؤسساتية للعلاقات الدولية تتنكر لمكانة الفرد ومكانة المجموعات الدينية، وأيضا للفعالية السياسية للرموز التي سنحت ببناء نسيج غير مادي.
وفي هذا السياق تفرض عدة طرق صوفية نفسها، مثل الطريقة التيجانية، منذ أمد بعيد، كفاعلين لا يمكن تجاوزهم في علاقات التعاون بين المغرب وإفريقيا جنوب الصحراء. فبروز الأفراد والفاعلين العاديين في مجال العلاقات الدولية أحدث تنافسا مع مؤسسة الدولة التي وجدت نفسها تعاني من مزاحمة شديدة في مجالاتها الدبلوماسية، قد تصل في بعض الأحيان إلى دبلوماسية موازية.
وباعتبار الدولة مؤسسة فقد اضطرت إلى تكييف استراتيجيتها أمام هذا المعطى الجديد. ومع أن الدولة قوية بامتياز السيادة، إلا أنها تحاول الاستفادة من فاعلين داخليين أكثر نشاطا وتأثيرا في مجال العلاقات والأنسجة الدولية، ليضمنوا لها صبغة دينية، ولكسب مشروعية اختياراتها وتوجهاتها السياسية.
*المنهج المعتمد لديكم يختلف عن المنهج السائد والمستعمل في تحليل العلاقات الدولية والدبلوماسية الدينية، هل من توضيح؟
**كتابي عن « الإسلام والدبلوماسية » يهدف إلى إعادة النظر في مختلف التصورات والنظريات السائدة في تخصص العلاقات الدولية. ومن خلال حالة العلاقات المغربية الإفريقية، اجتهدت لنقض فكرة سائدة في تلك التصورات والنظريات، مفادها أن العامل الديني، ليس له سوى مكانة هامشية في مسار المجتمعات والعالم.
وأردت التذكير بأنه لا يمكن إثارة العلاقات بين إفريقيا جنوب الصحراء والعالم العربي، دون الأخذ بعين الاعتبار أثر ووزن العامل الديني. فالاكتفاء بفحص هذه العلاقات عبر المنظمات والمؤسسات الدولية فقط، يمثل مجازفة علمية قد تبعد عن أنظارنا خصائص مهمة للواقع، وتشوه صورته الحقيقية.
وسواء تعلق الأمر بالمغرب، أو بدول إفريقيا جنوب الصحراء، فإن مختلف المجتمعات التي تهمنا بقيت بمنأى عن صعود الفردانية وتفكك المجموعات والتجمعات الدينية التقليدية، على خلاف ما وقع في المجتمعات الغربية والمجتمعات المتأثرة بها من أفول للتأثير الديني. ولذلك فإن اهتمامنا بالدين لا يمكن أن يكون محل شكوك ووساوس.
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تزاوج المالكية والتصوف
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*تميز المغرب رغم اختلاف الدول المتعاقبة عليه باستقرار في العلاقة مع إفريقيا الغربية وجنوب الصحراء. لماذا في نظركم؟
**من المعلوم أنه منذ دولة الموحدين، مرورا بدولة السعديين والمنصور الذهبي، قام المغرب بدور إفريقي كبير لا يجاريه فيه أي بلد من بلدان المغرب الكبير. فمنذ التجارة العابرة للصحراء في القرون الوسطى إلى الحج إلى فاس -التقليد الذي تمسك به كل مريدي الطريقة التيجانية ببلدان إفريقيا جنوب الصحراء- بقيت المملكة المغربية أرض التزود والإرواء الروحي، وظلت المملكة مؤمنة متمسكة برسالتها الدينية فيما وراء الفيافي والقفار الصحراوية الإفريقية.
وإضافة إلى مختلف التوغلات المرابطية، والمحاولات الموحدية، والمغامرات السعدية في سونغاي نهاية القرن السابع عشر، استطاع المغرب تصدير نموذج ديني يؤلف بين المذهب المالكي الفقهي والتجربة الصوفية، خاصة الطريقة التيجانية، ضمنت له صدى واسعا بالجنوب. وهذه الحكاية الطويلة الممتلئة بالصراعات والتوافقات، هي التي أثمرت علاقات ثقافية قوية وقدمت للمغرب خميرة جيدة، ومكنته على الخصوص من تعزيز جذوره في التربة الإفريقية.
*تصدرت التيجانية قائمة العلاقات الدبلوماسية المتميزة بين المغرب وإفريقيا، هل لهذه الطريقة خصوصية ما وراء هذه المكانة؟
**الطريقة التيجانية، رمز هذا التقارب، وعن طريق الرابط الروحي لمجموعتين سياسيتين اشتركتا في الميراث الديني والتاريخ الطويل، ستستمر في تبوء هذه المكانة العالية في العلاقات الثنائية بين المغرب والسنغال. أما مكانتها في السنغال ووضعها كوسيط ضروري في العلاقات مع المغرب فأمر مكتسب ودائم. وأما دورها في المغرب فقد أخذ طابعه الرسمي والشكلي عندما جرى تعيين خليفة رسمي للتيجانيين السنغاليين في الزاوية الأم بفاس، حيث يوجد ضريح سيدي أحمد التيجاني، وأيضا في الرباط ومراكش. بالإضافة إلى تنظيم الملتقى السنوي الدولي لجميع ممثلي فروع التيجانية في القارات الخمس بمدينة فاس المغربية.
*عندما ننظر إلى واقع التيجانية بالمغرب وواقعها في إفريقيا نجد فرقاً بيّناً، فالطريقة المسيطرة اليوم بالمغرب هي البودشيشية، كيف تفسرون ذلك؟
**أظن أن التراجع الصوفي الذي تتحدث عنه لا يقتصر على المغرب، فهو وضع عام في جميع دول المغرب الكبير والعالم العربي.
التراجع في الأداء الصوفي والطوائف الصوفية ظاهرة بدأت منذ العشرينيات، خاصة مع الحركات الوطنية التي رأت في الزوايا والطوائف مظهرا من مظاهر التخلف الاجتماعي والسياسي. ولا ننسى أن إعادة الاعتبار للتصوف واختياره بديلا لم يحدث إلا بعد الخسائر التي سببها التطرف الإسلامي.
التيجانية جنوب الصحراء الإفريقية كان لها حظ لم تنله في دول المغرب العربي، ففي إفريقيا السوداء
استطاعت التغلغل في المجتمع، وفي دائرة القرار السياسي، بينما في دول المغرب حال بينها وبين ذلك النظرة الفلكلورية والحرب المعلنة ضدها من قبل النخب الوطنية.
أما البودشيشية فإن عودتها القوية بالمغرب جاءت بمثابة نفس جديد بعد سلفية فقيرة من الناحية الروحية،
والمخاوف التي أثارتها الجبهة الإسلامية للإنقاذ بالجزائر. وفضلاً عن هذا، فإن البودشيشية استطاعت إغراء الأوساط النافذة والغنية بالمغرب، في حين أن الطوائف التقليدية كانت تعاني بعضا من الجمود، وهذا الحراك العام لم يستثن التيجانية.
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مواجهة الإسلام الحركي
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*نلاحظ انبعاثا للتصوف في العالم كله، البعض يفسر هذا الانبعاث برغبة أميركية لقطع الطريق على الحركات الإسلامية السياسية، فهل توافقون على هذا الرأي؟
**لقد أشرت من قبل إلى أن التصوف يعتبر بديلا مريحا بالنظر إلى صعود السلفية الفقيرة روحيا، فضلا عن طبعها العنيف ومزاجها المتشدد في الدعوة. وهذا النموذج الصوفي يمتلك إغراء في المرحلة الحالية وداخل مجتمعات لا ترفض الإسلام على أنه مجموعة قيم، ولكنها تتخوف من انحرافات مرتبطة بالإسلام السياسي. غير أن التصوف ليس مرادفا لتدين مناهض للسياسة في كل مكان، إذ في بعض البلدان مثل السنغال، توجد طرق صوفية في قلب النظام السياسي، ولها تأثير يفوق الحركات السلفية المناهضة للتصوف. ولا أرى في هذا أي تدخل أميركي، ولا أتفق كل الاتفاق مع هذه الرؤية، لأن الظاهرة أكثر تعقيدا من ذلك.
*هناك رأي للباحث الجزائري الأصل زيدان ميريبوط في كتابه الأخير « الإسلامية والصوفية والإنجيلية الحرب أم السلام » يذهب فيه إلى أن التصوف هو الحل الأنجع لمواجهة الحركات الإسلامية المتشددة، فهل توافقونه الرأي. ألا توجد نقاط مشتركة بين الصوفية والإسلاميين أو بعضهم؟
**في بعض الأوقات أشعر بالصدمة، خاصة عند الاستغلال الإيديولوجي للتصوف، فالانتماء لطريقة من الطرق شيء ذو بال وذو معنى كبير عند الأتباع. وأظن أن هذا التيار الروحي يستحق أن يحتفى به لما يقدمه للمريدين من إشباع عاطفي وباطني.
ولا ينبغي للأنظمة العربية التي حاربت التصوف زمناً طويلاً أن تحتمي به لمجرد صناعة بديل للتطرف. فمن الأسباب الرئيسية لهذا التطرف انغلاق في المسلك الديمقراطي، وحد من الحريات السياسية، وغياب لحرية الرأي، واستحواذ على الثروات من قبل الأقليات، وتصاعد للفقر، وبصفة أخص تحكم سياسي في الخطاب الثقافي والفكري. وجميع هذه العناصر تفقد الأمل لدى الشباب، كما تفقدهم الثقة في المستقبل، وتجعلهم فريسة سهلة لتجار الوهم. وإلى جانب اختيار التصوف بديلا، لا بد من تحقيق العدل الاجتماعي وحرية التعبير خارج المساجد، ومزيد من احترام حقوق الإنسان.
*في آخر الكتاب أشرتم إلى انخراط باقي الزوايا والطرق السنغالية في العلاقة المتميزة مع المغرب، ولكنكم لم تفصلوا في هذا الأمر كثيرا، فلماذا؟
**أجل، أشرت إلى مشاركة شيوخ الطريقة المريدية في زيارة الملك محمد السادس للسنغال، لكن هذا الأمر كان بهدف المحافظة على التوازنات السياسية والدينية بالسنغال. والسلطان المغربي ليس له الاعتبار ذاته الذي يكنه له أتباع الطريقة التيجانية عند الطرق الأخرى. وكما فصلت في الأمر، فإن هناك ميراثا جماعيا يسكن الذاكرة، ويجعل سلطان المغرب ووالده منتميين للطريقة التيجانية، ولا يزال أتباع الطريقة بالسنغال يعتقدون أن الملك المغربي وسيدي أحمد التيجاني هما من سلالة واحدة. وهذا الوضع المستقر حتى الآن له أثر قوي في المحافظة على العلاقة الروحية والعلاقات الثنائية.
*هناك سؤال يلح على القارئ طيلة الكتاب، وهو ألا تتضايق الدول الإفريقية من هذه العلاقة مع المغرب، ألا تعتبر ذلك تدخلا في شؤونها؟ خاصة أن الطرق تصف ملك المغرب بكونه « أميراً للمؤمنين »؟
**ليكن في علمكم أن لقب « أمير المؤمنين » لا يفهم في إفريقيا جنوب الصحراء كما يفهم في العالم العربي. في إفريقيا السوداء ورث هذا اللقب عبر التاريخ العريق بين المغرب وإفريقيا، وتبوأ مكانته في ذاكرة الأتباع الصوفيين بالسنغال، وليس له أي معنى سياسي ضيق.
ويرمز فقط إلى التقدير الديني الكبير، ويعزز مكانة المغرب قبلة للتزود الروحي ونموذجا دينيا للاقتداء. فقد صار من الثوابت في الدبلوماسية الإفريقية أن ترتكز المملكة الشريفة في المجال السياسي دوما على حلفائها الاستراتيجيين، وتستفيد من سمعتها في المجال الديني، وأيضا من المصادر الرمزية التي اكتسبتها من فعلها التاريخي جنوب الصحراء. وعلى ما يبدو فإن الأمر ناجح ومفيد للمغرب، وهو نسيج أقوى من العمل الدبلوماسي.
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Les moissons de la Vertu : Aux sources d’une grâce perpétuelle nommée Magal

Vendredi 14 janvier 2011

Par Dr. Bakary SAMBE

Source: www.majalis.org

Dans la conjoncture d’une époque, au milieu d’une société aux valeurs fluctuantes face à une crise multidimensionnelle, Cheikh Ahmadou Bamba fit l’option déterminante du spirituel au détriment du temporel en misant sur deux valeurs sûres : le savoir et la piété (Innî ujâhidu bil‘Ilmi wa-t-Tuqâ). Par une profonde conscience de la nécessaire perpétuation des enseignements de son modèle, le Prophète (PSL), il fit l’effort de « cultiver son jardin » malgré l’aridité d’un terreau peu favorable et l’adversité d’une époque qui était plus propice à la compromission qu’à l’adoration.

Les arbres de la foi solidement enracinés dans un sol d’une détermination (Himmah) imbibée de la sincérité envers Dieu (çidq) ont pu rendre durable cet oasis de la science et de la piété, Touba, au milieu du désert de l’injustice féodale et de l’arrogance coloniale. Contre les épreuves de l’exil et de la persécution, il s’arma de longanimité, du sens du devoir et de la conscience intime de Dieu.

Et voilà que des terres enclavées du Baol, l’enseignement de Cheikh Ahmadou Bamba et son œuvre, sur un temps limité par les tracasseries du colon et autres épreuves, ont pu, au Sénégal comme à l’étranger, conquérir les espaces jadis dominés par ceux-là même qui voulaient éteindre cette lumière que Dieu, Lui, dans sa volonté, avait décidé d’entretenir. N’est-ce pas à Dieu seul qu’appartient le pouvoir de l’accomplissement des volontés ? : Wallahou Mutimmun Nurahû walaw Karihal Kâfirûna ! (Coran 61/8)

Le Mouridisme s’est, ainsi, mondialisé par la diffusion de son enseignement et d’un modèle fascinant. Ainsi, comme le décrivait feu Cheikh Abdoulaye Dièye, « du commerçant au travailleur immigré en passant par l’étudiant et le diplomate, chacun voyageant avec comme viatique sa foi, contribua et contribue encore à vulgariser les enseignements de Cheikh Ahmadou Bamba. » ; phénomène illustrant un de ses vers prémonitoires « Dieu m’assistera les créatures me suivront, des îles, des mers et des terres. Et je leur serai utile sans leur causer de dommage » (wallâhu yançurunî, wal khalqu tatba’unî : fi-l-barri wa-l-bahri dha naf’’in bilâ dararî).

Qui osait, en effet, dans les années 60-70, parier sur une telle évolution des dâ’ira Mourides qui de la génération des Goumalo Seck et d’El Hadji Bamba Diao à celle des Majâlis et autres Hizbut Tarqiyya, a mené à l’internationalisation du Mouridisme, sorti des particularismes locaux pour épouser les contours mondialisés d’un phénomène désormais universel ?

C’est sans conteste de ce viatique de la foi qu’il s’est muni lors de ses exils sur les pas de tous les vertueux qui ont dû supporter et endurer l’épreuve d’être éloigné des siens et de leurs terres originelles que Cheikh Ahmadou Bamba a pu accéder à la généreuse rétribution de son Seigneur. On dirait même que l’épreuve de l’exil fut naturellement inscrite dans le processus qui menait à l’accomplissement et à la réalisation du dessein des vertueux (Aç-çâlihûna).

Le Prophète Ibrâhîm, n’a-t-il pas été contraint de quitter le Canaan pour aller ériger la demeure de Dieu, la Ka’ba, sur la vallée rocailleuse de la Mecque qu’inondent aujourd’hui des millions de pèlerins ? Seydinâ Mûsâ ne sacrifiera-t-il pas à la même tradition pour sortir son peuple de la persécution de Pharaon en partant de l’Egypte pour la terre promise ?
Le Sceau de la Prophétie, dont Cheikh Ahmadou Bamba fait son modèle, Muhammad (PSL) n’a-t-il pas, lui aussi, abandonné la Mecque de son enfance et de Banû Haâshim pour aller cultiver et perpétuer le jardin de la foi à Yathrib devenue l’éclatante Madinatou Rassoul ?

Aujourd’hui, Touba, « un des plus gros villages du monde » ou, comme le dit, Cheikh Guèye, cette « ville produite par des ruraux » est le lieu d’expression de cette grâce perpétuelle. Un tel état de grâce perpétuelle, illuminant le cœur des mourides et enflammant leur ardeur au travail et à l’invocation se cristallise en un lieu, Touba, en un temps, celui du Magal qui n’en est, par ailleurs, qu’une manifestation cyclique et annuelle. Les persécuteurs d’hier à qui Cheikh Ahmadou Bamba avait tenu à pardonner dans toute sa grandeur d’âme, (‘Afawtu ani-l-a’dâ’i turran) n’auraient jamais pu imaginer cette éternelle « moisson » de la vertu dont le processus immatériel leur a apparemment échappé, tellement la force qui le propulse dépasse l’entendement de ceux dont l’horizon se confine aux frontières du monde d’ici-bas ! Ceux-là qui, assurément, ne pouvaient comprendre la quiétude de cœur de ceux qui investissent dans les actions éternellement gagnantes (Tijâratan lan Tabûrâ !) ainsi que les fruits en toutes saisons, de l’arbre de la foi, de la piété nourrie du savoir. La métaphore est toute trouvée dans le Saint-Coran (II/261) avec une seule graine qui produisit, à elle seule, plusieurs épis dont la moisson, à son tour, gratifie de centaines d’autres graines.

Une telle semence ne pouvait que perpétuer un enseignement et des valeurs dont les fruits, au-delà d’une journée de grâce et de réjouissance (Magal), dépassent largement les attentes et la sphère de ceux qui, avec sincérité, lui avaient fait allégeance.

C’est finalement une des leçons de Serigne Touba et un legs pour une jeune génération qui doit se l’approprier et au-delà de l’apologétique et de la fierté d’appartenir à sa communauté et, surtout, le sauvegarder. Refuser la posture de consommateurs passifs d’idéologies « importées » et croire en la possibilité d’alternatives endogènes pouvant bénéficier à l’islam voire à toute l’humanité, tel que l’a démontré le Mouridisme, me semble un pas décisif … sur le chemin des vertueux.

Dr. Bakary SAMBE
bakary.sambe@gmail.com

Message du Khalife Général des Mourides : l’esprit d’un discours de la concorde

Dimanche 12 septembre 2010

Par Bakary SAMBE

La lettre des messages religieux peut donner lieu à différentes interprétations mais leur esprit est toujours unificateur. En islam, les Tariqah offrent cette possibilité de poursuivre un itinéraire spirituel menant à la Vérité, désignant aussi le nom de Dieu, Al-Haqq. Dans l’éducation spirituelle soufie, ces « voies » ont toujours aidé à se départir des doutes pour arriver à la certitude (Yaqîn) afin de vivre le véritable bonheur de la foi (Imân). Cette certitude tant recherchée par ceux qui se lancent dans la quête spirituelle revêt deux formes chez la plupart des penseurs soufis ; ces pratiquants de l’ascétisme que Cheikh Ahmadou Bamba magnifiait dans Huqqal-Bukâ’u (Faut-il pleurer les Saints ?) et auquel nous invitait Cheikh El Hadji Malick Sy dans son Zadjrul Qulûb’An Hubbi Dâril Khalûb (Eloigner les cœurs de l’amour d’un monde trompeur).
Malgré leurs divergences sur cette question complexe du Yaqîn, les penseurs soufis ont convenu, d’abord, d’une forme de « certitude générale » avec ce qu’ils appellent « l’implantation profonde des racines de l’arbre de la foi dans le cœur » nourrie par un conformisme général élevée grâce à la Loi (ou Shâri’a, qui signifie aussi étymologiquement la grande voie à laquelle tous peuvent accéder). Mais un autre degré de certitude est assimilé par les soufis à « un rayon de la lumière de la sublimité qui, de l’Essence divine « s’épiphanise » sur l’âme de l’amant mystique (Muhibb ou Murîd) accédant, ainsi, à la « vision du cœur » ; la vraie certitude selon eux !
Mais, de la certitude à la rectitude (Istiqâma) il y a un long chemin sur lequel on ne s’engage sans être guidé. La Shari’a (la grande Voie) est comme une circonférence qui entoure le point central qui est la Vérité, mais les soufis, dans leur éducation spirituelle, ont pu, selon différentes méthodes, tracer des Tarîqah, « voies étroites » et directes qui, telles des rayons, bien que partant de différents points, parfois éloignés de la circonférence, se rencontrent forcément au point central de la Vérité ! Iz kulluhum qat’ân ‘ala-ç-çawâbî, comme dirait Cheikh Ahmadou Bamba (Car ils sont tous dans la bonne direction, vers 274 des Masâlikul Jinân).
Tel me semble être l’esprit du message du Khalife Général des Mourides le jour de la Korité 2010. Ainsi aimerions-nous, dans le cadre de cet article, faire le pari de retourner à deux ouvrages composés par les deux personnages qu’il cite dans ce message (Cheikh El Hadji Malick Sy et Cheikh Ahmadou Bamba) pour rappeler l’importance particulière accordée par chacun à cet esprit de concorde et de respect de la différence dans leurs enseignements. Il s’agira, respectivement, de la Fâkihatou Tullâb sur la doctrine et les pratiques du Tidianisme et des Masâlikul Jinân (Les Itinéraires du Paradis).
Même à ceux qui ne se seraient pas retrouvés dans l’esprit soufi de la différence des « abreuvoirs » malgré l’unicité de la Source, fortement présent dans les ouvrages des deux Cheikhs, la méditation du verset 60 de la Sourate II (Al-Baqara) pourrait apporter matière à réfléchir
« Et [rappelez-vous], quand Moïse demanda de l’eau pour désaltérer son peuple, c’est alors que Nous dîmes: “Frappe le rocher avec ton bâton.” Et tout d’un coup, douze sources en jaillirent, et certes, chaque tribu sut où s’abreuver ! – “Mangez et buvez de ce que Dieu vous accorde; et ne semez pas de troubles sur la terre comme des fauteurs de désordre”.
C’est bien cette métaphore de la multiplicité des sources et des abreuvoirs qui a déteint sur la terminologie en usage chez Cheikh El Hadji Malick Sy et son frère Cheikhoul Khadim dans leurs différents écrits. Le premier y consacre le dernier chapitre concluant Fâkihatu-t-tullâb, appelé aussi Jâmi’ul Marâm, en parlant des Mashârib (Sources d’Abreuvement), tandis que le second traite du Wird dans un chapitre entier des Masâlikul Jinân (vers 267 à 298). Cheikh Ahmadou Bamba y rappelle la définition du terme Wird en précisant « L’étymologie de ce vocable renvoie à une pratique consistant à faire une halte près d’un point d’eau pour y boire ou y puiser » (vers 270, Masâlik).
Quant à Cheikh El Hadji Malick, il évoque une « différence des goûts et des points de ressourcement spirituels » (tabâyun al-Adhwâq wa-l-Mashârib) qui, selon lui, est l’explication des « divergences entre les saints dans leurs voies et doctrines », en rappelant que Dieu, dont les bienfaits sont infinis, gratifie chacun d’entre eux de flux qu’il peut ne pas accorder aux autres. Ce point est essentiel dans la démarche des soufis tout en cachant des secrets qui ne sont pas à la portée du commun des mortels se débattant encore dans les « voiles » de l’ignorance (mahjûbûn) ou n’ayant pas accès au véritable sens des Signes.
Certaines réalités peuvent bien nous sembler irréels juste parce que nous ne les touchons ou sentons pas alors que d’autres en sont littéralement « abreuvés » ! C’est pourquoi Cheikh El Hadji Malick Sy emprunte l’image d’un « enrhumé » « mazkûm » se prononçant sur la qualité ou les senteurs d’un musc, pour dénoncer l’attitude de ceux qui s’attaquent aux voies d’autrui et nous avertit sur les dangers des polémiques et débats stériles comme ceux comparant Wird (Awrâd) et confréries (Turuq).
« Evite celui qui polémique sur les différents Wird
Car c’est une chose dont la nuisance est fortement avérée
Car cela conduit à la haine mutuelle
Et c’est quelque chose de répréhensible auprès du Seigneur Majestueux »,(cf. Fâkihatu Tullâb)
Serigne Touba le rejoint sur ce point précis en rappelant dans les vers 271-273 de Masâlikul Jinân, que
Tous les “wird” conduisent le pratiquant vers l’enceinte scellée de Dieu sans déviation aucune.
Peu importe que ce “wird” provienne de [Cheikh Abdul Qâdr] Al-Jîlânî, de Cheikh Ahmad Tijânî ou d’un autre parmi les éminents Pôles spirituels (Qutb).
Car ils sont tous dans la bonne direction »
Et autour de Cheikh Ahmadou Bamba de nous mettre en garde contre le mépris ou la critique malveillante d’une confrérie ou d’un Wird quelconque (vers 275, Masâlik)
« Tous les “wirds” sont dans la rectitude et le Droit Chemin;
Garde-toi donc, toute ta vie, d’en mépriser ou d’en critiquer un quelconque».
Revivifiant les enseignements d’Ibn Atâ Allah al-Iskandarî, Serigne Touba, s’appuie ainsi sur d’irréfutables classiques du soufisme, notamment ses Hikam (Sagesses), mais aussi Al-Kawkabul Waqqâd (La Planète Lumineuse) de Cheikh Sayyid Al-Mukhtar Al-Kuntî, pour démontrer cette « rectitude » des différents Wird, rappelant le devoir de respect mutuel afin d’éviter les polémiques que Cheikh El Hadji Malick décrivait, dans Fâkihatu Tullâb, comme conduisant à cette répréhensible haine « Li-annahû yufdî ila-t-tahâqudi ».
Aussi bien dans leur démarche que par la terminologie qui structure leur pensée, Cheikh El Hadji Malick Sy et Cheikh Ahmadou Bamba ont bien intégré cette pluralité de la manifestation de l’Unique tel que le magnifiait, entre autres soufis, Jalâlu Dîn Rûmî. Les formules peuvent donc bien différer sur le plan éxotérique pour exprimer au degré ésotérique une même réalité et la rendre accessible aux différents niveaux d’entendement. Comme le dit si bien Cheikh Ahmed Tidiane Sy, c’est simplement « une question de dosage, de discernement mais surtout d’éducation mystique ». Lui qui voyait les confréries, malgré leurs différences, comme de simples « clubs mystiques où se forment continuellement les athlètes de la Religion »…
Ainsi, pour aller au-delà de l’apparence d’un éclatement des voies et des méthodes, il conviendra certainement d’accéder à une profonde conscience du message commun et de son essence. En usant de termes au pluriel comme « Masâlik », signifiant « itinéraires menant à la félicité» et de « Mashârib », signifiant « points de ressourcement spirituel » (pluriel interne ou brisé appelé jam’u taksîr, dans la terminologie grammaticale arabe) pour traiter d’une telle subtilité, Bamba et Maodo, ont su opportunément exprimer cet esprit de la Tarîqa, qui n’est en réalité qu’une manifestation particulière de l’universalité d’un message spirituel sans espace ni temps comme l’expliquait Al-Jîlânî, le saint de Baghdad dans Al-Insân al-Kâmil.
Ces deux grands maîtres ont, par cette même occasion, enseigné une forme de tolérance respectueuse des vues et des itinéraires qu’il appartiendra à chaque Murîd (aspirant spirituel) d’emprunter pour arriver à la fin commune : la Vérité.
Voilà qu’un important jalon est posé par le message du Khalife Général des Mourides et il appartient, dorénavant, à la jeune génération et aux adeptes des différentes confréries du pays, de donner corps à cet esprit de concorde ou du moins lui insuffler une nouvelle âme.
Il revient incontestablement à Serigne Cheikh Sidy Makhtar Mbacké le mérite d’avoir remis à l’ordre du jour une telle réalité et d’appeler, comme avait coutume de le faire El Hadji Abdou Azîz Sy Dabakh, à une véritable union des cœurs et à la fraternité entre tous les membres de la communauté musulmane.
Mais au-delà même de la sphère religieuse, au moment où la société sénégalaise, dans son ensemble, est traversée par d’innombrables interrogations, un tel message n’est-il pas aussi à verser sur l’énorme capital symbolique dont dispose notre pays et que nous nous devons de réinvestir pour, ainsi, redonner du sens à notre contrat social ?
Bakary Sambe, Docteur en Sciences politiques, Spécialiste du monde musulman à la European Foundation for Democracy (EFD), Bruxelles

Mendicité, écoles coraniques : Au-delà des symptômes, interrogation sur le vrai mal

Mercredi 8 septembre 2010

Par Idrissa Seck, Maire de Thies,
Ancien Premier Ministre du Sénégal

J’ai toujours défendu avec force la nécessité de donner à l’enseignement coranique la place qu’il mérite dans notre système éducatif en lui garantissant tous ses droits. On sait aussi ma grande préoccupation pour que cette forme d’enseignement accomplisse sa mission d’éducation et de formation en répondant aux exigences d’efficacité et de performance dans le respect des Droits de nos enfants, évitant ainsi toute déviation de ses objectifs fondamentaux.

Ma conviction est que l’enseignement coranique, au lieu de représenter une quelconque barrière à la scolarisation formelle, y joue, au contraire, un rôle éminemment positif de complémentarité si on lui donne tous les moyens nécessaires et qu’il ne soit pas le prétexte à l’aliénation des droits de l’enfant ou toute autre forme d’exploitation et de maltraitance. C’est pourquoi, je salue et encourage la récente initiative du Premier Ministre Souleymane Ndéné Ndiaye de lutter vigoureusement contre la maltraitance et l’exploitation des enfants sous prétexte d’enseignement coranique. Allah lui même suggère que l’aumône soit destinée « aux nécessiteux…que l’ignorant croit riches parce qu’ils ont honte de mendier-tu les reconnaitras à leur aspect- Ils n’importunent personne en mendiant”. S2V273.

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Il faut cependant éviter l’amalgame, voulant condamner l’enseignement coranique qui n’aurait comme corollaire que l’exploitation, la maltraitance et la mendicité. Comme j’y ai appelé récemment, le statut et la place de cet enseignement, son avenir ainsi que sa gestion par les pouvoirs publics méritent une profonde réflexion mais surtout une plus large concertation.

Il n’y a, à mon sens, aucune raison de se contenter de répression face à des phénomènes qui sont le signe d’un peuple traversé par des demandes et de légitimes interrogations. Agir de la sorte serait un aveu d’échec. Comme le serait une stigmatisation de l’enseignement coranique, le premier, en réalité, qu’a connu notre pays et qui continue à lui donner des cadres de haute valeur comme je le rappelais, il y a quelques semaines, lors de la cérémonie de dédicace du livre du Dr. Bakary Sambe à Thiès. Le traitement de la question des talibés, malgré l’urgence, ne doit pas se dispenser de réflexions mûries, de pédagogie et de mesures d’accompagnement qui me semblent beaucoup plus appropriées que le tout répressif. C’est ce qu’on a pu sentir dans les déclarations du Collectif national des associations des écoles coraniques du Sénégal qui s’est réuni à Thiès, le 2 septembre dernier.

Un phénomène n’apparaît jamais ex nihilo et l’on doit toujours replacer ceux qui nous interrogent dans les contextes socioculturels qui les ont générés. Ce système des écoles coraniques aujourd’hui décrié, il est vrai, à cause de dysfonctionnements qui n’épargnent même pas l’éducation formelle, est ancré dans notre culture et notre héritage historique comme dans nombre de sociétés à majorité musulmane. Ce sont bien les madâris (medressas), l’équivalent maghrébin de nos daaras, qui ont donné naissance à la Qarawiyyine de Fès, la plus vieille université du monde encore en exercice, fondée depuis 788 ap-JC ! et la prestigieuse Al Azhar d’Egypte. L’Université de Pire jusqu’à sa destruction par Pinet Laprade a été le lieu d’excellence ayant accueilli des sommités africaines et non des moindres, El Hadji Omar et tant d’autres. Tout près, à Tivaouane, on formait des savants en tous domaines dont l’astronomie et la philosophie sans parler du séminaire de Ndiarndé qui rayonna dans tout le Sénégal. Les daara de Touba, Ndame et leurs annexes ont produit des universités modernes de la trempe des instituts Al-Azhar partout implantés aujourd’hui grâce aux inlassables efforts de feu Serigne Mourtada Mbacké. On ne peut compter dans le Saloum les foyers de science de Diamal à Médina Baye ou encore Léona Niassène. Qui passerait sous silence les centres emblématiques tels que Kokki, celui de Serigne Mor Mbaye Cissé et tant d’autres ?

Je suis convaincu qu’une réelle conscience de notre histoire métissée exigerait que l’on ne puisse rejeter aucun des aspects de nos héritages conjugués, qu’il s’agisse de celui transmis par le passé colonial ou celui arabo-musulman, si l’on ne veut pas en mutiler la réalité. Sur le plan historique, géographique et culturel le Sénégal constitue le pont entre le Magreb et l’Afrique noire. Un pont entre deux mondes. Le Sénégal doit assumer sa vocation naturelle de pont entre les cultures. Un pont culturel entre l’Orient auquel nous lie l’Islam et l’Occident auquel nous lie les valeurs de la République et de la Démocratie.

Je suis sûr que nos partenaires au développement, les ONG et les promoteurs des Droits de l’enfant, le comprendraient aisément et seraient aidés dans leur nécessaire connaissance de nos sociétés où ils veulent agir en toute efficacité. Dans ce sillage, un arrêté portant sur la reconnaissance des écoles coraniques a été pris par le gouvernement du Sénégal, récemment, en février 2010, bien qu’au sein du Ministère de l’Education nationale subsiste un simple service de l’enseignement franco-arabe au lieu d’une véritable direction de l’enseignement confessionnel donnant toute sa place, de manière égalitaire, au privé musulman à côté de ceux catholique et protestant. C’est pourquoi je pense qu’il faudra aller plus loin et, par la volonté politique, traduire ces vœux en réalité.

Dans ce flou total où aucune statistique, ni gouvernementale, ni privée (des ONG s’affrontant sur des chiffres allant du simple au triple) n’arrive à capter l’ampleur du phénomène des écoles coraniques, il serait appréciable de revenir sur une situation que seule peuvent appréhender des réflexions prenant en compte son extrême complexité. Derrière ce qui était, naguère, vu comme la « négligence des parents », le démographe, directeur de recherche à l’IRD, Marc Dilon a bien pu expliciter la notion d’un « confiage » dont le but, dans certaines cultures ouest-africaines, était purement éducatif.

D’autres sont allés plus loin en mettant en parallèle l’intention de donner la meilleure éducation et le défaut des moyens matériels pour y parvenir. C’est là qu’il faudrait concentrer la réflexion sur le phénomène de la mendicité et de la dite exploitation en se rappelant, par exemple, comment les conditions socioéconomiques des Misérables de Hugo avaient bien pu générer, dans la France du XIXe siècle, l’histoire de Cosette dont l’intention des parents contrastait bien avec le sort qui lui fut réservé. Le parallélisme est frappant entre certaines de nos écoles coraniques et ces écoles romaines où « les enseignants mal payés par les pères des élèves » étaient « assez autoritaires avec les élèves battus au moyen d’une baguette de bois, la férule, ou même avec des lanières de cuir » et où l’enseignement était « basé sur le par cœur et l’imitation … ». La question des talibés et de la mendicité serait, donc, beaucoup plus liée à des déterminants économiques, sociologiques et culturels qu’à la nature même de l’école coranique et de l’enseignement qui y est dispensé !

Une belle expérience à saluer est en train d’être menée par les Daaras de Hizbut Tarqiya dans ses locaux de la ville sainte de Touba, où filles et garçons suivent, en arabe, une scolarité exemplaire en accédant à tous les domaines de connaissances avec une méthodologie et une démarche pédagogique mûrement réfléchies mettant à profit toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies.

Ainsi donc et, contrairement aux idées reçues, l’enseignement coranique n’a jamais véritablement été une barrière à la scolarisation formelle. Les plus récentes et sérieuses recherches en éducation comme celles menées par Pierre André et Jean-Luc Demonsant ont pu démontrer que les enfants qui fréquentaient l’école coranique pendant quelques années, avaient une plus grande probabilité de fréquenter l’école primaire formelle que ceux qui ne vont pas à l’école coranique tout court. De même, ces études ont établi que l’amélioration de la qualité de l’enseignement coranique pourrait impacter positivement sur celle de la scolarisation formelle.

Mais, là où de telles recherches devraient nous interroger, c’est lorsqu’elles montrent que la tendance à suivre l’enseignement coranique à temps plein est un signe de la pauvre qualité du système scolaire formel. Voila de nouveaux éléments à prendre en compte dans l’approche d’un système d’enseignement qui, comme tous les autres, est capable de s’aligner et de suivre l’avancée des techniques pédagogiques modernes pour devenir de plus en plus performant. En témoignent les efforts de modernisation et d’innovation dans de multiples daaras qui continuent à assurer une mission d’éducation et d’instruction et produire d’éminents intellectuels, véritables acteurs conscients de leur époque, la plupart du temps, sans aucun financement étatique.

L’heure n’est-elle donc pas à plus de considération et à une écoute attentive des demandes avant tout sociales émanant de citoyens se sentant à la marge de l’Etat providence dans un domaine aussi crucial que l’Education ? »

Idrissa Seck, Maire de Thiès, Ancien Premier Ministre du Sénégal

S’abreuver à la source du Prophète : Ou la « Nûniya » de Cheikh El Hadji Malick Sy (Par Dr. Bakary SAMBE)

Dimanche 21 février 2010

S’abreuver à la source du Prophète : Ou la « Nûniya » de Cheikh El Hadji Malick Sy
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Par Bakary SAMBE

Aux assoiffés de Sîra, hagiographie du Prophète de l’Islam, Cheikh El Hadji Malick servit le Rayy Zam’ân, qacîda communément appelée Nûniya. L’inimitable auteur du Khilâçu Zahab n’a pas à convaincre de sa culture historique, tellement la Mîmiya a eu ce don de replonger aussi bien le récitant que l’entendant dans ces rares ambiances où le Sceau des prophètes est magnifié sans perdre de vue l’impossibilité d’en faire le tour. Mais la volonté de Cheikh El Hadji Malick de le décrire sous ses aspects les plus significatifs, notamment, dans son éthique ne fait l’ombre d’un doute.

Cheikh El Hadji Malick Sy visait à nous présenter son modèle et source d’inspiration dans la plus grande modestie. Mais son style, sa précision, son art poétique que cette modestie n’a pu dissimuler ont émerveillé ses contemporains tout en gravant sur cette œuvre, les marques de sa pérennité. Khilâçu Zahab sera tellement singulier que sa beauté en arriverait à masquer la pluralité de l’œuvre du Maître Maodo dans cet art du Madîh ou panégyrique.

Pourtant, par 120 vers (Yakfî), Maodo a composé une ode unique en l’honneur du Prophète de l’Islam. Chantée, récitée, psalmodiée, préservée de l’oubli dans les cœurs de ceux qui ne peuvent se contenter de la lire, la Nûniya était né éternel. Elle est cet hymne à la joie et au bonheur d’appartenir à la communauté muhammadienne. N’est-ce pas pour cela que le premier hémistiche de son plus célèbre vers n’est composé que d’un seul terme : Surûr !

Cheikh El Hadji Malick construit ce poème, comme à son habitude, en respectant les composantes de la qaçîda classique à commencer par le Ghazal : le même dont fit usage un certain Al-Bûsayrî, l’auteur de la Burda (Bourde), et, avant lui Ka‘b Ibn Zuhayr. Chez Maodo, ce procédé, n’est qu’un voyage poétique et spirituel décrivant l’inanité des jouissances terrestres dont la plus splendide rose est appelée à se faner tout en faisant courir le risque de s’enliser dans les épines de la tentation destructrice, loin de l’Amour du divin que savait si bien magnifier Jalâl Dîn Rûmî.
Seule une lecture réductrice et littéraliste, sans goût pour l’esprit et l’essence des choses, serait tentée d’y déceler une mondanité aux antipodes des vertus de Maodo. Dans la Nûniyya de Cheikh El Hadji Malick Sy, le Ghazal est ponctué d’un rappel à l’ordre et d’un penchant immodéré pour le Zuhd, la renonciation à l’Ici-bas.

Dans le style de Maodo, l’allégorie se met se met constamment au service du bien dit et de la poétique pour ne perdre aucune occasion de redevenir le fin pédagogue qu’il n’a jamais cessé d’être.
En effet, dès les premiers vers de Rayy Zam’ân (ou Nûniyya), Cheikh El Hadji Malick donne le signal et nous met en garde contre, la mondanité, cette menteuse qui veut nous berner de contre-valeurs (wa mâ Kazaba zamânu an Atânâ…etc). Et Maodo de décrire la fin inéluctablement tragique de toutes ces vanités dont les âmes charnelles semblent être si friandes (Wakâna Dahru yarmînâ Sihâman./ Fa afnâ Zâka ‘âdatuhû Qurûnî). Dans ce tableau que dresse Cheikh El Hadji Malick de cette vie d’ici-bas sans grande valeur, l’errance des âmes piégées par les ombres de beauté n’a d’égale que le désarroi accompagnant la conscience de s’être trahie dans la surévaluation des fioritures ornant notre vie (Zukhruf al-hayât Dunya).

Usant de la métaphore d’une étrange bien aimée qui ne cherche que la perte de l’amant usurpé, Maodo veut nous enseigner que seule vaut d’être vécue la vie guidée par l’amour du Prophète par déférence à son inégalable statut. Dans le style que Cheikh El Hadji Malick déploie tout au long de cette Qacîda, le Prophète Muhammad (PSL) est cet irremplaçable refuge après l’errance, le réconfort des damnés, des déçus de l’Ici-bas, l’espérance des désespérés, en somme, la seule source abreuvant les assoiffés du Vrai Amour (Matâ mâ dâna bahruki min kudûrin, fa çâfin salsalun bahrul Amîni).

C’est au bout de cet itinéraire menant à la source intarissable de l’Amour prophétique que Cheikh El Hadji Malick entreprend la description de celui qu’il a choisi comme modèle : le Prophète de l’Islam (Nabiyyun), ce génie politique (‘abqariyyun) doublé d’un guide spirituel, élu de Dieu (çafiyyu-l-lâhi).
Dans la Nûniyya, Maodo peint les traits physiques du Prophète qui, en définitive, ne reflète que sa beauté intérieure de gentilhomme au-dessus de les tous les comparatifs (çabîhul wajhi zû Khulqin bayunî).

En grand lettré et mystique, Cheikh El Hadji Malick Sy s’en limite aux métaphores et aux symboles pour donner corps à sa description panégyrique. Pour Maodo, le Prophète est la clé (miftâh), le phare qui nous éclaire (miçbâhun munîrun), avec la générosité (jawâdun) dont seul dispose l’Elu qu’il est (Muçtapha). Il est aussi celui qui, en privilégié confident (munâjâ) eut la satisfaction du Seigneur (Murtadâ) tout en restant le guide, ce mage annonçant la bonne nouvelle (Hâdin, Bashîrun).
Cheikh El Hadji Malick insiste sur cette guidance éclairée, réceptacle de la Lumière dont les plus infimes rayons nous engloutissent de luminosité (Sirâjun min ashi’atihi-stanarnâ…etc).

Mais le réalisme de la description fit vite place à l’abstraction lorsque Cheikh El Hadji Malick voulut, dans son oeuvre, en revenir à l’essence des choses. S’il fut cette créature élue du Créateur, c’est que le Prophète Muhammad (PSL) avait accédé à son statut depuis le « monde des âmes » (‘Alam al-arwâh). C’est surtout dans Wasîlatul Munâ (Tayssir) que Cheikh El Hadji Malick Sy exprime mieux cela en décrivant le Prophète comme la Réalité de l’Existence en même temps que le reflet de l’Etre ( Haqîqatul Kawni ‘aynu-zâti tal’atuhâ !), cette effluve émanant de Dieu en en symbolisant la Lumière (Ifâdatu-l-lâhi nûru-l-lâhi yallâhu).

Dans la Nûniyya, non moins dans Khilâçu Zahab plus tard, tous les signes annonciateurs de la naissance du Prophète sont énumérés par Maodo, mêlant précision et souci d’agencement harmonieux de ces miracles qui façonnent, sur le plan, exotérique, le statut du meilleur des créatures.
La joie accueillant un tel évènement qui changera le cours de l’Histoire ne peut être contenue par aucune mesure du temps, tellement elle est incommensurable. Cheikh El Hadji Malick assimile, alors, cet instant d’une éternelle joie à l’année qui englobe les mois dans lesquels point le jour de la plus grande béatitude ; celui qui vit naître le Prophète : « Wa âmun Thumma Shahrun Thumma Yawmun/ Atâ fîhil hudâ Qarnul Qurûnî).

La célébration du Mawlud, telle que l’exprime Cheikh El Hadji Malick Sy, dans la Nûniyya, est la clé de la satisfaction des besoins d’ici-bas mais aussi la réalisation du vœu de gagner la félicité (Wa fit-ta’zîmi injâhu shujûni).

En effet, c’est par celui dont la venue au monde le bouleversa que fut aussi réalisé la délivrance de tous ceux qui ont eu à invoquer Dieu dans des situations de détresse : les prophètes, depuis le pardon à Adam à Moïse en passant par Abraham sauvé des flammes comme Noé du déluge. En vérité, comme le dit Cheikh El Hadji Malick, c’est par le Prophète que nous avons tout obtenu, tout gagné, des gratitudes les plus diverses à la béatitude la plus singulière (Da’il itbâba qul kullul barâyâ , Unîlû mâ unîlû bil-mubînî).

Quoi de plus naturel sachant que le Prophète Muhammad fut à l’origine même de notre existence et de celui de l’Univers ; ce que cheikh El Hadji Malick exprime par le terme d’al-îjâd.
Son élévation au sommet de la prophétie est décrite à l’image de son ascension (Mi’râj) et des miracles qui l’ont accompagnée. Seydinâ Muhammad, nous dit Maodo, était lumière avant même notre existence (Nabiyyun kâna qabla-l-kawni nûran) qui éclaira l’Arabie du VIIème siècle assombri par l’injustice et gratifia le monde de cette guidance qu’est l’Islam « Atâ wal-Kufru fî Jawrin wa Zulmin, fa qâda-l-kulla ‘an dînin wa dînî ».

Pour Cheikh El Hadji Malick Sy, le Prophète Muhammad est notre intercesseur (wasîlatunâ) qui lança cet appel à la Miséricorde ; c’est, en fait, par et grâce à lui que nous fîmes appelés à devenir les meilleurs de l’Humanité « Wabi-l-hâdî du’înâ khayra Qawmin..).

De toutes les vertus attribuées à un humain, le Prophète Muhammad ne peut se contenter que du superlatif absolu. C’est bien pour cela, aussi, que dans la Nûniyya, Cheikh El Hadji Malick Sy préfère les substantifs aux qualificatifs tellement le prophète Muhammad est l’incarnation de la pureté (çafwatu) de la bonté (barru) de la droiture (Hudâ). Finalement, au-delà des vertus qu’il incarne, Maodo nous apprend que le Prophète Muhammad a posé un système de vertus, une voie menant à la félicité. C’est cela même le secret de l’avance qu’a prise sa communauté, celle du bien et de la vertu : « Sabaqnâ man siwânâ ayya sabqin », nous dit Cheikh El Hadji Malick Sy.

Poursuivant cette description en se conformant aussi bien aux exigences de la vérité histoirique qu’à celles de la prosodie, Seydi Hadji Malick nous a dressé un portrait admiratif du seul modèle qu’il s’est toujours autorisé.

Voila que Maodo, fidèle à la tradition soufie du Tawassul, fait de la poésie un sacré moyen pour accéder à une fin non négligeable : la félicité. Cette manière d’user de toutes les possibilités du langage, raffiné par les meilleurs procédés poétiques, fait de la Nûniyya de Seydi El Hadji Malick Sy, un véritable joyau sur deux plans. C’est une poésie qui en dit long sur la maîtrise incontestée de l’arabe et de sa magie avec des nuances lexicales disqualifiant le novice sans jamais tomber dans le barbarisme (wahshiyat al-Kalâm).

La Nûniyya est aussi de ces odes (Qaçâ’id) qui déclenchent l’envie de plonger encore plus dans les réalités Muhammadiennes. Le rythme, la cadence et la mesure des propos ajoutés à la magie de la poétique suffisent pour dépasser l’obstacle de la langue dont il s’est toujours servi tel un orfèvre pour sortir des flammes de l’amour de Seydinâ Muhammad les meilleurs ouvrages.

Malgré toute sa modestie, Cheikh El Hadji Malick Sy, n’avertira t-il pas l’aventurier sur les itinéraires prophétiques, affrontant la profondeur de cet océan de bonté et de vertu qu’il détenait déjà les meilleurs perles de toutes les nacres ? : « Yâ Ghâ’ithal bahri lil-açdâfi ‘indiya açdâfun bi hâ durratun a’lâ min al-Jalamî » (cf. Khilâçu Zahab)
Si ce parcours du Prophète Muhammad, ces réalités et ses enseignements prophétiques sont d’or, Cheikh El Hadji Malick Sy est celui qui l’aura décanté dans le plus grand art mais aussi la plus profonde connaissance.

Dr. Bakary SAMBE
Aga Khan University –Institute for the Study of Muslim Civilisations – London (United Kingdom) – bakary.sambe@gmail.com

Par Bakary SAMBE

Seydi Khalifa Ababacar SY (RTA) (1885 – 1957) Digne continuateur de Maodo, viatique pour la jeunesse

Vendredi 12 février 2010

Seydi Khalifa Ababacar SY (RTA) (1885 – 1957)
Digne continuateur de Maodo, viatique pour la jeunesse
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Par Bakary SAMBE

(Source: Asfiyahi.org)
L’homme a tellement incarné le califat dans toute sa splendeur mais aussi la responsabilité et la charge symbolique qui le caractérise qu’il est permis de taire son nom en l’appelant par son titre Cheikh al-Khalifa ! Lorsqu’un titre finit, ainsi, par absorber un nom, c’est qu’il y a une parfaite incarnation du rôle et du statut

l’âge de 37 ans, en cette année 1922 qui vit disparaître Cheikh El Hadji Malick Sy considéré en son temps par Serigne Thioro Mbacké comme « le pilier » de cette bâtisse qu’est l’Islam au Sénégal, Serigne Babacar Sy devait succéder à un homme dont il était, en même temps, la suite logique. Nourrie de cette culture du raffinement et de la délicatesse en grand Saint-louisien de naissance, Serigne Babacar Sy était cet homme de la situation, ouvert d’esprit et sur son monde, mais ferme dans ses principes et la défense de la Tijâniyya. Le vide n’était, donc, ni permis ni possible après le travail d’enseignement et de formation de valeurs sûres au service de l’Islam que Maodo paracheva dans l’étape Tivaouanoise de sa vie de 1902 à 1922.

Entre sa naissance en 1885 à sa disparition le 25 mars 1957, l’homme, lui-même, se dit n’avoir jamais s’être contredit ou trahir le sacerdoce. Cela ne suffirait-il pas comme leçon de vie et viatique pour toute quête de valeurs hors du communs ?
C’est peut-être pour cela, aussi, que Serigne Alioune Guèye place son califat dans l’ordre naturel et logique des choses (wa lâ ghrawa fî irthil walîdi bi wâlidin…. ) en insistant, dans son dâliya (poème avec rime en « d ») sur les qualités de l’homme de Dieu au-delà d’une filiation jamais considérée comme la source de ses propres dons divins (mawâhib).
Il était, en fait, ce ‘Abû Bakr de l’an 632 qui, en plein désarroi d’une communauté tourmentée par la disparition de la meilleure des créatures, remit les esprits dans des êtes perdues imaginant à tort le chaos.

La présence physique de Serigne Babacar Sy était tellement rassurante que les générations successives qui ne l’ont pas connu en font pourtant leur modèle spirituel. C’est qu’il incarne réellement ce modèle parfait qu’il soit rêvé ou idéalisé dont on puise les valeurs les plus significatives pour disciple d’Al-Tijânî. Ce sont celles-là, d’ailleurs, que Cheikh al-Khalifa choisira pour composer son célèbre panégyrique (‘Ammat Mazâyâhu) où il vante les mérites de Shaykhunâ Tijânî.

Pour Serigne Babacar Sy, Sîdî Ahmad Tijânî est celui qui, sans enfermer ses disciples dans le reclus, l’ascétisme et les retraites (Khalwa) est parvenu à leur assurer la Tarbiya (l’éducation spirituelle), tout en réussissant le pari de l’Istiqâma (la droiture) « rabbâ bilâ khalwatin ashâbahû alanan Hatta-staqâmû fa yâ lilahi manhâhu). Mais, au-delà, aussi, de cet émerveillement face aux vertus inédites du fondateur de la Tijâniyya dont il demeurera l’un des plus illustres défenseurs, Serigne Babacar nous dévoile un des aspects de sa propre philosophie.

Il est, en effet, cet homme de l’équilibre et de la mesure, parmi ces rares et enviables « gens de l’isthme ». Tout est équilibre et mesure dans l’attitude d’al-Khalifa, ses actes, ses paroles ainsi que l’image qu’il dégage, comme l’a si bien explicité Cheikh Ahmed Tidiane Sy Maktoum (Khoutawâtuhû, Kalimâtuhû, Lahazâtuhu….).

Sa posture est finalement le symbole de ce trait d’union entre le temporel et le spirituel sans qu’aucun des deux ne déborde sur l’autre ni n’en phagocyte un seul pan. Son calme perturbant n’était pas celui du taciturne ou inaccessible tyran que les disciples n’osaient approcher, mais celui d’un homme simple dont le charisme (Hayba) rassurait plus qu’il n’apeurait.

Pour ceux qui l’ont approché, l’imposante présence de cette rigoureuse personnalité avait quelque chose de rassurant. Cheikh El hadji Mansour sy Malick aborde cet aspect de son illustre frère, disposé, accessible mais intransigeant lorsqu’il s’agit de défendre les principes : une attitude dictée par le legs qu’il tenait à préserver « Aqâma bi-azmihi wa sawâbi hukmin, Kawâlidihi fa-ahsabahâ mubînâ » disait de lui Cheikh El Hadji Mansour Sy, communément appelé « Bal Khawmî », l’homme à la poésie inimitable.

Un joyau, une perle rare comme la Tarîqa Tijâniyya ne pouvait se passer d’armure comme les Rimâh d’El Hadji Omar perpétuant les enseignant d’Abul Abbâs. L’héritage était tellement lourd et la valeur incommensurable que le garant, après Maodo, était armé de toutes les qualités qu’exigeait la charge.

Les personnes de notre génération ne l’ont connu que par le peu d’anecdotes que son admiratif entourage a transmis, tellement l’homme n’était pas celui des faits divers qui rendent poussiéreux les parcours relatés de bien des figures du passé.
Mais, étrangement, nous parlons, encore de Serigne Babacar Sy comme d’un contemporain. Son absence physique, avec sa disparition il y a plus de 50 ans, ne fait qu’accentuer sa présence dans le cœur d’une jeunesse qui s’identifie à lui.

Serigne Cheikh Tidiane Sy avait bien raison de se demander si une telle figure qui, durablement gît dans les cœurs, pouvait être parmi les absents « Afa ghâba man sakana-l-qulûba Khalîla ? ». Sokhna Fatoumata Cissé Sy a su trouver les mots justes dans son beau poème dans lequel elle s’adresse à Serigne Babacar Sy en ces termes « Arbre de vie de la savane Tidiane, à tes branches solides nous resterons toujours accrochés ». Voilà exprimé tout l’état d’esprit des jeunes qui, tous les jours, pleurent celui qu’ils n’ont jamais vu !

Mais ce qui est inouï est l’exemplarité de la conduite, entourant la personnalité de Cheikh al-Khalifa, et cette manière dont il incarnait le bouclier pour parer à tout ce qui visait à nuire à l’islam. Une des voix Tijânies les plus autorisées de tous les temps, Cheikh El Hadji Abdou Aziz Dabakh, avait, lui aussi, choisi de le présenter sous ce jour (Sy yaay fadja Diiné ay daanam té niepp la war). Serigne Babacar Sy est l’une de ces figures dont l’Islam s’enorgueillit, se dressant contre toute corruption des valeurs et des enseignements originels.

Cheikh al-Khalifa, c’est aussi le symbole de la modernité de la Tijâniyya dans le sens d’un enseignement utile et constructif sur le champ du temporel qui n’a jamais entamé la profondeur et la densité spirituelle de cet érudit doublé d’un pédagogue paradoxalement peu loquace.

En évoquant Serigne Babacar Sy, il est, sûrement, préférable de se situer sur le terrain d’une philosophie de vie que sur celui de la pure biographie. Sachant qu’aucune parole, même au risque d’une excessive prolixité, ne saurait épuiser tout le sens de son action ni tous les aspects de sa personnalité, le choix s’impose d’évoquer plutôt une attitude, une attitude d’esprit ou simplement un esprit.

Puisque, comme l’a si bien dit Cheikh El hadji Abdou, il est permis de lui adjoindre tous les qualificatifs exprimant la vertu dans son essence avec des superlatifs absolus, à quoi bon alors s’étendre dans la description du communément admis ? Qul mâ tashâ’u min-al-amdâhi moo lako may !(Dis ce que tu veux dans son apologie, tu y es autorisé !) s’était exclamé Dabakh Malick !

Si d’aucuns conçoivent que c’est dans le silence que s’entassent tous les bruits, celui de Serigne Babacar Sy, loin d’être complice ou lâche, arrivait à lever toutes les équivoques tout en inspirant bien des éloquences. La rareté de son discours qui ne lui enleva son efficacité, ainsi comprise, on aura perçu le sens de l’enseignement Cheikh al-Khalifa. Il est incontestablement cet éducateur inégalé, ce pédagogue hors pair qui aura réussi un défi purement Muhammadien : la pédagogie par l’éthique du comportement.

Quel meilleur modèle pour une jeunesse faisant face à de grands défis dont le principal, et non des moindres, est de perpétuer et de vivre les enseignements de la Tijâniyya ?

Bakary SAMBE bakary.sambe@gmail.com

La Tijaniyya mal interprétée par Jilali Al Adnani (dans son ouvrage « la Tijaniyya et ses origines au Maghreb »)

Dimanche 27 décembre 2009

La Tijaniyya  mal interprétée par  Jilali  Al Adnani 

(dans son ouvrage « la Tijaniyya et ses origines au Maghreb »)

Par Pr. Abdelaziz Benabdallah 

La vérité, sciemment recherchée, est d’autant plus crédible que les références, dont elle émane, sont diversifiées et concordantes. Toute idée fixe, tendant dès le départ,  à se conforter et se corroborer, coûte que coûte, risque déviation et aberrance.

Quand il s’agit d une étude à base de sondage et de confrontation, sur un plan aussi versatile que le soufisme, le risque est sûr, surtout si le chercheur, plus ou moins profane, affronte des cas qui prêtent à confusion.

Jilali El Al Adnani, vient de publier un ouvrage sur « 
la Tijaniyya et ses origines au Maghreb ». Tout en paraissant de bonne foi a priori, dans son cheminement, ses interprétations hâtives semblent, pour le moins, surprenantes.

Le lecteur se sent, alors, perplexe, quant il constate que le promoteur de cette étude, va très loin, en voyant, même dans « le retour du Cheikh Ahmed Tijani (fondateur de
la Tarîqa portant son nom), aux origines de l’Islam », « une stratégie », pour confondre, à la fois, ses sympathisants et ses adversaires.

On a l’impression, en l’occurrence, d’être vis-à-vis d’un tissu de contradictions, motivées par un  désir flagrant de mettre en corrélation ce qu’il appelle « les colorations doctrinaires et la position politique », d’une part, et « la propagande française, précédant la conquête militaire », d’autre part.

De là à prétendre et à laisser penser à une entente préalable avec le colonisateur, il n’y a qu’un pas vite franchi ; Néanmoins, Jilali se sent, parfois gêné, «  par les points qui restent obscurs et les images stéréotypées », qui brouillent toute analyse. Il croit pouvoir résoudre ce problème de tiraillement entre les sources, en se référant aux « archives du fonds du gouvernement général de l Algérie ».

Il essaie, d’abord, de détecter les sources arabes pour « dégager les versions différentes de la fondation et de l évolution de Tijaniyya ainsi que ses principes doctrinaux ».

Jilali cite les sources qu’il qualifie d’anciennes , telles que « Jawaheer el Maani » de Sidi Harazim Berrada (mort en 1803) , « El Jamiî » d’Ibn el Mechri (mort en 1809) , « Al Ifadha el Ahmadia » de Sidi Taïeb as-Sûfiani (mort en 1843-4) ; ce dernier  ouvrage est un code de (hikam) recueillies par son auteur auprès de son maître Sidi Ahmed Tijani , code qu’il sema d’impressions personnelles , que Si Sûfiani aurait capté de certains comportements du Cheikh, ou d’un certain intermédiaire.  Des khalifes du Cheikh, strictement attachés aux propos réels  de Sidi ahmed Tijani, tels que Sidi Larbi ben Sayeh, Sidi Akensûs, et l’égyptien Sidi Mohammed el Hafidh,  n’en retiennent que les dires réels du Cheikh.

Jilali  revient ensuite , à des « écrits (dits) tardifs » qui sont , dit-il « le cadre d’une politique concernant la doctrine de la confrérie et qui essaient d’éclairer les premiers » ; ceux–ci sont constitués , souligne-t-il – par un courant où figurent Akensûs (mort en 1877) , Al Arbi Ibn Sayeh (mort en 1892) et Skirej (mort en 1944) , « suivis par un autre courant qui rejettera en bloc certaines idées consignées dans les premiers écrits tijanis » ; « ce dernier courant serait selon Jilali , représenté par des tijanis égyptiens ». Il entend par cette allusion l’éminent Alem Mohammed el Hafidh, moqaddem de
la Zaouiya du Caire, mort, il y a moins de deux décennies.

Or, les écrits de ces personnages éminents de
la Tarîqa Tijaniyya, ne font que réitérer, de bout en bout, dans leurs différents ouvrages, les éloges et les qualités sublimes de Cheikh Sidi Ahmed Tijani. Il est vrai que Jilali n’a pas manqué, de critiquer  un des adversaires du Cheikh, entre autres, le hagiographe Abou al-Qassim az-Zayani (mort en 1830) « dont le témoignage ne peut en aucun cas , être recevable ; car , pour faire connaître les fondements et les écrits de
la Tijaniyya , il n’a fait que coller des étiquettes à cette confrérie » ; de même, reprend-il – « Akensûs , pourtant Tijani , n’a pas mentionné
la Tijaniyya, dans son ouvrage « al Jaïch al Aramram » et n’a rendu aucun hommage à Ahmed Tijani ». Il justifie ce silence, en précisant que cette discrétion peut s’expliquer par une contrainte politico-religieuse, car l’ouvrage est rédigé sur ordre du sultan Moulay Mohammed IV (mort en 1873), proche de
la Nassiriya et de
la Qadiriya.

Mais, l’auteur omet de citer les autres ouvrages d’Akensûs et des autres Tijanis, où ils se placent en fidèles disciples et défenseurs du Cheikh et de
la Tarîqa. La même omission est relevée,  quand il  présente Sidi Mohammed el Ghâli (mort en 1839), un des premiers disciples du Cheikh, comme adversaire de
la Tijaniyya ; il ne parle guère de son disciple Omar el Fouty, qui ne manque pas de citer, à plusieurs reprises dans son ouvrage, « Er-Rimah », Sidi El-Ghâli comme fervent khalife, qui ne cesse de proclamer son attachement indélébile au Cheikh Tijani.

Quant au moqaddem égyptien, ses divers écrits sont des témoignages probants de son attachement indéfectible à
la Tarîqa et à son promoteur.

A défaut de sources arabes crédibles, comme il le prétend, Jilali se réfère aux sources coloniales françaises, notamment « les rapports semestriels issus des Bureaux Arabes, et aux archives du Gouverneur Général d’Algérie, ainsi qu’aux autres archives inédites.

Il fait parler (p.9) des documents du Centre des Archives d’outre-mer à Aix-en-Provence.

Pour lui donc, « les sources coloniales restent la source fondamentale sur l’histoire de
la Tijaniyya » (p.21).

Viennent ensuite, les premiers écrits français consacrés à
la Tijaniyya ; il cite entre autres l’ouvrage de E. De Neveu, sur les (Khouans – 2ème édition 1846, Paris Imp. A. Guyot), « qui a pris appui I. Rinn, dans son ouvrage « Marabouts et Khouans », dont les sources orales, sont les seules références, en sus des rapports coloniaux.

Le caractère colonial est ainsi, bien marqué, dans ces deux ouvrages et autres, comme ceux de Ch. Brosselard et Depont, « rédigés sur l’injonction de J. Cambon, représentant du ministre français de l’Intérieur », pour mener une conquête morale, la conquête militaire et économique, ayant été faite ».

Rinn était le conseiller de Cambon et chef du Service Central des Affaires Indigènes en 1880.  « Son autre ouvrage publié en 1884,  coïncida avec une politique musulmane française, orientée vers la conquête de l’Afrique de l’Ouest ; et Jilali d’ajouter, parlant de Rinn, qui « fut sans doute, le théoricien de l’idée d’une Tijaniyya nationale ou le noyau d’une véritable église algérienne ».

Cet amalgame, qui tend à créer une histoire dirigée par l’armée, est pourtant, semé d’incorrections que Rinn  essaie de rectifier, dans l’édition  de 1884, devenant alors, flagrantes.

D’ailleurs, Depont et Coppolani « exécutèrent sur l’ordre de Rinn, l’enquête qui aboutit à l’ouvrage « les Confréries Religieuse Musulmanes ». De Neveu fut le premier à émettre l’idée que
la Rahmania était « un ordre national »(les Khouans p.120), idée qui allait être développée par Rinn et ses deux collègues, pour
la Tijaniyya.

Jilali crut devoir ajouter que cette idée tend à éliminer toute originalité Tijanie, en dehors de l’Algérie ;  « De Neveu est présenté alors, comme le seul à s’approprier la version des Tijanis Algériens, concernant le séjour d’Ahmed à Fès » (p.22).

La Rahmaniya  est une branche algérienne de la confrérie Khalwatiya, dont le fondateur est Abd-ar-Rahman Al Azhari (1208h – 1793). Or, pour marquer la corrélation entre les deux, les historiographes coloniaux, comme G. Draque (connu sous le nom de colonel Spellemen, auteur d’un ouvrage « Esquisse d’histoire religieuse du Maroc »), rattachent 
la Tijaniyya à
la Khalwatiya.

D’autres historiographes français, sont moins tendancieux, comme P.J. André, qui précise, dans son ouvrage (l’Islam Noir – 1924 p.59) que « 
la Tijaniyya est née de l’effort personnel d’Ahmed » (p.25). De là, ce tiraillement actuel qui perdure, en conflit, entre les deux frères, l’Algérie et le Royaume du Maroc.

Dans d’autres chapitres de son ouvrage, Jilali soulève d’autres problèmes, pour conforter la thèse coloniale, en semant le doute sur tout ce qui  a été élaboré dans les sources tijanies. Il croit devoir remettre en question des propos émis par le voyageur Al-Ayyachi dans sa Rihla, concernant l’enracinement du savoir dans la famille des Tijanis à Aïn Mâdi. « Nos investigations, suggère-t-il, ont démenti cette affirmation (p.46). En relatant la suprématie des juristes, dans cette localité, il nia tout charisme aux ancêtres de Sidi Ahmed Tijani. Poursuivant ses diffamations effrénées, Jilali essaie de corroborer, coûte que coûte, certains actes incontrôlables, indignes des Tijanis d’Aïn Mâdi. Il cite, entre autres, une soi-disant lettre adressée au gouverneur Général d’Algérie, par celui qu’il appelle Ahmed II (c’est-à dire Sidi Ahmed Ammar, petit fils de Sidi Ahmed).

Se référant toujours à des sources coloniales, pour étayer se calomnies, il se fie aux allégations du Chef de Bureau de Tiaret, qui prétend que le Cheikh Sidi Ahmed « ne se livrait pas à la méditation et à la prière » mais «  se donnait, plutôt à l’alchimie »  «pour fabriquer la fausse monnaie. »

Jilali ose rapporter  les propos d’un autre écrivain colonial, A. Voisin auteur (de
la Zawiyya  Tijaniyya de Guemar), qui parle d’un voyage imaginaire du Cheikh Tijani au Yemen et en Turquie. « Il serait intéressant , dit-il encore –  de savoir si l’installation d’Ahmed à Fès , a été motivée par l’importance  qu’occupe cette ville dans l’itinéraire d’Ibn Arabi, ville où celui-ci rencontra en (595h – 1198) le Sceau des Saints , dont il omit le nom ( al Foutouhât el Makkiyya, T.I p.60).

Cette citation tend à nier toute ouverture spirituelle du Cheikh, qui a été, pourtant, confirmée, dans ses détails, par des écrivains non-tijanis, dont le grand historiographe Mohammed el Kettani,  dans « sa Salwat el Anfâs T. I p. 377). Selon Jilali (p.77), « Ahmed qui tire son nom d’une alliance matrimoniale berbère, se réclame d’une ascendance chérifienne. »  La même  accusation est portée à l’encontre du Cheikh el Kamil, Sidi Mhammed Ben Aïssa, chef des Aïssawa, d’Al-Jazouli, symbole de la confrérie Chadhiliyya- Jazouliyya, au XVème S. et du fondateur de
la Rahmaniyya.

« Le charisme d’Ahmed Tijani n’est pas basé dit-il encore sur sa généalogie réelle ou imaginaire ». En parlant de la chaine du charaf du Cheikh Sidi Ahmed Tijani , Jilali le cite en se référant, à un de mes articles, paru,  sous le titre (al fikr as-soufiî wa al-intihaliyya bil Maghrib – الفكر الصوفي والانتحالية بالمغرب) dans la revue ( مجلة البينة رقم 4 الرباط 1962 ص. 45) , « Abdelaziz Benabdallah dit-il , sans citer ses sources, parle d’une origine marocaine et précise que le 4ème grand-père d’Ahmed I avait quitté Marrakech, pour aller s’installer à Aïn Mâdi » ( p.78). En effet parmi les sources très connues on trouve que Sidi Ahmed Skirej rapporte dans son ouvrage ( رفع النقاب م.3 ص.64 طبعة 1971) , sur l’événement tel qu’il a été décrit par Sidi Mohammed Belqacem Basri, disciple du Cheikh (mort en 1293), selon  un manuscrit personnel de ce Cheikh , cité par son petit fils qui porte le même  nom (M.B.Basri) ; Il parle effectivement du 4ème grand père et de la ville de Marrakech d’où il émigra à Bilâd al Jarîd,  pour s’installer à Aïn Mâdi, et épouser une jeune fille de la tribu Tijanie , de là l’alliance avec la grande famille Tijanie. 

Pour Jilali, « la vision du Prophète était devenue un recours pour rectifier le charaf, dont même le Sultan Moulay Slyman avait fait usage » (p.79). Pourtant, le charaf de la dynastie Alaouite n’a pas besoin d’être étayé, car les documents qui le démontrent ne se comptent guère.

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