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Lutte contre le terrorisme – Bakary Sambe (CRAC- UGB) contribue à la bande dessinée pédagogique : « Prévenir les extrémismes »

Mardi 24 février 2015

bakary.jpg« Je crois à l’efficacité des deux redoutables armes que sont l’éducation et la justice sociale. Il faut privilégier la prévention à l’intervention ». Telle a été la conclusion de l’intervention de Dr. Bakary Sambe (Centre d’étude des religions Crac-UGB) l’un des scénaristes de la bande dessinée Afrique Citoyenne dont le dernier numéro est intitulé « prévenir les extrémismes » destinée aux élèves de l’Afrique

. La prévention à la place de l’intervention est la meilleure manière de lutter contre le terrorisme et l’extrémisme à travers l’éducation. C’est l’avis de Bakary Sambe, professeur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, le jeudi 19 février dernier, lors de la cérémonie de lancement de la bande dessinée pédagogique Afrique Citoyenne intitulée «Prévenir les extrémismes» à la fondation Konrad Adenauer. «Les armes les plus redoutables contre l’extrémisme et le terrorisme sont l’éducation: un système éducatif performant, la tolérance et surtout, la prévention à la place de l’intervention» selon toujours Bakary Sambe, un des conférenciers lors de la cérémonie de lancement, jeudi, de la bande dessinée.
 «Personne n’ignore l’importance de la prévention dans cette lutte contre l’extrémisme et le terrorisme. J’ai tendance à dire que si on attend que ces groupes s’installent chez-nous et qu’on arrive avec des chars et des armes pour les combattre, la grande bataille est perdu dans cette guerre contre le terrorisme et l’extrémisme», fait-il comprendre. Avant de préciser que ce phénomène ne peut être éradiqué que par «l’éducation, la prévention, la promotion de la bonne gouvernance, l’éradication de l’injuste sociale qui sont à la base des frustrations récupérées par ces groupes extrémistes qui, aujourd’hui, menacent la stabilité du Sahel et des pays africains de manière générale». Selon le professeur, le Sénégal doit se doter de texte contre tout discours de promotion de la haine qui attise les tensions alors que notre pays et surtout le continent africain a aujourd’hui besoin d’apaisement, de paix, de sécurité, de développement durable.
Pour le professeur, même les pays qui ont un système de sécurité le plus performant sont menacés, à plus forte raison des pays africains, comme le Sénégal, qui doivent encore faire des efforts dans le domaine sécuritaire et de la défense du territoire. Il ajoute que la nouvelle Afrique Citoyenne va permettre la conscientisation des jeunes et la promotion d’une nouvelle citoyenneté basée sur l’engagement responsable des jeunes dans les espaces scolaire, universitaire, au niveau de la société, de la nation. Elle contribuera à une sensibilisation sur les dangers des extrémistes.

Dr. Bakary Sambe du Centre d’Etude des Religions (CRAC-UGB) : « Les sociétés européennes et leurs communautés musulmanes doivent exorciser leur mal de vivre-ensemble ! »

Jeudi 22 janvier 2015

Dr. Bakary Sambe du Centre d’Etude des Religions (CRAC-UGB) : « Les sociétés européennes et leurs communautés musulmanes doivent exorciser leur mal de vivre-ensemble ! » dans ABOUT USLes événements qui viennent de secouer la France sont le signe tragique d’un « conflit de cultures et de visions du monde » qu’on a rarement cherché à résoudre d’après le Dr. Sambe. Tout au mieux, le traitement de cette question s’est limité à des solutions conjoncturelles alors que par le jeu des extrémistes politiques et religieux, on est comme obnubilé par les oppositions systématiques entre l’Islam et l’Occident. Et on en arriverait, aujourd’hui …au clash.

Le Dr. Bakary Sambe, coordinateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux au Centre d’Etude des religions de l’Université Gaston Berger décrypte pour Dakaractu, ce profond malaise qui traverse les sociétés européennes en général, dans leur rapport avec l’islam et leurs communautés musulmanes.

Avec les attentats et prises d’otage en France, on dirait que l’islam est de nouveau sur la sellette …

On ne peut faire porter de tels actes ni à l’islam ni aux musulmans, notamment ceux de France qui ont dans leur écrasante majorité, condamné les attentats. La position du Conseil Français du culte musulman a été sans équivoque et cette institution a été parmi les premières à élever la voix contre la folie meurtrière. Les jeunes présumés auteurs de ces attaques sont des citoyens français qui sont nés et qui ont grandi en France, le seul pays qu’ils connaissent et qui est le leur. La France compte des millions de musulmans, plus que nombre de pays de l’OCI, autant que la Jordanie et presque deux fois plus que le Koweït. L’une des questions qu’il faut se poser est surtout : comment en est-on arrivé là, à ce que des citoyens d’un pays s’attaquent à leur propre patrie ? Il y a quelque chose qui n’a pas fonctionné dans la politique d’intégration et d’insertion. Les frustrations accumulées ainsi que des incohérences dans la gestion de la diversité confessionnelle ont dû avoir leurs effets. Au-delà des solutions purement sécuritaires, la France devrait plutôt, pour prévenir des situations similaires, puiser dans les ressources dont elle regorge en matière d’éducation, de citoyenneté mais surtout d’ouverture philosophique au monde. Car, bien au-delà de la seule France, c’est le symbole même d’un vivre-ensemble, autour de valeurs universelles, en Europe qu’il faudra sauvegarder face aux sirènes des extrémismes et des discours de haine de tous bords.

D.A : Mais aujourd’hui, Dr. Sambe, la déchirure est bien là, on ne peut le nier…

Ce conflit est profondément ancré dans une incompréhension dont jouent aussi bien les droites nationalistes européennes que les partisans d’une lecture moyenâgeuse des textes et des faits fondateurs de l’islam. Lorsque des textes d’Ibn Taymiyya comme Al-çârim al-maslûl ‘alâ shâti al-rasûl (l’épée brandie sur celui qui insulte le Prophète) sont pris, sans aucun recul, pour référence par les tenants du salafisme et que de l’autre côté, des islamophobes en déduisent une nature essentiellement violente de l’islam sans tenir en compte la diversité des réalités traversant cette religion, on en arrive au clash irréparable. Et la haine ne fait que produire encore plus de haine ; ce ne sera dans l’intérêt de personne. Ni de l’Europe, ni de ses citoyens musulmans.

Le conflit serait-il alors autour de la notion de liberté d’expression ?

D’un côté, nous avons les partisans de la défense d’une liberté d’expression poussée à son paroxysme et parfois utilisée à mauvais escient ou de manière inutile, même si on refuse quelques fois cette même liberté d’expression sur des sujets arbitrairement jugés non négociables. De l’autre, une catégorie agrippée sur ses croyances et ses symboles à travers lesquels elle est souvent stigmatisée, et dont la profanation n’est ni négociable ni compréhensible. Finalement, de part et d’autre, l’excès attise les passions et les attiseurs de haine – politiques comme religieux – n’ont plus qu’à souffler sur les braises. Devant une telle situation, l’attitude la plus aisée est d’entrer dans une logique de surenchère et un cercle vicieux d’action/réaction se referme comme un étau tuant complètement l’esprit de dialogue. C’est là où il faut être vigilant et de ne pas perdre le courage du dialogue et de l’apaisement devant la lâcheté de la haine et de la violence aveugle.

D.A : Les musulmans poseraient-ils alors problème aux sociétés européennes ?

Le véritable drame est qu’une telle situation arrive dans un pays comme la France qui a eu une longue tradition de vivre-ensemble avec l’islam même à des moments controversés de son histoire. On oublie que la France compte même plus de citoyens musulmans que certains pays membres de l’Organisation de Coopération Islamique. Il ne faudrait pas qu’on accepte les théories allant dans le sens d’une guerre entre l’Occident ou la France et l’Islam. Il s’agit d’un choc des extrêmes qui ont d’ailleurs tout intérêt à ce que prédomine un tel discours essentialiste. Après l’attaque meurtrière que la majorité des musulmans a tout de suite condamnée, d’incompréhensibles « représailles » surviennent contre des lieux de culte musulmans d’où des sermons de dénonciation émanent depuis ces attentats. Le pire serait qu’on en arrive à un point où les évènements prennent la tournure de la guerre intercommunautaire Si cela arrivait, il faudra malheureusement s’attendre à ce que cela déborde l’Hexagone et embrase d’autres pays voisins.

La cause de tels actes est-elle simplement religieuse ?

Il faut que la France cherche des solutions dans les ressources qui lui sont propres en termes d’intégration et de rétablissement de la justice sociale loin des discriminations et des stigmatisations inutiles. C’est pour cela qu’on doit être vigilant sur nos positions face à de tels évènements et surtout éviter les indignations sélectives si l’on veut rester conforme aux principes universels que l’on cherche à défendre que ce soit au sein des religions comme de la Vraie communauté internationale distincte du conglomérat des forts qui dictent la guerre comme la paix dans notre monde contemporain. Les damnés de la terre sont souvent vite séduits par des vendeurs d’illusions. La justice sociale à l’intérieur des Nations doit être renforcée par un tarissement des sources de l’injustice internationale et des politiques de deux poids-deux mesures dans ces mêmes instances internationales.

 

Mais tous parlent de liberté d’expression qui serait menacée par l’intégrisme religieux …

La liberté est un principe qui ne peut être à échelle variable. Soit on défend un principe ou on s’enferme dans le sectarisme et procède à l’indignation sélective. Cette schizophrénie de l’opinion dessert les causes nobles. Lorsqu’un journal pour sa  satire, un universitaire pour ses opinions ou un humoriste pour son spectacle sont attaqués, c’est la liberté d’expression dans son universalité qui est menacée comme quand une mosquée, une pagode, une église ou synagogue, un bois sacré ou des mausolées de saints, sont victimes de profanation, c’est la liberté de culte et de conscience qui est aussi frappée dans son cœur. Les esprits sont surchauffés, l’émotion à son comble, mais il ne faudrait pas déserter le combat pour la défense des principes et céder face aux minorités extrémistes aux voix amplifiées. Le choc des extrêmes tant redouté et qui semble se dessiner sous nos yeux n’apportera rien de positif à l’indispensable vivre-ensemble.

 

Avec ces évènements, y aurait-il une possibilité de cohabitation pacifique entre l’Islam et les sociétés européennes ?

La stigmatisation de l’Islam et des musulmans va malheureusement s’aggraver. Mais, aussi bien l’Europe que ses musulmans doivent avoir conscience de la nécessité d’exorciser leur mal de vivre-ensemble. L’Europe doit avoir l’intelligence de procéder à une forme d’ethnologie inversée et reconsidérer son regard sur elle-même car le monde a changé comme les sociétés européennes, elles-mêmes, sont dans une profonde mutation depuis des décennies sur le plan démographique comme culturel et religieux. L’autoglorification et l’apologie nombriliste ne peuvent plus avoir de sens. De même, les musulmans d’Europe comme d’ailleurs se doivent de sortir des oppositions fantasmagoriques entre l’Occident et l’islam qui n’ont plus aucun sens depuis la fin des aires culturelles et civilisationnelles homogènes par le biais de  la globalisation. La solution de leurs problèmes existentiels se trouve dans leur capacité de conjuguer leur passé et leur héritage au présent et de ne pas se livrer à une forme d’idolâtrie du passé ou d’ « entêtement rétrospectif » comme dirait Iqbal.

A la suite des premières caricatures publiées par le Jyllands posten avant d’être reprises plus tard par Charlie Hebdo, et, pour justement éviter les généralisations des deux côtés, je rappelais cette note très optimiste de Goethe qui disait : « J’ai toujours eu une grande estime pour la religion prêchée par Mohamed parce qu’elle déborde d’une vitalité merveilleuse. Elle est la seule religion qui me paraît contenir le pouvoir d’assimiler la phase changeante de l’existence – pouvoir qui peut la rendre alléchante à toute période. J’ai étudié cet homme merveilleux, et, à mon avis, loin d’être un antéchrist, il doit être appelé le sauveur de l’humanité. (…) J’ai prophétisé sur la foi de Mohamed, qu’elle sera acceptable à l’Europe de demain comme elle commence à être acceptable à l’Europe d’aujourd’hui ».

source: http://www.dakaractu.com/Dr-Bakary-Sambe-du-Centre-d-Etude-des-Religions-CRAC-UGB-Les-societes-europeennes-et-leurs-communautes-musulmanes_a82242.html

Africains Musulmans et questions internationales : La partie invisible du débat avec Tariq Ramadan

Lundi 1 septembre 2014

Par Dr. Bakary SAMBE 

Pour mieux comprendre ce débat, il faut vraiment retourner à l’origine des divergences avec Tariq Ramadan. Tout est parti de ma critique sur sa prise de position sur ce qu’il appelle  » l’impérialisme français » dans l’intervention au Mali. Je lui suggérais simplement d’ajouter à cette critique de l’intervention des forces étrangères en Afrique, la dimension du « paternalisme arabe ». En fait les pays et organisations arabes ont tendance à considérer les musulmans africains comme des maillons faibles de la oummah qu’il faut islamiser malgré le passé « islamique » depuis le Moyen-Age.

Parfois, cela cause de nombreux problèmes parce qu’en voulant « islamiser » les Africains ils s’appuient sur des mouvements salafistes et wahhabites qui disent vouloir purifier l’islam comme ce fut le cas avec la destruction des mausolées de Tombouctou lors de l’occupation djihadiste dans le Nord du Mali. Voici le lien de ce débat antérieur : http://www.lescahiersdelislam.fr/Occupation-du-Nord-Mali-L-autre-vrai-paternalisme-occulte-par-Tariq-Ramadan_a208.html

J’ai eu à m’expliquer sur cette question avec Monsieur Ramadan lors du Forum Social Mondial en Tunisie où je l’appelais à assumer ses responsabilités car sa parole était écoutée dans le monde musulman pour que cette image de l’africain toujours considéré comme sous-musulman dans le monde arabe change enfin.

Je pense qu’il n’a jamais supporté cette critique et surtout la contestation de sa parole sur l’islam venant, en plus, d’un africain (toujours un musulman inférieur en rang et en dignité). Au lieu de prendre cette critique avec humilité de la part d’un collègue africain qui ne lui veut aucun mal, Monsieur Ramadan est venu au Sénégal pour dire sur la chaîne de télévision publique sénégalaise que je le critiquais simplement pour devenir célèbre. Voir le lien de ce débat : http://senegal.afrix.net/2013/07/11/mise-au-point-de-bakary-sambe-cher-monsieur-ramadan-la-diffamation-est-aussi-contraire-a-lislam-et-a-lethique/

Sur le débat à propos de la crise israélo-palestinienne :

Sur le débat télévisé, j’avais une posture difficile en ayant prôné le dialogue malgré l’ampleur de la violence. Ma position sur le dialogue est motivée par le fait que le dialogue ne soit pas pour moi l’apanage des peureux ou des lâches mais une responsabilité des braves.

Dans cette perspective, j’ai soutenu depuis le début de la crise qu’il serait important de renforcer le camp de la paix incarné par le Fatah et ses soutiens. Dès le début de la crise dans tous les médias sénégalais j’ai critiqué tout d’abord l’attitude inacceptable d’Israel qui tue, massacre et viole le droit international sous le regard spectateur de la communauté internationale perdant de plus en plus de crédibilité et faisant du « deux poids deux mesures » sur les valeurs qu’elle veut incarner comme la justice et la démocratie à travers le monde.

J’ai critiqué y compris sur le plateau de télévision, l’attitude des extrémistes des deux bords en commençant par ceux de la droite du Likoud comme Netanyahu, Libermann, Tzipi Livni qui n’encouragent pas la paix et ont incarné un bellicisme qui a plongé le Proche-Orient dans le chaos actuel. Ils ont assassiné la paix et l’esprit du dialogue. Mais j’ai aussi critiqué Khaled Meshaal et les caciques du Hamas qui n’aident pas toujours la cause palestinienne et y jettent un certain discrédit en usant de la violence et en repoussant le dialogue alors que je suis sûr que nos frères palestiniens ont besoin de plus de paix que de guerre ! J’ai dit aussi que certains pays arabes ont surtout instrumentalisé la question palestinienne et ont causé beaucoup de tort aux palestiniens en se servant de leur cause juste plus qu’ils ne la servent !

C’est surtout ma critique des idéologies telles que le salafisme et les tentatives d’exportation en Afrique par des pays et organisations arabes qui dérange, je crois.

L’islam tel que vécu traditionnellement en Afrique avait jusqu’ici permis de garder un compromis social aujourd’hui largement menacé par les idéologies djihadistes comme nous l’avons vu au Nord du Mali et au Nigeria.

Mais encore une fois, au lieu de rester sur la thématique du débat, Monsieur Ramadan dévié en voulant régler des polémiques antérieures telles que ma critique sur sa position au Mali. Avant même le début du débat télévisé, il m’a interpellé en me disant : « c’est vous qui écrivez les articles contre moi ? » Pour dire qu’il était bien parti pour régler son compte à cet Africain qui a osé remettre en question sa parole sur l’islam !

C’était une anormalité qu’il ne pouvait digérer. Mais je ne garde rien contre lui ni n’entre jamais dans la logique d’attaques dont il est parfois injustement victime. Ce qui me choque aujourd’hui, c’est qu’il a profité de mes positions sur la politique des pays et organisations arabes en Afrique (paternalisme religieux) pour me présenter comme un anti-arabe, ses partisans même me prennent pour un pro-israélien alors que j’ai fermement condamné les massacres perpétrés contre les palestiniens dès le début du débat.

Je le sais avec un peu plus de recul et au vu des réactions d’incompréhension sur ma position : il était difficile de tenir un langage de raison à un moment où les esprits étaient surchauffés et les cœurs pleins d’émotion. Je ne regrette rien d’avoir appelé à la paix mais avec le camp de la paix et à critiquer les extrémistes de tous bords qui ne servent pas la paix qu’ils soient israéliens ou palestiniens.

J’ai l’esprit tranquille dans le sens où je n’ai jamais cautionné la politique de massacre et de tuerie qui est celle du gouvernement israélien mais aussi parce que j’ai le courage de dire à nos amis arabes que la solution se trouve dans le dialogue et que l’esprit va-t-en-guerre fait le jeu des ultra-radicaux du Likoud et du Hamas ! Toutefois je reconnais bien David de Goliath !

Pour rassurer les collègues et amis qui se sont beaucoup soucié de l’image diabolisant que Tariq Ramadan a voulu donner de moi (peut-être qu’on ne se connaît pas encore bien !), ma position que j’avais du mal à défendre à cause du temps médiatique qui ne laisse pas faire des démonstrations, se résume en trois points :

1- Condamnation ferme des exactions israéliennes (voir ma prise de position dès le début comme le premier intellectuel sénégalais qui s’est exprimé sur l’attitude inacceptable d’Israel en termes de violation du droit international et du droit international humanitaire : http://www.dakaractu.com/Entretien-Gaza-L-usage-disproportionne-de-la-force-par-Israel-en-flagrante-violation-du-droit-international-est-source_a70409.html

2- Je suis pour le dialogue et pour cela il faut favoriser le camp de la paix incarné par le Fatah et Mahmoud Abbas: si on laisse les extrémistes du Likoud et ceux du Hamas gérer la situation il n’y aura jamais de paix (au passage, c’est pourquoi, j’ai refusé qu’on compare Nelson Mandela au Hamas).

3- J’ai souligné la solidarité entre Africains et arabes mais je refuse toute forme de paternalisme et d’exportations d’idéologies niant la possibilité aux africains de vivre l’islam selon leurs réalités, comme je l’avais souligné en mars 2013 lors d’un autre débat avec Ramadan à Tunis http://en.qantara.de/content/interview-with-bakary-sambe-in-the-arab-world-we-africans-are-viewed-as-inferior-muslims

Tout est parti de ma critique sur les Frères musulmans quand j’ai expliqué que c’était certes un parti politique mais pas « ordinaire » ayant comme emblème deux sabres croisés et marqué en bas « Préparez-vous » http://www.dakaractu.com/Dr-Bakary-SAMBE-UGB-a-Tariq-Ramadan-Comparer-Nelson-Mandela-au-Hamas-est-une-insulte-a-sa-memoire_a72017.html

C’est par la suite que Tariq Ramadan m’a traité « d’esprit colonisé » en arguant que je tirais mon discours de Paris ou de Washington. Je n’ai pas compris cette attitude qui finalement ne m’a guère blessé surtout venant de quelqu’un qui, après avoir loyalement servi Tony Blair comme conseiller ns’est livré dans les bras de Shaykha Muza et du Qatar. soit !

Ma réponse à la fin du débat était que je m’inspirais surtout de Cheikh Ahmadou Bamba, Cheikh Ek Hadji Malick et de Cheikh Moussa Camara dans ma critique du djihadisme et de la violence au nom de l’islam, pour réaffirmer qu’en Afrique, nous avons des ressources pertinentes sur le discours religieux islamique et qu’on n’avait pas besoin d’être des musulmans sous tutelle.

Je crois même qu’au nom de la solidarité avec nos amis arabes, ils pourraient être invités à s’inspirer des réussites de l’expérience africaine de l’islam en termes d’harmonisation entre réalités sociales et principes religieux que j’appelle « assimilation critique de l’islam » et surtout de cohabitation pacifique tout en étant conscients de nos échecs respectifs.

Dr. Bakary Sambe Head of Observatory on Religious Radicalism and Conflicts in Africa

Center for the Study of Religions Gaston Berger University

www.cer-ugb.net

bakary.sambe@gmail.com

Des mausolées de Médine aux saints de Tombouctou : le Wahhabisme à l’assaut de la mémoire

Jeudi 19 juillet 2012

Par Bakary SAMBE

Encore une belle occasion d’alimenter la théorie sur les « nouveaux barbares » ! Les télévisions du monde entier se sont braquées sur les horribles images de destruction des mausolées dans la ville historique de Tombouctou. Au-delà de la mise en pratique d’une doctrine wahhabite dans son expression la plus extrême, c’est le symbole même d’un islam africain constitutif de la civilisation musulmane qui est, encore, la cible de ces groupes. Mais, cette idéologie rétrograde qui a toujours enfermé le débat sur l’islam dans un carcan ahistorique et une vision étriquée, avait déjà commis plusieurs forfaitures dans le même sens. 

La « saga » wahhabite avait bien commencé en Arabie-même avant de décider d’en finir avec tout ce qui pouvait symboliser la diversité. Cet unitarisme dogmatique professé, à l’époque par un « théologien » en mal de reconnaissance qui s’offrit aux désirs d’un politique en quête de légitimité lui servant de bras armé, n’a cessé de faire des ravages dans les sociétés musulmanes, elles-mêmes, avant de se rendre tristement célèbre par le plasticage des Bouddha géants d’Afghanistan. L’idéologie wahhabite fait encore, malheureusement, des émules et a conduit, récemment, à la destruction des mausolées des trois principaux guides religieux de la confrérie soufie Qâdiriyya à Mgadiscio par les Shebab.

Dans la logique de l’excluvisme religieux, ce courant prend souvent le masque de la restauration des dogmes pour se considérer comme ce virtuel « vrai islam » avec un endoctrinement qui a ses propres méthodes. Pourtant le Wahhabisme – se cachant très souvent derrière le vocable du salafisme- n’est qu’une simple tradition religieuse, développée dans ce qui est devenu l’Arabie Saoudite, depuis le milieu du xviiie siècle par les oulémas de l’institution religieuse fondée par les héritiers de Muhammad Ibn Abd al-Wahhab (1703-1792).

 Cette institution, en retour, se considère comme la « gardienne » de cette tradition. L’une et l’autre entretiennent un rapport organique avec l’État saoudien, fondé en 1744 à la suite d’un pacte conclu entre Ibn Abd al-Wahhab et Muhammad Ibn Sa?ud, selon lequel le « sabre » se mettrait désormais au service du « goupillon », et réciproquement. Voilà qu’un pacte purement politique, fondé sur la légitimation réciproque et l’échange de services, s’autoproclame seule « doctrine véritable » à l’assaut de tout ce qui, dans le monde musulman pouvait matérialiser son enrichissante diversité.

Mais la série des destructions et des saccages d’une bonne partie de la mémoire de l’islam avait bien commencé à Médine au cimetière d’Al- Baqî que les wahhabites ont complètement rasé, à l’époque. Si, aujourd’hui, en terre africaine, les disciples du wahhabisme continuent de taxer les adeptes du soufisme d’associateurs (pratiquant ce qu’ils appellent le shirk) et les excommunient, les sources historiques restent formelles sur une tradition qui était bien ancrée en Arabie musulmane depuis la période classique de l’islam.La présence de mausolées et de tombeaux ornés et décorés, édifiés, ou agrandis, avant 1326, est clairement attestée par Ibn Battûta lors de son pèlerinage à la Mecque et par Ibn Jubayr avant lui (1183). Le célèbre historien Ibn Battûta décrivait même une « grande coupole » sur la tombe d’Uthman ibn Affan, l’un des quatre califes dits « bien guidés » appartenant, pourtant, à la période sacralisée et idéalisée des tenants du salafisme wahhabite !C’est, bien plus tard, que les wahhabites, près de 1200 ans après, en vertu d’une fatwa prise par un certain cheikh Muhammad al-Tayyib, ont détruit les mausolées du cimetière médinois d’Al-Baqî` contigüe à la Mosquée du Prophète.

D’ailleurs n’eût été la résistance de certains savants et autorités musulmans, le propre mausolée du Prophète de l’islam aurait déjà connu le même sort que ceux des saints de Tombouctou.Et l’on peut croire que, sur le sort de la mosquée-tombeau de Médine, les wahhabites ne sont que dans une logique de « hudna », pause stratégique, le temps d’accomplir ce « vœu pieux » de « désacraliser » le mausolée du Prophète. Un célèbre penseur contemporain de ce courant continue à le professer et qui a bien inspiré les démolisseurs de Tombouctou. Il s’agit de Shaykh Albânî, dans son ouvrage « Ahkâm al-Janâ-iz wa bida’uha ». Il y recommande que l’on retire la tombe du Prophète de l’islam de la mosquée de Médine. La désacralisation est bien en marche ! Ce même auteur, presque sacralisé dans nos écoles salafistes de Dakar, Bamako ou encore de Niamey, insiste sur cette demande dans un autre de ses ouvrages Tahdir as-sâjid Min ittikhâdil Qubûri Masâjid (pp 68/69).Cette idéologie de la destruction n’a pas commencé à Tombouctou et ne s’y arrêtera certainement pas.

 Elle est inscrite dans un processus continu de négation de la différence, de la culture du débat pourtant institué par les textes et faits fondateurs de l’islam. La même logique politique accompagne cette doctrine wahhabite qui, en réalité, a toujours été au service du pouvoir politique. Le cimetière d’al- Baqî, avant la venue au pouvoir du régime saoudo-wahhabite, avait plusieurs mausolées, qui étaient des lieux de pèlerinage des chiites et même des sunnites qui venaient à Médine. C’est partant d’un dogme qui considère comme un péché de se rendre sur la tombe d’un défunt que de nombreux sites religieux ont été détruits. Les wahhabites avaient même forgé le projet de détruire les sites Karbala et de Najaf (mausolée d’Imam Ali), en Irak, et leur projet de destruction de la tombe du Prophète a été abandonné suite aux violentes objections de la communauté islamique internationale. Au-delà des évènements malheureux de Tombouctou on dirait que les tenants du wahhabisme sont dans une logique de destruction du patrimoine historique et de la mémoire tout court. Sinon comment comprendre la démolition d’une partie de la montagne d’Abû Qays, non loin de deux portes principales de la Ka’ba (Bâb-u- Salâm et Bâb-u-Ali) ? Abû Qays symbolisait pourtant, selon la tradition musulmane, le premier endroit d’où le Prophète débuta sa prédication et où, habituellement les pèlerins étaient invités à faire une prière spéciale. La mémoire religieuse ainsi effacée, un somptueux palais royal y prit vite place comme pour avoir une belle vue sur la pierre noire peut-être visée, aussi, par les fatwas de la destruction. S’il en était des idoles à détruire en priorité, ce serait, sans conteste, celles dressées sur le chemin d’une intelligence des textes sacrés, peuplant les esprits formatés pour l’éternel taqlîd, l’imitation aveugle non contextualisée au mépris de la raison et de la logique de l’ikhtilâf, le principe garanti de la divergence et du débat.

 L’attaque au patrimoine de Tombouctou ne peut se comprendre que si l’on garde présent à l’esprit tout ce que cette ville représente pour l’Afrique, l’islam et l’humanité. Cette cité connue, à l’origine, comme un campement des nomades berbères du XIIIème siècle marquera l’histoire du commerce transsaharien durant tout le XIVème siècle. Tombouctou fait partie de cette époque de la grandeur en Afrique et de la civilisation sahélienne, notamment avec l’empereur Manding Mansa Mûsâ, l’homme du célèbre pèlerinage à la Mecque.

C’est en son temps que la Grande Mosquée de Djingareyber a été construite (1325 ap-JC) par un architecte andalou, Abû Ishâq as-Sahilî à qui le généreux empereur offrit, tout de même, 40 000 mithqâl (200 kg) d’or ! Au-delà d’une barbarie se drapant d’un manteau religieux, d’une étroitesse d’esprit signe d’une certaine pauvreté spirituelle conduisant à l’importation de cette idéologie, pourtant battue en brèche dès sa naissance dans les ouvrages de Sulaymân Ibn Abdulwahhâh (propre frère du fondateur du Wahhabisme, dans Aççawâ’iq al-ilâhiyya fi-r-radd ‘ala-l-wahhâbiyya) mais aussi de Yûsûf Ismâ’îl Nabhânî (Shawâhid-u-l-haqq), c’est cet esprit de Tombouctou que l’on a voulu tuer ! Car, c’est surtout l’esprit de Tombouctou qui dérange les idéologies sectaires telles que ce wahhabisme d’un autre temps. Tombouctou est la ville des échanges et de l’ouverture.

C’est de cette ville mythique que partit ce fils du Sahel qui émerveilla les Shaykh de Marrakech, ville de Qâdî ‘Iyâd : Ahmed Bâba al-Tinbuktî, tel que connu dans les classiques d’histoire au Maroc. L’image de l’érudit venu du Sûdân fit vite place à son statut de captif _ après l’aventure saadienne d’Al- Mansûr contre l’empire Sonhaï, en 1596_ ! N’est-ce pas, aussi, ce fils de Tombouctou qui démontra à l’époque, dans ses débats avec les Fuqahâ et oulémas maghrébins, que la pensée islamique n’a jamais été monolithique et que la philosophie du débat et de la divergence était aussi une réalité islamique ? Mais Tombouctou ne doit pas tomber ! Sinon le chemin est ouvert pour d’autres dérives, d’autres destructions de mausolées et pour une dictature « intellectuelle » favorable au règne de la nouvelle « sainte ignorance ».

 Dr. Bakary Sambe, Spécialiste du monde musulmanSenior Fellow, European Foundation for Democracy –(EFD) Bruxelles

Islam et civilisation universelle : Quand Serigne Cheikh Tidiane Sy théorisait la revanche de l’éthique

Mardi 15 février 2011

Par Dr. Bakary SAMBE

L’éminent critique littéraire, Yahya Haqqi (1905-1992), alors directeur des Editions Dâr Maktabat al-Hayat de Beyrouth, pouvait-il imaginer toute la portée de son initiative lorsqu’il demandait à Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy, l’autorisation de publier un recueil de ses différentes interventions sur l’islam, la pensée islamique en Afrique et la situation des Musulmans en Afrique de l’Ouest ? Il devait être assez visionnaire pour comprendre que de ces petites notes guidant les démonstrations d’un orateur hors pair, jaillira une pensée éclairante pour les générations futures !

Sa conclusion sur l’étude de l’islam comme système sera l’occasion de nombreux questionnements sur l’apport des idéologies qui se disputaient le monde bipolaire cadre d’une telle pensée. C’est sur cet aspect que Serigne Cheikh Tidiane Sy s’attardera en défendant l’idée d’un apport réconciliateur de l’islam, du spirituel au secours du tout-matériel, d’un monde en proie à l’animosité nourrie par les égos démesurés, l’ambition et le règne sans partage du matériel jusqu’à s’éloigner des formes de solidarités qui faisaient même la particularité du genre humain.

Sur ce point précis, Serigne Cheikh a tenu à pointer les effets dévastateurs auxquels avait conduit un tel état d’esprit dont l’histoire retiendra : un Jules César mu que par son ambition conquérante, un Alexandre Le Grand fini en captivité, un Napoléon croupissant à Sainte-Hélène et un Hitler à qui s’offraient deux choix aussi tragiques l’une que l’autre : la fuite ou le suicide.
Un certain Albert Camus, le rejoindra par cette conclusion sans appel : « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie ; il va falloir, dans un futur plus ou moins proche, choisir entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques ». N’est-ce pas un aveu de la nécessité d’une conscience devant accompagner la science si l’on ne veut pas en arriver, justement, à une « ruine de l’âme » ?

Voilà que, depuis plus de soixante ans, Serigne Cheikh Tidiane Sy défend que pour la durabilité des systèmes, l’Homme qui les met en place avait tout intérêt à s’appuyer sur la science doublée d’une éthique, comme éléments de guidance vers une civilisation universelle (Al-Hadâra al-âlamiyya). Ce renouveau de la pensée pour une re-naissance de l’homme moderne et conscient ne pouvait plus ignorer la dimension spirituelle de l’existence. De même, le croyant, aussi, ne devait plus se permettre de se réfugier dans un ilot dogmatique, insensible aux interrogations qu’imposent son époque et son statut.

Dans sa démarche, Serigne Cheikh Tidiane Sy, part du local pour traiter des problématiques dans leur dimension globale. A l’entame du chapitre qu’il consacre à « la contribution de l’islam à l’émergence de la civilisation universelle », il s’appuie sur le cas du musulman sénégalais qu’il disait être dans un grand besoin de réfléchir sur cette question. Bien entendu, ce n’était point par un culte des particularismes qu’il semble négliger au profit de l’Universel. Car, en plein monde arabe cherchant toutes formes de légitimation pour un leadership musulman, il précisera que « le message de l’islam n’est ni arabe, ni non arabe, ni oriental ni occidental…le message de l’islam ne peut se réduire à une couleur de peau, à une ethnie ni encore un pays sans les autres ». Il considère donc ce message universel comme celui qui a pu façonner les divers dogmes, savoirs et modes de vie dans le moule de l’Unicité et du sacré.

Donnant peu d’importance au miraculeux et au merveilleux dans le processus conduisant à la sincérité du croire, Serigne Cheikh s’appesantit beaucoup sur le fait coranique, sauvegardant, éternisant et universalisant le message de Mouhammad (PSL) « Innâ nahnu nazzalna Dzikra wa innâ lahû la-hâfizûna, Coran, 90-15). C’est le seul miracle qu’il reconnaît d’ailleurs car capable de faire de l’homme musulman un excellent et digne représentant d’un messager hors pair la constante revivification d’un message universel. Al-Maktoum dira, même, que le problème crucial du monde n’était ni la guerre, ni la paix, ni la politique, ni l’économie, ni l’action mais bien de l’homme capable de faire émerger une civilisation profitable à la terre et à son locataire, l’Humanité. Il soutient que si une telle condition ne pouvait se réaliser « la politique se réduirait à une simple mystification, l’économie à l’exploitation, l’action à l’injustice et la guerre comme un des conséquences d’une telle tyrannie ».
C’est à partir de ce constat qu’il conçoit la contribution de l’Islam et des musulmans à l’émergence d’une telle civilisation universelle.

Passant en revue les témoignages d’un Lamartine fasciné par le prophète de l’Islam qui conclut qu’il est ce grand homme de l’histoire qui ne s’est pas contenté de « vingt empires terrestres » mais a aussi et surtout fondé « un empire spirituel céleste », Serigne Cheikh aboutit à la remarque suivante : la contribution qu’il est demandée au musulman d’apporter à cette civilisation est la foi en ce message globalisant qui a fait dire au « plus grand homme de l’histoire moderne », : « Certes, je suis envoyé pour parachever les qualités morales et éthiques » (Innamâ bu’ithtu li-utammima makârimal akhlâq). Al-Maktoum passera ensuite à l’explication de texte autour de ce hadîth dont la plupart des penseurs n’ont qu’une compréhension littérale. Pour Serigne Cheikh, ce hadîth en dit beaucoup plus : « Je suis envoyé pour réorganiser cette Civilisation dont la Torah parle au bénéfice du Judaïsme, l’Evangile pour le Christianisme et le Saint Coran pour l’Humanité entière en guise de parachèvement de tout ce qui a précédé ».
Dans son explicitation de la civilisation de l’Universel, Serigne Cheikh va plus loin en assimilant le terme de civilisation à celui d’éthique. Là où ses prédécesseurs avaient compris le terme de « Akhlâq » dans sa seule acception, morale, Al-Maktoum, l’élargit à la notion d’éthique, en rappelant le vers du poète égysptien, Ahmad Shawqî « Wa innamal Umamul akhlâqu mâ baqiyat/ Wa in humû dzahabat akhlâquhum dzahabû ».

En fait, pour Serigne Cheikh, afin d’être pérennes, les civilisations sont tenues et se défendent par l’éthique, non pas par les canons, les chars et les dollars. Lorsque l’éthique qui les fondait en arrivait à disparaitre, elles disparaissent avec elle. Il explique par ce fait la pérennité et la durabilité de l’islam et la manière dont il marque l’histoire de l’humanité.
Pour Cheikh Tidiane Sy il faut espérer que la Civilisation humaine, dans son essence, « puisse retrouver toute la splendeur qu’elle mérite et sans laquelle la terre deviendra une « boucherie » où, un jour ou l’autre, ceux à qui l’on a enlevé leur dignité pour en faire « des vaches, des chevaux et des loups », se révolteront contre les patrons et grands industriels, les habitants des capitales et des gratte-ciels pour recouvrer l’honneur de l’Humanité ».

Selon lui si l’humanité en arrive à ce point, alors « plus d’humanité et point de civilisation ! ».
Vision ne pouvait être plus futuriste. Il aura bien fallu attendre la fin du XXème siècle, que le communisme s’effondre, que Jean-Christophe Ruffin parle d’« empire » et de « nouveaux barbares », que d’aucuns prophétisent la « Fin de l’Histoire », qu’un certain Huntington théorise le choc des civilisations, que le 11 septembre se produise, qu’Emmanuel Todd prédit la « fin de l’Empire », qu’on envahisse des pays souverains au mépris du droit international, que le capitalisme mondial soit frappé par une crise inouïe, que le terme de régulation réintègre le vocabulaire économique et financier, que la jeunesse du monde arabe se dresse contre l’injustice des potentats longtemps soutenus par le silence de l’Occident, qu’une réelle crise de confiance s’installe entre les gouvernés et les gouvernants pour comprendre enfin le vrai sens et la nécessité de l’éthique dans les rapports politiques et économiques !
Pourtant, dès les années 1960, Serigne Cheikh, ce penseur avant-gardiste, l’avait intégré dans sa conception d’une civilisation universelle durable à laquelle l’islam et les Musulmans devraient contribuer à la mesure de la pertinence du message Mohammedien. Mais il fallait, comme préalable, que les musulmans, eux-mêmes, osent en faire une lecture ambitieuse.

Certainement, pour théoriser une telle conception et l’harmoniser avec le message islamique au-delà des particularismes, il fallait compter sur la vision d’un Cheikh Tidiane Sy, ce « philosophe de son temps » (faylasûfu ‘açrihi) –comme le dit Serigne Maodo Sy – armé d’un sens élevé de la critique constructive et d’une audace de l’alternative, libératrices des conformismes coutumiers (âda), puisse l’exprimer en toute responsabilité.

Le dialogue judéo-musulman est-il pris en otage ?

Jeudi 27 mai 2010

Le dialogue judéo-musulman est-il pris en otage ?

« Le monde est vieux mais l’avenir sort du passé
comme le fromager d’un grain minuscule »
Proverbe malien

Par Bakary SAMBE

Le dialogue judéo-musulman serait-il prisonnier de l’exacerbation des communautarismes et des méfiances attisées par l’actualité internationale ? Ou bien, souffre-t-il des aléas d’un conflit qui empoisonne les perceptions que les deux « communautés » ont l’une de l’autre ? Au-delà de ces facteurs défavorables, s’est-on, aussi, efforcé de poser les vraies questions pour espérer des réponses adéquates ?
Sur les possibilités d’un tel dialogue entre juifs et musulmans, on devrait, tout d’abord, se poser la question de savoir si, entre islam et judaïsme, il y avait un conflit de valeurs ou un défaut de connaissance voire de reconnaissance mutuelle entre juifs et musulmans eux-mêmes. Je ne peux le croire au regard du référentiel commun aux deux religions se nourrissant du même monothéisme.
Le Coran est sans nuances sur ce référentiel commun et pose cette possibilité d’un dialogue en des termes très explicites : « Dites : «Nous croyons en Dieu, à ce qui nous a été révélé, à ce qui a été révélé à Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et aux Tribus , à ce qui a été donné à Moïse et à Jésus , à ce qui a été révélé aux prophètes par leur Seigneur, sans établir entre eux aucune différence. Et c’est à Dieu que nous sommes entièrement soumis.», Sourate 2-Verset 136
De plus, le texte coranique, lui-même, qui, statistiquement, renferme plus d’allusions à Moïse, à Jésus qu’à Mohamed, semble donner le ton pour qu’une liberté puisse être prise et s’engager sur le chemin du dialogue avec les « Gens du Livre » en général. Cependant, demeure cet écueil historique qui fait que, généralement, les religions qui précèdent ont plus de mal à reconnaître celles qui les suivent, et les religions qui viennent après ont tendance à considérer qu’elles détiennent « le mot de la fin » en accusent celles qui précèdent d’avoir subi des « altérations ». L’islam ou plutôt la lecture que des musulmans disposés au dialogue pourrait fournir un cadre confortable pour impulser une réelle dynamique d’échanges.
Hormis les convergences de vues en ce qui concerne le monothéisme, c’est dans ce sens que l’héritage spirituel commun, depuis l’Andalousie, pourrait être mis à contribution pour alimenter cette « discussion courtoise » avec le judaïsme.
Pour ce faire, il faudrait plus souvent insister sur ce qui peut rapprocher et gérer les divergences avec intelligence mais surtout un souci de concorde. Pourtant, en plein Moyen Age, deux fils de Cordoue, contemporains l’un à l’autre, nous avaient, à leur manière, servi d’exemple : Averroès ou Ibn Rushd (1123-1198) et Moïse Maïmonide (1135-1204) ont non seulement échangé et se sont mutuellement enrichi, mais fait dialoguer leur propre conception de la spiritualité. C’est à cette époque extraordinaire où l’on parlait d’une parfaite symbiose judéo-arabe qui a même eu à provoquer un brassage inouï ayant about à une hellénisation de la pensée juive par l’intermédiaire de l’islam.
L’espace spirituel avait, donc, été ce terrain de sagesse privilégié où soufis et autres savants juifs avaient pu élaborer une sorte d’humanisme spirituel (et j’ose l’oxymore !) avant l’heure.

Il serait important, aujourd’hui, au milieu d’un culte des particularismes et des communautarismes de tous bords, de rappeler les fructueux échanges intellectuels et spirituels entre Moïse Maïmonide et Bahya Ibn Paquda, par exemple. Cet héritage commun fondé sur le dialogue a même été merveilleusement perpétué par les successeurs de Maïmonide, notamment, Abraham Abulafya, et Obayda qui avaient des affinités certaines avec le grand soufi Ibn Arabî et même Al-Ghazâlî.

Qu’est-ce qui a donc mis fin à cet esprit-là, à cette ouverture et ce sens du dialogue sinon la prédominance des courants intégristes des deux bords ? La fermeture de la porte de l’ijtihâd du côté musulman qui a condamné à une reproduction irréfléchie d’une pensée sacralisée et sur laquelle il n’était plus permis de jeter un regard critique, n’aura pas été étrangère à un tel fait. Aussi, des crispations ont-elles traversé les communautés juives et les lectures littéralistes y ont fini par prendre le dessus sur l’exégèse favorable au dialogue et à l’ouverture de telle sorte que l’on s’est enfermé dans la lettre des textes sacrés en en tuant l’esprit.

Il est sûr, comme par le passé, que c’est seulement dans l’esprit que la retrouvaille est possible surtout si l’on considère que le texte coranique ne met pas de frein à cette reconnaissance sincère. C’est ce qui pourrait, entre autres, se dégager du verset suivant : « Certes, ceux qui ont cru, ceux qui ont adopté le judaïsme, les chrétiens, les sabéens, quiconque parmi eux a cru en Dieu, au Jugement dernier et a pratiqué le bien trouvera sa récompense auprès de son Seigneur et ne ressentira ni crainte ni chagrin.
Sourate 2-Verset 62.

Mais cette sincérité doit aussi appeler à ne pas occulter, les énoncés de nos livres respectifs qui vont à l’encontre de cette retrouvaille, aujourd’hui, plus que nécessaire.

Comment faire alors ? Faudrait-il considérer ces énoncés qui émaillent nos livres respectifs pourtant attribués à un même Dieu comme des sentences irrévocables nous condamnant à la méfiance les uns par rapport aux autres ? Ou bien, justement, pour rejoindre l’esprit évoqué plus haut, ne faudra-t-il pas, plutôt, les remettre dans leur contexte et ainsi faire preuve d’un dépassement pour les nécessités d’une concorde indispensable ?
Ce ne sera pas tâche facile si l’on sait, dores et déjà, les réserves des camps conservateurs qui, le plus souvent, par simple abus de conscience, contrôlent l’interprétation et font une OPA idéologique sur l’exégèse.

Dans le contexte musulman, il s’agira, sans doute, d’une relecture de ce verset que les attiseurs de haine préfèrent mettre en avant comme pour condamner un dialogue avant même qu’il ne prenne réellement la forme qu’exige l’impératif de paix dans notre monde contemporain. Comment faudrait-il lire alors ce verset qui proclame : « Tu trouveras certainement que les juifs et les polythéistes sont les ennemis les plus acharnés des croyants. Et tu trouveras que les plus disposés à aimer les croyants sont ceux qui disent : « Nous sommes chrétiens. » C’est qu’ils comptent parmi eux des prêtres et des moines, et qu’ils ne sont point orgueilleux. » Sourate 5 -Verset 82
Avant nous, cette question s’était posée et avait reçu des ébauches de réponses sur lesquelles il faudrait revenir. Tout un débat aujourd’hui occulté se pose, pourtant, autour du terme « croyant » qui traduirait ipso facto le mot « mu’minûn ou al-ladîna âmanû». Comme l’explique Mohamed-Chérif Ferjani avec un excellent travail de terminologie, le terme « mu’min » faisait référence à tous ceux qui adhéraient à ce pacte social voire politique (de non agression) et n’avait aucune connotation religieuse dans ce contexte de Médine du 7ème siècle. On peut, pour cela, se référer au Lisân al-‘arab où on trouve les sens socio-politiques du couple sémantique mu’min/kâfir qui, sur un plan étymologique, n’a rien à voir avec cette dichotomie idéologique largement entretenue pour finir par être injustement entérinée entre « croyants » et « incroyants ».
Si, ensuite, nous considérons ce verset et le replaçons dans ce même contexte Médinois, nous en comprendrons mieux le sens. Entre-t-il dans le cadre du dogme et des principes premiers de l’islam ou traduit-il l’esprit d’un contexte de velléités entre juifs et musulmans qui ont abouti aux drames que l’on sait ? Autrement dit, comme le suggérait pertinemment un certain Mohamed Mahmoud Taha dans Le second message de l’islam, ces genres d’énoncés ne font-ils pas partie de ce message-là même qui devait prendre en charge la réalité politique et séculière d’une communauté historiquement située et non forcément partie intégrante d’un dogme intangible ?
En tout cas, vouloir interpréter ce verset manipulé par les bellicistes comme ayant une portée générale et définitive serait, non seulement une volonté de compromettre l’esprit du dialogue, mais une ignorance totale de la nécessité de prendre en compte les réalités du « moment coranique » qui n’avait pas les mêmes exigences que celui que nous vivons comme l’a si bien expliqué l’Imam Tarek Oubrou de Bordeaux.
Loin d’exprimer une quelconque particularité, cette position s’inscrit, parfaitement, dans la nécessité admise par tous les théologiens de prendre en compte ce qu’ils appellent, eux-mêmes, les « asbâbu-l- nuzûl », causes ou contextes de révélation.

Il faudra, donc, oser franchir ce cap et avoir le courage d’un discours cohérent, loin de toute duplicité, aussi bien au sein de sa propre « communauté » qu’à l’extérieur de celle-ci !
Mes échanges avec certains Rabbis montrent, malheureusement, la difficulté d’un tel travail d’interprétation au sein du judaïsme comme les attitudes inflexibles ainsi que les lectures littéralistes et puritaines de certains radicaux musulmans laissent peu de champ à un tel esprit.

C’est dans ce sens que les modérés des deux côtés, désireux d’incarner cette « communauté du juste milieu » (dite Ummatan waçatan, par le Coran lui-même) doivent prendre leurs responsabilités et oser le pas du dialogue comme les extrêmes défient, encore, la logique du vivre ensemble en ce début du XXI ème siècle.
Autrement dit, l’arrogance de ceux qui dressent encore des murs d’incompréhension entre les hommes, ne doit pas faire fléchir la volonté de ceux qui sont prêts à ériger des ponts pour favoriser la rencontre et le dialogue. Sans pour autant tomber dans l’excès d’espérance, on peut, quand même, croire à l’avenir de l’audace. Ce qui pourrait être rassurant, c’est que bien des utopies du passé commencent à se révéler, de jour en jour, en évidentes vérités prématurées

Bakary SAMBE
bakary.sambe@gmail.com

Pour une approche critique du concept d’ »islam noir »

Lundi 7 décembre 2009

Par Bakary SAMBE

D’un islam « spécifique » à un islam « paria ».

Les années trente ont inauguré, au Sénégal et dans les colonies d’Afrique occidentale française, l’ère d’un colonialisme aux forts relents d’humanisme. Malgré l’arrivée du Front Populaire au pouvoir, en France, l’idée coloniale faisait presque encore l’unanimité. Simplement, il fallait lui trouver des fondements humanistes qui la rendrait plus « acceptable ». Dans ce contexte, la stratégie assimilationniste fit un peu de place à celle de la connaissance et de la compréhension du colonisé et même, quelques fois, à la reconnaissance des cultures, voire au culte des particularismes locaux.

Dans cette atmosphère sociopolitique, une meilleure connaissance de l’islam en général, devint alors une priorité et pas seulement en Afrique noire. Toute une politique est alors mise en œuvre afin de favoriser des études sur cette religion. Mais on voulut, délibérément, pour le cas de l’Afrique noire, définir une « politique musulmane » spécifique, différente de celle ayant cours dans d’autres colonies, notamment celles du Maghreb voisin.

L’enjeu était de différencier l’islam africain ou « noir  » de celui du Maghreb ou du monde arabe. Signalons, toutefois, que cette volonté de distinction abusive n’a jamais accueilli l’enthousiasme de tous[1]. Si elle a donné un cadre conceptuel à des études pionnières sur l’islam sénégalais, elle n’a pas manqué d’irriter certains cercles religieux, notamment réformistes à l’époque dont les arguments sont aujourd’hui repris par une nouvelle génération penchant plutôt pour une simple expression locale d’un islam « universel ».

Ceux qui s’étaient insurgé contre l’appellation d’« islam noir » y voyaient, donc, une manière de sous-estimer cette forme de religiosité à laquelle fut assigné, de fait, un statut intermédiaire entre l’animisme africain et le monothéisme islamique qui ne pouvaient, selon les milieux coloniaux et certains nationalistes africains, s’accommoder de l’ontologie négro-africaine.

Derrière cette notion largement relayée à l’époque, il y avait une conception paternaliste, voire, quelques fois, raciste, des musulmans africains assimilés à une frange inférieure, à la limite du folklorique[2], par rapport à l’islam « authentique ».

Au-delà de ce fait, c’est, surtout, l’orientation pragmatique des études sur l’islam au Sénégal qui retient l’attention. Il n’était pas étudié simplement pour être connu mais surtout pour être surveillé et contenu. C’est cette orientation qui a fini par déterminer les fondements théoriques sur ce champ qui en souffre encore. Malheureusement les générations de chercheurs africains lourdement influencés par l’école de française de l’africanisme ont perpétué cette thèse qui ne résiste plus à l’épreuve d’une critique simplement historique.

Il faut dire, aussi, que leur marge de manœuvre était des plus réduites si l’on sait les particularités de certains centres de recherche.

Avec cette posture dommageable pour une meilleure connaissance de l’islam en Afrique, on avait toujours du mal à distinguer, dans ces études, le chercheur aux intentions scientifiques du « commis colonial » en quête de renseignements sur une question au centre des préoccupations de la Direction des Affaires musulmanes et des Affaires politiques. Le Front Populaire avait innové dans ce sens en créant, en 1936, le Centre de Hautes Etudes d’Administration Musulmane (CHEAM)[3].

L’objectif en était de « parfaire la formation technique, des administrateurs français, civils et militaires, des officiers, des magistrats, professeurs, économistes qui exercent leurs fonctions à l’étranger surtout dans les pays d’influence musulmane »[4].

Mais, en réalité, la véritable mission politique du CHEAM fut précisée dans une lettre de Marius Moutet, alors ministre des Colonies, adressée au Gouverneur Général de l’Afrique occidentale française, Marcel de Coppet.

Le Ministre des Colonies affirmait : « notre grande colonie africaine ne pourra pas entièrement être tenue à l’écart de l’évolution qui se poursuit dans le monde de l’islam et il est plus que jamais nécessaire que nos administrateurs puissent, par leur formation, aussi bien dans les cercles qu’auprès de votre Gouvernement général, se renseigner, quotidiennement, sur les tendances nouvelles, l’origine des propagandes pernicieuses, et déceler, avant qu’ils ne se manifestent ouvertement, des mouvements de nature à contrarier l’action de notre administration  »[5]. C’était là des consignes pour parer à la « contagion » des colonies africaines par le nationalisme et l’anticolonialisme montants dans le Maghreb d’alors et les autres pays musulmans.

Malgré l’échec de cette « politique musulmane », l’étude de l’islam en Afrique s’est enrichie par des recherches conséquentes cependant dispersées et sans continuité. Car, en effet, les aléas politiques de l’avant-guerre n’ont pas permis la stabilisation du personnel en charge de telles études. Finalement, on s’est rabattu sur une politique qui, bien que favorisant la recherche sur cet islam, s’est contentée de mettre sa connaissance au service des objectifs coloniaux.

Il fallait, donc, théoriser cet islam et le promouvoir sous sa forme la plus « spécifique » à tout prix. Ainsi, vit le jour la théorie de l’« islam noir ». Cet islam fut conçu de la manière la plus schématique, comme une forme de « religion originale » qui, par le caractère « enfantin » et « superstitieux » du Noir, se serait éloignée de l’« ’islam originel », lui, pratiqué par les seuls Arabes. Au regard de ses tendances, « animistes » à certains égards, on le qualifia alors de « vagabondage islamique ». De cette spécificité largement cultivée et entretenue on tirera même la conclusion selon laquelle, l’islam africain serait inférieur.

Cependant, le fait le plus regrettable n’est pas la vision caricaturale née de toutes ces considérations, fruits d’un contexte socio-historique déterminé : c’est surtout sa marginalisation universitaire en Europe mais surtout dans le monde arabe.

On ne peut que déplorer le peu de place qui est faite à l’islam en Afrique et à ses différentes expressions dans les études islamologiques. Cette non prise en charge scientifique est liée à un sentiment selon lequel cet islam serait périphérique par rapport à l’ensemble du monde musulman qui n’a pas cessé, par l’actualité et l’histoire, de focaliser leur attention.

Christian Coulon a essayé de trouver une explication à ce fait qui n’a jamais obéi à des critères objectifs. Selon lui, « l’islamologie académique a épargné l’Afrique noire, sans doute, parce que les musulmans vivant au sud du Sahara paraissaient être loin du cœur de l’islam, de la civilisation islamique, référence obligée de toute littérature savante »[6].

C’est dans cette croyance en un islam africain isolé du reste du monde musulman qu’il faut chercher l’origine de tels préjugés défavorables. Mais il faut toujours qu’une telle opinion n’a jamais recoupé la réalité historique. Faudrait-il encore que des recherches sérieuses libérées des préjugés comme du culturalisme viennent réinvestir ce domaine qui n’a que trop souffert d’une marginalisation injustifiée.

 

 

 


 

Sens et portée des Journées Seydi El Hadji Malick Sy à Paris

Samedi 24 octobre 2009

Sens et portée des Journées Seydi El Hadji Malick Sy à Paris. Interview donnée à xalimasn.com

Source xalimasn.com, Publié le 23 octobre, 2009 à 2 h 00 min

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Xalimasn.com

M. sambe, ce samedi 24 Octobre 2009 se tiendra à Paris la première édition des Journées Seydi El Hadji Malick Sy à la Grande mosquée de Paris ; qu’est ce qui motive une telle manifestation ?

Je crois que les jeunes Tidianes de Ahibbâ’i Seydi Djamil, qui ont pris cette initiative à laquelle ils ont associé différentes organisations d’adeptes de la Tijaniyya, ont voulu, par cette manifestation, participer à l’œuvre de vulgarisation des enseignements de Cheikh El Hadji Malick Sy et les rendre plus accessibles au grand public en France.

Mais pourquoi le choix de ce personnage religieux précisément ?

Pour ce qu’il représente d’abord pour eux en tant que ses disciples mais je crois aussi pour créer une occasion de revenir sur cet enseignement d’une grande richesse à même de fournir des réponses mobilisables pour mieux faire face à leurs préoccupations d’ordre spirituel ….

En quoi cet enseignement serait il particulièrement pertinent pour cela ?

D’abord parce que Cheikh El Hadji Malick Sy a pu, avec une rare sagesse, traduire les idéaux en réalité et faire de l’aspirant à la réalisation spirituelle un véritable acteur conscient, utile et au cœur de son monde social. D’ailleurs une des conférences durant cette journée animée par Pape Makhtar Kébé sur la Kifâyat Râghibîn, vise à expliciter cela, en parlant d’un « réformateur social » qui s’est appuyé sur la particularité de la Tijaniyya caractérisée par cette intense spiritualité doublée d’une forte implication sociétale tout en visant in fine l’idéal de l’istiqama ou droiture.

Comment ? Pouvez-vous, au-delà des concepts être plus explicite ?

Je dirais, pour faire court, que la méthode Maodo se distingue par le fait d’ériger le savoir en mode d’action et de stimulation spirituelle. Comme l’enjeu majeur de l’époque où il vécut, marqué par une hostilité à l’épanouissement de l’islam était d’illuminer les cœurs et sauvegarder la flamme de cette religion dans son expression la plus vitale possible, Cheikh El Hadji Malick Sy a cherché une voie médiane qui consistait, comme en a témoigné Sukayrij, à « éclairer l’élite comme le commun des mortels en levant le voile sur les connaissances ». C’est, en fait, une démocratisation de l’accès au savoir par toutes les voies possibles. A qui d’autre doit-on, par exemple, la démocratisation du Gamou, évènement, depuis, rentré dans l’ordinaire et célébré un peu partout au Sénégal ?

Vous citez, Sukayrij qui est arabe, je crois, y a-t-il des témoignages de la part de Sénégalais sur cet aspect que vous semblez mettre en avant ?

Ah oui, ils sont nombreux, dans ce sens et, en plus, de la part d’illustres personnages de l’islam de son temps. A côté de celui de Serigne Alioune Guèye et de Serigne Hâdy Touré, Cheikh Thioro Mbacké a considéré, dans un poème, la disparition de Maodo comme une vraie secousse qui venait de toucher l’islam du Sénégal en disant que « c’est un pilier de la religion qui venait de s’effondrer » en cette année 1922 qui l’a vu partir (tahaddama ruknu-d-dîni). Il veut dire qu’avec cette perte c’est un véritable esprit clairvoyant qui venait de faire défaut au monde des oulémas (kamâ khasafal qamâru), tel « l’éclipse couvrant d’ombres la luminosité de la lune ». Et, je crois que c’est loin d’être des témoignages de complaisance. Son œuvre concrète est reconnue hors des frontières du Sénégal. Dans un numéro historique dans les années 90, la revue égyptienne Al-Azhar traitait de l’œuvre Seydi El Hadji Malick Sy en soutenant que, pour une grande part, « grâce à lui a connu son épanouissement dans ce pays Sénégal en créant des écoles, des mosquées, des zâwiya » et, qu’il a aussi formé de « brillants érudits qui se sont éparpillés dans tous les coins du pays telle l’expansion de la lumière dans l’obscurité. »


Mais, comment cela a été fait concrètement, par exemple, en Afrique ? Y a-t-il des exemples pour illustrer ce travail de vulgarisation dont on parle beaucoup ?

Il faut dire que Cheikh El Hadji Malick Sy s’est appuyé sur une stratégie et sur des valeurs sûres : les hommes qu’il a lui-même formés. De son vivant, il a dépêché, des Muqaddams dans toutes les régions où il sentait que l’enjeu de répandre son enseignement était important. N’a-t-il pas envoyé Serigne Alioune Diop Maïmouna à Gaya, Serigne Birahim Diop à Saint-Louis, l’un des fleurons de la colonisation française en Afrique Occidentale. El Hadj Abdou Kane, lui, sera à Kaolack, en plein centre du bassin arachidier sénégalais (centre-ouest du pays). Et, réalisant que ses déplacements, dans l’AOF pourrait réveiller la suspicion du Gouvernement Général et freiner son action, El Hadj Malick Sy préféra, envoyer, après leur formation, ses disciples dans plusieurs pays de la sous-région. Je peux citer El Hadj Amadou Bouya qui le représentera en Côte d’Ivoire, El Hadj Madior Diongue au Congo, Serigne Ndary Mbaye au Gabon, El Hadj Babacar Dieng en Centrafrique et El Hadj Abdou Ndiaye à Bamako, El Hadji Amadou Bouya, je crois en Côte d’Ivoire… A tous ces Muqaddams, il demandera d’aller continuer son oeuvre d’enseignement et d’éducation spirituelle ; effort qu’ils ont consentis volontiers… On retient dans la tradition orale que non loin du Palais du Gouverneur et de la grande Cathédrale, il a pu pacifiquement planter sa Zawiya dans le décor de l’ancienne capitale de l’Afrique occidentale française.


Pour revenir à l’évènement de ce samedi 24 octobre, c’est donc, une journée d’hommage pour relater tous ces faits ?

Certes, mais j’en ai une autre lecture. C’est plutôt, une occasion de revisiter sa pensée qui est d’une actualité indiscutable au moment où le soufisme semble plus que bien d’autres voies au sein de l’islam détenir des réponses adéquates à des questions contemporaines et essentielles. C’est à cela que fait penser le thème de la conférence qu’y donnera aussi Cheikh Ahmed Ndiéguène invitant à retrouver dans la pensée de Cheikh El Hadji Malick Sy « un viatique pour affronter les défis du nouveau millénaire. » Je crois qu’il s’agit plutôt d’une démarche de vulgarisation d’une pensée que de toute approche apologétique contraire même à la philosophie de vie de Cheikh El Hadji Malick fondée sur la modestie et l’humilité.

Puisque vous parlez beaucoup de pensée, pouvez-vous très brièvement, avant de se quitter, nous livrer les grandes lignes qui en feraient la pertinence aujourd’hui ?

On pourrait avancer que, généralement, la pensée de Seydi El Hadji Malick Sy est dominée par l’ouverture qu’il a toujours prônée ainsi que la tolérance exemplaire sans compromission qui marque son discours. Dans un vrai sens de la mesure, il est arrivé à un équilibre ou tolérance n’a jamais rimé avec laxisme et où l’ouverture n’a point empêché son enracinement dans la Sunna et la Tariqa Tijaniyya. Pour exprimer cela, on ne trouvera meilleure formule que celle du doyen El Hadji Rawane Mbaye qui désigne Maodo comme ce « pôle d’attraction Sharî‘a et Haqîqa ». En définitive, un art de la juste conciliation dans un champ de réflexion où, quelques fois, l’esprit de confrontation arrive, malheureusement, à avoir raison de celui de l’échange et donc de l’enrichissement mutuel.

, Réalisé par Adama Diouf

Cet article est aussi publié sur: xalimasn.com
Lire l’intégralité ici Sens et portée des Journées Seydi El Hadji Malick Sy à Paris. Entretien avec Dr. Bakary SAMBE

Le dialogue n’est jamais impossible

Dimanche 27 septembre 2009

LE DIALOGUE N’EST JAMAIS IMPOSSIBLE 

On peut penser que l’un des premiers pas vers la paix entre de « braves ennemis  » est d’apprendre d’abord à se regrder non pas comme des démons mais de simples êtres humains.

C’est ce qu’ont essayé de faire-difficilement- des familles palestiniennes et israëliennes ayant toutes perdu un proche parent soit dans les bombardements ou les attentats.

Voici une partie de l’histoire des Cercles familiaux israëlo-palestiniens, dans cette video :

http://www.internationalpeaceandconflict.org/video/video/show?id=780588%3AVideo%3A178611

 

Serigne Cheikh Tidiane Sy : le mystique et le citoyen du monde

Mercredi 8 juillet 2009

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Serigne Cheikh Tidiane Sy : le mystique et le citoyen du monde 

Par Serigne Adama BOYE- Source APS 

Serigne Cheikh Ahmad Tidiane Sy Maktoum tire un double privilège de son état-civil. La Tidjaniyya, confrérie soufie, est fondée par son homonyme, l’Algérien Aboul Abbas Ahmad At-Tidjani (1737-1815), puis largement propagée par son grand-père, El Hadji Malick Sy, hagiographe du prophète Mohamed (PSL). 

Natif de Saint-Louis comme son père, Ababacar Sy, khalife des tidjanes de 1922 à 1957, dont il est le troisième fils, Serigne Cheikh Tidiane Sy est entré dans sa 83-ème année. Il laisse apparaître le parcours d’un guide spirituel qui s’est affranchi du conservatisme, propre à l’islam au Sénégal, pour s’efforcer de se donner une identité propre à lui, celle d’un homme d’ouverture. 

Au-delà de la considération tirée de son ascendance (descendant de Maodo Malick Sy, de l’almamy du Rip et du Bour Sine), son influence dans les milieux musulmans sénégalais est le résultat de son itinéraire personnel. Très tôt, Serigne Cheikh Tidiane a tenté de réformer son entourage familial. Il installe le téléphone pour le khalife et commence à habituer son monde au port de la tenue dite occidentale et aux apparitions publiques, le chef décoiffé. Cette ouverture suscite des controverses. Par exemple, chez les religieux, le bonnet est un élément du complet. 

Au cours d’une causerie religieuse, le 26 mai 1950 à Tivaouane, le jeune marabout soutenait : ’’La religion ne doit pas rendre neutre son sujet aux travaux de réforme mondiale. (…) Apprendre ses devoirs religieux et les mettre en pratique n’exclut nullement les travaux manuels et d’esprit qui conduisent à l’amélioration du sort de l’humanité. C’est là un autre champ qu’il ne faut pas fuir pour aucun prétexte’’. 

Plusieurs registres, intellectuel, social, théologique, politique et économique, caractérisent son parcours. Cette dimension plurielle marque ses conférences publiques ou sa causerie à l’occasion de la commémoration de la naissance du prophète Mohamed (571-632). D’ailleurs, depuis près d’une décennie, le cheikh la célèbre, seul avec ses fidèles aux Champ des courses de Tivaouane (92 Km). Ce Gamou est le troisième organisé, concurremment, à côté de celui de ses frères et celui de ses cousins. La première scission date du début des années 50, suite à un conflit entre Khalifa Babacar et ses demi-frères. 

Cette vielle division est intervenue un demi-siècle après le lancement par El-Hadji Malick Sy de la nouvelle impulsion qu’il a apportée à l’anniversaire de la « Mawlidi nabi », en le célébrant avec la « Bourdah », le chef-d’œuvre de Mohamed Bousayri. Ce sont des écrits panégyriques sur le prophète chantés sur une décade avant la veille du Gamou. Le jour-j, les conférenciers de ces trois pôles commentent le « Khilâsou Dhahab » ou « Mimiya », œuvre majeure de leur aïeul sur la vie du prophète. 

Tivaouane est l’attraction des musulmans sénégalais à l’occasion de la célébration du Maouloud. Cette commémoration de la naissance du prophète Mohamed (PSL), la 106-ème édition dans la ville depuis qu’elle a été lancée par El-Hadji Malick Sy. L’avènement de ce savant et mystique (1855-1922) a été annoncé par El-Hadji Oumar Foutiyou Tall (1796-1864), comme son successeur à la tête de la Tijaniyya. 

Dans sa formation spirituelle, Cheikh Ahmad Tidiane Maktoum revendique ’’une fidélité sans faille aux enseignements de Serigne Babacar Sy’’, son père qu’il prend pour ’’seul et unique maître spirituel’’. Toutefois, il ne cache pas une pleine admiration pour son formateur Serigne Alioune Guèye, ainsi qu’il aime à citer ses autres professeurs de sciences islamiques, l’imam Moussa Niang et Serigne Chaybatou Fall. Aussi, rappelle-t-il souvent son passage entre les mains de son oncle paternel El-Hadji Abdoul Aziz Sy et des leçons de diction de ce savant et pédagogue de renom. Ils ont vécu ensemble, un temps, à Guinguinéo (centre). L’écho des cantiques de Dabbah retentit encore au Sénégal, 10 ans après sa disparition. 

Les contemporains de Cheikh Tidiane Maktoum à Tivaouane retiennent de lui ’’un apprenant surdoué’’, un talibé qui récitait sans anicroche ses leçons alors qu’il revenait à peine d’autres occupations pendant que ses camarades apprenaient. Déjà à l’âge de 14 ans, il a bouclé prématurément les cycles inférieur et moyen des études islamiques. A 16 ans, il publie son premier livre : ’’Les vices des marabouts’’. Plus tard, il écrivit ’’L’inconnu de la nation sénégalaise : El-Hadji Malick Sy’’. A la trentaine, il effectue son premier voyage à Paris où il vit, bien plus tard pendant cinq ans, une sorte d’exil. 

Cette précocité intellectuelle fait de lui qu’il joua les premiers rôles dans l’entourage de son père. Aux toutes dernières années du califat de Serigne Babacar, Cheikh animait, sur sa désignation, le Gamou et il était l’interlocuteur des dahiras (cercles de talibés) et des délégations officielles. En ce moment, comme aujourd’hui d’ailleurs, la famille d’El-Hadji Malick Sy, était en conflit. Après le rappel à Dieu du défunt khalife, Serigne Cheikh se sert de cette influence auprès de son père et de son aura propre auprès des muqqadams (dignitaires) et des fidèles pour revendiquer la légitimité dans la succession. Et depuis, il n’a pas lâché prise ! 

Cette maturité le met en contact avec les hommes politiques avec qui d’ailleurs les relations évoluent en dents de scie. Il fut le fondateur du Parti de la solidarité sénégalaise (PSS, opposition à Senghor), avec divers politiques notamment Ibrahima Seydou Ndao et Me Moustapha Wade, ainsi que le marabout Cheikh Ibrahima Niasse. En 1959, la contestation de résultats électoraux jugés ’’tronqués’’ par le PSS et le Parti africain de l’indépendance (PAI, gauche) vaudra à Cheikh un séjour carcéral. 

Des années plus tard, Senghor le nomme ambassadeur au Caire auprès de la République arabe unie (Egypte et Syrie). La fin ne fut pas prospère. Aux accusations de ’’fautes de gestion’’ se mêlent celles d’un ’’rapprochement inquiétant avec les milieux arabo-musulmans’’. L’inquiétude venait surtout des autorités françaises et des pro-Français dans l’entourage de Senghor. Un fait : le marabout-ambassadeur développait la coopération culturelle et faisait venir des milliers d’ouvrages pour la formation des arabisants sénégalais. 

’’Au risque de me répéter, je vous rappelle que votre rôle est avant tout d’étudier et d’organiser la nature qui est en nous et hors de nous, pour l’avènement de la justice, de la bonté et de la paix’’, déclarait-il au cours d’une conférence religieuse, en mai 1961 à Rufisque. 

Avec les régimes successifs avant et après l’indépendance, son parcours politique est parsemé de contacts et de distances. Mais, chez les intellectuels notamment les lettrés en arabe, Serigne Cheikh Tidiane incarne le renouveau dans l’islam au Sénégal. En 1955, le jeune marabout tidjane monte l’Association éducative islamique en même temps qu’il lance le journal « L’islam éternel ». Ainsi, multiplie-t-il les conférences thématiques sur l’islam, la société, la science, la culture et la politique. Son vieil auditoire se souvient de celle portant sur ’’Islam et négritude’’. 

’’En lui, Cheikh Tidiane, s’est réalisée la double quête de l’’’Insanoul kamil’’ (l’homme parfait) dans la perspective islamique : cet être spirituel qui vivra pour Dieu seulement en duo avec l’être terrestre qui travaillera et se battra comme s’il ne devra jamais quitter ce bas monde’’, écrivait, dans le journal Le Monde islamique, octobre 1995, Cheikh Abdoulaye Dièye. 

’’Poète moi-même, j’ai déjà trop jeune été émerveillé par la pureté et l’originalité de son style et la noblesse que véhiculait sa poésie. Son tout est poème, finesse et intelligence et on le perçoit bien à travers ses sorties. De son habillement à son gestuel en passant par son verbe évocateur’’, ajoutait le défunt religieux et homme politique sénégalais. 

Mystique, intellectuel et politique, Cheikh Tidiane garde à son tableau de chasse la figure de l’homme d’affaires. Producteur d’arachides dans le Saloum (centre), il s’est ensuite intéressé à l’industrie (huilerie et tomate conservée) avant de devenir actionnaire majoritaire dans l’unique cimenterie du pays à l’époque, la SOCOCIM à Rufisque. Sa brouille avec le régime d’Abdou Diouf lui vaudra bien des ennuis dans ce portefeuille. Aussi, sont évoqués ses intérêts passés dans les secteurs du transport. 

Aujourd’hui, le poids de l’âge et l’étendue des responsabilités le confinent à plus de retrait que jamais. N’empêche, ses détracteurs voient toujours son inspiration à travers les manifestations du Dahira moustarchidin wal moustarchidati, le mouvement de jeunes dirigés par son fils Serigne Moustapha Sy. Serigne Cheikh est leur guide spirituel, même si, lui-même dit être leur ’’condisciple’’ dans le legs de Khalifa Ababacar Sy. 

Bakary Sambe, docteur en sciences politiques et chercheur à la Maison de l’Orient méditerranéen, Université Lumière Lyon II, relevait dans un article de réflexion que ’’Cheikh Ahmed Tidiane Sy Maktoum fut, lui aussi, présenté par les éditions Dâr Maktabat al-Hayat de Beyrouth en ces termes : ‘il est actuellement parmi les hommes qui oeuvrent pour l’intérêt des musulmans et de l’humanité. Il bénéficie de l’estime et de l’amitié sincères de tous les leaders du monde arabe. Ils l’estiment pour sa vision, ses qualités humaines et sa sagesse politique’’. 

Dans une analyse datée de septembre 1995 consacrée aux relations entre l’islam et le monde occidental, suite à une appréciation positive du Prince Charles d’Angleterre sur la contribution de la religion musulmane dans le progrès de l’Europe, Cheikh Tidiane Sy le soutenait ainsi : ’’Ce n’est pas parce qu’il y a des incultes parmi les Occidentaux et des révoltés parmi les Musulmans que tout doit s’écrouler. Il faut aider les uns et les autres à être moins récalcitrants’’. 

Cependant, après le déclenchement de la guerre en Irak, par les forces anglo-américaines, le chef religieux sénégalais avait vivement protesté contre les divers soubassements de l’attaque armée. Le jeudi 15 mai 2003, à l’occasion du Gamou, il plaidait pour une réforme des systèmes internationaux. ’’Les systèmes financiers, politiques et religieux sont tous mal fichus. On ne peut pas mondialiser la bêtise ! Le constat d’échec des systèmes est patent. Ceux qui prônent la mondialisation, eux-mêmes, s’y perdent tous les jours’’. 

’’L’homme est le premier projet de Dieu et sa dernière créature. A travers lui, le Seigneur témoigne de son omniscience que tout fidèle doit méditer. Le règne de l’aveuglement généralisé rend nécessaire pour le musulman un retour aux sources divines : Allah, le prophète et le coran. Tout ce qui peut sauver l’être humain, c’est sa détermination à prêter attention aux pouvoirs du Seigneur et Dieu a fait de son envoyé (le prophète Mohamed) un sol vierge pour l’avènement du coran’’. 

Au dernier Gamou, le 1er avril 2007, Serigne Cheikh Tidiane Sy Maktoum invitait les adultes, en particulier les maîtres coraniques, à savoir ’’se comporter convenablement avec les enfants, à être gentils avec eux’’. ’’Il y a en qui ne savent que gronder ou violenter les enfants alors que cela ne se fait pas. Tout comme il est formellement interdit, en islam, de transformer les enfants en mendiants errant en guenilles dans les rues. D’ailleurs, pour faire exaucer un vœu personnel, passons par les enfants’’.  Serigne Cheikh, c’est surtout la maîtrise de la parabole comme méthode d’éducation allusive. Il la couple souvent avec l’humour ou la dérision. ’’Tâchez-vous d’apprendre l’arabe classique, la langue du prophète qui est aussi celle de l’au-delà parce qu’on n’y parlera ni le français ni je ne sais quoi’’. 

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