L’islam à l’épreuve des musulmans :
de la critique « constructive » de l’Autre à la remise en question de soi (Partie 1)
Par Haoues Seniguer
Doctorant en Sciences Politiques
Tout au long de notre propos, nous appuierons notre démonstration sur la définition suivante, somme toute substantielle, de la personnalité arabo-musulmane : c’est-à-dire tout homme ou toute femme qui librement, en conscience, se reconnaît et s’inscrit, d’une manière ou d’une autre, dans l’héritage historico-culturel et/ou religieux de l’islam avec l’expression libre ou non de la critique historique. Ce qui suppose l’adhésion plus ou moins assumée et consentie à quelques grands principes de la foi islamique. Néanmoins, cette définition quelque peu resserrée, n’exclut aucunement par principe ceux qui ont des origines arabo-musulmanes et qui ne les assument peut-être plus ainsi que les musulmans africains, asiatiques ou autres qui ne sont pas forcément arabes…
L’Islam-Livre (Coran et traditions rapportées) est-il l’exact symétrique de la vie des musulmans et les musulmans en sont-ils l’image fidèle, voire idéale ? Que peuvent et doivent faire les citoyens musulmans pour sortir de la crise intellectuelle, religieuse et morale qu’ils connaissent à des degrés différents ? Tels seront les deux files d’Ariane de notre réflexion. Les musulmans de par le monde traversent une profonde dépression, une crise intellectuelle et religieuse. Ils peinent à relever la tête ; trouver la sérénité et l’assurance de sujets épanouis et autonomes, là où ils vivent. Ils sont souvent, il est vrai, l’objet de stigmatisations, de vexations à répétition[1], quand ce n’est pas « une chasse aux sorcières » ; accentuée depuis le 11 septembre 2001 et ce, un peu partout dans le monde occidental.
En France notamment que l’on connaît le mieux, proclamée patrie des droits de l’homme et du citoyen, puisque c’est le pays qui nous a vu naître, grandir ; au sein duquel nous avons été éduqués et socialisés au contact des autres, quelles que soient l’intimité des convictions religieuses, culturelles, des considérations philosophiques des uns et des autres trempées à la laïcité républicaine. Ce propos peut d’ailleurs s’extrapoler à l’ensemble des nations qui comptent en leur sein des populations musulmanes.
Certes des observateurs ; c’est-à-dire grosso modo, les pouvoirs publics[2], les membres de la représentation nationale, tous bords confondus[3], jusqu’aux médias, essayistes et journalistes[4] quelque peu « zélés », portent une responsabilité dans la vision étriquée de leurs concitoyens. Ces acteurs publics ont eu tendance à entretenir, bon gré mal gré, le spectre d’une communauté unique, fantasmatique en proie à des accès intégristes, voire terroristes. D’autres parleront de « maladie de l’islam » (en l’occurrence l’écrivain franco-tunisien Meddeb) plutôt que de maladie « des musulmans » et de leurs contempteurs tout aussi prisonniers et malades parfois, de leurs analyses partielles voire partiales. Une autre maladie de la pensée tout aussi nocive du reste ! Aussi, le citoyen de culture et de religion musulmane est sommé, comme s’il en était irrémédiablement redevable, de montrer patte blanche et se désolidariser au pied levé des groupes terroristes sitôt qu’un évènement malheureux prend pour cible des civils et des bâtiments publics au nom d’ « un » islam; sous peine d’être soupçonné de soutien ou de complicité sinon active, à tout le moins passive avec « les fous d’Allah ». Jusqu’à, chez certains intellectuels[5], y compris musulmans déclarés[6], remettre en cause de façon indistincte, les musulmans et le Texte qu’ils considèrent comme sacré, dans un essentialisme des plus absolu. Confondant à souhait, l’idéologie politique (l’islamisme), elle-même à historiciser et à contextualiser au demeurant, avec la foi et la spiritualité ordinaires ; disons quiétistes ou plus piétistes (l’islam) qu’idéologiques.
Mais des raisons internes aussi, intrinsèques au monde islamique, aux musulmans eux-mêmes, si différents de corps, d’esprit et de convictions intellectuelles soient-ils, expliquent cette crise de confiance généralisée alimentant une certaine victimisation. C’est-à-dire cette espèce de déréliction du musulman et par conséquent, de fait, cette relation tendue avec ceux qui ne partagent pas la même foi, les mêmes origines ethniques voire sociales. Qu’est-ce à dire ? Le Coran et les traditions prophétiques (faits et gestes du Prophète de l’islam Muhammad) en tant que tels peuvent, suivant les intentions et à la lumière d’un contexte, s’interpréter dans le sens de l’ouverture, du dialogue et du partage, comme justifier une crispation identitaire voire sectaire quand elle n’est pas terroriste. Ainsi, après avoir rappelé à grands traits que les textes religieux eux-mêmes ne peuvent à eux seuls donner une grille de lecture suffisante pour appréhender les réalités sociologiques des comportements des musulmans, résidents ou citoyens de pays occidentaux, nous essaierons de montrer en quoi
la Religion révélée, en l’occurrence ici l’islam, ouvre des perspectives spirituelles et humaines profondes dont ne sont pas toujours à la hauteur les communautés musulmanes. Plutôt que d’évoquer en profondeur les raisons « externes » de la crise qui sont réelles et considérables, nous en analyserons les causes et les manifestions du point de vue « interne » et les pistes d’une guérison urgente et fort souhaitable. Raisons « internes » et « externes » se conjuguent pour le plus grand malheur des musulmans eux-mêmes certes mais également de leur environnement respectif lequel ne peut également se dérober à sa co-responsabilité. A suivre…
[1] De nombreux intellectuels français se sont littéralement déchaînés au sens propre du terme, sur les musulmans et l’islam donnant trop peu dans la nuance. Ces postures nuisent véritablement au débat serein et démocratique, troublent et entament à divers titres la relation de confiance entre tous les membres de la société civile. Nous en citerons les postures les plus éloquentes, sources à l’appui : « Deux millions de musulmans en France, ce sont deux millions d’intégristes potentiels. » Pierre-André Taguieff (chercheur au CNRS), France Inter, 1997. « Au lieu de contribuer au progrès de l’humanité, [les fils d’Allah] passent leur temps avec le derrière en l’air à prier cinq fois par jour [...] Ils se multiplient comme des rats [...] Il y a quelque chose, dans les hommes arabes, qui dégoûte les femmes de bon goût. » Oriana Fallaci , (écrivain),La rage et l’orgueil, Plon, 2003. « Le voile est une opération terroriste. [...] En France, les lycéennes savent que leur voile est tâché de sang. [...] Dans nos écoles, question d’honneur, on n’enseigne pas à des élèves en uniforme. Sauf au temps du nazisme. » André Glucksmann, (philosophe), L’Express, 17/11/1994. On pourrait multiplier à volonté ce genre de discours haineux et racistes peu ou prou normalisés dans le paysage médiatique, social et politique français.
[2] Il est un fait dont on ne parle presque jamais en France. Malgré la laïcité qui justifie la neutralité de la puissance publique, il est demandé, notamment de la part des autorités policières au moment de l’introduction d’une demande de naturalisation, la foi, les origines ethniques et l’assiduité à la mosquée des personnes concernées. Ce qui est proprement hors-la loi !
[3] Les intellectuels ne sont malheureusement pas les seuls à tenir des discours aussi violents à l’endroit des citoyens et résidents musulmans puisque les politiques s’en rendent régulièrement coupables : « Avoir des Polonais, des Italiens, des Portugais, pose moins de problèmes qu’avoir des Noirs ou des musulmans. » Jacques Chirac, Le Monde, 21/06/1991. « Il n’y a pas d’assimilation des musulmans, ça n’existe pas, sauf en quantité infinitésimale. » Yves Guna (RPR), Le choc du mois, mars 1992. Plus récemment, notre actuel président de la République, lors de la campagne présidentielle, lequel n’en était déjà pas à sa première sortie : « Je souhaite qu’on ne puisse pas vivre en France sans respecter sa culture et ses valeurs. Je souhaite qu’on ne puisse pas s’installer durablement en France sans se donner la peine d’écrire et de parler le Français. Et à ceux qui veulent soumettre leur femme, à ceux qui veulent pratiquer la polygamie, l’excision ou le mariage forcé, à ceux qui veulent imposer à leurs sœurs la loi des grands frères, à ceux qui ne veulent pas que leur femme s’habille comme elle le souhaite je dis qu’ils ne sont pas les bienvenus sur le territoire de
la République française. A ceux qui haïssent
la France et son histoire, à ceux qui n’éprouvent envers elle que de la rancœur et du mépris, je dis aussi qu’ils ne sont pas les bienvenus » (N. Sarkozy, Discours de Toulon le 7 février 2007). En 2002, le leader socialiste Georges Frêche tiendra les propos suivants : « Ils [les musulmans] ne vont pas vouloir maintenant nous imposer leur religion ! Ceux qui ne veulent pas respecter nos valeurs, qu’ils rentrent chez eux ! ».
[4] On peut citer l’essayiste en vogue en France ; à savoir Caroline Fourest qui prétend combattre tous les intégrismes mais surenchérit sur « l’intégrisme musulman » ; en prétendant, in fine, que toute manifestation un tant soit peu publique ou visible de l’islam s’apparente à de l’islamisme ; lequel est dans son esprit et vocabulaire forcément rétrograde.
[5] Le 19 septembre 2006 dans le quotidien français Le Figaro, un enseignant de philosophie, Robert Redeker, publie une tribune violemment anti-musulmane où l’anecdote, les amalgames côtoient les jugements partiels et tronqués. Islam et musulmans sont confondus pour le pire : « le tentative menée par cet islam d’étouffer ce que l’Occident a de plus précieux qui n’existe dans aucun pays musulman : la liberté de penser et de s’exprimer ». L’islam est présenté comme un agent « monstrueux », conscient, uniforme : « L’islam tente d’obliger l’Europe de se plier à sa vision de l’homme. »
[6] C’est le cas de l’écrivain franco-tunisien Abdelwahhab Meddeb lequel confond systématiquement « maladie de l’islam » avec maux des communautés musulmanes. Maladie des terroristes et perversion criminelle des textes religieux avec on ne sait quelle essence coranique qu’il mythifie. Comme s’il fallait modifier les dogmes, en changer la nature pour réformer la conscience musulmane. Posture contre-productive.
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