27 septembre 2008

La Tijâniyya dans l’Hexagone :

pour une reconnaissance de la diversité de l’islam en France

Par Bakary SAMBE

Confrérie religieuse de rite malikite en majorité, la Tijâniyya[1] née à la fin du XVIII ème siècle en Algérie, tire son nom de celui du fondateur Sîdî Ahmad Tijânî, saint mystique née en 1727 à ‘Aïn Mâdî, dans la région de l’Aghouat, porte du Sahara algérien.

Ce grand théologien, soufi et fin lettré aura des milliers d’adeptes à travers le monde musulman. Cependant, la spécificité de la Tijâniyya est qu’elle parviendra, très vite, à embrasser différentes cultures et peuples tout en maintenant ses pratiques homogènes dans leurs forme et contenu. Ainsi, de l’Algérie au Maroc voisin, les adeptes tijânis ont su, grâce au travail éducatif des muqaddams, créer des liens spirituels, soudés par la pratique du wird et de la Wazîfa.

Les grands centres tels que Abû Samghûn, en Algérie, berceau de la Tijâniyya, et Fès où le saint Tijânî, trouvera refuge dans le Maroc sous Mûlây Sulaymân, seront des creusets d’enseignement éclairé, de dialogue fécond et de solidarité active. Nombreux sont les témoignages qui attestent qu’on y dispensait, à la fois, les enseignements du Prophète en général, l’amour du prochain et le dialogue avec les Gens du Livre, ces frères en piété.

La foi et la fraternité étant, par essence transfrontalière, Sîdî Ahmad Tijânî, saint parmi les éclairés de son époque, réunira autour de lui des adeptes qui fréquenteront avec assiduité et ferveur ses enseignements, au cœur même de l’Université Qarawiyyîn de Fès, espace de lumières scientifiques maghrébin qui abrita, notamment, les brillantes pensées d’Ibn Khaldûn et de Moïse Maïmonide.

Ainsi, la zâwiya de Fès, lieu d’exégèse du Coran et de célébration de la Tradition musulmane, jouera, sans conteste, un rôle fondamental dans l’expansion pacifique de l’Islam en Mauritanie voisine, et au-delà, en Afrique de l’Ouest et dans l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. Cette expansion paisible de l’islam fut,, en grande partie, le fruit du travail éducatif et d’enseignement des Muqaddams africains de la Tijâniyya. El Hadji Omar Tall (né en 1796-97), l’exégète des Jawâhir al-ma ‘ânî, la référence ultime de la Tijâniyya, fut le véritable apôtre de la confrérie Tijâniyya en Afrique noire. C’est de son école que sont sortis les futurs grands muqaddams tels que Cheikh El Hadji Mâlick Sy de Tivaouane, Cheikh El Hadji Abdoulaye Niass de Kaolack, respectivement au Nord-ouest et au centre du Sénégal, et tant d’autres. C’est par un travail d’éducation religieuse et d’enseignement de l’islam et, très souvent, par le biais de la Tijâniyya qui assurera une islamisation en profondeur de l’Afrique noire, que la religion musulmane se répandit à une grande échelle en Gambie, au Sénégal, en Guinée, au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Burkina Faso, au Mali et au Tchad.

La Tijâniyya compte désormais des dizaines millions de d’adeptes rien qu’en Afrique noire sans compter les innombrables disciples disséminés à travers le monde arabe malgré la persécution intellectuelle et politique qu’y subit le soufisme en général.

Maghrébine de naissance et d’épanouissement, négro-africaine d’adoption et de vulgarisation, la Tijâniyya compte en France de nombreux adeptes dont le chiffre exact n’est capté par aucune statistique.

Se voulant humbles et tolérants, sages et modérés, les Tijânes de France célèbrent le culte de Dieu et la fraternité tijânie dans la sérénité et la discrétion. Dispersés dans la Cité, dépourvus très souvent de repères (zâwiya, mosquées) nécessaires à un plein épanouissement spirituel.

Ils s’efforcent, dans leur grande majorité, de vivre dans l’harmonie les Tradition musulmane, les cultures d’origines et les devoirs de la citoyenneté au pays d’accueil et d’adoption. On peut dire qu’ils sont, eux aussi, dans ce mouvement général d’une quête des lignes d’équilibre dynamique entre tradition religieuse et culturelle d’une part, modernité et laïcité dans la république citoyenne, d’autre part.

Tradition et modernité ou tradition dans la modernité ? l’équation, comme on le sait, n’est jamais simple à résoudre ; cet équilibre et cette harmonie difficiles à trouver par ou pour les Musulmans de France. Ces points d’équilibre sont d’autant moins faciles à déterminer que les adeptes français de la Tijâniyya sont à la marge des structures « représentatives » des musulmans de notre pays. Ceci n’est pas du fait d’un manque d’intérêt pour l’organisation du culte musulman et ses structures existantes, mais par ce qu’ils sont incompris voire rejetés car ayant une autre vision de la chose islamique par ceux qui développent souvent un unitarisme quelque peu dogmatique. Leurs pratiques sont considérées par certains tenants du salafisme, et parfois au-delà, comme relevant de bid‘a , « innovations blâmables » dans l’acception étriquée de l’islam chez certaines franges radicales.

Le fait n’est point nouveau si l’on se rappelle les multiples péripéties ayant marqué les rapports entre les tenant du légalisme religieux souvent en connivence avec le politique et ces chercheurs de spiritualité et de paix intérieure. Ajoutons à cela, tous les facteurs, renvois et amalgames historico-politiques qui ont accentué, au Maghreb comme au Machrek, le bannissement du soufisme et de ses confréries, pour mieux saisir cette incompréhension.

Pourtant le soufisme tel que le préconise la Tijâniyya pourrait être un remède à ces maux auxquels on essaye,  parfois à tort, de trouver des justifications religieuses et qui ne sont qu’une parmi plusieurs formes d’expression d’ignorance ou d’occultation des fondements humains et universels de l’Islam.

Au cœur de cette situation, aggravée depuis le 11 septembre 2001, où l’amalgame entre Islam et Islamisme, musulmans paisibles et extrémistes militants, anime les débats stériles opposant les prophètes de l’apocalypse et du Choc des civilisation, les enseignements de la Tijâniyya pourraient aider au retour à un débat fécond malheureusement occulté par le sensationnel. Celui de la fraternité dans la piété et la dévotion d’un Dieu unique, dieu du cœur ou de l’amour tout simplement.

Si l’islam est un, les façons de le vivre sont certainement plurielles autant que le sont les musulmans dans leur diversité et la pluralité des rites et des écoles d’exégèses auxquelles ils se réfèrent. Il ne faut pas oublier que la diversité n’est pas le propre de l’islam. C’est par nature, le propre de l’Homme. Les nouveaux défis de notre laïcité sont, d’ailleurs, dans cette exigence de reconnaissance et d’égalité de traitement de toutes les croyances dans une société de plus en plus multiconfessionnelle, si elle veut continuer à jouer son rôle pacificateur des rapports sociaux et des relations humaines. Là est le fondement même de cet immense besoin de comprendre l’Autre, d’aller vers lui.

Ainsi, les adeptes de la Tijâniyya, en France, malgré leur grande diversité fruit, entre autres, de la différence des obédiences et des affiliations, caractéristique de tous les courants soufis, essayent de se retrouver et de retrouver leurs concitoyens quelle que soit leur religion ou croyance.

Ils sont organisés en dâ’ira ou hadra et se réunissent régulièrement pour des dzikr (invocation) collectives les vendredis ou à des jours où ils n’ont pas de contraintes professionnelles. Sans réellement disposer de mosquée ou de zawiya où ils peuvent pratiquer dignement leur culte, ils essayent de donner corps à leur solidarité confrérique et de vivre une spiritualité intérieure et paisible loin des préoccupations militantes ou des considérations politiques et indépendants de toute tutelle.

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C’est dans ce sillage que sont nées depuis les années 1960 et même bien avant, des regroupements confrériques à travers la France comme dans des pays voisins (Belgique, Suisse et récemment l’Italie). Les communautés tijânies sont présentes, en France, notamment en région parisienne à l’instar de celles qui se retrouvent dans le cadre des Dâ’iras sénégalaises, maliennes, ou de l’Association Tijâniyya France-Afrique Solidarité présidée par le Muqaddam Mouhammed Benelmihoub. D’autres hadra -s, plus ou moins importantes, sont implantées à Bordeaux, Lormont, Lille et Grenoble. Grâce, aussi, au travail de l’imâm Assane Cissé, disciple de la branche niassène de Kaolack (Sénégal), des zâwiya tijânies sont, aujourd’hui implantées en Angleterre et dans plusieurs Etats d’Amérique.

En février 2005, pour la première fois, une Grande Mosuqée (celle de Lyon) accepta qu’y soit organisé le 1er Forum National sur la Tijâniyya, accueillant des délégation de Marseille, d’Aix-en-Provence, de Grenoble, de Perpignan, de Paris etc, avec des travaux publics et ouvert à tous. Ce fut l’occasion de revisiter l’héritage de cette confrérie et de réfléchir sur les moyens de partager ses enseignements, son message de paix et d’amour par un travail de vulgarisation et de publication. Les Tijânis se sont donné rendez-vous à Marseille en 2006 pour la seconde édition du Forum qui sera précédé, à la rentrée, des Assises de la Tijâniyya, en Région parisienne afin de pouvoir échanger avec le plus grand nombre de nos concitoyens et de réfléchir sur l’islam, le dialogue inter-religieux ainsi que les nouveaux enjeux du soufisme. L’islam de France gagnera, certainement, par une plus grande reconnaissance de la diversité des réalités musulmanes.

Reste maintenant que de telles initiatives soient soutenues ou au moins reconnues et que les adeptes d’une telle confrérie, au regard de leur nombre et de leurs initiatives en faveur d’un islam de paix et de tolérance, sortent de leur marginalité et trouvent des moyens dignes de vivre pleinement  et plus sereinement leur spiritualité.

Contactez le Forum national sur la Tijaniyya : tijaniyya.france@laposte.net



[1] – Pour les principes et enseignements de la Tijâniyya voir l’article à ce sujet sur oumma.com (février 2005).

http://www.oumma.com/article.php3?id_article=1387&var_recherche=tijaniyya

Les partis politiques et le pouvoir : La démocratie sénégalaise est-elle piègée ?

27 septembre 2008

Les partis politiques et le pouvoir :

la démocratie sénégalaise piégée ?
 

Par Bakary SAMBE

La situation politique confuse du pays fait qu’on oublie les priorités nationales et s’attache aux moindres détails et propos. Le climat malsain dont rend compte la stérilité du débat est le fruit d’une lassitude des citoyens, voire d’une léthargie politique qu’on veut masquer avec un recours constant au religieux et à ses symboles. Depuis l’avènement de l’alternance, les vraies attentes du peuple sont déçues de jour en jour et ne trouvent que peu de réponses. On ne peut en faire endosser la responsabilité au seul parti au pouvoir, car elle est partagée par toute la classe politique qui cherche ses marques depuis le séisme du 19 mars 2000. Pourtant, il semblait que les Sénégalais avaient saisi l’inutilité des discours creux après avoir bravé tous les tabous (socioculturels ou prétendus religieux) et ouvré pour une alternance politique pacifique dont le monde entier s’était ému, à l’époque. Le pouvoir socialiste qui a régné sur le pays depuis son indépendance, avait été désavoué à cause de ses incohérences et de ses erreurs politiques. Dans ce contexte, l’alternance était comme la bonne nouvelle ; la nouvelle ère qui allait s’ouvrir sur la voie d’un développement harmonieux où le citoyen ordinaire qui, jadis, ne servait que la machine électorale, devait être écouté, pris en compte. L’honnêteté voudrait que l’on avoue l’ampleur de la déception. Loin de vouloir réécrire un livre noir de plus pour contredire les pages du «livre blanc» noircies de réalisations réelles ou supposées et que d’autres conçoivent comme un simple projet de plus, il faut déplorer une situation qu’on croyait révolue. Les politiciens de notre pays (toutes tendances confondues) semblent décalés par rapport aux besoins et aux aspirations des simples citoyens que nous sommes. Au moment où les problèmes sont légion, les acteurs politiques, aussi bien du pouvoir que de l’opposition, sont préoccupés par les luttes d’influence, les querelles de clans, obnubilés par le partage du pouvoir et les guerres de positionnement. A-t-on oublié les soucis quotidiens de goorgoorlu qui n’a que faire du Cpc et de la Cap 21 et, encore moins, des manoeuvres en vue de contrôler des tendances ou des partis ? On dirait qu’on est dans une situation où, plus que jamais, les promesses électorales sont renvoyées aux calendes grecques et que les partis politiques confirment, de plus en plus, leur nature oligarchique dont parlait Roberto Michels, au début du siècle. Dans notre pays, il s’y ajoute une ostentatoire manipulation du sacré et de ses symboles par des politiciens en panne de projets réalistes et crédibles.
On pourrait croire aux partis politiques si seulement ils étaient la résolution apportée par le régime démocratique à la contradiction des opinions dans l’espace social. Certes, la viabilité d’un système politique démocratique peut se mesurer à l’aune de la multiplicité des partis exprimant la dialectique du particulier et du général. Mais, faudrait-il encore que les partis jouent leur véritable rôle : représenter la possibilité, pour chaque citoyen, de passer du domaine privé au champ du public et ainsi contribuer au débat commun et à la construction d’une unité ou cohésion, dans le cadre d’un contrat social qui relativiserait la conflictualité inhérente à la coexistence et au choc des intérêts particuliers.

Les partis, tels qu’on les observe au Sénégal, au lieu de s’investir dans leur rôle de médiation, semblent se dresser en obstacles dans l’espace «démocratique» en limitant la participation citoyenne à celle aux différentes consultations électorales qui rythment le calendrier institutionnel, négociable à volonté. A observer les formations politiques au Sénégal, on est bien en droit de se demander si l’on n’a pas oublié que la naissance des partis était corollaire à l’invention de la société «représentative» telle que rêvée par J. J. Rousseau. Ainsi, de la ferme foi en une simple institutionnalisation du débat et la mort des factions, par l’intégration des partis dans le système politique, renforçant la reconnaissance définitive de l’Etat, on est en face de la désillusion que constitue le détournement des objectifs initiaux des formations politiques. Dans notre pays, l’organisation et le fonctionnement des partis confirment, de jour en jour, leur nature antidémocratique. Instituant un désengagement à la fois des chefs et de la masse «militante», les partis politiques sénégalais semblent, quelques fois, se livrer à une véritable oppression des consciences individuelles et des citoyens broyés entre la machine de l’organisation et les logiques partisanes. La masse qui devrait être à l’origine des idées et des orientations, se retrouve soumise aux dirigeants auxquels, sans moyens de contrôle, elle accorde sa confiance. Pire, les chefs de partis, mus par des intérêts personnels, se réduisent à de simples porte-parole piégés d’une gigantesque machinerie qu’ils croient contrôler.

En même temps que celle des masses dépourvues de pouvoir de contrôle, la conscience des dirigeants se dissout, ainsi, lorsqu’elle ne s’évapore pas. Au Sénégal, où la fonction du parti reste souvent indéfinie et floue, la notion de responsabilité en même temps que celle de clivage gauche/droite appartenant à d’autres contextes socio-historiques, fait de moins en moins sens.

On crée des formations politiques par simple volonté de dissidence motivée par le mécontentement issu du partage du gâteau ou, comme il est malheureusement courant, pour finir en «partis de contribution.» Le politicien crie, alors, son opposition en attendant qu’un strapontin se libère par la défection d’un allié venu grossir les rangs de ce qu’il est convenu d’appeler l’opposition. Là encore, c’est le citoyen qui se trouve lésé, son droit confisqué, sa parole noyée et ses aspirations emportées par la vague de promesses électorales sans lendemains, sinon ceux des précédentes sans cesse reproduites.

Il n’est même pas nécessaire, dans le cas de notre pays, de s’interroger sur les paradoxes de la représentativité en démocratie ou encore sur l’élitisme comme symptôme d’un dysfonctionnement du système. Les jeux sont malheureusement plus clairs : on fait du militantisme alimentaire et l’on met toujours de l’eau au moulin de Jean François Bayart et autres politologues qui ont très tôt compris qu’en Afrique, la «politique du ventre» n’était pas un concept creux.

Les partis politiques, au pouvoir comme dans l’opposition, au lieu d’aider à ordonner des discours hétérogènes qui doivent être nécessairement domestiqués pour maintenir un espace démocratique de dialogue fécond, conformément à leur rôle de médiation, participent à la négation de la conscience politique chez les citoyens ordinaires par le système de rétribution matérielle et/ou symbolique. Rien que par leur fonctionnement interne, les partis stigmatisent les dérives inhérentes à la démocratie même, comme la confiscation du pouvoir par l’oligarchie, l’élite (?) qui s’aristocratise ou encore la gérontocratie détournant les objectifs du droit d’aînesse, en instaurant une véritable violence symbolique ainsi érigée en mode de régulation par dépit.

Autrement dit, on se retrouve devant la même situation décrite par Roberto Michels ou encore décriée par Ostrogorski, à la veille de la Première Guerre mondiale, où l’oligarchie communiste s’embourgeoisait. Malheureusement, au Sénégal, où le processus politique à la base de notre relative stabilité est en construction, on peut déjà parler d’un désenchantement démocratique dont la mécanique des partis, la complicité du peuple (piégé par le militantisme alimentaire), et l’oligarchie (manipulant une masse pourtant éprise d’idéaux démocratiques) sont à la base. Cette situation ne peut être mieux illustrée que par la structuration des partis politiques sénégalais et l’ambiance qui règne à l’Assemblée nationale. Les partis ne s’occupent plus que de la conquête des postes électifs lorsque la course aux mandats devient une fin en soi pour les entrepreneurs politiques. Dans ce schéma, l’instrumentalisation des adhérents aux partis suit le rythme du calendrier électoral qui se confond avec celui institutionnel. Ceux qui sont investis d’une fonction, finissent par être habités par cette fonction. Un élitisme paradoxalement «républicain» favorise, dans notre pays, une prise de distance avec les électeurs. Ces derniers deviennent habitués jusqu’à s’y résigner à un même scénario : après la conquête du pouvoir, son exercice décevant et arrogant lui ôte jusqu’à la légitimité des urnes et l’on frôle son occupation qui, pourtant, comme le prônait Léon Blum, n’était souhaitable que pour défendre la démocratie.

Le plus dur dans la mainmise de l’élite ou de l’oligarchie sur le parti est que cette dernière devient conservatrice et jalouse de sa position qui guide désormais sa «raison» et ses choix se muant, progressivement, en calculs. Au Sénégal, c’est la masse dépossédée de son pouvoir d’influence qui subit la politique d’en haut et ses mécanismes routiniers. C’est bien par ce processus que les mentalités évoluent négativement malgré l’électrochoc bénéfique du 19 mars qui semblait avoir enseigné à nos concitoyens que le bulletin de vote était une arme redoutable contre «l’occupation du pouvoir» ainsi que la manipulation des symboles religieux pour des motifs politiques.

Mais le plus inquiétant c’est que cette dernière ruse n’est plus l’apanage des formations au pouvoir, mais séduit tous les partis politique qui rivalisent d’ardeur, l’important étant, pour eux, d’arriver au palais-paradis et de mieux en user avec des moyens symboliques et matériels beaucoup plus étendus. Comme il ne s’agit plus de rivaliser avec des projets et des offres politiques lisibles, on s’en remet à des méthodes qu’on croyait rangées dans le tiroir des illusions !

Notre propos n’est pas de nier la place des partis politiques dans le fonctionnement démocratique, mais de s’interroger sur l’efficacité présente de leur rôle dans la construction de notre jeune démocratie. Loin de tout nihilisme, nous sommes, cependant, en droit de constater que les partis politiques sénégalais n’ont pas encore véritablement joué leurs différents rôles : de la médiation au contrôle du pouvoir, en passant par sa réelle démocratisation au sens d’une participation citoyenne plus généralisée. Face à cet état de fait, il n’est pas déraisonnable de penser aux solutions alternatives. La société civile est dans l’obligation de se libérer et de libérer les citoyens de la tutelle négative des machines partisanes afin de «stimuler, renforcer, conforter toutes les énergies individuelles et sociales», comme le suggère Noam Chomsky, dans l’intérêt de la survie du modèle démocratique. La capacité de mobilisation autonome des membres de la société civile, leur enracinement social, mais surtout leur conscience de l’intérêt général qu’ils ne doivent jamais perdre, pourraient faire d’eux une alternative crédible. La liberté de pensée faisant défaut aux formations partisanes, et qui s’y règne encore prédispose la société civile à jouer le rôle de laboratoire d’un avenir se démarquant des leurres des Etats, soumis au diktat du parti, qui croient se consolider en se privatisant, et de la mondialisation de plus en plus capitaliste.

cheikh El Hadji Malick Sy : Apologie de la modestie, efficience d’une méthode

27 septembre 2008

cheikh El Hadji Malick Sy : Apologie de la modestie, efficience d’une méthode

Par Bakary SAMBE

« La modestie est au mérite ce que les ombres sont aux figures dans un tableau : elle lui donne de la force et du relief ». Ces propos de La Rochefoucault, résument l’attitude d’esprit nécessaire pour appréhender l’œuvre de Seydi El Hadji Malick Sy. Si Maodo répugnait de parler de lui, c’est qu’entres autres, la figure symbolique de la Tijâniyya se distinguait, dès le début, par son refus de s’attirer des disciples en se trouvant des qualités de thaumaturge, avec des miracles. Faisant du Prophète que l’on célèbre son modèle, il ne parla point de lui, se conformant au principe de modestie, viatique des hommes de Dieu sur le chemin de la spiritualité. Il lui fut attribué ce vers qui traduit son état d’esprit : sawfa tarâ idha-njala-l ghubâru / a farasun tahtaka am-himâru (Lorsque la poussière se dégagera, l’on pourra distinguer les vrais cavaliers !).

Mais ses contemporains comme ses successeurs ont aidé dans de nombreux écrits à saisir bien des aspects de son œuvre ce patrimoine légué aux générations suivantes.

Parmi les nombreux témoignages sur Seydi El Hadji Malick Sy, ceux de Sîdi Ahmad Sukayrij, auteur entre autres du Kashf al-Hijâb véritable répertoire des noms qui ont fait l’histoire de la Tijâniyya, par ailleurs ancien Cadi de Settât au Maroc, auteur, par ailleurs, des remarquables calligraphies de la Grande Mosquée de Paris. Il a eu des échanges épistolaires avec Seydi El Hadji Malick Sy dans lesquels, il met en exergue les éminentes qualités de ce dernier. A part les témoignages posthumes dans la correspondance que reçut la famille de Maodo, Cheikh Ahmad Sukayrij avait, dans une lettre témoigné de son admiration et de son estime pour le guide spirituel en qui il reconnaissait une noblesse de l’esprit à son plus haut degré ( laqad malaka fil majdi a’ala martabatin), un dépositaire de toutes les qualités de la sainteté (wa waritha fil wilâyati a’ala manqibatin), de la vertu, de l’obligeance et la distinction sur tous les sentiers de la grandeur (‘abal-fadli fî kulli-l-masâliki).

En fait Cheikh Ahmad Sukayrij voit en Maodo cette noblesse de l’âme, viatique vers la perfection, tellement, comme il le dit, il portait bien son nom « Mâlik » et en incarnait le sens même (Wa asbaha mâlikan isman wa wasfan/ wa akhlâqun lahû fîhâ kamâlu).

Ce témoignage épistolaire est corroboré plus explicitement dans un autre ouvrage du grand Muqaddam marocain, rédigé comme son Radd akâdhîb al-muftarîna ‘alâ ahlil yaqîn, pour apporter les preuves de la totale inscription de la Tijâniyya dans la sunna du Prophète Muhammad. Il lui donna comme titre Jinâyat al Muntasib al-‘anî Fî mâ nasabahû bil kadhib Li –Shaykh Tijânî et y recense les accusations gratuites faites à la confrérie, pour les démonter avec verve et preuves à l’appui. C’est cet ouvrage qu’il a choisi pour présenter, Seydi El Hadji Malick Sy, aux côtés d’El Hadji Omar et d’autres illustres personnages, en ces termes : « Parmi ceux qui ont brillamment écrit et composé de manière bénéfique sur la Tijâniyya, on peut citer le legs béni des anciens aux générations suivantes, habitant dans la région du Sénégal, le grand muqaddam, feu Seydi El Hadji Malick ibn Othman. Il a éclairé l’élite comme le commun des mortels en levant le voile (sur les connaissances). Quiconque se penche sur ses œuvres aura la certitude que l’auteur fait partie des grands hommes de Dieu (Kummal al-rijâl) qui ont reçu la grande ouverture divine (‘al-maftûh alayhim). […] Il s’est consacré sa vie durant à l’éducation et a initié un nombre inestimable de disciples à la Tarîqa qui ont témoigné de son observance des recommandations divines, de son intransigeance dans l’adoration de Dieu, de sa disponibilité à servir son pays et ses Hommes tout en se détournant de ce qu’ils possèdent. Tout ce que je viens d’énumérer me vient des témoignages à son sujet… » (p.81)

Dans l’élégie funèbre composé à la disparition de Maodo, Serigne Alioune Guèye peignait un personnage dont les traits moraux sont sans nul doute, ceux d’un guide proche de ses disciples. Après l’avoir qualifié de « Imâmul askhiyâ , le chef de file des généreux », l’un des plus grands muqaddams de Maodo voit en lui le substitut des différents rôles sociaux et en fait un guide complet (huwal badalul mardiyyu). Son rôle éducatif illustré par les qualités scientifiques et morales de ses disciples, s’avère une réalité perpétuée et reconnue par ses derniers. Voici que l’un de ses plus illustres disciples, Serigne Alioune Guèye s’arrête sur les qualités et dons du maître dans huit vers de son « dâliya » poème en « dâl » comme le fit, dans la même « qâfiya » (rime), Hasân Ibn Thâbit à la disparition du sceau des prophètes Seyyidunâ Muhammad. Certes les disciples de Maodo pleuraient un maître spirituel hors pair. Mais c’est le savant irremplaçable qui, désormais, allait leur faire défaut. Serigne Alioune Guèye le dit en des termes à la fois révélateurs et touchants en pleurant celui en qui il admirait le mystique dégageant le sens des réalités et des vérités éternelles « al-haqâ’iq », le maître dont la pédagogie et le goût de transmettre cultivaient la curiosité chez l’apprenant dévorant ainsi les livres et les traités (Wa man lî bi ikhrâjil haqâ’iqi nâsihan/ wa man lî bitadrîsil kitâbi wa musnadi ».

Pour dire la grande perte que constitue la disparition de l’illustre maître, il traverse le vaste champ des connaissances auxquelles Maodo a consacré sa vie, de la science des lectionnaires coraniques, des belles lettres arabes, de l’arithmétique, du Fiqh, de la grammaire, de la logique aritotélicienne qui depuis les Abbasîdes (8ème siècle) avait influencé la pensée islamique au-delà des mu‘tazilites, de la rhétorique, de l’herméneutique, à la sîra (l’hagiographie du Prophète cf. l’inimitable Khilâsu Zahab) en passant par l’astronomie, les fondements du Fiqh (Ilm al-usûl) et la métrique ‘al-‘arûd) qu’Al-Khalîl Ibn Ahmad al-Farâhîdî de Bassora, avait systématisé par ses fameux cercles concentriques, au IIème siècle de l’Hégire.

Mais le plus remarquable de l’expérience de Cheikh El Hadji Malick Sy est le sens de la mesure et la conscience de l’équilibre entre la Sharî’a et la haqîqa dont parlait le Professeur Rawane Mbaye. Il a su rester, sa vie durant, ce « pôle d’attraction » entre les deux domaines de la connaissance, s’appuyant merveilleusement, sur une donnée essentielle que le saint Coran qualifie de meilleur viatique vers le vrai monde al-Taqwâ, traduit et certainement réduit à la « crainte de Dieu », état non mesurable parce qu’intérieur, mais qui se manifeste par les actes. Tous ceux de Maodo, d’après les témoignages de ses contemporains, reflètent cette conscience intime de Dieu.

S’inscrivant dans la pure tradition Seydina Cheikh Ahmed Tijâni, El Hadji Malick Sy a tenté et réussi cette expérience soufie innovée par la Tijâniyya. Comme le prône cette confrérie, Maodo a pu allier éducation spirituelle et plein engagement dans le monde d’ici bas, cette sorte de « retraite au milieu de la société », une tarbiya au-delà de l’abstraction, décelable au visu (‘al-hâl) et à l’action (‘al-himma) tendant résolument vers l’istiqâma, la droiture (Wa man lî bi ‘ustâdhin yurabbî murîdahû/ bilâ khalwatin bal himmatin mithla ahmadî, pleure Serigne Alioune Guèye).

Seydi El Hadji Malick Sy s’est appuyé sur les intarissables ressources spirituelles de la Tijâniyya en rompant avec le mysticisme des refuges et de l’isolement (comme dans la khalwatiyya), synthétisant l’enseignement de Seyyidunâ Muhammad jusqu’à parvenir à la « sacralisation des actes quotidiens » dont parle Cheikh Ahmed Tidiane Sy.

De ce fait, l’enseignement de Maodo s’inscrit dans le traditionnel schéma triptique où, après l’acte de foi (Imân), la soumission manifeste et sincère à Dieu (Islâm), l’aspirant cherche à parfaire son rapport à l’Etre Suprême par l’Ihsân ; l’état ultime où la conscience de Dieu guide les pas du néophyte dans sa quête de la félicité. Un tel projet ne pourrait être mené à bien sans que son porteur se soit agrippé à la Sunna du Prophète (PSL) dont il suit les traces, ‘alâ nahji rasûl, comme le dit Serigne Alioune Guèye.

Il est vrai que c’est dans ce domaine de l’observance de la sunna prophétique que les témoignages sur Seydi El Hadji Malick sont sans appel. Ainsi Seydi Tijane Ibn Bâba al-‘Alawî, s’arrête, dans l’élégie dédiée à Maodo, sur sa rigueur et son souci de référentialité en matière religieuse. Il lie cet aspect de la personnalité de Seydi El Hadji Malick Sy à son attachement au Prophète. C’est à dire que Maodo a toujours su faire vivre le principe de l’amour du Prophète qu’il définit comme intrinsèquement lié à l’action et à l’application de la Sunna. Il le dit dans Khilas Dhahab « wa laysa naf ‘un ‘alâ hubbin bilâ ‘amalin/ wa tâbi ‘an sunnatal mukhtâri faghtanamî », « il n’y a aucune utilité à clamer son amour au sceau des prophète si cet amour n’est pas matérialisé en action/ Il faut que tu suives la sunna de l’Elu ». C’est pourquoi, en fin connaisseur de Seydi El Hadji Malick, Tijane Ibn Baba l’identifiait à un Bukhârî dans sa rigueur et sa soif de sagesse et de parole authentique, mais insiste sur son travail de panégyrique en l’honneur du Prophète Muhammad (PSL) (Fakâna k’abni Zuhayrin fî madâ’ihihi), dit-il en le comparant à Ka‘B Ibn Zuhayr devenu le modèle dans cet art et qui a fortement influencé Muhammad al-Busayrî, l’auteur de la célèbre Burda, chanté à Tivaouane durant les dix premiers jours de mois béni de Rabî’al-awwal.

On ne peut compter les hommages poétiques qui lui ont été rendus par les ténors de son temps. Mais, à côté de celui de son disciple Seigne Hâdy Touré, Cheikh Thioro Mbacké a exprimé, de la plus belle manière, cette secousse qui venait de toucher l’islam du Sénégal en disant que « c’est un pilier de la religion qui venait de s’effondrer » en cette année 1922 (tahaddama ruknu-d-dîni ). Serigne Thioro Mbacké, remarque qu’avec la disparition de Seydi El Hadji Malick Sy, c’est un véritable esprit éclairé qui venait de faire défaut au monde des oulémas (kamâ khasafal aqmâru), tel l’eclipse couvrant d’ombres la luminosité de la lune. Ces témoignages ne peuvent entrer dans le registre de la complaisance car l’oeuvre de Maodo, elle-même est là, intacte et encore plus éloquente. Outre la qualité de leurs auteurs, ces hommages qui sont rendus à El Hadji Malick Sy sont corroborés par son action en faveur de l’islam. Le savoir est son cheval de bataille, et à l’enseignement pour le transmettre, il consacrera sa vie.

L’érudition de Cheikh El Hadji Malick Sy que reflètent le nombre et la diversité de ses œuvres avait même étonné ses contemporains si l’on sait les difficultés d’alors pour l’acquisition d’ouvrages religieux. La stricte surveillance de la circulation des livres et des personnes exercée par l’autorité coloniale rendait la tâche encore plus rude. Rappelons la lutte contre ce qui fut appelée « l’influence maghrébine », déclenchée dans le sillage du Rapport William Ponty, pour empêcher l’expansion de l’islam par les échanges entre les deux rives du Sahara. (Ce rapport est encore consultables aux Archives Nationales du Sénégal et celles d’Outre-Mer à Aix-en-Provence.)

Comme les idées et les croyances ont une plus grande mobilité que les humains et les structures, la pensée de Maodo et son enseignement atteindront les régions les plus lointaines de l’Afrique occidentale. La pensée religieuse de Cheikh El Hadji Malick Sy ainsi que son style, sur le plan littéraire, ont marqué toute une génération de muqaddam qui les ont, ensuite, transmis à leurs disciples. Par un système pyramidal, il a su déjouer le plan d’assimilation culturelle des colons et contourner les obstacles devant lui dressés.

Cette pensée est dominée par une grande ouverture d’esprit et une modernité avant l’heure. Cela est dû au fait que la confrérie Tijâniyya, particulièrement, s’est, très vite, confrontée aux populations citadines et à l’élite des villes, véritables laboratoires d’idées et d’ébullition intellectuelle. Devant l’impossibilité d’être exhaustif, on pourrait avancer que la pensée de Seydi El Hadji Malick Sy est dominée par l’ouverture qu’il a toujours prônée ainsi que la tolérance exemplaire qui marque son discours.

Son célèbre Fâkihat at-Tullâb ou Jâmi’ul Marâm en est un bel exemple. Il y traite des principes généraux de la Tarîqa Tijâniyya et de la discipline du murîd, l’aspirant à Dieu et à la spiritualité. Seydi El Hadji Malick Sy, conformément à sa sagesse légendaire, y soutient que les différences de Tarîqa, de rites et d’obédiences doivent être perçues comme de simples différences de goût et non des sources de conflits ou de haine. Il appelle, explicitement, à une reconnaissance des dons de chaque homme de Dieu qui ne sont pas toujours forcémént les mêmes pour tous. Pour Maodo, si les confréries sont différentes et n’ont pas les mêmes conditions, elles reflètent, néanmoins, toutes, les principes fondamentaux du soufisme et l’enseignement du Sceau des Prophètes (PSL).

De ce fait, El Hadji Malick Sy instaure la modestie en doctrine et en fait la solution afin d’éviter les tiraillements et les troubles sociaux. Dans la conclusion de Fakihat at-Tullâb intitulée Khâtimat fî Bayâni Ikhtilâfi awliyâ’i l-lâhi fi t-tarâ’iq wa al-madhâhib (Conclusion sur la divergence entre les Hommes de Dieu), Seydi El Hadji Malick exprime cela avec une ouverture d’esprit et une tolérance révélatrices de sa personnalité hors du commun (vers 3, 4 et suiv.). Il emprunte une image pleine de sagesse pour montrer que la réalité religieuse regorge de différences de perception, en rappelant que seuls les courants divergent mais que le destin est commun et qu’on converge, tous, vers la seule et même Vérité éternelle ; celle de Dieu. « Oh mon frère ne critique pas un parfum (musc) alors que tu es enrhumé ! », dit-il, si nous essayons de traduire très approximativement le vers 7 du chapitre cité. Et comme, dans sa vision, « nul de détient le monopole de la Vérité », il insiste sur les dangers de critiquer la voie d’autrui sans la comprendre. Mieux, pour éviter les polémiques stériles et qui attirent la haine (al-mirâ’), Seydi El Hadji Malick conseille ses disciples de ne pas répondre aux attaques. Ainsi, dans une pure tradition soufie, Maodo, conscient des fâcheuses conséquences qui peuvent découler de l’intolérance, du repli sur soi et du mépris des autres, fait de la modestie et du respect, un devoir religieux en soi, en utilisant le terme wâjib (vers 13).

Ainsi, le Fâkihat at-Tullâb, plus accessible que les autres ouvrages tels que Ifhâm al-Munkir al-Jânî et tant d’autres chefs d’œuvre que Maodo nous a légués, est assez représentatif de cet état d’esprit et de cette philosophie dont les fondements sont l’enseignement et l’éducation spirituelle. El Hadji Malick Sy, par ce credo, traduit en actes concrets, dans sa vie, a su mener une coexistence pacifique avec, aussi bien, ses coreligionnaires que les adeptes des autres croyances.

Son œuvre littéraire colossale ne pourrait être dûment traitée dans le cadre de cet article. Il utilisa beaucoup le génie de la poésie pour transmettre son message avec une parfaite intelligence des réalités d’une société où les vers sont plus facilement mémorisables que les phrases d’une prose. Sa maîtrise des techniques de la prosodie arabe (‘arûd) ne fait aucun doute. Le poids des mots et le choc des idées donnent à cette œuvre son caractère éternel. La qâsîda Rayy zam’ân fî sirat sayyid banî ‘adnân, plus connue sous le nom de Nûniyya, reste un témoin de ses qualités littéraires.

Dans chaque facette de sa vie, Seydi El Hadji Malick redonne tout au Prophète Mouhammad (PSL). Le point d’orgue de cet amour du Sceau des Prophètes et la volonté d’élever, auatant que possible, celui-ci à son plus haut degré est l’inimitable Khilâsu Dhahab fî Sîrati Khayril ‘Arab dans lequel il adopte la rime en « m » (d’où l’appellation mîmiyya) et le mètre al-basît tel que le fit Muhammad al-Bûsayrî, l’auteur de la Burdah, quelques siècles avant. Mais là où Seydi El Hadji Malick Sy innove c’est dans sa connaissance du contexte socio-historique dans lequel vécut le Prophète. Il navigue, constamment, entre la vie du Prophète et l’évocation de ce contexte avec une culture historique qui peut étonner plus d’un. Malgré le manque chronique d’ouvrages de références qui caractérisa son époque, la difficulté de les acquérir, sans parler de la complexité de l’environnement historique qui vit la naissance du Prophète (PSL), Maodo nous abreuve de connaissances sur Rome, Byzance, Chosroes, Anou Shirwân et les autres. Sa connaissance géographique qui se décèle de nombreux écrits reste encore une énigme et une source d’admiration pour quelqu’un qui n’a quitté le Sénégal que pour le pèlerinage à la Mecque. Lorsque Seydi El Hadji Malick, dans son approche de la vie du Prophète et du berceau de la révélation, le Hijâz, en arrive à donner, avec une précision inouïe, les noms de lieux tels que Isâf et Nâ’ila, encore méconnus par les habitants-mêmes de ces régions, l’on ne peut que saluer ses efforts inestimables pour l’acquisition du savoir. Reste aux jeunes générations de s’approprier ce vaste héritage tout en assumant la responsabilité de sa préservation. Comme il le rappelle et suggère vivement, il faudrait essayer de cueillir les fruits de ce travail : furâtuhâ yaqûlu hal min hâ’imin /li wirdi sayyidil halîmil ‘âlimi !

L’œuvre de Maodo est colossale. Malgré les multiples efforts des chercheurs et de ses descendants, il reste à la vulgariser ne serait-ce qu’au profit des nouvelles générations à la recherche de modèles et de repères.

Le soufisme : de la quête spirituelle à l’institutionnalisation des confréries

27 septembre 2008

Le soufisme : 

 de la quête spirituelle à l’institutionnalisation des confréries 

Par Bakary SAMBE 

 Les confréries soufies font leur apparition dans l’Islam aux IXème et Xème siècle. L’encyclopédie de l’Islam les définit comme « une méthode de psychologie morale pour guider pratiquement les vocations individuelles ». Les turuq (pluriel de tarîqa, voie en arabe) inscrivent, alors, leur action dans le cadre du vaste mouvement ou école de pensée musulmane connue sous le nom de soufisme. Ce dernier serait une manière de se désintéresser des choses terrestres pour se consacrer à Dieu malgré les multiples divergences concernant sa définition et ses caractéristiques. C’est, en quelque sorte, un vaste « programme de vie » spirituelle dont la dimension mystique trouverait son fondement dans le Coran et les traditions prophétiques et va, parfois, au-delà du cadre islamique par sa quête universelle du divin.  

Rappelons que le soufisme s’est très souvent heurté aux autorités religieuses et politiques par certaines de ses attitudes jugées « hétérodoxes ». Il est vrai que la religion institutionnalisée, et souvent proche des cercles du pouvoir ne pouvait que difficilement accepter ce courant mystique de l’Islam né contre le légalisme superficiel et qui mettait, plutôt, l’accent sur « la religion intérieure ».            

La définition de l’Encyclopédie de l’Islam [1] correspondrait à l’acception première du soufisme et de la tarîqa qui en est la manifestation collective. Telle qu’elle apparaît dans les textes des premiers penseurs Junayd et Hallâj, la tarîqa n’était que l’instauration d’une méthode théorique et idéale pour guider chaque vocation en traçant un  itinerarium mentis ad Deum. C’est cette vision du soufi, vêtu d’habits en laine, retiré au fond du désert, fuyant les réalités sociales, qui a longtemps pris le dessus sur toutes les autres approches pourtant plus intéressantes du point de vue sociologique. 

Il faut savoir qu’après les principes fondateurs de la mystique musulmane, il y a eu une phase de socialisation ou même de massification. Les soufis « fuyant ce monde corrompu » formaient en même temps des communautés, des regroupements de fidèles d’où l’abondance dans la terminologie spécialisée d’appellations mettant en évidence le caractère communautaire de la vie des confrères : ribât[2], zâwiya, jamâ ‘a etc. Dès lors que s’amorce cette intégration, au duo traditionnel « Homme-Dieu » se substitue un triangle « Aspirant-Maître-Dieu », le second devant mener le premier à sa fin ultime : Dieu. C’est avec le nombre croissant de fidèles que s’est imposée, à ces cercles, une nécessité d’organisation. Ainsi, les turuq[3] joueront un rôle important dans l’encadrement du disciple afin de lui éviter toute dispersion spirituelle. 

Le soufisme est souvent considéré comme une manifestation du perpétuel besoin de spiritualité donc comme une donnée constante de l’histoire de la religion musulmane. 

Muhammad Jawwâd Mashkûr soutient que déjà aux temps du Prophète, on pouvait compter deux de ses compagnons parmi les soufis. Il s’agit de Huzayfat ibn al-Yamân et Abû darr al-Gafârî[4]. C’est à dire qu’avec l’acception première du soufisme à savoir une simple quête de spiritualité on ne saurait le distinguer de l’Islam en général. Le soufisme était là bien avant le confrérisme qui en est la forme organisationnelle.  

Le débat sur la conformité du soufisme aux enseignements fondamentaux de l’islam a été brillamment tranché au Sénégal par l’ouvrage de Cheikh Tidiane Gaye de Louga  Kitâb al-Taqdîs bayna-t-talbîs wa-t-tadlîs. L’inspecteur de l’enseignement arabe a tenu à rejeter toutes les fausses accusations venant des néo-wahhabites visant à ternir l’esprit et l’image même du soufisme. 

En tout état de cause, la définition de Mashkûr empruntée à al-Jurjânî[5] rend bien compte de cette confusion et de la difficulté d’approche que présente la notion de soufisme. L’auteur d’al-firaq al-islâmiyya la définit comme « la purification du coeur du désir de fréquenter les gens éloignant des valeurs (d’hommes) ordinaires, des caractéristiques (purement) humaines, résistance aux exigences de l’âme passionnelle, une conformité aux valeurs spirituelles, un intérêt pour la science des vérités éternelles, une consolation de la Communauté de ses angoisses, une fidélité à Dieu, le strict suivi (des enseignements) du Prophète conformément à la shari ‘a ».            

Au lieu de nous éclairer sur le soufisme, la superposition de telles prépositions non définies rend le concept encore plus opaque et même assimilable au message de l’Islam tout court. 

C’est pourquoi, il nous semble beaucoup plus judicieux de jeter un regard sur certaines conditions historiques et  politiques ayant favorisé l’émergence des confréries soufies qui s’est accélérée à partir du XIIème et du XIIIème siècles. 

             

L’affaiblissement du califat abbasside depuis le milieu du IXème  siècle conduira à sa dislocation définitivement en 1258. Les Turcs Seljoukides qui renverseront les chiites Bouyides en 1055-1056 avaient du coup pu stopper l’avance des Fatimides d’Egypte. Ces derniers étant chiites représentaient une menace pour le pouvoir central de Baghdad, lui sunnite. 

La victoire des Turcs au Moyen-Orient puis des Ayyoubides en Egypte fatimide en 1171 peuvent être considérées comme une reconquête sunnite du monde arabo-musulman. L’autorité politique abbasside, de plus en plus en difficulté et morcelée, sera remplacée, progressivement, au niveau de la masse par celles des cheikhs, guides spirituels à la tête de leurs confréries. Notons l’intéressante ressemblance avec le cas de l’Afrique noire où les chefs confrériques ont su combler le vide sociopolitique consécutif à la destruction des royaumes et des principautés par le pouvoir colonial.            

Rappelons que dans le Baghdad du XIème siècle marqué les querelles doctrinaires entre sunnisme (non encore bien constitué) et ash’arisme, l’enseignement des savoirs islamiques avait du mal à s’exempter de la routine des oulémas versés déjà dans le taqlîd (l’imitation doctrinaire aveugle). A un certain moment,  ces derniers semblaient ne plus parvenir à satisfaire le besoin de spiritualité de leurs contemporains.  

Pourtant al-Ghazâli avait essayé, dans son Ihyâ ‘ulûm dîn (Revivification des savoirs religieux), de tourner la page des oppositions séculaires entre les lectures littéralistes et spiritualistes du même texte sacré des Musulmans, le Coran.  

Dans un tel climat de querelles et de dissension, l’autorité des Oulémas officiels et proches du cercle du pouvoir tend à décliner devant celles des maîtres soufis, plus rassembleurs.            

La première moitié du XIIIème siècle sera marqué par l’invasion Mongole qui sera effective à partir de 1258 avec la prise de la capitale abbasside, Baghdad. Devant cette situation catastrophique sur le plan politique, avec tout son cortège de troubles et de désarroi, les ordres soufis, alors en pleine expansion, représentent des cadres de solidarités proposant une vision plus cohérente du monde, ayant comme base des critères spirituels et non temporels.   

Marx ne disait-il pas que la religion, en plus d’un simple « opium » (plus souvent retenu par ses lecteurs !) était « l’âme d’un monde sans cœur » et « l’esprit de situations dépourvues d’esprit » ?             

Cette époque sera celle de l’émergence de personnalités confrériques, des fondateurs d’ordres soufis. Par leur charisme, elles marqueront toute cette période qui vit émerger des confréries religieuses portant les noms de leurs fondateurs. 

‘Abd al-Qâdir al-Jîlânî (m.1166) sera, bien que de manière posthume (selon Jacqueline Chabbi[6]), à l’origine de la Qâdiriyya, comme Ahmad al-Rifâ’î (m.1182) de la Rifâ’iyya, Abû Madyan (m.1197)  de la Madyaniyya qui deviendra par la suite la Shâdaliyya sous Abul Haasan al-Shâdalî mort en 1258. Le mouvement de création des confréries se poursuivra au XIIIème siècle avec l’avènement de la Qalandariyya, de l’Ahmadiyya. C’est la tarîqa Al-Mawlawiyya, avec l’influence du célèbre poète et mystique Jalâl ad-Dîn Rûmî (m.1273)[7] qui donnera à l’histoire du soufisme ses premiers derviches tourneurs, image marquante du soufisme en Occident.  

Le XIV ème siècle verra la naissance de la Baktâshia fondée par Al-Hâj Baktâsh (m.1335). Cette confrérie est le symbole de la répression dont est victime le soufisme de la part du pouvoir seljoukide. Elle sera suivie de la Naqshabandiyya et de la Safawiyya fondées respectivement par Bahâ ad-Dîn an-Naqshabandî (m. 1389) et Safiyy ad-Dîn al-Ardabalî (m.1334). 

La domination ottomane qui se renforce aux XIV ème et au XVéme siècle permettra l’entrée en relation des principaux ordres soufis avec l’élargissement et l’ouverture du monde arabo-musulman par le biais des nouvelles conquêtes et l’expansion de l’empire. 

Les confréries prennent alors l’allure de vastes mouvements qui déborderont leur cadre originel et s’élargissent au-delà de ses frontières. Elles se dotent d’une organisation interne qui, tout en devenant plus complexe reflète toujours la relation de dépendance entre le murîd, l’aspirant à la perfection ou à la réalisation spirituelle, et le cheikh, le maître, guide spirituel. C’est à partir de ce moment que la tarîqa devient un cadre de vie communautaire permettant une coexistence régulée, mu’âshara, et repose en plus des pratiques islamiques « ordinaires » sur un ensemble d’observances surérogatoires qui doivent ponctuer la vie de l’adepte, du novice, de l’initié. Ce modèle séduira par la suite, l’ensemble du monde musulman ; ce qui se traduira par une vaste expansion et une ramification incessantes des confréries. 

Aux XVIIIème et XIX ème siècles, les bouleversements politiques et sociaux seront accompagnés d’une explosion du nombre des voies soufies. 

La Tijâniyya dont le fondateur Sîdî Shaykh Ahmad al-Tijâni mourut en 1835 conquit le Maghreb, l’Afrique Noire dont elle contribuera beaucoup à l’islamisation. Ses apôtres tels qu’El Hadji Omar Tall et El Hadji Malick Sy de Tivaouane se sont appuyés sur son enseignement pour réaliser une véritable islamisation en profondeur de différentes régions. D’autres confréries vont naître aussi bien au Maghreb qu’au Machrek  et se ramifieront par la suite. Ahmad ibn Idrîs fondera la tarîqa al-Idrîsiyya qui sera suivie de trois autres turuq : Al-Rashîdiyya, al-Margâniyya et la Sanûsiyya. Cette dernière confrérie s’inscrira dans le paysage politique  du Maghreb et de l’Afrique Occidentale entrés depuis peu dans l’ère coloniale avec la conquête française de l’Algérie. 

Du soufisme à l’institutionnalisation du modèle confrérique :  

Le triangle « Disciple – Maître – Dieu » est régi par une relation de dépendance du premier au second. Avec l’élargissement du cercle des adeptes, les chefs confrériques vont essayer d’instituer cette relation qui est la base même de l’organisation confrérique.            

Le maître de la confrérie institue un certain nombre de pratiques dont la plus importante est le wird ; les prières dites par tout affilié à la confrérie et qui peuvent l’être soit individuellement où collectivement lors des halaqât dikr, séances d’invocation. Le wird est transmis, en suppléance au cheikh, par le muqaddam dont ‘Abd al-Hamîd Bakhît, disait qu’il détenait un grand pouvoir sur les autres ikhwân[8]. On appelle talqîn la scène de transmission du wird qui revêt une grande symbolique car il marque la naissance d’un pacte d’allégeance et d’obéissance au maître et aux règles de la confrérie. On devient muqaddam après avoir reçu des mains du cheikh, un diplôme de transmission, une sorte de licence appelée ijâza. Sur cette attestation manuscrite toute la chaîne de transmission, silsila, est mentionnée. Elle part du Prophète Mohammed considéré, en général, comme l’inspirateur de toutes les confréries jusqu’au cheikh qui décerne la licence. Cette démarche vise à garantir l’authenticité du statut de muqaddam et la légitimité de son éventuelle autorité sur d’autres néophytes.  

Le murîd (l’aspirant à la réalisation spirituelle) doit à son cheikh respect et considération et lui verse, dans certains cas, des hadiya, dons, obole ou aumônes expiatoires. Cette pratique est justifiée par les soufis en basant sur une analogie entre leur situation et celle du Prophète de l’Islam. Ce dernier, en consacrant tout son temps à enseigner les préceptes de la nouvelle religion ne parvenait plus, semble t-il, à exercer une activité lucrative.  

Le disciple qui l’en empêchait, devait donc, par reconnaissance ou compensation, lui apporter des dons lui permettant d’assurer ses dépenses quotidiennes. Il est vrai que certains soufis en profiteront pour se livrer à la mendicité, ce qui donnera, par la suite, aux soufis une image d’oisifs vivant de la crédulité des gens. 

Mais, les confréries dépasseront ce cadre purement spirituel et par la sécularisation des membres du groupe en liaison avec l’évolution socio-économique, seront impliquées dans tous les secteurs de la vie y compris le domaine politique. ‘Abdul Hamîd Bakhît [9] illustre bien cette rupture en reconnaissant au mouvement confrérique deux époques distinctes : une première époque où ces voies étaient l’incarnation d’un désintéressement et d’une retraite hors du monde profane et une deuxième où s’effectuera son implication dans les affaires de la cité. Le milieu du XIX ème siècle, en Afrique, signe l’entrée du soufisme dans l’âge « moderne » avec l’exemple de la Sanûsiyya fondée par Muhammed ibn Sanûs né vers 1800 à Mostaganem (Algérie). Cette confrérie deviendra célèbre au regard de son rôle dans la résistance à l’intrusion coloniale française. 

La vision de la confrérie comme cadre strictement spirituel marquera longtemps les diverses approches d’islamologues. Il est vrai que sa finalité était comme le dit Alexandre Popovic de « conserver et de diffuser l’enseignement mystique du fondateur » car elle était au début « un mode d’accès à Dieu par un ensemble spécifique de rites, de pratiques, d’exercices et de connaissances ésotériques »[10].  

Mais la capacité d’adaptation des confréries leur permettant de recruter partout fait qu’elles parviennent, aussi, à imprimer leur marque à la société dans laquelle elles s’insèrent de manière harmonieuse. Comme le soutient, d’ailleurs, Constant Hames, la confrérie étant « fondée sur la relation entre un maître et des disciples, « recrute dans la famille, la tribu, le village, l’ethnie, le groupement professionnel, la nation »[11].            

A l’instar de toutes les structures, la confrérie peut aussi assurer des fonctions à la carte et sortir, parfois, du statisme dans lequel on a coutume de la placer. Elle crée poursuit Hames « une organisation nouvelle qui interagit de multiples façons avec le cadre social et politique environnant ». Rappelons tout simplement que la Naqshabandiyya avait déjà intégré cette donnée dans ses  principes en préconisant, dans ses principes « une retraite au milieu de la société ». 

             

Dès lors, il devient compréhensible que les confréries allient retraite intérieure dans leurs zâwiya-s et participation active à l’« extérieur ».  

On pourrait, pourtant, s’étonner de la mauvaise image du soufisme en Orient et dans le monde arabe en général. En Turquie, par exemple, le gouvernement n’a eu de cesse de persécuter les confréries soufies selon les périodes et les enjeux politiques. On note aussi un anti-soufisme exacerbé au Yémen où le Zaydisme a régné de 901 à 1962, l’Arabie Saoudite, tête de file du mouvement wahhabite, bannit le soufisme et ses confréries au même titre que le chiisme, la religion de certaines minorités persécutées. Même le mouvement les Frères Musulmans dont le fondateur, Hassan al-Bannâ appartenait à une tarîqa, la Hasâfiyya, semble hostile à cette forme de religiosité à laquelle il empruntera, pourtant, son mode d’organisation [12]. Peut-être que l’utilisation des confréries par la politique nassérienne, en Egypte, est-elle à la base de leur antipathie à l’égard de ce courant de même qu’en Algérie où les hiérarchies maraboutiques, ont collaboré avec le colonisateur français dans son combat contre Abdel Kader ! Seuls quelques pays arabes tolèrent encore l’existence de confréries : l’Irak, la Syrie, la Palestine, le Liban.  

En Afrique noire, par contre, le modèle confrérique a tellement séduit que des mouvements confrériques endogènes ont vu le jour et connaissent une grande expansion ainsi qu’un enracinement hors du commun comme c’est le cas du Mouridisme (Murîdiyya) au Sénégal. Il s’est non seulement ancré dans le paysage religieux voire politique mais s’est internationalisé suivants les itinéraires migratoires des adeptes de Cheikh Ahmadou Bamba à travers le monde. 

Les confréries sont nées en Orient et au Maghreb mais elles ont surtout recruté en Afrique Noire. Cela est peut-être dû à leur capacité d’adaptation et au rôle important qu’elles auront joué dans ces sociétés où elles sont devenues de véritables acteurs sociopolitiques. 

Bakary SAMBE 

Institute for the Study of Muslim Civilisations 

Bakary.sambe@aku.edu  

[1] -voir l’article : tarîqa. [2] – ce terme est à l’origine de l’appellation almurâbit traduit almoravide en français. Le terme marabout serait aussi dérivé de ce même mot. 

[3] -pluriel du mot arabe tarîqa. [4] Mouhammed Jawwâd Mashkûr : al-firaq al-islâmiyya -Majma ‘ al-buhûth al-islâmiyya Beyrouth 1995 

[5] ibid p355-356 [6] – voir sa brochure intitulée, Abdel Qadir Jilânî personnage historique, non édité. 

[7]  Cet homme est originaire de Khurâsan Nord de l’Iran actuel chassé par l’invasion mongole en Asie Mineure il est mort à Konya en 1273 en Turquie. [8] – pluriel du mot arabe « akh » qui signifie « frère ». Peut-être à l’origine de la traduction française du mot tarîqa : « confrérie ». 

[9] Bakhît Abdul Hamîd :Al-mujtama’ al- ‘arabî wa al-islâmî T2 3ème Ed. Dâr al-Ma ‘ârif 1967 p289. C’est nous qui traduisons. [10] A.Popovic et Gilles Veinstein (sous dir)  in « les voies d’Allah : les ordres mystiques dans le monde musulman des origines à aujourd’hui, p12. Paris 1996,  612p 

[11] Hames Constant Ibid p231  [12] -Voir notre entretien avec le Pr Kîlânî de l’Université de Jordanie, Amman dans notre mémoire de Maîtrise de Lettres et Civilisations arabes 1996/97 Lyon2. (Annexes) : les confréries religieuses au Sénégal : Affirmation d’un islam noir ?  

Les courants extrêmistes ou la négation de l’universalité

27 septembre 2008

Les courants extrêmistes

ou la négation de l’universalité

Par Bakary SAMBE

L’actualité brûlante pousse certains à servir du chaud et à plonger dans une sorte confusion entre le message originel d’une religion et les interprétations sémantiques et pratiques qui en sont faites. Au vu des évènements qui s’enchaînent au fil des jours, des images renvoyés des quatre coins du monde musulman, décryptés puis interprétés par une presse loin d’être avertie des questions dont elle veut être le spécialiste, il est une forte tendance à confondre, à force de les entendre et des les voir alignés les termes d’islam, d’islamisme ou intégrisme voire fondamentalisme. Pendant ce temps les fidèles et les simples citoyens, avides de connaissances et d’informations, dévorent cette production qui n’est ni scientifique, par sa méthodologie, et encore moins crédible par ses sources et son manque notoire de déontologie. J’avais dans un article précédent expliqué la manière dont, aujourd’hui, les musulmans eux-mêmes sont victimes de l’image que donnent de l’islam certains pseudo-spécialistes, appelés, de manière inadéquate, islamologues[1]. C’est cette manière de présenter la religion musulmane avec une vision étriquée, fermée jusqu’à en faire un domaine déserté par toute réflexion audacieuse allant dans le sens d’une réelle compréhension accessible, favorisant le débat et l’échange. Ces théologiens s’enferment dans la lettre du message religieux jusqu’à en tuer l’esprit. Ainsi, ils réduisent l’islam à une simple somme d’ordres et d’interdits le dépouillant ainsi de toute sa dimension humaniste, civilisationnelle, universelle. L’universalité de l’islam et son message humaniste se trouvent ainsi sacrifiés sur l’autel du sectarisme et du dogmatisme. On peut déplorer, aujourd’hui le manque d’intérêt chez les musulmans pour cet autre aspect d’une religion qui par son ouverture et sa capacité d’adaptation dans toutes les situations et cultures, est parvenue à rassembler plus de 3 milliards d’individus, de l’Atlantique à l’Indus et compte aujourd’hui des minorités importantes disséminées dans les cinq continents. Ce serait dommage que par la faute d’une minorité non représentative, une telle religion soit assimilée à l’obscurantisme ou au fondamentalisme bien que ces termes , à force d’être prononcés avec anachronisme et hors contexte, ne veuillent plus rien dire.

L’islam n’est point obscurantisme du simple fait qu’il appelle à l’usage de la Raison et pousse à la réflexion et en fait presque un devoir. On ne peut compter le nombre de versets qui vont dans ce sens. « Ceci sert d’exemple aux gens qui réfléchissent » (liqawmin yatafakkarûn ), « ceci sert d’exemple aux doués de raison » (ûlûl albâb) concluent d’innombrables versets du Coran et non des moindres. On les trouve dans des verstes à haute portée symbolique au vu de leur sens et de leur place dans la structure du message coranique. De plus, qui prône l’ouverture bannit le l’obscurantisme et l’enfermement dans des sortes de doctrines que l’on croit figées. Le Prophète Mohamed (PSL) à l’aube de l’islam exhortait déjà à l’ouverture et reconnaissait du coup l’universalité de la Science et de son acceptation d’où qu’elle pût émaner pourvu qu’elle serve à l’humanité. Ne lui est-il pas attribué ce hadîth qui dit : « Allez à la recherche de la science même jusqu’en Chine ». Le plus dépourvu de culture historique peut savoir qu’à cette époque du VII ème siècle cette région du monde était vide de toute population musulmane. Quel contraste avec l’époque contemporaine où des « savants » musulmans osent jeter l’anathème sur toute production scientifique dès qu’elle est l’oeuvre de non musulmans ou même de musulmans d’un autre rite, ou d’école théologico-juridique différente. Aujourd’hui, sur de simples divergences concernant les éléments du dogme, certains musulmans s’arrogent le droit d’« excommunier » d’autres pour les qualifier d’Ahl al-bid‘a wa-l-kufr (les gens de l’innovation blâmable et de la mécréance) ! Un tel comportement, est de plus en plus fréquent dans nos pays, où émerge une nouvelle génération confrontée à d’autres expériences islamiques, à d’autres manières de voir qui n’en sont pas moins légitimes. Mais le rejet de toute forme de religiosité autre que celle découverte, bien récemment, constitue leur cheval de bataille. On en rencontre qui assimilent les confréries religieuses soufies à de la pure « innovation blâmable » (bid‘a) lorsqu’ils n’excluent pas de la communauté (al-millat ) leurs adeptes. Voilà une attitude sous-tendue par l’ignorance, une ignorance de sa propre religion sans parler des conditions historiques et des origines sociales de celle-ci ! Car, il arrive qu’un tel « savant » – s’il est juste de l’appeler ainsi – se réclame de Hassan Al-Bannâ (ou d’un autre) en ignorant que ce dernier était affiliée à une confrérie : la Hasâfiyya et pratiquait un wird au même titre que dans la Qâdiriyya la tijâniyya, ou la Murîdiyya. C’est pourquoi, nous suggérions dans un article précédent (Wal Fadjri 06/08/01) que l’étude des religions ne soit plus séparée de celle des sciences humaines telles que l’histoire, la sociologie ou même la philosophie. D’aucuns, par la même ignorance dont sont victimes les premiers, découragent ou bannissent, cette dernière spécialité : la philosophie. Ils la considèrent, à tort, comme étant aux antipodes de la religion. De tels présupposés s’inscrivent en porte à faux avec l’esprit de l’islam, de son message originel et de sa philosophie tout court. L’islam n’a t-il pas connu, intégré, et accepté dès les VIIIème/IXème siècles, celle des Abbassides, la pensée Mu‘tazilite qui prônait « il n’y a de vrai guide sinon la raison » (lâ imâma siwal ‘aql) ayant parmi ses ténors Abû Othman ‘Amr ibn Bahr al-Kinâni al-Basri plus connu sous le nom d’Al-Jâhiz qui vécut à Bassora (Irak) de 780 à 868 ap.Jc. ? Rappelons qu’à cette époque où les musulmans « exhumèrent » la philosophie d’Aristote, il régnait, encore, en Occident, un « fondamentalisme » des plus durs alors que ces penseurs musulmans inauguraient une véritable pensée critique. Nous rétorquerons à tous ceux qui ne reconnaissent pas à la Raison et au sens critique leur place dans l’approche de l’islam qu’ Abu Al-Walid Muhammad ibn Ahmad Al-Hafid, le célèbre Ibn Rushd (né à Cordoue 1126- mort à Marrakech en 1198)
(que l’Occident s’est approprié sous le nom latinisé d’Averroès) posait, déjà au XII ème siècle, la question de la compatibilité entre Foi et Raison après que, deux siècles avant, Avicenne (Ibn Sînâ) lui a ouvert la voie. Ce dernier formulera, très tôt, contre Al-Ghazâlî, le premier constat d’opposition entre vérité rationnelle et vérité révélée. Rien que par ses argument on peut se rendre à l’évidence que l’islam est une religion ouverte. Peut-être que ce qui réduisent l’islam à de simples ordres et interdits, au paradis et l’enfer, auront du mal à pouvoir accepter, dans sa globalité, cet héritage qui ne nous appartient plus, mais qui s’inscrit dans le patrimoine universel car son enseignement prône le bon sens, la « chose la mieux partagée au monde » nous rappelle Descartes près de six siècles après Al-Jâhiz !

Comme le reconnaît le journaliste français, Jean François Kahn « c’est grâce à cet apport de l’islam rationnel et pré-moderne que la chrétienté, à son tour, redécouvrit la pensée grecque » (voir son article Marianne du8 au 14/10/01 p15). Tout ceci s’est passé bien avant le XVIème siècle, celui de la Renaissance, inaugurant l’entrée de l’Occident dans la « modernité » qui sera parachevée, sous sa forme intellectuelle, avec la pensée des Lumières avec Diderot, Montesquieu, Voltaire et les autres. Et maintenant on ose pointer du doigts les musulmans qualifiés par-ci, d’obscurantistes, par-là d’intégristes comme s’ils étaient imperméables à toutes les grandes idées qui rythment la marche en avant de l’Humanité . A qui est-ce la faute ? Certainement pas à l’islam dont le premier verset de la première sourate est consacré à l’exhortation à la quête de la science « Iqra’ = lis » ! Non plus à son Messager qui a prêché, au plus haut niveau, la curiosité intellectuelle : « La connaissance de toute chose vaut mieux que son ignorance ilm kulli shay’in afdalu min jahlihi ». Seule l’autocritique peut être salutaire car aboutissant nécessairement à la prise de conscience. Cette dernière est l’acte I du long processus que constitue la prise en main de son destin afin de devenir de dignes représentants d’une religion aussi pleine d’humanisme, de tolérance et d’ouverture.

Pourtant, c’est, animé de cette audace, qu’Ibn Khaldoun (XIV ème siècle) arriva à inaugurer l’ère proprement dite de l’histoire et de la sociologie au sens d’une démarche scientifique. Plus près de notre époque contemporaine Jamâlu Dîn Al-Afghânî a poussé, à son paroxysme, la radicalité de la critique sociale dans un contexte très difficile. Cette évolution est possible surtout que le Livre de base de l’islam, le Coran, est des plus ouverts. Dans le sens que « texte » va forcément avec « interprétation » et cette dernière est l’expression de la différence qui n’est point synonyme de querelles idéologiques dogmatiques où on se considère meilleur que l’autre-différent qu’on qualifie de mécréant ou encore d’Ahl al-bid‘a. « La divergence de points de vue entre les oulémas est signe de la miséricorde divine » n’est-ce pas là un hadîth du Prophète sur lequel la majorité des savants s’accorde ? Même si, par dogmatisme et intolérance, certains sont méfiants à l’égard de cette culture d’ouverture qui se dégage de l’esprit même de l’islam, il appartient aux musulmans de saisir la grande liberté que leur offrent les textes fondateurs et s’investir dans une réflexion profonde sur leur sacré. C’est la seule solution. Car vouloir décrypter le message de l’islam, comprendre les textes fondateurs avec les clefs de la « fermeture de la porte de l’ijtihâd » ne fera refléter une image dont on ne peut rester fier. Et puis le texte coranique qui ne ferme point la porte aux efforts de réflexion nous y convie d’une manière ou d’une autre avec les appels incessants à l’usage du plus grand don de Dieu évoqués plus haut : la Raison (al-‘aql en arabe). Il ne faudrait pas qu’à cause d’une minorité qui croit servir l’islam en lui causant les plus grands torts que les intellectuels musulmans abdiquent. Ceci aboutirait à une situation aussi amère que celle qu’on a l’impression de vivre de temps à autre, suivant les dérives de ceux qui, par leurs actes prennent toute une communauté en otages. En d’autres termes si toutefois l’islam, par manque d’audace de la part de ses intellectuels, cesse de « sonder ses origines » et d’interroger son passé riche d’enseignements des plus avant-gardistes pour mieux éclairer son avenir de plus en plus complexe, on donnera raison à ceux qui tirent déjà triomphalement les conclusions du type : « Et la mosquée se ferma aux intellectuels. Elle brûla leurs oeuvres (…) Ne s’interrogeant plus sur lui-même, menacé par l’occident, l’islam se ferma au monde (…). Il n’y aura plus, de siècle en siècle, qu’un seul mot d’ordre : emmurer les textes pour mutiler les hommes »[2]. De toute manière, de tous temps, des voix s’élèveront pour rappeler à la raison, à l’ouverture et à la tolérance.

Nos guides religieux, apôtres des différentes confréries, par leur intelligence des textes et de la société à laquelle s’adressait leur message ont réussi leur pari : implanter l’islam dans une société à laquelle il était « étranger ». C’est par une adaptation sociologique, sans heurts et avec philosophie qu’ils ont fait accepter le message de paix qu’est l’islam à la majeure partie du pays. Tous ont donné des leçons de sagesse que le cadre exigu de cet article ne permet pas de rappeler exhaustivement ici. Mais tout le monde sait que Cheikh El Hadj Malick a donné une belle leçon de tolérance par sa cohabitation exemplaire avec les chrétiens vivants à son époque à Tivaouane. Cheikh Ahmadou Bamba a clairement énoncé qu’il a pardonné à ses « ennemis » d’hier qui, pourtant l’ont entraîné dans un exil de plus de sept ans. Par cette sagesse, ils sont parvenus, ainsi que les autres grands personnages de l’islam au Sénégal, à faire des confréries et de l’islam une une source intarissable de repères sociaux pour élaborer de véritables projets de société[3]. Pourtant aujourd’hui encore des penseurs musulmans s’attèlent à cette lourde tâche, en prenant des risques pour de simples réflexions qui devraient aller de soi. On peut citer le cas de l’universitaire algérien Ali Mérad ou encore Soheib Bencheikh. Ce dernier appelle d’ailleurs à une lecture et à une compréhension intelligentes des textes sacrés partant du fait que l’islam de par sa nature même s’y prête beaucoup plus qu’on ne le pense. Pour lui l’islam ne refuse guère la modernité et dénie l’intégrisme et l’obscurantisme dans le sens que c’est « une religion qui condamne le clergé, refuse la prêtrise, et dénonce toute tutelle sur les consciences ». Selon ce sociologue et théologien, afin de rester fidèle à l’héritage intellectuel de l’islam pour parer à l’intolérance et l’intégrisme de certains, imputés ensuite injustement à l’islam, il faut partir d’un raisonnement simple : « Nous avons un texte. Et qui dit texte dit forcément sujet d’interprétation, car il vit de la compréhension des hommes. C’est cette interférence entre le temporel, avec son caractère changeant, relatif, très humain et l’intemporel avec son caractère universel, éternel, qui donne à l’islam la souplesse nécessaire pour s’adapter à toutes les circonstances ». Il conclut son long plaidoyer en déplorant la situation présente, dans une sorte de nostalgie d’un passé, dans lequel il était, au moins, permis de penser. « Ce que font les talibans de la sharî’a, nous dit-il, n’est qu’une interprétation de la loi par des sociétés tribales, patriarcales et phallocratiques et habitées par des soucis guerriers. Le problème de l’islam [aujourd’hui] se résume en ces termes : les musulmans ont perdu l’intelligence créatrice et interprétative qui a accompagné l’islam pendant les quatre siècles fondateurs ».

Ces paroles sont dures mais chargées d’une volonté de rompre avec les amalgames et les préjugés à l’égard de l’islam qui n’est ni islamisme, ni intégrisme ni toute autre manifestation de la haine et de la violence. Nous pensons qu’il incombe aux musulmans, à leurs penseurs, dans toute leur diversité, de fournir les efforts qui ne peuvent plus attendre afin d’en découdre avec cette sorte de mutisme, laissant libre cours à tous les actes irresponsables qui se drapent de la couverture « islam » alors qu’ils en sont loin.


[1] – voir Wal Fadjri 06/08/2001 « A quand une réelle approche islamologique ?»

[2] -Propos de Martine Gozlan dans un article publié au magasine français Marianne du 8 au 14 octobre 2001. P44.

[3] – voir Bakary Sambe : Politisation de formes de religiosités apolitiques : l’exemple des confréries musulmanes au Sénégal, Mémoire DEA science politique, Inst. Etudes politiques de Lyon, 1998 ou Stratégies endogènes de développement : quel rôle pour le religieux, Le Soleil, 13/09/01,

Muhammad : Prophète de l’Islam, messager de l’Universel

27 septembre 2008

Muhammad  :  Prophète de l’Islam, messager de l’Universel

par Pr. Bakary SAMBE 

«  Je voulais mieux connaître la vie de celui qui, aujourd’hui détient indiscutablement les cœurs de millions d’êtres humains ; je suis, désormais, plus que jamais convaincu que ce n’était pas l’épée qui créait une place pour l’islam dans le cœur de ceux qui cherchaient une direction à leur vie. C’était cette grande humilité, cet altruisme du Prophète, l’égard scrupuleux envers ses engagements, sa dévotion intense à ses amis et adeptes, son intrépidité, son courage, sa confiance absolue en Dieu et en sa propre mission. Ces faits, et non l’épée, lui amenèrent tant de succès et lui permirent de surmonter les problèmes ».

Ce témoignage émane du célèbre dramaturge et critique irlandais, George Bernard Shaw(1856-1950), prix Nobel de littérature 1925, considéré comme l’auteur dramatique le plus important depuis Shakespeare et qui puisa son inspiration dans la critique de la société capitaliste. Ses propos peuvent surprendre plus d’un à notre époque alors que l’auteur, en son temps, n’était pas le seul à manifester autant d’égard au Prophète de l’islam.

Il est vrai qu’en ces moments traversés par d’innombrables questions existentielles et où, plus que jamais, se pose le problème de la destinée humaine, au regard des crises morales et socio-politiques, il peut sembler naïf voire déplacé, pour certains, d’évoquer une figure religieuse et de vouloir tirer une quelconque leçon de son expérience, surtout lorsque cette dernière est dite prophétique.

Le « désenchantement du monde » au sens weberien et le sécularisme triomphaliste peuvent induire l’obsolescence du religieux au profit d’une victoire sans appel du rationalisme. Mais ce serait sans compter avec l’éternelle quête de sens qui n’a jamais cessé de hanter l’humain. Malgré la désaffection à l’égard des religions traditionnelles et/ou classiques, les formes de religiosités qui meublent notre espace – se disant modernes – subsistent, surgissent et ressurgissent ça-et-là avec une ampleur plus ou moins perceptible.

La manifestation la plus nette du phénomène de l’attachement humain aux « moyens de productions » du sens est l’impossibilité conceptuelle et matérielle de distinguer, aujourd’hui, à la manière de Durkheim les domaines du « profane » et du « religieux » dans l’activité sociale. On peut croire que ce besoin de sens est inhérent à la nature humaine et gît en son sein même.

Les religions, en général, avec la montée en puissance des extrémismes, sont au ban de la « société pensante » et des médias d’aujourd’hui. L’islam dont l’approche ne bénéficie pas de la même disposition d’esprit que celle adoptée pour l’étude des autres monothéismes se trouve indexé comme la parfaite illustration du péril religieux menaçant les libertés, la démocratie et aux antipodes de l’esprit laïc et du progrès. Du coup, appréhendée hors des conditions sociales et historiques de son émergence dans les différents contextes où elle est au cœur du monde social, la religion musulmane est stigmatisée et confinée dans des schémas qui en font un monothéisme particulièrement monolithique, donc incapable de fournir l’impulsion et le dynamisme nécessaires à l’entrée dans la modernité.

Pourtant, un retour sur le parcours du Prophète Muhammad (PSL) permettrait de voir, sous plusieurs aspects, comment cette religion qui naquit au 7ème siècle a toujours été source de dynamisme et facteur de changement façonnant aujourd’hui la vie de plus d’un milliard d’individus sur cinq continents. Evoquant la personnalité de Muhammad (PSL), on se rend compte de l’extraordinaire manière dont la religion qu’il a professée a su épouser les contours de diverses cultures, unir dans leur diversité des peuples aux traditions différentes et rapprocher des contrées éloignées aux conditions socio-historiques variées.

Quelles que soient les opinions contradictoires émises par les uns et les autres sur ses formes, l’expansion de l’islam a toujours intrigué les analystes les plus rompus aux processus historiques. L’échelle de temps, l’étendue du champ et les adaptations sociologiques de cette expansion qui n’a pas nui à l’harmonie sociale des sociétés ayant embrassé l’islam sont tant d’éléments qui méritent réflexion.

« Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens et l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie humain, qui oserait comparer un homme de l’histoire moderne à Mahomet ? », se demandait Alphonse de Lamartine en 1854. Ces questionnements s’inscrivent dans cette absence d’explication exhaustive du phénomène Muhammad (PSL). Loin de nous, la prétention d’essayer de fournir toutes les clefs permettant d’établir une grille performante de lecture de l’histoire de cet homme hors du commun pour les Musulmans.

En plus de la qualité de l’homme, le caractère « surhumain » de son dessein rend impossible toute exhaustivité. L’auteur de la Vie de Mahomet prévient que ce n’est point une mince affaire de rendre compte de toutes les facettes de la vie du Prophète de l’islam qu’il considère comme le plus grand : « Jamais un homme ne se proposa, volontairement ou involontairement, un but plus sublime, puisque ce but était surhumain : Saper les superstitions interposées entre la créature et le Créateur, rendre Dieu à l’homme et l’homme à Dieu, restaurer l’idée rationnelle et sainte de la divinité », affirme t-il, sans réserves.

Nous nous limiterons, donc, à une simple re-visite des étapes de sa vie en nous arrêtant surtout sur les conséquences de cette prédication et de ce message sur le cours de l’Histoire. Malgré les désaccords et les divergences de vues, la naissance du Sceau des prophète ce 22 juin 570 (ou 571 d’après d’autres sources) à la Mecque marquera les esprits pour toujours.

Le fils d’Amina et d’Abdallah Ibn Abdelmutallib est né dans une société en pleine mutation à un moment de l’histoire arabe qualifiée par les traditions islamiques de trouble et sombre. Et voici que, selon les termes de Mujtaba-Musawi Lari, qu’ « un autre soleil se leva dans le ciel obscurci dont la lumière éclaira soudain l’horizon sombre de la vie ». Le mérite d’un tel être fut, selon ses adeptes, de devenir l’homme le plus sublime au monde après avoir été élevé dans une société corrompue et injuste.

Les moyens pour arriver à son but ne pouvaient être que très modestes à l’égard de sa condition sociale d’orphelin à l’enfance secouée de péripéties douloureuses. N’ayant jamais vu son père disparu peu avant sa naissance, séparé, très tôt de sa mère par la mort, puis privé de l’assistance de son grand-père Abdelmutallib, ce notable de Quraysh, qui lui fit défaut dès qu’il eût huit ans, Muhammad (PSL) sera sans défense dans la société qu’il voulut transformer et où il ne pouvait plus compter sur l’appui de son oncle, Abû Talib qui quitta ce monde alors que le futur prophète n’avait pas encore commencé sa prédication.

Dans son Khilâs al-Dhahab fî Sîrat Khayr al-‘arab, Seydi El Hadji Malick Sy de Tivaoaune (Sénégal) qui a fait de la célébration du Mawlid un événement d’une grande ampleur, décrit bien cette jeunesse de Muhammad (PSL) et ses multiples péripéties.

L’orphelin qui voulait devenir le père de l’humanité, le refuge des opprimés dans une société inégalitaire et le compatissant des misérables, puisera étonnamment dans l’accoutumance à la souffrance, des dénuements et des malheurs, la force indispensable pour accomplir sa mission. Ainsi, le jeune Mecquois qui ne sortit de son Hijâz naturel qu’à deux reprises : une fois en compagnie de son défunt oncle et lors de son travail de caravanier au service d’une riche veuve qui l’épousera et lui apportera tout son soutien, aura un destin difficile à assumer tellement la tâche était colossale.

La tradition est assez prolixe au sujet des qualités morales et personnelles qu’elle trouvera chez Muhammad (PSL). N’est-ce pas dans cette société mecquoise qui le combattra qu’il gagna le titre d’Al-Amîn «  le digne de confiance » ? A première vue, le déroulement de sa carrière prophétique, n’aura aucun caractère original au regard des similitudes avec tous les porteurs de messages religieux ou autres auxquels leur société d’origine a toujours opposé une farouche résistance. Nul n’est prophète chez soi dirait, la maxime ! Mais, on ne saurait nier la spécificité du premier cercle des adeptes de Muhammad (PSL) dès l’an 610 ap.JC.

La tradition universitaire des années 70 fortement inspirée par une analyse marxisante dans sa démarche, a longuement insisté sur la dialectique caractérisant les premières années de la prédication muhammadienne. Il est vrai que certains aspects de sa vie et de sa prédication ont bien l’air sinon d’une « révolution », du moins d’une profonde mutation sociétale.

A une société marquée par un polythéisme faisant partie du système socio-économique, Muhammad (PSL) proposera l’adoration du Dieu unique. Au culte des divinités représentées, sculptées, il tentera de substituer celui d’une religion qui crée le rapport abstrait entre Dieu et l’homme. C’est dans ce sens qu’Alphonse de Lamartine voit en lui « le restaurateur de dogmes rationnels et d’un culte sans images ».

Les premiers adeptes de l’islam naissant viennent de différents horizons mais partagent tous la même condition sociale de dominés dans un contexte hautement hiérarchisé où l’inégalité est érigée en règle. A travers leurs noms, on perçoit la diversité de leurs provenances. Hormis le petit nombre de Compagnons qui pouvaient faire prévaloir un rôle et une place importante dans la société mecquoise, Muhammad (PSL) était entouré d’opprimés et de personnes demandeuses de justice sociale qui trouvaient dans le nouveau message, le réconfort et la solidarité qu’ils ne pouvaient espérer dans un système défavorable.

Bilâl, l’esclave affranchi selon la tradition musulmane, dit ‘al-habashî (l’Abyssin), venant de l’autre côté de la Mer Rouge, de l’Abyssinie (Ethiopie), Souhayb est al-Rûmî, provenant certainement des régions sous la domination de Byzance, Salmân est al-Fârisî, (le Persan) allusion au domaine de l’empire Perse. A leurs côtés, un groupe d’hommes et de femmes qui malgré la condition qui leur était infligée affirmaient, au péril de leur vie, leur loyauté envers Muhammad (PSL) et la foi en l’unicité de Dieu.

Il faut rappeler que l’émergence de l’islam a coïncidé avec une période où l’Arabie vivait un tournant. La sédentarisation progressive, la reconversion de sociétés bédouines, nomades, au commerce et à la finance, faisaient que certaines vertus cardinales de l’homme arabe avaient du mal à perdurer devant l’appât du gain etl’accumulation. Un tel système est de nature à creuser les inégalités et à modifier les hiérarchies. La notion même et les critères du prestige social s’en trouvent bouleversés. Ceux qui sont à la marge du système sont plus que jamais attentifs et réceptif à l’égard de ce Prophète qui leur proposait la justice, l’égalité, le respect de l’orphelin, la charité à l’égard de l’étranger.

Malmenés pour avoir porté atteinte au système établi et défié la puissance de la hiérarchie mecquoise, les membres de la première communauté de l’islam connaîtront très tôt l’exil.Le Négus, souverain de l’Abyssinie, les accueillera avec hospitalité et charité, les protégera dans la pure tradition chrétienne. Quelle heureuse rencontre, quel symbole de tolérance et d’acceptation mutuelle !

Mais, la nouvelle religion professée par Muhammad ne tarda pas à trouver un écho favorable dans différentes régions d’Arabie. Après les persécutions, les blocus, les menaces et les tortures, les habitants de Yathrib qui deviendra Médine (Madinat al-rasûl = la ville du Prophète), accueilleront Muhammad (PSL) et ses fidèles en l’an 622.

Le cadre étroit de cet article ne permet pas l’analyse profonde nécessaire à la compréhension de la nouvelle impulsion à partir de Médine où l’islam arabe à ses débuts allait s’universalisant à la rencontre du monde, des cultures et des différentes civilisations. Ce train de la spiritualité parti de Médine, partout où il s’arrêtera accueillera à son bord en même temps que les Hommes, les vertus et les qualités qui ont fait sa grande civilisation.

S’arrêtant sur cet aspect de l’œuvre de Muhammad, Lamartine voyait en lui cet homme maître dans l’art de l’harmonie le « créateur de vingt empires terrestres et d’un empire spirituel ». C’est ce dernier qui a le plus émerveillé les observateurs de sa mission prophétique. Comment en effet une religion née et ayant évolué dans des circonstances aussi difficiles a pu, non seulement, se répandre aussi rapidement, mais créer, en plus, une symbiose dans un océan de diversité.

Dans son Regard sur l’histoire du monde, Nehru exprimait cette interrogation en ces termes : « Chose surprenante, la race arabe qui semblait durant des siècles demeurée dans une contrée sans renom, endormie, ayant perdu totalement sa vivacité, isolée du monde, ignorait apparemment tout ce qui s’y passait, se réveilla soudain, bouleversant avec une force vigoureuse le monde ! ». il conçoit comme « un des merveilles du monde dans l’histoire humaine », cette manière dont « l’aventure de l’islam et l’histoire de sa progression en Asie, en Afrique et en Europe, et, avec, la fondation d’une civilisation magnifique et une culture suprême ».

C’est à cet homme professant l’islam et offrant comme message la fraternité et l’égalité que revient le mérite d’une telle révolution silencieuse et non au génie d’un quelconque peuple car l’histoire de l’islam, hormis la problématique parenthèse omeyyade (approximativement de 661 à 850) est faite de diversité et d’apport des cultures qu’il a traversées, malgré les tentatives d’ethnicisation et d’arabisation depuis Abdul Malik Ibn Marwân.

Comme le rappelle Nehru, «  la pensée motrice qui éveilla le monde arabe et le combla de la confiance en soi et de la force créatrice ne fut que l’islam prophétisé par Muhammad ». Cheikh Ahmed Tidiane Sy, le disait lors d’une visite à la Mecque « Si ce n’était pas le Prophète, messager de l’islam, qui connaîtrait cette civilisation se distinguant par l’hospitalité envers l’étranger » (lawla-n-nabiyyu rasûlullâhi mâ ‘urifat/hadâratun sha’nuhâ-t-takrîmu li-l-ghurabâ).

En tout cas, la métamorphise qui a conduit une telle société, de son confinement historique à la conquête d’une grande partie du monde, embrassant cultures et civilisations de l’Atlantique à la Mer de Chine reste, tellement, une énigme, pour les analystes que d’aucuns hésitent d’y voir un simple « phénomène naturel ». Mais, comme le fait remarquer, l’auteur des Méditations poétiques, les utopies ne sont quelques fois que des « vérités prématurés »

Hormis la rapide et durable expansion de l’islam, c’est la pérennité du message de Muhammad (PSL) (mort en 632), ayant déjà traversé quatorze siècles, qui peut attirer l’attention. Sans entrer dans la polémique de l’inimitabilité du Coran (i‘jâz), on ne peut ne pas s’arrêter sur l’emprise qu’eût et a toujours le message du Prophète dans le cœur et l’attitude de plus d’un milliard d’individus à travers le globe.

Il est vrai, l’homme dit illettré dans bien des sources est parvenu avec un élan foudroyant à faire entrer son peuple dans le monde des livres et des sciences. De Baghdad à Ispahan jusqu’à Samarkand, de Cairouan à l’Andalousie en passant par Fèz l’impériale, la civilisation islamique a offert au monde de grands esprits éclairés. Constant Virgil Gheorghui rappelle dans la biographie consacrée au Prophète de l’islam : «  quoi qu’il fut illettré, les premiers versets révélés mettent en valeur la plume, la science, l’éducation et l’instruction. Si Muhammad avait été un savant, la révélation, réalisée dans la caverne de « Hirâ », n’aurait pas causé d’étonnement ».

Pour expliquer le caractère pérenne et fortement inscrit dans l’éternité, du message de Muhammad (PSL), plusieurs hypothèses ont été émises. Mais les explications les plus fournies se heurtent à l’ampleur du phénomène et finissent par être quelques fois involontairement réductrices. La nature du message de l’islam, se voulant une synthèse des prophéties qui l’ont précédé, son génie pour l’adaptation et le respect des traditions culturelles de ses prosélytes pourraient être avancés comme des éléments pouvant aider à dégager une piste.

Dans la distinction qu’il fait entre ce qu’il appelle les « lois humaines » et les « lois » divines, Montesquieu (voir de l’Esprit des lois) bien que niant à tort tout dynamisme des normes religieuses, aboutit à une conclusion intéressante pour notre question. Il parvient à l’idée selon laquelle la force principale des lois religieuses vient de ce qu’on les croit ; la force des lois humaines vient de ce qu’on les craint.

Le cas de l’Afrique noire pourrait-être cité en exemple où l’islam s’est rarement imposé mais s’est plutôt substitué et a très vite refaçonné les cultures sans les rejeter. Voici qu’une religion qui naquit du désert d’Arabie, porté par un homme qui avait tout contre lui, arrive à gagner tous les continents, en privilégiant la conquête des cœurs à la soumission des corps.

La diversité fut sa force, la justice sociale son leitmotiv. Autour d’un prophète, d’un message et d’une foi, elle a donné au monde l’une de ses plus brillantes civilisations. Les auteurs les plus apologétiques ont vite atteint leur limite dans la description de ses qualités humaines et morales. Al-Bûsayrî (XIIIème s.) dans sa Burdah se contentera de conclure qu’il est un homme et le meilleur des créatures : fa mablaghul ‘ilmi annahû basharun/ wa annahû khayru khalqi lâhi kullihimi. Le grand Muqaddam de la Tijâniyya, Seydi El Hadji Malick Sy (1855-1922), sur les mêmes rime (qâfiya) et mètre (basît), recourut vite au résumé en affirmant que pour tout qualificatif afférant à la noblesse de l’âme, Muhammad (PSL) mérite le superlatif absolu ! : fî kulli wasfin hamîdin hâza af‘ala tafdîlin rajâ’ul barâyâ yawma muzdahamî

Reste que ce message soit revivifié dans toutes ses dimensions, une fois libérés des préjugés dans lesquels aussi bien les extrêmes qui le dénaturent et en usent, que les tenants de l’essentialisme, portent la malheureuse responsabilité.

Mais quelles que soient les tensions, malgré les déchirures et la percée du virus de l’animosité dans le monde d’aujourd’hui, on ne pourra jamais nier que cette religion appelle au dialogue au respect et à la coexistence pacifique.

N’en déplaise aux théoriciens du choc des civilisations et de la confrontation entre un fantasmatique Orient et un Occident diabolisé, des esprits éclairés s’évertueront toujours à appeler au dialogue et à la compréhension mutuelle. L’exemple donné par Goethe, dans la citation suivante, par laquelle nous conclurons, mérite méditation : « J’ai toujours eu une grande estime pour la religion prêchée par Mohamed parce qu’elle déborde d’une vitalité merveilleuse. Elle est la seule religion qui me paraît contenir le pouvoir d’assimiler la phase changeante de l’existence – pouvoir qui peut la rendre alléchante à toute période. J’ai étudié cet homme merveilleux, et, à mon avis, loin d’être un antéchrist, il doit être appelé le sauveur de l’humanité. (…) J’ai prophétisé sur la foi de Mohamed, qu’elle sera acceptable à l’Europe de demain comme elle commence à être acceptable à l’Europe d’aujourd’hui ».

  

Le Soufisme : de la quête spirituelle à l’institutionnalisation des confréries

26 septembre 2008

 Le Soufisme : de la quête spirituelle à l’institutionnalisation des confréries 

Par Bakary SAMBE

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Welcome to Dr. Bakary SAMBE’s Blog, Researcher , Specialist of Islam and World Politics

26 septembre 2008

seminaire.jpgBakary Sambe is a researcher at AKU-ISMC. His research project, African Islam: evolution, networks and impacts on social change, seeks to explore the process of Islamisation marked by the strong presence of the Sufi brotherhoods in Sub-Saharan Africa. After completing an MA in Arabic and Islamic Studies at Lumiere University (Lyon, France), Sambe completed his PhD in Political Science at the Institute of Politics Studies (IEP de Lyon) in 2003. His dissertation was entitled Islamic factor in Afro-Arab relations: roles of Sufi brotherhoods and Islamic movements. From 2003 to 2007, Sambe was a lecturer in Islamic Studies and Arabic Civilisation at Lumiere University in Lyon, France as well as in African Studies and Religious Ethnology at the International School for Trade and Development in Lyon. While preparing his PhD, he was a visiting scholar at The Institute of African Studies (Mohammed V University, Morocco). He is a member of the Association for the Study for the Middle East and Africa (ASMEA) in Washington DC, the Research Group on Morocco and Africa (GREMA) and an Associate Researcher of the Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Mediterranee et le Moyen-Orient (France). In the summer 2008, Sambe was the representative for ‘religion and religiosities in African governance’ at the CODESRIA (Council for the Development of Social Science Research in Africa), Institute of African Governance. In July 2008 he was invited by the US Department of State to participate in the International Visitors Leadership Program about Islam and Managing Ethnic Diversity Issues

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