Par Dr. Bakary SAMBE
Pour mieux comprendre ce débat, il faut vraiment retourner à l’origine des divergences avec Tariq Ramadan. Tout est parti de ma critique sur sa prise de position sur ce qu’il appelle » l’impérialisme français » dans l’intervention au Mali. Je lui suggérais simplement d’ajouter à cette critique de l’intervention des forces étrangères en Afrique, la dimension du « paternalisme arabe ». En fait les pays et organisations arabes ont tendance à considérer les musulmans africains comme des maillons faibles de la oummah qu’il faut islamiser malgré le passé « islamique » depuis le Moyen-Age.
Parfois, cela cause de nombreux problèmes parce qu’en voulant « islamiser » les Africains ils s’appuient sur des mouvements salafistes et wahhabites qui disent vouloir purifier l’islam comme ce fut le cas avec la destruction des mausolées de Tombouctou lors de l’occupation djihadiste dans le Nord du Mali. Voici le lien de ce débat antérieur : http://www.lescahiersdelislam.fr/Occupation-du-Nord-Mali-L-autre-vrai-paternalisme-occulte-par-Tariq-Ramadan_a208.html
J’ai eu à m’expliquer sur cette question avec Monsieur Ramadan lors du Forum Social Mondial en Tunisie où je l’appelais à assumer ses responsabilités car sa parole était écoutée dans le monde musulman pour que cette image de l’africain toujours considéré comme sous-musulman dans le monde arabe change enfin.
Je pense qu’il n’a jamais supporté cette critique et surtout la contestation de sa parole sur l’islam venant, en plus, d’un africain (toujours un musulman inférieur en rang et en dignité). Au lieu de prendre cette critique avec humilité de la part d’un collègue africain qui ne lui veut aucun mal, Monsieur Ramadan est venu au Sénégal pour dire sur la chaîne de télévision publique sénégalaise que je le critiquais simplement pour devenir célèbre. Voir le lien de ce débat : http://senegal.afrix.net/2013/07/11/mise-au-point-de-bakary-sambe-cher-monsieur-ramadan-la-diffamation-est-aussi-contraire-a-lislam-et-a-lethique/
Sur le débat à propos de la crise israélo-palestinienne :
Sur le débat télévisé, j’avais une posture difficile en ayant prôné le dialogue malgré l’ampleur de la violence. Ma position sur le dialogue est motivée par le fait que le dialogue ne soit pas pour moi l’apanage des peureux ou des lâches mais une responsabilité des braves.
Dans cette perspective, j’ai soutenu depuis le début de la crise qu’il serait important de renforcer le camp de la paix incarné par le Fatah et ses soutiens. Dès le début de la crise dans tous les médias sénégalais j’ai critiqué tout d’abord l’attitude inacceptable d’Israel qui tue, massacre et viole le droit international sous le regard spectateur de la communauté internationale perdant de plus en plus de crédibilité et faisant du « deux poids deux mesures » sur les valeurs qu’elle veut incarner comme la justice et la démocratie à travers le monde.
J’ai critiqué y compris sur le plateau de télévision, l’attitude des extrémistes des deux bords en commençant par ceux de la droite du Likoud comme Netanyahu, Libermann, Tzipi Livni qui n’encouragent pas la paix et ont incarné un bellicisme qui a plongé le Proche-Orient dans le chaos actuel. Ils ont assassiné la paix et l’esprit du dialogue. Mais j’ai aussi critiqué Khaled Meshaal et les caciques du Hamas qui n’aident pas toujours la cause palestinienne et y jettent un certain discrédit en usant de la violence et en repoussant le dialogue alors que je suis sûr que nos frères palestiniens ont besoin de plus de paix que de guerre ! J’ai dit aussi que certains pays arabes ont surtout instrumentalisé la question palestinienne et ont causé beaucoup de tort aux palestiniens en se servant de leur cause juste plus qu’ils ne la servent !
C’est surtout ma critique des idéologies telles que le salafisme et les tentatives d’exportation en Afrique par des pays et organisations arabes qui dérange, je crois.
L’islam tel que vécu traditionnellement en Afrique avait jusqu’ici permis de garder un compromis social aujourd’hui largement menacé par les idéologies djihadistes comme nous l’avons vu au Nord du Mali et au Nigeria.
Mais encore une fois, au lieu de rester sur la thématique du débat, Monsieur Ramadan dévié en voulant régler des polémiques antérieures telles que ma critique sur sa position au Mali. Avant même le début du débat télévisé, il m’a interpellé en me disant : « c’est vous qui écrivez les articles contre moi ? » Pour dire qu’il était bien parti pour régler son compte à cet Africain qui a osé remettre en question sa parole sur l’islam !
C’était une anormalité qu’il ne pouvait digérer. Mais je ne garde rien contre lui ni n’entre jamais dans la logique d’attaques dont il est parfois injustement victime. Ce qui me choque aujourd’hui, c’est qu’il a profité de mes positions sur la politique des pays et organisations arabes en Afrique (paternalisme religieux) pour me présenter comme un anti-arabe, ses partisans même me prennent pour un pro-israélien alors que j’ai fermement condamné les massacres perpétrés contre les palestiniens dès le début du débat.
Je le sais avec un peu plus de recul et au vu des réactions d’incompréhension sur ma position : il était difficile de tenir un langage de raison à un moment où les esprits étaient surchauffés et les cœurs pleins d’émotion. Je ne regrette rien d’avoir appelé à la paix mais avec le camp de la paix et à critiquer les extrémistes de tous bords qui ne servent pas la paix qu’ils soient israéliens ou palestiniens.
J’ai l’esprit tranquille dans le sens où je n’ai jamais cautionné la politique de massacre et de tuerie qui est celle du gouvernement israélien mais aussi parce que j’ai le courage de dire à nos amis arabes que la solution se trouve dans le dialogue et que l’esprit va-t-en-guerre fait le jeu des ultra-radicaux du Likoud et du Hamas ! Toutefois je reconnais bien David de Goliath !
Pour rassurer les collègues et amis qui se sont beaucoup soucié de l’image diabolisant que Tariq Ramadan a voulu donner de moi (peut-être qu’on ne se connaît pas encore bien !), ma position que j’avais du mal à défendre à cause du temps médiatique qui ne laisse pas faire des démonstrations, se résume en trois points :
1- Condamnation ferme des exactions israéliennes (voir ma prise de position dès le début comme le premier intellectuel sénégalais qui s’est exprimé sur l’attitude inacceptable d’Israel en termes de violation du droit international et du droit international humanitaire : http://www.dakaractu.com/Entretien-Gaza-L-usage-disproportionne-de-la-force-par-Israel-en-flagrante-violation-du-droit-international-est-source_a70409.html
2- Je suis pour le dialogue et pour cela il faut favoriser le camp de la paix incarné par le Fatah et Mahmoud Abbas: si on laisse les extrémistes du Likoud et ceux du Hamas gérer la situation il n’y aura jamais de paix (au passage, c’est pourquoi, j’ai refusé qu’on compare Nelson Mandela au Hamas).
3- J’ai souligné la solidarité entre Africains et arabes mais je refuse toute forme de paternalisme et d’exportations d’idéologies niant la possibilité aux africains de vivre l’islam selon leurs réalités, comme je l’avais souligné en mars 2013 lors d’un autre débat avec Ramadan à Tunis http://en.qantara.de/content/interview-with-bakary-sambe-in-the-arab-world-we-africans-are-viewed-as-inferior-muslims
Tout est parti de ma critique sur les Frères musulmans quand j’ai expliqué que c’était certes un parti politique mais pas « ordinaire » ayant comme emblème deux sabres croisés et marqué en bas « Préparez-vous » http://www.dakaractu.com/Dr-Bakary-SAMBE-UGB-a-Tariq-Ramadan-Comparer-Nelson-Mandela-au-Hamas-est-une-insulte-a-sa-memoire_a72017.html
C’est par la suite que Tariq Ramadan m’a traité « d’esprit colonisé » en arguant que je tirais mon discours de Paris ou de Washington. Je n’ai pas compris cette attitude qui finalement ne m’a guère blessé surtout venant de quelqu’un qui, après avoir loyalement servi Tony Blair comme conseiller ns’est livré dans les bras de Shaykha Muza et du Qatar. soit !
Ma réponse à la fin du débat était que je m’inspirais surtout de Cheikh Ahmadou Bamba, Cheikh Ek Hadji Malick et de Cheikh Moussa Camara dans ma critique du djihadisme et de la violence au nom de l’islam, pour réaffirmer qu’en Afrique, nous avons des ressources pertinentes sur le discours religieux islamique et qu’on n’avait pas besoin d’être des musulmans sous tutelle.
Je crois même qu’au nom de la solidarité avec nos amis arabes, ils pourraient être invités à s’inspirer des réussites de l’expérience africaine de l’islam en termes d’harmonisation entre réalités sociales et principes religieux que j’appelle « assimilation critique de l’islam » et surtout de cohabitation pacifique tout en étant conscients de nos échecs respectifs.
Dr. Bakary Sambe Head of Observatory on Religious Radicalism and Conflicts in Africa
Center for the Study of Religions Gaston Berger University
www.cer-ugb.net
bakary.sambe@gmail.com